Interviews de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, dans "Libération" du 10 et à Europe 1 le 13 avril 1999, sur la cohésion des positions de la majorité gouvernementale et du Président de la République face au conflit du Kosovo

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Lancement de la campagne officielle du PS pour les élections européennes au Palais de la Mutualité à Paris le 10 avril 1999

Média : Emission Forum RMC Libération - Europe 1 - Libération

Texte intégral

EUROPE 1 : 13 avril 1999

J.-P. Elkabbach
Quels sont vos points de désaccord avec le Président de la République ?

F. Hollande
- « Il y en a de nombreux. Mais, sur le Kosovo, je crois que la position qui est prise – qui est celle de la France, qui nous engage tous – est comprise par les socialistes, et elle est celle du Président de la République et du Premier ministre. »

J.-P. Elkabbach
Comment jugez-vous la manière dont le Président de la République conduit la guerre ?

F. Hollande
- « Je pense qu’il est dans son rôle, et il a à la fois la responsabilité des armées et il engage les forces. En même temps, il explique aux Français. Je n’ai pas de critiques particulières à formuler. Ce serait, d’ailleurs, inconvenant parce que lorsqu’il y a une position qui est celle de la France, lorsque le Premier ministre est un élément essentiel du dispositif, je crois qu’il faut se féliciter – il ne faut pas essayer de rechercher des conflits qui n’ont pas de raison d’être – de cette unité de l’exécutif. »

J.-P. Elkabbach
Vous trouvez le Président de la République passable, correct, bien ?

F. Hollande
- « Je le trouve “Président de la République”, et je le trouve pédagogue, je le trouve maîtrisé. »

J.-P. Elkabbach
En cohabitation, c’est le Président de la République qui est maître du jeu ?

F. Hollande
- « Non, c’est le Président de la République et le Premier ministre. Il y a des domaines partagés. Et je pense que le Président de la République joue son rôle de Chef des armées, tel que c’est prévu par la Constitution. Et le Premier ministre est le responsable de la défense. Vous voyez comme quoi la cohabitation a été inventée presque pour ces situations ! »

J.-P. Elkabbach
Il y a donc accord avec L. Jospin ·et ses ministres concernés. P. de Villiers dénonce une « cohabitation-connivence ».

F. Hollande
- « P. de Villiers est hostile à l’intervention. Dans une certaine mesure, il aurait préféré qu’on ne fasse rien et qu’on laisse Milosevic écraser le peuple kosovar. Mais qu’il ne mette pas sur la cohabitation ce qui est en fait une position de principe, c’est-à-dire le refus de toute intervention dès lors que les droits de l’homme, des peuples, doivent être mis en danger. Il ne faut pas essayer de mettre sur des sujets de politique intérieure ce qui est, en fait, une position de politique extérieure. »

J.-P. Elkabbach
Quand le Président de la République dit : « L’esprit de Munich, le renoncement et la compromission n’ont jamais apporté que le malheur », vous êtes d’accord ?

F. Hollande
- « Je pense qu’il vise C. Pasqua et P. de Villiers. »

J.-P. Elkabbach
Cela veut dire que le droit vaut plus que la souveraineté des Etats, que même la guerre à outrance est parfois nécessaire pour une paix juste ?

F. Hollande
- « Il faut rechercher une paix juste, ce qui peut bouleverser les règles jusque-là les mieux établies de la politique internationale. Il y a encore peu de temps, on considérait que dans les limites des frontières, un Etat pouvait tout se permettre, y compris écraser son propre peuple. Eh bien, depuis l’effondrement du mur de Berlin, depuis l’affirmation d’un certain nombre de principes, ces règles non écrites n’ont plus de raison d’être. »

J.-P. Elkabbach
Cela veut dire que cela pend au nez d’autres dictateurs ?

F. Hollande
- « Oui, il faut que cela soit un précédent. Maintenant, il faut qu’il y ait aussi une considération géopolitique : si on est, aujourd’hui, dans la pression à l’égard des autorités yougoslaves pour rétablir la paix au Kosovo, c’est à la fois pour le droit des peuples, le droit des gens, le droit des personnes, mais c’est aussi pour éviter une déflagration dans cette région du monde. On ne le fait pas simplement au nom des droits de l’homme. On le fait au nom des droits de l’homme et au nom d’une stabilité dans une région qui a été une poudrière dans tout le siècle. »

J.-P. Elkabbach
Puisqu’il faut continuer les frappes : jusqu’à quand ? Est-ce qu’il faut que Milosevic capitule et dise : « Pouce ! » ?

F. Hollande
- « Il faut que Milosevic accepte les conditions – qui ont été rappelées d’ailleurs par les ministres des affaires étrangères de l’Otan, hier –, c’est-à-dire qu’il faut qu’il retire ses forces de répression du Kosovo ; il faut qu’il accepte qu’il y ait un processus de règlement politique ; il faut qu’il accepte une force d’intervention sur son propre territoire, pour protéger des populations qui sont menacées… »

J.-P. Elkabbach
S’il accepte ces conditions-là ?

F. Hollande
- « Il n’y a plus de raison de frapper. »

J.-P. Elkabbach
S’il les refuse ?

F. Hollande
- « S’il les refuse, il faut continuer à faire la pression. Mais je pense qu’à un moment, il acceptera. Parce que sinon, cela sera son propre écrasement. »

J.-P. Elkabbach
La planète entière dénonce Milosevic qui est qualifié « d’assassin » de « criminel de guerre » passible du Tribunal international, de « boucher de Belgrade ». Et c’est avec lui qu’il faudra négocier ?

F. Hollande
- « Cela dépend de lui. S’il accepte, à un moment, de retirer ses troupes, s’il accepte de rentrer dans un processus de règlement politique et accepte des forces d’interposition, alors oui ! Et le peuple kosovar aura eu la vie sauve – si c’est encore possible, et c’est encore possible –, on ne va pas laisser cette hypothèse se produire. »

J.-P. Elkabbach
La France, l’Otan, l’Onu réclament le retrait des forces serbes du Kosovo. Cela signifie que le Kosovo n’appartient plus à la Yougoslavie ?

F. Hollande
- « Cela signifie que l’on ne peut pas accepter que, dans la Yougoslavie, le Kosovo soit mis en coupe réglée, que des populations soient sorties de leur maison, chassées de leur territoire et quelquefois massacrées. Il y a quand même un droit d’assistance à une population en danger. »

J.-P. Elkabbach
Est-ce qu’à votre avis les armées de l’Otan doivent achever au sol le travail des avions et des missiles ?

F. Hollande
« –Pour le moment, les forces de l’Otan peuvent, par des bombardements qui portent sur des objectifs économiques, mettre le régime yougoslave dans la situation d’être obligé d’accepter une négociation. C’est cela que l’on recherche. Et je souhaite que la solution politique vienne le plus rapidement possible. Ce que nous voulons, c’est trouver une issue politique. Les frappes ne sont qu’un moyen d’aller plus vite à la négociation. Si la négociation avait pu permettre d’aboutir à une solution politique au moment de Rambouillet, il n’y aurait pas eu besoin de frapper. Puisque Milosevic ne l’a pas voulu, il a fallu frapper. Si Milosevic s’obstine, il faudra frapper plus longtemps. Mais s’il va à la négociation, il faudra arrêter les frappes, mettre des forces d’interposition, recourir à l’Onu pour assurer le cadre politique… »

J.-P. Elkabbach
On connaît le discours ! Vous n’avez pas d’états d’âme, vous, socialiste ?

F. Hollande
- « L’état d’âme que j’aurais, c’est si on ne faisait rien. Oui, là j’aurais quelques scrupules de me dire : “À quoi sert aujourd’hui la politique, à quoi sert aujourd’hui l’Europe, à quoi servent aujourd’hui la conscience humaine et les Nations unies si on laisse des populations être sorties de chez elle, massacrées, tuées au nom de considérations ethniques. Oui, là j’aurais un état d’âme sérieux. »

J.-P. Elkabbach
Les premiers des 8 000 soldats de l’Otan – 800 Français – arrivent, à partir d’aujourd’hui, dans les Balkans. Donc l’Otan bombarde d’un côté, soigne de l’autre. Est-ce que c’est normal, est-ce que c’est une dérision de l’Histoire ?

F. Hollande
- « Il faut à la fois accueillir, soigner, traiter les problèmes humains et, en même temps, assurer un règlement politique dans cette région. Et le règlement politique passe, à un moment – c’est le cas –, par le recours à la force. Il faut tout faire à la fois. Le devoir d’une communauté internationale, la solidarité que l’on doit avoir, c’est avec les blessés, les populations déplacées, mais c’est aussi de régler la cause même du problème. Jusqu’à ces dernières semaines, on traitait les conséquences d’un conflit : on avait ce qu’on appelait “l’action humanitaire” à l’égard des victimes. Aujourd’hui, il faut agir à la fois sur les conséquences, mais aussi sur les causes. »

J.-P. Elkabbach
L’ex-Chancelier allemand. H. Schmidt, a dit avant-hier : « Nous avons violé le droit international, nous sommes tenus en laisse par les Américains. » Est-ce que cela n’est pas aussi applicable aux Français ?

F. Hollande
- « “Violé le droit international”, je ne le crois pas, parce qu’il y a eu un devoir de solidarité qui s’est exercé et qu’on ne peut pas laisser en toute impunité un pays massacrer une population au nom des règles de la souveraineté. Quant à l’anti-américanisme que l’on voit fleurir ici, j’ai même vu un article – qui n’était pas de H. Schmidt, il faut le dire – mettant sur le même plan la barbarie de Milosevic et celle de l’Otan. Je dis : “non !” Je dis : “Heureusement qu’il y a aussi des forces internationales – dont des forces américaines, je n’en disconviens pas – qui interviennent.” Ce que je préférerais, dans cette région du monde qui est l’Europe, c’est que les Européens soient davantage dans le leadership de l’opération. »

J.-P. Elkabbach
Vous avez dit : « Il faudrait une autonomie européenne de défense. » Ce qui est une critique de tous les gouvernements français depuis longtemps.

F. Hollande
- « Tous ceux qui ont refusé de donner les moyens à cette Europe de défense. Nous sommes, aujourd’hui, les premiers à avoir des haut-le-cœur en disant : “C’est dommage qu’elle ne soit pas là.” »

J.-P. Elkabbach
Sur les 680 avions engagés, 480 sont américains. A peine 200 sont français. Est-ce que cela veut dire que les dirigeants socialistes européens – qui se réunissent demain à Bruxelles – vont demander une augmentation du budget de la défense ?

F. Hollande
- « Il ne suffit pas d’augmenter les budgets de la défense, il faut mieux coordonner ses forces. Il faut avoir, pour les prochaines générations de matériels, non pas deux avions, comme aujourd’hui – vous savez qu’on fabrique deux avions en Europe avec des pays qui se sont engagés sur deux produits –, il vaut mieux qu’on en ait qu’un, qu’on essaye d’avoir des essais de série, qu’on essaye de produire moins cher, qu’on essaye de s’organiser davantage, qu’on mette en commun nos industries de défense. Sans dépenser plus, on peut dépenser mieux et avoir une force organisée de la défense. »

J.-P. Elkabbach
Quelles sont les conséquences de politique intérieure de la crise du Kosovo, d’abord dans le Gouvernement et la majorité plurielle ? Le poids du silence de J.-P. Chevènement : vous décodez son silence ?

F. Hollande
- « Vous savez, c’est toujours difficile de décoder le silence, mais il ne me paraît pas plus assourdissant-que celui de P. Séguin. »

J.-P. Elkabbach
Non, non, non, mais dans vos rangs, dans le Gouvernement !

F. Hollande
- « Il y a une ligne qui a été suivie, qui est celle de participer à cette opération. Personne ne l’a mise en cause en quittant le Gouvernement. À partir de là, c’est cette ligne qui s’applique et aucune autre. »

J.-P. Elkabbach
Et R. Hue qui estime que plus il exprime ses désaccords, plus le débat est libre et plus il est loyal. Il n’y a pas de limite pour lui ?

F. Hollande
- « Cela me paraît normal que sur des questions d’engagement des forces, sur des questions d’intervention militaire, il y ait des débats, au sein de l’opposition comme au sein de la majorité. Ce qui compte, c’est qu’il n’y ait qu’une seule ligne qui s’applique, une seule décision qui soit engagée, c’est celle que le Premier ministre et le Président de la République ont prise. »

J.-P. Elkabbach
Pourquoi le PS est-il en train d’attaquer, de provoquer l’opposition ? Par exemple P. Séguin, C. Pasqua…

F. Hollande
- « Je ne provoque rien. Ce n’est pas parce qu’il y a une intervention aujourd’hui au Kosovo que la vie politique, la vie économique, la vie sociale s’arrêteraient. Il faut aussi gouverner, ça c’est la responsabilité de L. Jospin, Et sur d’autres sujets que celui du Kosovo, il faut aussi qu’il y ait un débat entre droite et gauche. Et quand je vois Mme Garaud être propagandiste du régime serbe, j’ai quand même le droit de le dire, y compris dans la campagne électorale. Parce que, si elle se situe sur la liste de M. Pasqua, cela poserait un problème, pas simplement à M. Pasqua, mais aussi à toute l’opposition. »

J.-P. Elkabbach
Je voudrais terminer en saluant S. Curujiva, assassiné à Belgrade devant chez lui par des policiers serbes. Le saluer pas seulement parce qu’il était journaliste indépendant, mais parce qu’il se battait sans peur pour la démocratie.

- « Ce qui prouve aussi ce qu’est le régime serbe. »


Libération : 10 avril 1999

Libération
Sur le Kosovo, il y a davantage de cohésion entre l’Elysée et Matignon qu’au sein de la majorité. Cela vous préoccupe ?

F. Hollande
C’est plutôt rassurant que, sur un conflit de cette importance, il y ait une unité de l’exécutif. Mais sur une question aussi essentielle que le recours à la force, il est naturel que des débats traversent l’ensemble des familles politiques de la majorité, comme de l’opposition. C’est là l’honneur des démocraties. Pour le PS, j’ai le sentiment d’une grande cohérence sur la position du gouvernement. C’est pour moi l’essentiel. Pour ce qui concerne nos partenaires, j’observe à la fois les contradictions qui traversent la liste que conduit Robert Hue, ce qui prouve la mutation du PCF et l’union des Verts sur la logique de l’intervention, ce qui n’allait pas de soi, compte tenu de leurs traditions politiques. Quant au Mouvement des citoyens, j’ai trouvé que le silence de Jean-Pierre Chevènement n’était pas plus assourdissant que celui de Philippe Séguin.

Libération
Avec la durée, ces désaccords ne risquent-ils pas d’empoisonner gravement le climat dans la majorité ?

F. Hollande
A mesure que le conflit se prolonge, que la vérité s’impose sur l’épuration ethnique menée par Milosevic, il y a une adhésion de plus en plus forte de l’opinion en faveur des opérations elles-mêmes et de la participation de la France. Et je note une évolution des positions de nos partenaires. Ainsi, les communistes comme le MDC insistent davantage sur l’Europe de la Défense et sur la nécessité de ne pas s’en remettre à l’Otan que sur les frappes elles-mêmes. À chacun de comprendre que la solution alternative – c’est-à-dire ne rien faire – aurait permis à Milosevic de vider le Kosovo sans aucun risque pour lui.

Libération
Vous n’avez pas l’impression que Jean-Pierre Chevènement persiste et signe ?

F. Hollande
La solidarité gouvernementale n’est pas prise en défaut. Et il n’y a aucune divergence sur la nature du régime de Milosevic, sur la caractéristique détestable des actions qu’il mène au Kosovo et sur la nécessité, le moment venu, d’une solution politique.

Libération
Entre la condamnation politique et la condamnation philosophique, laquelle est la pire (1) ?

F. Hollande
Il est toujours préférable pour un responsable politique de parler avec ses propres mots. Cela évite de regrettables procès d’intention.

Libération
Qui sont les plus européens : ceux qui, après avoir voté contre les traités de Maastricht et d’Amsterdam, se plaignent que l’Otan soit à la pointe de l’intervention, ou ceux qui ne s’en émeuvent pas ?

F. Hollande
De ce conflit au Kosovo, plusieurs leçons méritent d’être tirées. Premièrement, l’Europe a existé politiquement. À la différence de ce qui s’était produit au moment de la Bosnie, l’union a pris ses responsabilités, avec la réunion de Rambouillet puis la légitimation du recours à la force, au Conseil européen de Berlin. La deuxième leçon, c’est que l’Europe acteur politique ne peut intervenir militairement qu’en s’en remettant à l’Otan. Voilà pourquoi l’Europe doit constituer au plus vite une identité de défense. Cela exigera bien plus que la désignation d’un monsieur ou d’une madame Pesc (politique étrangère et de sécurité commune), mais des stratégies coordonnées et des moyens militaires mis en commun. Que les plus sceptiques des Européens en soient venus au même constat est encourageant.

Libération
Que pensez-vous de l’antiaméricanisme qui refleurit en France ?

F. Hollande
S’il s’agit d’établir une équivalence dans la barbarie entre Milosevic et l’Otan, alors cet antiaméricanisme est indigne. Si, au contraire, il s’agit de souligner le rôle majeur voire excessif des États-Unis dans cette intervention militaire, alors ayons l’honnêteté de reconnaître que leur principale force, c’est d’abord notre faiblesse. Si les Européens étaient plus déterminés, mieux organisés et plus clairs dans leur rapport à l’Otan, les Américains seraient sans doute moins bruyants à tous les sens du terme. Avec ce qui se passe aujourd’hui, les Etats-Unis peuvent essayer de montrer qu’il n’est pas besoin d’une Europe de la Défense, puisque l’Otan fait l’essentiel du service. À nous de convaincre les Européens qu’ils peuvent constituer une défense commune. Il va falloir faire de la coopération renforcée, voir avec qui on peut avancer plus vite au-delà même de nos engagements dans l’union.

Libération
Et l’usage, de la dissuasion nucléaire, il serait lui aussi européen ?

F. Hollande
À terme, la question devra être posée. Nous ne pouvons pas toujours, comme Français, demander aux autres de venir sur nos positions – on sait qu’un bon nombre de nos partenaires européens sont extrêmement réticents à s’éloigner du giron de l’Otan –, nous devons aussi faire des gestes qui prouvent que nous sommes prêts à aller loin dans l’Europe de la Défense. Il faut se débarrasser du manteau de l’arrogance. Les mêmes qui reprochent à l’Europe de ne pas exister militairement sont ceux qui s’acharnent encore à lui refuser les moyens. Pasqua et Villiers peuvent se retrouver. Ils incarnent, sans en avoir le monopole, ce courant de pensée et d’inaction.

Libération
Coexistent sur votre liste (et au gouvernement) souverainistes, adversaires du droit d’ingérence et droits-de-l’hommistes qui y sont favorables. Pourront-ils exprimer leurs différences comme sur la liste Hue ?

F. Hollande
La souveraineté nationale, ça existe. Les droits de l’homme, ça ne se discute pas. Mais nous ne pouvons pas avoir des positions justifiant le recours à la force fondées exclusivement sur les droits de l’homme. Ce, qui nous fait agir au Kosovo, c’est aussi la stabilité dans cette région. Car on sait bien que si Milosevic arrivait à mener à bien son nettoyage ethnique, il ne s’arrêterait pas là, il y aurait demain un conflit avec la Macédoine ou l’Albanie, une véritable déflagration. Je suis convaincu, donc, que ceux qui sont sur la liste que je conduis partagent l’ensemble de la dimension du problème.

Libération
Le programme du PS tente déjà une synthèse entre l’Europe et la nation…

F. Hollande
Cette synthèse est la seule position réaliste. Ceux qui veulent en rester à la seule souveraineté des nations se résignent en fait à l’impuissance. Ceux qui évoquent les Etats-Unis d’Europe psalmodient des incantations sans lendemain. Notre objectif est en fait de faire progresser l’Europe politique avec l’extension du vote à la majorité qualifiée, de faire avancer l’Europe de la Défense et de donner un coup d’accélérateur à l’Europe de l’emploi ainsi qu’à l’Europe sociale.

Libération
Après avoir tant reculé devant l’idée de prendre la tête de la liste socialiste, on a l’impression que vous êtes en train de vous découvrir de nouvelles motivations ?

F. Hollande
Je n’en manquais pas. Mais il est vrai que, depuis trois mois, jamais le débat européen n’a été aussi présent : démission de la Commission Santer, nomination de Romano Prodi à la présidence, règlement de l’Agenda 2000, préparation du pacte européen pour l’emploi et maintenant la question de l’Europe de la Défense. Oui, il y a plein d’éléments pour convaincre tout responsable politique qu’avec cette élection, se joue une grande part de notre avenir. Autant de raisons de faire la course… en tête.

(1) Jean-Pierre Chevènement avait distribué le 1er avril à ses collègues du gouvernement un texte du philosophe Hans Magnus Enzensberger fustigeant les « fantasmes d’une morale omnipotente », façon de dire son désaccord avec l’intervention contre la Serbie. Le philosophe l’a accusé un peu plus tard d’avoir détourné le sens de ses propos.