Interview de M. Daniel Cohn-Bendit, tête de liste des Verts pour les élections européennes 1999, dans "L'Union" le 6 mai 1999, sur l'éventualité d'une intervention terrestre des forces de l'Otan au Kosovo, le stockage souterrain des déchets hautement radioactifs et sur la proposition d'un meeting commun de la gauche plurielle dans le cadre de la campagne électorale.

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Média : Journal de l'Union interparlementaire - L'Union

Texte intégral

L'Union
Vous avez annulé votre déplacement rémois de vendredi pour participer à une réunion des Verts allemands…

Cohn-Bendit
Oui. Je dois me rendre à une réunion préparatoire au congrès des Verts allemands qui peut avoir des conséquences pour les Verts européens, si une fracture intervient. Je ne sais pas si je trouverai une autre date pour venir à Reims avant les élections. Je suis en meeting tous les soirs.

L'Union
Vous maintenez, en revanche, votre visite sur le site de Bure, en Meuse, où doit être construit un laboratoire souterrain d’étude sur la possibilité d’enfouir les déchets hautement radioactifs. Cette solution n’est-elle pas la moins mauvaise, pour l’instant ?

Cohn-Bendit
Sur l’enfouissement, les recherches ne font que commencer. On prétend que Bure ne sera qu’un laboratoire mais, dans le même temps, tout le monde sait que le passage du laboratoire à l’enfouissement réel est vraisemblable. Aujourd’hui, sur cette question des déchets, il ne faut pas se prononcer sans un programme complexe sur la sortie du nucléaire : la manière par laquelle en essaie de trouver des solutions en France, comme en Europe d’ailleurs, ne correspond pas à cette nécessité de sortie du nucléaire. Toute solution d’enfouissement doit tenir compte de la réversibilité.

L'Union
Ce critère a effectivement été prévu dans le cas de Bure.

Cohn-Bendit
Oui. Mais l’enfouissement est-il prévu dans un cadre de maintenance du programme nucléaire ou dans un cadre de sortie du nucléaire ? En me rendant à Bure, je cherche à savoir comment réagissent les gens à l’enfouissement.

L'Union
Très rapidement après le début du conflit Otan-Serbie, vous vous êtes prononcé pour un protectorat européen au Kosovo. Sans l’accord de Milosevic, cela reste impossible… à moins d’un engagement terrestre préalable ?

Cohn-Bendit
Cette idée du protectorat a été reprise par le Président de la République.

L'Union
L’Otan a défini le but de l’intervention militaire — tous les gouvernements ont accepté cette définition — qui vise à protéger à long terme les Kosovars et à leur redonner la possibilité de retourner dans leur pays. La stratégie des bombardements relève davantage d’une stratégie de punition du pouvoir politique : elle ne donne pas la possibilité aux Kosovars de rentrer chez eux. Il y a donc une contradiction.

Cohn-Bendit
Si après six semaines de guerre avec Milosevic on parvient à un accord, très bien. Sinon, il faut prendre ses responsabilités, sauf à ce qu’on ait réduit l’intervention à une simple punition et que l’on s’avoue incapable d’imposer le retour des déportés. Si tel était le cas, cette intervention serait délégitimée.

L'Union
Jusqu’où l’Otan peut-elle aller dans cette guerre ?

Cohn-Bendit
En même temps que l’intervention militaire, il faut renforcer l’intervention politique et diplomatique, avec les Russes et l’Onu, tenter d’isoler Milosevic, et essayer d’imposer le cadre d’une solution qui tiendrait également compte de l’après-guerre, pour un développement durable des Balkans.

L'Union
Mais si tout échoue sur le plan diplomatique, accepteriez-vous ce recours ultime de l’engagement terrestre ?

Cohn-Bendit
Mon idée est la suivante. On interrompt les bombardements pendant 15 jours durant lesquels les parlements débattent de l’intervention militaire. Si, au bout de 15 jours, aucune solution diplomatique n’a été trouvée, les parlements ayant décidé l’intervention terrestre, on commence l’organisation de cette intervention.

L'Union
Vous ne craignez pas que Milosevic mette ces 15 jours à profit pour se réorganiser ? N’est-ce pas un piège ?

Cohn-Bendit
Tout est un risque. Je ne dis pas que c’est la bonne solution, mais je n’arrive pas à imaginer n’importe quelle solution sans se préparer à l’intervention terrestre si on ne parvient pas à imposer une solution politique et diplomatique à Milosevic.

L'Union
N’êtes-vous pas surpris de la réaction du peuple serbe, des intellectuels, relativement soudés derrière Milosevic ?

Cohn-Bendit
Des intellectuels serbes en exil sont favorables à l’intervention. C’est ceux qui vivent en Serbie qui sont très critiques, pour des raisons qu’on peut comprendre. En 39, les Allemands faisaient la guerre : même Helmut Schmidt, le futur chancelier, a été officier de l’armée allemande. Tout le monde s’est regroupé autour d’Hitler. Ce n’est que petit à petit que s’est manifestée une prise de conscience, une responsabilité face à un dictateur.

Il ne faut pas oublier que l’un des points faibles de l’opposition démocratique en Serbie, c’est le Kosovo, pour lequel elle affichait des positions nationalistes.

L'Union
Vous avez souhaité donner à la droite une leçon de démocratie de la gauche plurielle en invitant les leaders de celle-ci à débattre publiquement entre eux. Ce débat est-il à l’ordre du jour ? S’il avait lieu, ne craignez-vous pas que vos différences l’emportent ?

Cohn-Bendit
Non. Au contraire, notre savoir-faire démocratique l’emporterait. La majorité plurielle a la volonté et est obligée de gouverner ensemble. L’idée de ce débat est en discussion, je reste persuadé qu’il peut avoir lieu entre les têtes de liste de la gauche plurielle.

L'Union
Si vos idées s’imposaient le 13 juin en Europe, que feriez-vous de plus que vos amis de la liste PS, voire que vos adversaires de la liste UDF ?

Cohn-Bendit
Le problème du parlement européen n’est pas de faire plus, mais d’être capable de faire fonctionner une nouvelle majorité pour qu’on a dit. Sur la réforme institutionnelle nécessaire à l’élargissement, il existe un accord aussi bien avec l’UDF qu’avec le PS et même une majorité du PC si l’on se réfère aux positions de Philippe Herzog.

Les grandes différences porteront sur la définition de l’Europe sociale, sur les grands travaux écologistiques que nous proposons, notamment entre le tout autoroute et un grand réseau de chemin de fer dédié au fret, sur les organismes génétiquement modifiés, sur le nucléaire, sur la politique étrangère commune dans la mesure où nous accentuons davantage sur la prévention des conflits, idée que le PS et l’UDF soutiennent seulement du bout des lèvres au parlement.

L'Union
Vous ne regrettez pas une alliance avec le PS pour ces européennes ?

Cohn-Bendit
Non, pourquoi ? Je défends la proportionnelle qui exprime la réalité de la démocratie. Je trouve juste de s’allier au PS dans un gouvernement de majorité plurielle, mais dans une élection à la proportionnelle, il est aussi juste de se battre pour renforcer son propre courant. J’espère que les législatives intégreront de la proportionnelle.

L'Union
Sur l’Europe, les convergences semblent pourtant plus nombreuses entre les Verts et le PS qu’entre le MDC et le PS ?

Cohn-Bendit
Je crois que le PS réside sur l’Europe. L’accord avec le MDC symbolise cette hésitation, tout comme la différence de tonalité entre l’accord avec le MDC et celui avec les Radicaux.

L'Union
Vous vous attendez à un remaniement ministériel après les européennes en France ?

Cohn-Bendit
Je n’en sais absolument rien. J’avoue que c’est le dernier de mes soucis.

L'Union
Si vous aviez une question à poser, quelque chose à dire à Alain Krivine, également engagé dans ces européennes ?

Cohn-Bendit
Je serais très content que nous nous retrouvions au parlement européen. Nous pourrons poursuivre une discussion interrompue depuis une trentaine d’années…