Texte intégral
La planification a permis la création d’un secteur public puissant et de qualité. Aujourd’hui elle l’enfonce dans la marginalité.
Le choix de la solidarité et de l’égalité d’accès aux soins s’impose, il ne doit cependant pas interdire une réflexion sur les performances du système de soins.
Il est certain que notre système souffre aujourd’hui de gaspillages, d’inefficacité et de manque de productivité. La fuite en avant dans une planification forcément toujours plus pointilleuse et plus bureaucratique, confiée à des administrateurs supposés omniscients, ne peut qu’accentuer les dysfonctionnements et les insuffisances. La planification administrative établit un partage rigide des activités et crée des rentes de situation, freine les initiatives des producteurs de soins, sans éviter les gaspillages, et génère des coûts croissants sans que les intérêts des malades en soient pour autant préservés. La réforme Juppé va dans ce sens et certains de ses défenseurs espèrent, n’en doutons pas, que son maintien conduira à des dérèglements tels que la privatisation de l’assurance maladie apparaîtra alors comme la solution de dernier recours.
La régulation strictement administrative arrive en définitive à pénaliser les valeurs d’égalité que le – modèle public – est censé défendre. Mobilisant des ressources pour financer des dépenses inutiles, elle ne permet pas de satisfaire tous les besoins et, particulièrement, ceux des populations socialement les plus vulnérables et les moins bien défendues.
* Complémentarité
La France dispose d’un atout, qui est la coexistence, au sein de son système de santé, d’un secteur public et d’un secteur privé également forts, dont la confrontation bien organisée permettrait de cumuler les avantages apportés par chacun. Afin que soit donnée au malade la possibilité de choisir, librement la nature des soins auxquels il veut recourir et le médecin ou l’équipe médicale auxquels il souhaite s’adresser, il faut abandonner le mythe de la complémentarité planifiée des secteurs public et privé.
Cela impose que le secteur public ait une activité de consultations médicale pour des malades ambulatoires et de prises en charge à domicile, compétitives avec celle de la médecine libérale. Parallèlement, le secteur privé doit pouvoir développer, s’il le souhaite, des activités hospitalières, même dans les domaines les plus techniques et les plus « lourds ».
Des règles de jeu communes aux deux secteurs, fondées sur des références de pratique clinique et sur une rémunération des producteurs de soins en fonction de leur activité, sont indispensable pour qu’une compétition loyale s’instaure entre eux, dans le cadre de l’objectif des dépenses fixé par le Parlement. Un tel système remet le malade « au cœur » du dispositif, car ce sont ses choix qui détermineraient l’activité des professionnels ou des structures de soins et qui décideraient ainsi de leur financement.
La dialectique envisagée est de nature à améliorer les performances tant du secteur public que du secteur privé : celles du secteur public en l’incitant à rechercher une meilleure efficacité et une productivité comparable à celle du privé, celles du secteur privé en lui imposant les référentiels de pratique et de qualité des soins du service public.
Afin que chacun soit convenablement armé pour l’affronter, il s’agit de réaliser de considérables modifications de l’organisation et du fonctionnement de la médecine en France et de ne plus se satisfaire de la simple chasse à d’éventuels gaspillages, qui restent marginaux.
Dans le secteur public, il faut mettre fin au lien établi entre hôpital et université et rendre l’hôpital public à sa vocation première, la distribution des soins avec la permanence du service public et la participation à la formation des médecins. Il faut revoir les modalités du recrutement et des affectations de ses personnels afin de permettre une mobilité effective des médecins, avec des déroulements de carrière, liés à leurs activités de soins et de gestion, et non plus à des cooptations s’appuyant sur de vagues recommandations ou d’hypothèques recherches scientifiques.
Dans le secteur privé, il faut favoriser l’exercice médical de groupe et permettre au médecin de développer, à côté de la pratique médicale de soins, des activités d’évaluation et de gestion.
* Une organisation obsolète
Soucieux d’égalité, je propose simultanément la mise en place de l’assurance maladie universelle, accordant le droit à la couverture maladie à toute personne résidant en France et en situation régulière. Pour l’ensemble de la population, l’avance de frais devrait être supprimée et le tiers payant généralisé, comme c’est le cas dans les pays développés. Pour les personnes aux ressources les plus modestes qui, pour cette raison, ne peuvent accéder aux soins dans des conditions satisfaisantes, la gratuité devrait être assurée. Il est enfin urgent de mettre en place, dans le cadre de la sécurité sociale, une prestation dépendance qui ne soit pas une aumône et qui soit accordée sans condition de ressources.
Ce ne sont que les points saillants des nécessaires transformations d’une organisation sanitaire obsolète, issue de la réforme Debré de 1958. La planification a joué un rôle essentiel quand, dans l’après-guerre, le système de soins français était à construire. Elle a permis la création d’un secteur public puissant et de qualité. Aujourd’hui, au motif de le préserver sans les moyens nécessaires à sa sauvegarde, elle l’enfonce dans une marginalité dommageable à son épanouissement.
Les multiples plans de redressement des comptes de l’assurance maladie, qui se sont appuyés sur des contrôles uniquement budgétaires, n’ont abouti, à terme, qu’à des échecs, parce qu’ils ignoraient les dysfonctionnements structurels du système de soins, cause réelle de dépenses sanitaires excessives attribuées, à tort, à un comportement soi-disant irresponsable des médecins et des malades.