Article de M. Charles Josselin, secrétaire d'Etat à la coopération, dans "le Monde" du 12 novembre 1997, sur la francophonie comme "l'une des dimensions de la politique extérieure" de la France, intitulé "L'ambition francophone".

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Circonstance : Sommet des pays francophones à Hanoï, les 14, 15 et 16 novembre 1997

Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

Texte intégral

La Francophonie est l'une des dimensions de la politique extérieure de notre pays. Force est pourtant de constater qu'elle ne suscite pas dans l'opinion publique ou la classe politique l'intérêt qu’y attachent la plupart de nos partenaires. Paradoxe à une époque où sont si présentes la crainte de perdre son identité, la volonté des collectivités comme des individus de rechercher leurs racines, l'inquiétude, enfin, que globalisation ne rime trop avec uniformisation.

Pour la première fois, la Francophonie tient ses plus hautes assises loin de ses bases les plus traditionnelles. L'hôte en est le Vietnam, qui panse les blessures de l'Histoire et auquel une économie renaissante promet en Asie du Sud-Est de belles perspectives.

Depuis cinq mois, je rencontre un nombre croissant de pays qui trouvent intérêt à l'espace francophone. Pour ces nations, aucune réminiscence historique ne justifie le choix de notre langue, comme ce fut le cas des pays de l’Est après la chute du mur de Berlin. Dans tous les cas, pourtant, le sens de la démarche est le même : intégrer plus facilement des espaces économiques régionaux, se faire entendre dans le débat international, donner aux jeunes générations des chances accrues de réussite. Partout l'échange francophone est un atout pour sortir de l’isolement.

Certes, la Francophonie n'est pas pour la France un enjeu de politique intérieure ainsi qu'on le note chez beaucoup de nos partenaires. Certes, ses contours sont difficilement perceptibles, et bien des observateurs s’interrogent encore sur la possibilité de réunir quarante-neuf États et gouvernement représentant des situations géographiques culturelles, économiques politiques, humaines si variées que la notion de projet commun n'a pas force d’évidence.

L'échange économique aujourd'hui privilégie l'anglais. Il n'est pas question de rompre des lances contre cette « lingua franca », aussi indispensable chez nous qu'elle l’est dans le monde entier. Mais ce n'est pas un combat d'arrière-garde que de lutter pied à pied pour que le français, dans un contexte multilingue, conserve et étende ses positions. Il n'y va pas de nos seuls intérêts. Il y va de la survie de ce que nous avons de plus cher : nos cultures, notre histoire, notre façon d'imaginer et de construire le monde. Car la langue, c'est la vie. Comment la France, qui a su par la présence internationale la plus vigoureuse qui soit, depuis plus d'un siècle, faire adopter qui et le plus souvent aimer sa langue, pourrait-elle bouder la chance que lui offre la Francophonie de partager et de faire fructifier l'héritage de ce qu'elle-même a conçu ?

La France s'est appuyée sur la solidarité francophone pour défendre au Sommet de Maurice la notion d'exception culturelle. Il faut toutefois comprendre que la préférence francophone revient pour beaucoup de pays au choix d'une forme de non-alignement implicite dont nous devons pourtant peser les chances et les conséquences pour eux comme pour nous.

L'échange économique produit la modernité. Le monde n'est plus un village, il est devenu un réseau. La concurrence y est féroce, et la réussite fonction d'une parfaite maîtrise de l'information, par conséquent de l'audace et de la rapidité. Le Premier ministre a récemment donné l'alerte sur cet enjeu. Pour les francophones, c'est une urgence car c'est là qu'en peu d’années se livrera le combat de la langue, et derrière elle de la recherche, mais aussi du droit, de la démocratie, de la culture, de l'éducation. Qui ne voit là le socle des valeurs communes recherchées par la communauté francophone ? Et qui ne voit que l'énorme investissement de la France dans le monde, de ses universités, de ses chercheurs, de ses juristes, de ses médecins, aux côtés de celui de ses partenaires, en sortira ou défait, ou gagnant ?

La culture francophone, faite de dialogue, de formation, d'expériences partagées, donne de la chair à notre présence. Elle lui garantit aussi un avenir. Tant que la Francophonie n'a parlé que solidarité et générosité, la France, championne pourtant de l'idéal, n'a guère voulu y croire.

Demain, à Hanoï, les chefs d'État et de gouvernement choisiront pour la Francophonie un Secrétaire général. C'est la volonté de dire, d'une voix résolue, ce qui intéresse la communauté francophone et la France au premier chef : non, la mondialisation ne saurait nous condamner à un modèle de pensée unique.

Premier contributeur de la coopération francophone, la France doit maintenant se convaincre que forte d'une conviction commune qu'elle a puissamment aidé à forger, la Francophonie lui offre la chance de redéfinir le sens d'une solidarité qui caractérise son engagement international. Moins elle sera seule, plus elle sera crédible dans cette difficile entreprise. Le mouvement francophone n'est ni une utopie ni une partie perdue. C'est une nouvelle façon de prendre langue avec le monde. C'est un projet pour la France.