Texte intégral
RTL - Vendredi 21 mai 1999
RTL
400 000 offres d’hébergement avaient été faites par des Français pour les réfugiés kosovars. Actuellement, 2 000 à 2 500 à peu près ont été retenues. Pourquoi un tel décalage ?
B. Kouchner
– « C’est bien naturel et normal, c’est toujours comme cela. Sur 400 000 coups de téléphone, plus de la moitié ne se sont pas révélées possibles et, après, chacune des directions régionales, les DDASS ont été enquêter vers les personnes qui s’étaient manifestées. En gros c’est 10 %. Vous savez, la générosité n’est pas en cause, mais les conditions d’hébergement par rapport aux demandes, c’est-à-dire le nombre d’enfants, le séjour, les pièces qui sont proposées, le début de la scolarisation – il ne faut pas que ce soit trop loin – tout cela fait que sur 400 familles qui se sont présentées, il y a environ une quarantaine qui vont être acceptées. Mais c’est pour le bien à la fois des familles [d’accueil, ndlr] et à la fois des familles kosovares, bien entendu. Et puis, ceux des réfugiés kosovars qui sont maintenant en train de souffler, de se reposer, de reprendre confiance, dans les centres, ne veulent pas tous partir ; d’autre part, certains d’entre eux, les enfants kosovars, ont été scolarisées, ils veulent continuer. Donc, c’est difficile d’être humain et efficace à la fois, mais nous le serons. Je vous rappelle qu’il y a maintenant 5 500 réfugiés en France : il y en a 3 800 arrivés par le pont aérien, et 1 700 avec des visas. »
RTL
Ce sont ceux qui sont, pour l’instant, accueillis dans des structures collectives ?
B. Kouchner
– « Absolument, et il y en a très peu, c’est vrai – moins 20 % – qui sont déjà dans des structures familiales. Mais il y en aura d’autres. Mais il faut, encore une fois, être sûr de ne pas se tromper. Je suis désolé de dire que certaines demandes tenaient – personnels nécessaires – à l’adoption des enfants, etc. Tout cela, il a fallu le temps d’écarter ces offres-là, et d’être maintenant face à des familles qui veulent prendre en charge au nom de la fraternité et de la solidarité, les familles kosovares. Il y en a. Parfois ils ne sont pas dans les mêmes régions. Donc, les échanges vont avoir lieu. Il est évident qu’à la campagne des hébergements plus faciles avec des pièces plus nombreuses sont proposées, alors qu’en Seine-Saint-Denis, ou dans la banlieue parisienne, les locaux sont plus exigus. Il faut prendre tout cela en compte et, bientôt, dès la fin de la semaine – là, je vais à Marseille aujourd’hui, et je visiterai les centres et nous allons voir – nous allons faire le bilan dans ces deux centres des possibilités d’accueil familial. »
RTL
Alors, cet accueil familial, moralement sans doute est en effet tout à fait louable. Mais est-ce qu’il n’était pas plus efficace de privilégier l’accueil collectif au maximum ?
B. Kouchner
– « Sûrement pas. Jamais, jamais. C’est très fragile un homme, c’est très fragile un enfant, une femme. Au début, on croit que tout va bien parce qu’on les a sauvés, qu’on leur a fait prendre douche et donné des vêtements. Mais l’accueil indiscriminé, les départs collectifs sont un traumatisme qui se ressent des années encore après. Lorsqu’on déplace des gens qui sont déjà des déportés, lorsqu’on les déplace collectivement par centaines, et qu’on les poste, qu’on les parque dans des endroits peu confortables, ça ne marche jamais. »
France 2 - vendredi 28 mai 1999
France 2
La décision du TPI de poursuivre S. Milosevic, vous vous en félicitez ? Ça rejoint au fond l’ingérence humanitaire que vous préconisiez en son temps ?
B. Kouchner
– « Je continue. Mais l’ingérence, c’est quoi ? D’abord, j’aimerais bien que ça agisse à titre préventif. L’ingérence, c’est pour qu’on n’ait pas à faire la guerre. Mais c’est vrai qu’il y a une ingérence juridique très forte comme celle-là. C’est la première fois qu’un chef d’État en exercice est poursuivi pour des crimes évidents, que tout le monde connaissait. Mais là, il y a une dimension juridique très forte. Et puis, ce qui se passe au Kosovo, c’est manifestement un début peut être tardif, très tardif, avec des moyens particuliers d’application du droit d’ingérence, c’est-à-dire de la protection des minorités. »
France 2
Aujourd’hui, en France, il y a combien à peu près de réfugiés qui sont arrivés sur notre territoire ?
B. Kouchner
– « Il doit y en avoir plus de 7 000 maintenant, ceux qui arrivent par le pont aérien et ceux qui viennent avec des visas directement. Il en arrivera environ 600 par semaine, jusqu’à la fin du mois de juin au moins. Donc, ce que nous avions prévu, autour de 10 000, moins de 10 000, va être pris en charge, d’abord dans les structures collectives, et puis les familles qui ont fait des offres sont visitées par, les services de la Ddass. Évidemment sur le grand nombre d’appels téléphoniques, le grand nombre d’offres, ça se réduit. On se rend compte de la difficulté de prendre en charge à long terme des familles souvent nombreuses. »
France 2
Les familles kosovares, c’est combien de personnes à peu près ?
B. Kouchner
– « Ça dépend, mais il y a souvent beaucoup d’enfants, ce qui est très heureux. Et puis, on a commencé à les scolariser. Disons, qu’il y a déjà un parrainage qui s’installe : certaines familles françaises visitent les familles kosovares et puis, certaines familles, plus réduites, mais j’espère le plus nombreuses possible, prendront en charge. Mais il se peut que la famille qui a suffisamment de place pour les prendre en charge soit dans la Creuse et que la demande soit à Marseille. Il faut combiner tout ça. Mais nous tenons à cet accueil des familles françaises, c’est un geste de fraternité. Toute la chaine française, depuis le travail dans les camps, s’est mise en place avec efficacité. C’est un accueil familial, fraternel. »
France 2
Donc vous privilégiez l’accueil familial à l’accueil collectif ?
B. Kouchner
– « Pour le moment, ils sont dans les structures collectives. Ils sont dans des foyers et d’ailleurs très bien pris en charge. Ils soufflent pour la première fois. Mais se posent des problèmes de langue ; des enfants commencent à être scolarisés, comme à Marseille, depuis mardi. »
France 2
La loi sur les soins palliatifs a été votée à l’unanimité cette nuit. Il y avait en France 570 lits seulement contre, par exemple, 3 000 en Grande-Bretagne. On était très en retard en la matière.
B. Kouchner
– « Très en retard. Evidemment, nous avions 15 ou 20 ans de retard dans les structures ; mais dans l’état d’esprit, le retard de la culture était formidable. On n’osait pas parler de la mort, on n’osait pas s’y préparer avec les siens, d’autant qu’il y avait peu de structures pour prendre en charge ce moment important de la vie, ce passage, cet accompagnement nécessaire, médical, psychologique, familial, avec des volontaires. Nous avions déjà doublé, pour 1999 – j’avais trouvé 200 millions pour ça –, le nombre de lits, mais vous avez raison, le retard était considérable. Donc, vote à l’unanimité à l’Assemblée nationale, au Sénat hier, sur propositions parlementaires diverses ; il faut noter quand même que L. Neuwirth a joué un rôle considérable ainsi que plusieurs députés. »
France 2
L’objectif, c’est d’avoir combien de lits à la disposition des patients qui le demandent ?
B. Kouchner
– « Difficile de parler en termes de lits. D’abord, ce sont des équipes mobiles que je souhaite développer dans les hôpitaux, pour qu’il n’y ait pas d’endroits réservés à la mort – ça, je n’en veux absolument pas ! –, et puis, des équipes en ville, en liaison ou non avec l’hôpital. Alors, il faut que dans chaque région – et il en manquait, il y avait des régions sans aucune équipe –, il y ait un nombre d’équipes suffisant par rapport à la demande. C’est un peu difficile. Je souhaite, en tout cas, au moins tripler l’année prochaine, puisque déjà ça doublait cette année. »
France 2
L’objectif c’est de soutenir la personne qui est en train de mourir : la soutenir à la fois sur le plan physique, éviter la douleur, et puis, évidemment aussi, sur le plan psychologique, c’est d’aider les familles ?
B. Kouchner
– « Oui, c’est tout ça à la fois, mais d’abord c’est de considérer que tout ça, est normal. Concernant la douleur, nous avons fait un plan triennal de lutte contre la douleur. Vous savez que la douleur était négligée en France, considérablement. Chez les enfants, elle est encore quasi niée dans presque la moitié des cas – 40 % des enfants souffrent et ne devraient pas souffrir –, il n’y avait même pas de médicaments pour eux. Nous commençons à lutter contre la douleur. Ça devient, chez les jeunes médecins, tout à fait évident. Et puis, les soins palliatifs, c’est plus que ça ! C’est un environnement de tendresse, d’amour, de fraternité. Il y a des bénévoles dans cette loi qui sont très privilégiés parce qu’ils ont joué un rôle considérable. C’est toute une culture de la fin de vie qu’il faut récupérer, qui est la même pour le fils du seigneur du coin comme pour le fils du paysan, la même dans nos campagnes. Nous avions gommé tout ça. »
France 2
Qui peut en faire la demande : la personne malade, le mourant, la famille ?
B. Kouchner
– « Les deux bien sûr, et en connivence. Le mieux, c’est d’être entouré, bien entendu, le but est d’être entouré par sa famille, d’avoir la main dans la main de quelqu’un qu’on aime. Mais, c’est une demande collective. Parfois, on ne peut plus la proposer lorsqu’on est la personne malade, la personne en fin de vie. Et évidemment, ça ne se fait qu’avec l’accord de la famille. Et puis vous savez, c’est un environnement et une démarche du cœur et de la raison complètement normal. C’est refuser ou ne pas savoir que ça existe qui va bientôt être anormal, je l’espère. »
France 2
La demande de soin à domicile va aussi s’exprimer demain puisqu’il y a une manifestation qui est organisé à la fois par des Paralysés de France et les associations contre les maladies comme la myopathie. Vous avez dit qu’on en faisait pas assez en la matière.
B. Kouchner
– « C’est tout à fait vrai. Moi je comprends très bien le sens de cette manifestation. M. Aubry les a vus il y a quelques jours, j’ai reçu les organisateurs hier. C’est une demande tournée vers la société, une demande qui vient véritablement du cœur. On n’en fait pas assez en France pour que les personnes différentes soient prises en charge et au plus près de leurs familles, c’est donc, en réalité, chez eux. Beaucoup de choses sont faites. Il y a des tentatives expérimentales qui vont passer à la normalité, on va s’en charger. Comment fait-on pour vivre chez soi ? Il faut des appareillages, des auxiliaires de vie. C’est cette demande forte qui est contenue dans cette manifestation. De même, il faut savoir quand même qu’il y a entre 5 et 6 millions de personnes différentes dans notre pays et nous n’avons pas assez d’attention pour elles. Alors, nous y travaillons, M. Aubry depuis plus longtemps que moi. Moi, je suis chargé de l’action sociale depuis quelques mois seulement. Il y a beaucoup de choses à faire, mais je vous donne un exemple. Il faut revoir ce qu’on appelle les TIP, c’est-à-dire les dispositifs médicaux. Dans la liste de la Sécurité sociale, il y en avait 750, il y en a 25 000 à prendre en compte. Il y a un travail considérable. Nous allons le faire mais il faut aussi que chacun joue son rôle : les conseils généraux, la Caisse nationale d’assurance maladie, l’État. C’est mettre tout ça ensemble qui constitue la demande de la manifestation de demain, et puis surtout, qu’on les regarde, qu’on leur parle, qu’on soit avec eux beaucoup plus attentif. »