Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, dans "Le Parisien" du 4 juin 1999, sur l'acceptation par M. Milosevic des conditions posées par les Alliés à la suspension des frappes aériennes contre les forces serbes au Kosovo.

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Média : Le Parisien

Texte intégral

Le Parisien
– Quel est votre sentiment après l’acceptation par Belgrade des conditions des alliés ?

Hubert Védrine
– J’ai le sentiment que nous sommes vraiment proches de l’objectif qui était d’imposer la paix au Kosovo.

Le Parisien
– Concrètement, l’arrêt du conflit est-il désormais une affaire d’heures, de jours ou de semaines ?

Hubert Védrine
– Personne encore ne peut répondre à cette question, mais la construction de la paix est à portée de la main. Nous avions besoin d’une condition essentielle : l’acceptation et l’engagement des autorités de Belgrade. À priori, nous les avons mais nous voulons que cet engagement soit vérifiable. Nous entrons dans une nouvelle phase. On a changé de versant. Dès le vote de la résolution, dès le début de la mise en œuvre du retrait des troupes yougoslaves, je crois que l’on pourra dire que l’on a commencé à bâtir la paix. Après, il faudra la consolider.

Le Parisien
– Y a-t-il des concessions de la part de l’Otan ?

Hubert Védrine
– Non. Cela s’est déroulé de façon très transparente et l’opinion mondiale a pu le constater. Ce qui s’est passé, hier à Belgrade, sous réserve de vérification, c’est simplement l’acceptation de nos conditions.

Le Parisien
– Est-ce une capitulation de Milosevic ?

Hubert Védrine
– C’est, en tout cas, une acceptation du plan de paix que nous avions élaboré et pour lequel nous avions tellement investi depuis des mois. Pour lequel nous avons dû emprunter les moyens militaires. Milosevic aurait pu l’accepter à l’époque de Rambouillet ou à n’importe quel moment du recours à la force.

Le Parisien
– C’est le succès de l’Otan ou avant tout celui de la Russie ?

Hubert Védrine
– C’est le résultat combiné d’une action persévérante, coordonnée et convergente des Européens, des Américains et des Russes. Sans doute, ces derniers ont-ils joué un rôle éminent.
Mais ce qui est frappant, c’est que nous avons travaillé tous ensemble. Je ne crois pas que l’on puisse citer un autre exemple d’une telle unité d’action.

Le Parisien
– Pourquoi Milosevic a-t-il cédé ?

Hubert Védrine
– La réponse me paraît simple. Les dirigeants de Belgrade avaient pensé que la communauté internationale serait indifférente au Kosovo : ils se sont trompés. Enfin, ils avaient pensé que, à l’époque de Rambouillet, ils pouvaient s’en sortir par des faux-fuyants : ils se sont trompés. Enfin, ils avaient pensé que nous n’oserions pas recourir aux frappes militaires et que les alliées se diviseraient : ils se sont encore trompés. Tous leurs calculs ont été complètement déjoués.

Le Parisien
– Y a-t-il un risque d’une ultime volte-face ? – Qu’il puisse y avoir des dissimulations, c’est toujours possible. Nous devons donc rester aussi unis que nous l’avons été aussi vigilants, aussi exigeants. Je crois néanmoins que c’est un grand jour, aujourd’hui. Mais il nous faut concrétiser l’ensemble des dispositions prévues par la future résolution, aussi bien en ce qui concerne l’administration civile du Kosovo que la force qui va apporter la sécurité dans cette province.

Hubert Védrine
– Quand cette résolution pourrait-elle être rédigée ?

Le Parisien
– Si c’est un simple problème technique de rédaction et de vote, cela peut aller très vite. Mais il peut surgir des difficultés de dernière minute. N’oublions pas que le diable est dans le détail.