Texte intégral
L'Express
L’économie française semble avoir bien résisté à la crise. N’avez-vous pas été trop pessimiste ?
Ernest-Antoine Seillière
- « Depuis plusieurs mois, nous disions qu’il y aurait un ralentissement de l’économie vers la fin de l’année 1998. Et, pour 1999, nous avons toujours dit que la croissance se situerait entre 2 et 2,3 %. Cela n’est pas négligeable, mais ce qui est fâcheux c’est d’avoir installé, au nom de je ne sais quel optimisme de commande, l’idée d’une expansion à 2,7 %, sur laquelle on a calé tous les calculs pour les budgets de l’État et de la Sécurité sociale. Bien entendu, ils ne pourront pas être tenus. Quant au financement des 35 heures, notamment par une hausse des cotisations d’une partie des entreprises, nous sommes effrayés par les apprentis sorciers qui, du côté des ministères, multiplient les propositions fantaisistes et dangereuses. »
L'Express
Personne ne parle plus de l’euro ; est-ce bon signe ?
Ernest-Antoine Seillière
- « Il est vain de juger une monnaie continentale qui va probablement durer des siècles sur ses cent premiers jours. Maintenant, l’euro entre dans la pratique doucement et sûrement. Ses conséquences - on les sous-estime sans doute - seront considérables sur la vie économique et notamment sur les restructurations. »
L'Express
Principalement bancaires ?
Ernest-Antoine Seillière
- « Deux grandes banques ont décidé de faire une affaire commune, et une troisième veut même réaliser un projet plus grand encore ! Vous verrez de tels rapprochements dans tous les secteurs. Dans dix ans, on ne saura plus trop quelle est la nationalité d’un groupe européen. »
L'Express
Peu importe donc qu’une banque allemande achète la Société générale ou la BNP ?
Ernest-Antoine Seillière
- « En tant que président du Medef, je ne peux porter aucun jugement sectoriel, surtout dans le domaine très sensible des services financiers. De manière générale, il est évident que les groupes européens se bâteront par rapprochement entre entreprises de différentes nationalités. Et, si l’on pense que cela n’est ni possible ni souhaitable, il ne fallait mettre en place ni le marché commun ni l’euro. »
L'Express
Vous-même, vous avez déclaré que vous ne vous lanceriez jamais dans une OPA hostile. Pourquoi ?
Ernest-Antoine Seillière
- « Parce qu’une OPA inamicale a énormément de mal à se mettre en place. Il faut toujours s’assurer que l’entreprise avec laquelle on veut réunir son destin est bien d’accord pour le faire. Même les fusions amicales ont beaucoup de mal à réussir. Quand elles ne le sont pas, elles peuvent tourner à la catastrophe. »
L'Express
Vous avez proposé un report de la date d’entrée en vigueur de la loi sur les 35 heures - prévue pour le 1er janvier 2000. Vous n’avez pas été entendu, mais l’idée d’instaurer une période de transition chemine. Qu’en pensez-vous ?
Ernest-Antoine Seillière
- « La réaction de Martine Aubry à notre proposition a été plus nuancée qu’on ne l’a dit. Elle a indiqué que le Medef était dans son rôle en faisant des propositions et qu’il était normal qu’il s’inspire du terrain. Sous une forme un peu plus ironique peut-être, elle a salué le fait que nous nous soyons intéressés à la garantie des salaires, au Smic, qui faisait partie de nos suggestions. La manière dont on considère déjà l’année 2000 comme une année de transition démontre que nos arguments commencent à porter. Actuellement, plus de 1 million d’entreprises n’ont pas conclu le moindre accord pour l’application des 35 heures, et il est tout à fait illusoire de penser que, le 2 janvier prochain, elles les auront mis en place. Va-t-on leur envoyer l’inspecteur du travail et ouvrir des procédures pénales ? »
L'Express
D’une certaine manière, n’êtes-vous pas en train de gagner la bataille des 35 heures ?
Ernest-Antoine Seillière
- « Quand le législateur reconnaîtra que c’est dans le cadre de négociations entre partenaires sociaux que l’on peut traduire les 35 heures dans la réalité, on aura évité le plus dommageable. Si la loi ne respecte pas les accords conclus dans les branches et les entreprises, alors ce sera le conflit ouvert avec nous. »
L'Express
En tant que président du Medef, allez-vous appliquer les 35 heures à vos propres salariés ?
Ernest-Antoine Seillière
- « Nous appliquerons la loi… mais nous continuerons de travailler autant. »
L'Express
Le plan de réforme de l’assurance-maladie a-t-il une chance d’être accepté par Martine Aubry ?
Ernest-Antoine Seillière
En cinquante ans, le paritarisme dans la gestion de la santé a été vidé de son contenu et les partenaires sociaux n’ont plus de pouvoir. Notre système de santé, devenu coûteux, n’est pas, pour autant, plus efficace qu’ailleurs. Pour y remédier, un homme compétent, Gilles Johanet, a été placé à la tête de l’assurance-maladie. Il a, sur la base d’idées bien connues puisqu’il les a publiées, donné naissance à un plan d’économie de 60 milliards de francs. Nous accordons du crédit à ses idées. Si son plan est mis en œuvre, nous avons toutes les raisons de l’appuyer. Si, en revanche, pour des questions qui tiennent au désordre des institutions, aux conflits de personnes ou à l’absence de détermination, rien n’était fait ou très peu, nous cesserions de gérer le système de santé et nous ferions des propositions de remplacement. Nous prendrons notre décision d’ici à la fin de l’année.
L'Express
Après le rapport Charpin, pensez-vous que Lionel Jospin va mener à bien la réforme des retraites ?
Ernest-Antoine Seillière
- « Si après ce rapport nous ne nous engageons pas dans l'action, nous serons une fois de plus dans une démarche d'illusion. L'allongement de la durée de cotisation et la mise en place de fonds de pension, différés depuis dix ans, nous paraissent indispensables. Songez qu'aujourd'hui une grande partie des entreprises françaises travaillent pour financer la retraite des salariés étrangers, puisque les fonds de pension internationaux possèdent, en gros, la moitié des entreprises cotées. »
L'Express
Mais comment travailler plus longtemps quand les entreprises rejettent souvent les salariés de plus de 50 ans ?
Ernest-Antoine Seillière
- « L'allongement de la durée de cotisation n'est pas, bien entendu, en harmonie avec l'utilisation des systèmes de préretraite. Il faudra, dans les années qui viennent, atténuer le recours aux préretraites »
L'Express
Y compris dans l'automobile ?
Ernest-Antoine Seillière
- « Partout. Sans distinction sectorielle. »
L'Express
Donc les plus de 50 ans ne seront plus préretraités, mais chômeurs ?
Ernest-Antoine Seillière
- « S'il faut allonger la durée du travail, ils ne seront pas mis au chômage, mais ils continueront à travailler dans l'entreprise. »
L'Express
Vous engagez-vous à les garder si la durée de cotisation était allongées ?
Ernest-Antoine Seillière
- « Il ne m’appartient pas de décréter au nom des entrepreneurs la moindre règle dans ce domaine. Pourtant, tous les experts vous le diront avec l'évolution démographique, la diminution de la population active appellera à l’allongement de la durée d’activité. »
L'Express
Vous dirigez le Medef depuis près de cinq cents jours. A part le nom qu’y avez-vous changé ?
Ernest-Antoine Seillière
- « Le nom n'a été qu'une manière de marquer un changement qui est profond. Nous sommes en train de devenir une organisation fondée à la fois sur ses fédérations et sur la réalité territoriale. De plus, le Medef s'affirme à présent comme non partisan. Il n'est pas la courroie de transmission de je ne sais quel parti. Les entrepreneurs ne sont les adversaires de personne, mais ceux qui créent l'expansion et l’emploi. »