Interview de Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, à France Inter le 14 juin 1999, sur le taux élevé d'abstention aux élections européennes, le score des Verts, la contribution de M. Daniel Cohn-Bendit à ce résultat, la position des Verts au sein de la majorité plurielle et sur le score des Verts allemands.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Inter

Texte intégral

B. Vannier : Qu’est-ce qui l’emporte, ce matin, pour vous ? La satisfaction du travail accompli – je rappelle que votre liste obtiendrait 9,7 % des voix – ou ce constat renouvelé : l’Europe qui décidément ne passionne pas, l’abstention à 53 % ?

D. Voynet
- « L’abstention c’est grave. C’est au moins sérieux. Je crois qu’on peut constater que chaque élection européenne a été marquée par une abstention très forte, et que cela a sans doute permis d’ailleurs aux partis politiques de faire porter la responsabilité de cet état de choses aux électeurs eux-mêmes, et pas forcément à leur comportement et à la façon dont ils parlaient de l’Europe, dont ils donnaient l’envie aux citoyens européens de contribuer à la construction européenne. Moi, j’ai noté, quand même, que cette campagne – qui a permis à beaucoup de chefs de parti de raconter qu’ils iraient bien sûr à Strasbourg – que l’enjeu était quand même le rapport des forces au sein de l’opposition ou la majorité en fonction des étiquettes politiques. Cette campagne a quand même été marquée par un discours qui était essentiellement un discours national, sur les enjeux français. On avait l’impression que, pour beaucoup de têtes de liste, il s’agissait de prendre date ou de clarifier des choses dans son camp ou bien de préparer des élections ultérieures. Cela on le paye, bien sûr ! L’Europe, il faut en parler tous les jours, et pas seulement le temps d’une campagne. Moi, je suis surprise de voir qu’il n’y a pas une inauguration qui se fait où les hommes politiques, qui coupent le ruban, reconnaîtraient simplement, tranquillement, que ce projet a pu être mené à bien grâce à l’Europe. L’Europe ce ne sont pas seulement des normes tatillonnes, des règlements… »

B. Vannier : En général, on en parle quand cela va mal, en disant :« c’est à cause de l’Europe. »

D. Voynet
- « On en parle pour justifier qu’on n’a pas pu mener à bien un projet ou pour justifier des lenteurs, des difficultés. On dit : « c’est de la faute des bureaucrates de Bruxelles. »

S. Paoli : Parmi les résultats qui marquent, il y a le vôtre, il y a aussi celui des chasseurs. Voilà que tout à coup les Verts et les chasseurs se regardent. Qu’est-ce qui va se passer ?

D. Voynet
- « Il se pourrait que cela radicalise les positions des uns et des autres. Cela n’est pas exclu. Je trouverai cela évidement dommage. Je continue à penser qu’un projet pour l’Europe réduit à la défense des intérêts des chasseurs français, cela ne va pas loi. Cela dut, il faudra regarder de plus près ce qu’ont voulu exprimer ceux qui ont choisi de voter pour la liste Chasse et Tradition dans le Sud-Ouest… »

B. Vannier : Elle obtiendrait 6,7 % des voix !

D. Voynet
- « … qui manifestement exclut la défense de la chasse à la tonne ou des palombes. Je ne vois pas bien encore aujourd’hui – pas plus que vous sans doute – la motivation de ces électeurs. Est-ce que ce sont des électeurs de droite traditionnelle, de gauche traditionnelle ? »

S. Paoli : Est-ce que cela va vous pousser à demander à L. Jospin, sur ce point-là et sur d’autres – on a entendu ce que disait D. Cohn-Bendit, hier soir, s’agissant du nucléaire ou de la dioxine-, à clarifier ses positions sur des enjeux de cette nature ?

D. Voynet
- « La clarification devra avoir lieu dans tous les camps. La droite explose et les rapports de forces au sein de la gauche plurielle sont un petit peu modifiés. Je ne pense pas que ce soit quelque chose de figé une bonne fois pour toutes. Le score de la liste socialiste est honorable, sans plus. Le score de la liste communiste est trop modeste. Mais je n’en ferai pas une affaire et je n’en porterai pas la responsabilité sur R. Hue. Je crois que la rénovation du Parti communistes, qui n’a pas été bien comprise par les électeurs communistes, est nécessaire. Et que, quelque part, nous devons plutôt aider R. Hue à l’accomplir parce que c’est un partenaire important de la majorité plurielle. Et puis, bien sûr, le score des Verts est un score qui interpelle. Je crois que ce n’est pas un hasard. Un certain nombre de préoccupations portées par les Verts ne sont pas suffisamment reconnues par les autres partis de la majorité plurielle, et d’une certaine façon, au-delà du score des Verts un jour, c’est les préoccupations de leurs électeurs tous les jours qu’il faudra prendre en compte. »

P. Le Marc : Comment analysez-vous cette poussée ? Est-ce que c’est l’effet Cohn-Bendit, l’« effet dioxine », comme le dit aimablement J.-P. Chevènement. Ou bien est-ce que c’est le travail de D. Voynet au ministère de l’environnement et de l’aménagement du territoire et des députés Verts ? Est-ce que cette poussée justifie à vos yeux un rééquilibrage de la majorité ? Est-ce que vous vous considérez désormais comme le deuxième parti de la majorité plurielle ?

D. Voynet
- « Non, pas encore. Je crois qu’il faut être extrêmement raisonnable. Le vote aux élections européennes constitue une photographie d’une partie de l’électorat. Vous avez parlé vous-même de l’abstention. Au-delà, je crois que les rapports de force au sein de la majorité nous les connaissons : les Verts n’ont pas 40 députés, les Verts n’ont pas des centaines de municipalités. Simplement, les préoccupations portées par les Verts sont des préoccupations considérées comme sérieuses, comme lourdes de sens pour les électeurs, et les balayer d’un revers de main n’est pas possible. Je crois que le travail de Cohn-Bendit a été considérable. Mais ce n’est pas à D. Cohn-Bendit qu’on doit ce score, c’est à D. Cohn-Bendit qu’on doit d’avoir dynamisé le débat européen chez les Verts et d’avoir donné aux Verts, à chacun des Verts, l’envie de faire campagne pour l’Europe. Mon travail dans la majorité plurielle, et plus généralement le travail des Verts au sein de cette majorité depuis deux ou trois ans, je crois qu’il est important ; et l’ancrage des Verts dans la majorité a montré qu’on pouvait voter progressiste en votant pour des idées nouvelles qui n’étaient pas représentées par le PS ou le PC. »

B. Vannier : Parlons-en justement des idées des Verts au sein de la majorité plurielle ! Certaines de vos idées n’ont pas été reprises ou suivies par le Gouvernement de L. Jospin. Je prends un exemple : la titularisation de tous les sans-papiers. Est-ce qu’aujourd’hui, forte du score que vous venez de réaliser aux européennes, vous pouvez-vous retourner vers le Premier ministre en lui disant : « Écoute Lionel, tu ne nous as pas assez écoutés ! Maintenant, il faut le faire. Donne un signe : la titularisation des sans-papiers » ?

D. Voynet
- « C’est la titularisation en l’équipe de France de foot ou quoi ! Parce que, la titularisation, je ne sais pas ! La régularisation… »

B. Vannier : La régularisation, pardon !

D. Voynet
- « La régularisation des sans-papiers, qui ont fait un dossier à l’initiative d’ailleurs du ministère de l’intérieur… »

B. Vannier : Il y a quelque 60 000 qui sont restés sur le bord de la route alors qu’ils avaient fait toute la démarche pour demander à être régularisés.

D. Voynet
- « Cela reste pour moi, pour les Verts, un combat très fort. En même temps, soyons clairs : on ne fonctionne pas dans une logique de chantage. Je ne suis pas en train de dire à L. Jospin : « alors maintenant, tu te cales ou pas ! » Ce n’est pas comme cela que cela se passe. Jour après jour j’essaye de faire valoir mon point de vie au sein du Gouvernement. Les députés Verts font leur travail à l’Assemblée, les conseillers régionaux Verts font leur travail. Et puis je constate, qu’au-delà d’une certaine sensibilité pour les thèmes que nous portons, la réalité reste quand même extrêmement marquée par l’héritage de la gauche traditionnelle. Que ce soit en matière de nucléaire, en matière d’OGM, où il a été quand même très difficile de faire comprendre que le problème n’était pas tellement d’objectiver des conséquences pour la santé ou pour l’environnement. Le problème était de dire : «  est-ce que les agriculteurs européens ont besoin ou non des OGM ? » Même chose en ce qui concerne les routes : jour après jour on nous dit qu’on va rééquilibrer les choix publics en faveur du rail – on l’a redit bien sûr un peu plus fort au moment de l’accident dramatique du tunnel du Mont-Blanc. Et puis la routine reprend le dessus. Et au moment de faire des choix pour les contrats de plan, on se rend compte qu’on va faire essentiellement des routes et puis encore des routes, et puis peut-être encore un petit peu de routes. Et puis s’il reste des sous on fera un peu de rail pour montrer qu’on rééquilibre les choix. La préoccupation quotidienne n’est pas à mon avis à la hauteur des attentes des Français. »

S. Paoli : Décidément la route est longue encore vers l’Europe. Regardez ce qu’on est tous en train de faire – nous avec vous ce matin - : on est à nouveau en train de poser des questions qui sont des questions un peu hexagonales.

D. Voynet
- « Pas les OGM ! C’est le genre de choix qu’il faut faire au niveau européen. »

S. Paoli : Quelqu’un chez nous, hier soir, disait : « moins de poulet dans la dioxine ». Mais est-ce qu’on va vraiment arriver un jour à envisager une politique européenne qui soit une vraie politique européenne et pas seulement des enjeux de politiques nationales ?

D. Voynet
- « C’est une question fondamentale. Mais puisque vous me donnez l’occasion de dire : « Faut-il ou non du poulet dans la dioxine et comment ? », on ne parlait pas du ministre de l’intérieur. C’est un peu facile d’expliquer le score des Verts par la dioxine dans le poulet. Parce que si les Verts n’avaient pas fait un travail de fond considérable en direction des consommateurs ou en direction de paysans qui veulent changer de comportement et de façon de faire, les électeurs n’auraient pas fait spontanément le lien, entre la dioxine dans le poulet et l’offre alternative des Verts. Cela me paraît reconnaître un travail de fond, ce petit mouvement électoral en faveur de ceux qui ont dénoncé une bouffe qui rend malade. L’Europe : je crois qu’il y a tout un tas de thèmes du quotidien qui sont déjà européens. Et si je reprends le thème de la dioxine, qu’il s’agisse de l’organisation de l’agriculture, de la rémunération des paysans qui souhaitent travailler de façon correcte et vivre de leur travail, ou qu’il s’agisse de la réglementation des dioxines, voilà des thèmes européens ! Et ce qui me paraît grave c’est que les partis n’aient pas su faire savoir aux Français que c’était aussi, à ce moment-là, qu’on pouvait influencer sérieusement leur vie quotidienne au cours des années à venir. »

P. Le Marc : Que faire de D. Cohn-Bendit ? Il est efficace mais il est tout de même encombrant : il n’a pas tout à fait vos vues sur l’économie – il est beaucoup plus libéral que vous - ; sur d’autres sujets il va aussi plus loin que vous. Que faire de D. Cohn-Bendit ?

B. Vannier : L’envoyer à Strasbourg et l’y laisser ?

D. Voynet
- « Moi, je ne le trouve pas si encombrant que cela à l’usage. Je peux vous dire les choses comme ça !... »

B. Vannier : Vous avez été très inquiète tout de même ?

D. Voynet
- « Non, j’ai exprimé – de façon assez modérée en début de campagne – mon souci d’une campagne qui ne soit pas une campagne trop vibrionnant et qui colle aux préoccupations des gens. Bien sûr, l’abstention c’est de la faute des politiques, c’est de la faute des élus, mais c’est peut-être aussi un tout petit peu de la vôtre. Pendant six mois on a posé des questions non pas sur le projet européen des Verts mais sur Cohn-Bendit : sur sa cravate, sur sa façon de s’habiller, sur la façon dont il voulait ou non passer devant le Parti communiste. Même chose pour les autres : on a essentiellement demande à Sarkozy et Madelin ce qu’ils pensaient de Bayrou et vice versa. Je ne suis pas sûr que cela ait passionné les gens. Vous cela vous a passionné !

P. Le Marc : Cela renforce tout de même sa voix.

S. Paoli : Tous les matins on a tout de même interrogé les invités politiques sur les enjeux européens, et il n’y avait pas beaucoup de réponses.

D. Voynet
- « Non, non, non ! D. Cohn-Bendit est vraiment européen, et il dit : « moi, vos petites affaires au sein de la majorité plurielle en France ou au sein de la classe politique française cela m’intéresse modérément. » Moi, je compte sur lui pour continuer ce travail de mobilisation sur l’Europe. »

P. Le Marc : Mais ce score renforce sa voix par rapport à la vôtre au sein de votre formation ?

D. Voynet
- « Moi, je ne suis pas sûre. J’ai l’impression d’avoir pris ma part du fardeau, d’avoir fait mon travail et j’ai l’impression surtout que ce qui a marché c’est un ticket qui fonctionnait bien. Moi, je me suis mis au service de D. Cohn-Bendit et des Verts dans cette campagne, et j’ai l’impression… »

P. Le Marc : Il doit se mettre à votre service maintenant ?

D. Voynet
- « Non pas du tout. On ne fonctionne pas comme cela. Il était tête de liste et il était normal que tout le mouvement soit mobilisé pour que les Verts fassent le meilleur score possible. Je considère qu’il a été une parfaite tête de liste parce qu’il a su aborder des sujets qui sont difficiles. Il a su, par exemple, parler de sujets de société qui font régulièrement polémique sans jamais déboucher. Je considère que des sujets comme la dépénalisation des drogues douces ou comme la reconnaissance des couples homosexuels c’est ce dont il a parlé avec une aisance et une simplicité qui ont montré que ce n’était pas la fin du monde. »

S. Paoli : Est-ce que l’Europe, ce matin, a la tête verte ? Comment les choses vont-elles se passer au niveau européen ?

D. Voynet
- « Le bon score des Français n’est pas isolé. Le score de nos amis écolos en Belgique, par exemple, dépassent 20 % ; ou le score de nos amis de la gauche route et verte aux Pays-Bas… »

B. Vannier : En Allemagne, il y a recul des écologistes.

D. Voynet
- « Mais 7 %, ce n’est pas si mal. »

B. Vannier : Ils étaient à 10,1 % en 1994.

D. Voynet
- « Bien sûr, mais en même temps vous imaginez le bouleversement pour les Verts d’avoir à assumer une guerre sur le continent européen après 50 ans de pacifisme. Ce qui était finalement assez commode parce qu’on ne se posait pas les questions des modalités du contenu des interventions éventuelles de l’armée allemande sur le terrain. Je considère que le courage dont a fait preuve J. Fischer et la qualité du débat qui a eu lieu au sein des Verts allemands, au-delà des manifestations le jours d’un congrès, expliquent ce score finalement tout à fait convenable. »

P. Le Marc : Sur le rééquilibrage de la majorité, vous dites : « non, restons modestes. » Mais est-ce que vous souhaitez tout de même un réaménagement gouvernemental et une promotion, un deuxième ministre Vert ?

D. Voynet
- « Encore une fois, je n’ai jamais considéré comme évident que les Verts doivent se cantonner au champ de l’environnement. Moi, je me sens tout à fait capable d’assumer des responsabilités dans d’autres secteurs. Je n’ai jamais considéré comme évident que les Verts doivent se contenter d’un seul ministère. Mais les élections européennes – c’est, encore une fois, l’occasion de le redire très tranquillement – ce n’est pas le moment de faire du chantage. Je considère que, dans la majorité plurielle, les Verts ont leur rôle à jouer et à assumer, et cela peut passer par bien des voies. Je vais discuter de mon budget cet après-midi avec L. Jospin, par exemple. Est-ce que le budget de l’environnement doit être « zéro virgule zéro quelque chose » du budget de la France éternellement ? Je ne crois pas. »

B. Vannier : Ou 9,7 % ! Merci D. Voynet.