Interview de Mme Ségoléne Royal, ministre déléguée à l'enseignement scolaire, à Europe 1 le 24 août 1999, sur la rentrée scolaire anticipée, la réforme des collèges, l'équipement des établissements scolaires en multimédia et la violence à l'école.

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Média : Europe 1

Texte intégral

C’est déjà la rentrée ce matin pour certains élèves de Haute-Saône, cette rentrée anticipée va concerner une école sur quatre d’ici le 3 septembre. Il s’agit d’écoles qui pratiquent la semaine des quatre jours. Est-ce que cet aménagement des rythmes scolaires, c’est l’idéal pour les élèves ? Ce rythme a-t-il fait ses preuves ?

- « En tout cas, dans les endroits où cet aménagement a été mis en place, tout le monde s’en dit satisfait. Je serai d’ailleurs tout à l’heure, juste après avoir été avec vous, en Haute-Saône, à Maillet, pour accompagner cette rentrée parce qu’il y a en plus, en Haute-Saône, un contrat éducatif local qui est le nouvel instrument que j’ai mis en place pour justement veiller à ce que l’aménagement des rythmes scolaires soit bien fait dans l’intérêt des élèves, c’est-à-dire que la réorganisation de la journée et de la semaine puisse s’accompagner aussi d’une amélioration des activités culturelles, sportives et de soutien scolaire pour les élèves sur le temps libéré. A un moment où on parle des trente-cinq heures pour les adultes et de la diminution du temps de travail, je pense que l’orientation vers la journée de quatre jours est positive mais elle ne l’est qu’à plusieurs conditions : d’abord qu’il y ait un soucis d’harmonisation, dans le même bassin scolaire, pour que les parents n’aient pas quand même trop de difficultés à gérer le problème des enfants qui sont au collège et ceux qui sont à l’école primaire. Donc, il est important que les écoles apprennent à travailler ensemble sur le même secteur de collège pour que là où l’on va vers la semaine de quatre jours, il y ait une cohérence sur le territoire, pour que les choses se passent bien. II faut aussi que la semaine de quatre jours s’accompagne d’un aménagement du temps périscolaire, c’est-à-dire que les élèves qui, avant, allaient par exemple à l’école le samedi matin, pourront donc rester en famille par exemple ou avoir des activités périscolaires alors qu’ils étaient avant accueillis dans l’école. Je souhaite que les écoles restent ouvertes pour que des activités culturelles, des activités sportives, des activités de soutien scolaire en particulier pour les élèves qui sont de milieu socioculturel plus défavorisé puissent bénéficier d’un enrichissement sur le plan personnel, sur le plan des activités en liaison avec ce nouvel aménagement. C’est l’objectif des contrats éducatifs locaux que j’ai mis en place. Aujourd’hui, je suis heureuse de pouvoir annoncer qu’il y a 10 000 écoles qui se sont engagées lors de cette rentrée, grâce à un travail approfondi au cours de l’année scolaire qui vient de s’écouler, dans un contrat éducatif local. »

Un des grands chantiers éducatifs de cette rentrée, c’est la reforme des collèges. Qu’est-ce qui change cette année pour les collégiens et pour leurs professeurs ?

- « Quelque chose de très important est mis en place : en sixième et en cinquième, c’est la mise en place d’heures de soutien scolaire, de rattrapage, de remise à niveau. Trop d’élèves en effet arrivaient en sixième et en cinquième avec des grandes lacunes scolaires et désormais ces élèves vont pouvoir bénéficier de plusieurs heures de soutien quasiment individualisées en sixième et en cinquième par les enseignants du collège pour, au fond, avoir un soutien plus personnalisé et remettre à niveau, pour rattraper un certain nombre de lacunes. »

Vous mettez aussi en place une nouvelle méthode d’évaluation ?

- « Une nouvelle méthode d’évaluation, c’est-à-dire que les évaluations qui sont passées en classe de sixième vont pouvoir être utilisées de façon plus directement opérationnelle par les enseignants pour bien repérer là où les élèves ont des difficultés, pour savoir sur quel point faire peser l’effort et mobiliser l’effort de ces élèves pour qu’ils réussissent mieux leur cursus scolaire. Il faut dire aussi que l’installation des nouvelles technologies s’accélère de façon très importante et de plus en plus de collèges et d’écoles primaires maintenant ont accès aux nouvelles technologies et donc, l’accent sera mis sur la formation des enseignants pour qu’ils puissent faire bénéficier leurs élèves des nouvelles technologies. »

Où en est-on de l’équipement des établissements scolaires en multimédia ?

- « Ca s’accélère. Ça va très, très vite. La France va être maintenant un des pays européens le plus en avance de ce point de vue parce que nous avons mis en place des formations, des incitations financières, des aides-éducateurs aussi spécialisés sur les nouvelles technologies et là, nous avons fait un saut qualitatif considérable pour tous les élèves et en particulier là aussi dans les réseaux d’écoles rurales. Je pense à ces écoles qui sont éloignées de toute source de documentation, on voit vraiment un effort considérable qui est fait en particulier par les collectivités locales en liaison avec l’école pour que les élèves puissent avoir accès à l’égalité des chances. »

Vous souhaitez également que les parents s’impliquent davantage dans le suivi de leurs enfants. Que pouvez-vous faire pour inciter ce mouvement ?

- « Dans la réforme des collèges, il est prévu l’organisation d’une réunion obligatoire par trimestre avec les parents. Je ne souhaite plus que l’on voie ce qui se passe parfois actuellement : les parents convoqués uniquement lorsque leurs enfants vont mal ou lorsqu’il y a des problèmes mais la rencontre avec les parents sera institutionnalisée au moins une fois par trimestre. Au surplus, il y aura l’organisation d’une "semaine des parents" à l’école qui sera choisie par le collège mais où des actions spécifiques devront obligatoirement avoir lieu pour que les parents soient associés au déroulement des activités dans le collège, pour qu’ils rencontrent individuellement les enseignants par rapport à la façon dont leur enfant travaille, que celui-ci ait ou non des problèmes. Tous les parents quels qu’ils soient doivent venir au collège, à l’école, au lycée. Ils doivent être associés à ce qui se passe parce que j’ai besoin, en tant que ministre de l’Enseignement scolaire, que les adultes des établissements scolaires, c’est-à-dire les enseignants, les chefs d’établissement et les parents, tirent dans la même direction dans l’intérêt des élèves. C’est lorsque les parents auront bien compris la règle du jeu dans l’école que l’on pourra aussi obtenir des résultats meilleurs sur le plan des-comportements, de la civilité, de la lutte contre la violence et aussi sur le sens de l’effort scolaire et de la discipline scolaire qui est attendu des élèves pour faciliter leur réussite. »

Que comptez-vous faire cette année pour renforcer la lutte contre la violence et contre le racket ?

- « D’abord le numéro SOS-Violence sera renforcé, il sera mis en place dès la rentrée scolaire. Une nouvelle campagne d’affichage et de sensibilisation sera lancée. Dans les classes des collèges, "l’heure de vie de classe" fera son apparition dans les emplois du temps. Cela va servir justement à engager un débat avec les élèves sur tous les problèmes de comportement, de citoyenneté. C’est par ce respect mutuel que l’on arrivera à voir progresser la civilité dans les collèges. La violence des élèves est parfois une question de violence de l’institution et je pense que le dialogue réciproque, la façon de mettre les élèves devant leurs responsabilités, la façon de leur faire comprendre les règles du jeu de la vie en société dans un établissement scolaire, dans ce que j’appelle "la maison collège" est quelque chose qui me tient beaucoup à cœur parce qu’un collège où il n’y a pas de violence est un collège où l’on réussit mieux. Il n’y a pas de fatalité de la violence. Je vois des collèges qui sont dans des quartiers difficiles et dans certains endroits, il n’y a aucune violence, dans d’autres il y en a. Je vois des collèges dans des quartiers où soi-disant il n’y a pas de problèmes économiques dans les familles d’origine de ces élèves et où pourtant il y a de la violence. Finalement, la violence n’est pas une fatalité, l’incivilité est quelque chose que l’on peut parfaitement combattre à condition que la règle du jeu soit claire pour tout le monde et que les parents soient associés et assument leurs responsabilités à l’égard de l’éducation de leurs enfants. »

Parlons des livres scolaires. L’Inspection générale de l’éducation vient de publier un rapport très sévère. Ces manuels ne répondraient pas aux besoins des élèves, ils seraient trop pris par les illustrations décoratives et gratuites dit l’Inspection, des livres qui ne seraient pas conformes aux programmes. Quand vous avez lu ce document, vous n’avez pas eu envie de taper du poing sur la table ?

- « Ce rapport de l’Inspection n’est pas aussi schématique que cela ... »

Il est sévère en tout cas !

- « Il est sévère mais je crois qu’un des problèmes essentiels, c’est que les élèves n’utilisent pas, ne lisent pas suffisamment les manuels scolaires. Je ne suis pas aussi hostile aux images dans les manuels scolaires car dans les endroits éloignés de tout musée, de tout centre de documentation, c’est une bonne chose que les manuels scolaires soient beaux, qu’on ait envie de les lire. En revanche, il y a une chose que dit ce rapport d’inspection avec laquelle je suis entièrement d’accord, c’est que dans certaines classes, dans certains collèges, on utilise beaucoup les photocopies, poussiéreuses, dépassées. Mon souhait, et d’ailleurs je vais donner des instructions en ce sens, c’est que justement les enseignants utilisent davantage les manuels scolaires, fassent lire les élèves. Il y a beaucoup d’élèves qui lisent très peu et si au moins ils lisaient tous les jours leurs manuels scolaires, ils en bénéficieraient de façon tout à fait importante. »

Mais ne faut-il pas améliorer ces livres ?

- « Si bien sûr, on peut toujours les améliorer. D’abord, on peut les rendre plus légers. Je m’y suis employée. Les nouveaux manuels sont beaucoup plus légers, c’est important de lutter contre le poids des cartables excessif. On peut les améliorer, bien sûr, mais la plupart des nouveaux manuels scolaires sont très bien faits et il faut que les élèves les lisent et que les enseignants, incitent les élèves à utiliser leurs manuels scolaires. Je souhaite qu’à l’avenir, les manuels scolaires soient justement suffisamment améliorés pour qu’ils puissent ensuite rester la propriété des élèves. Mon grand regret, c’est qu’à la fin de l’année scolaire, on retire tous les manuels scolaires aux collégiens. Sans doute faudrait-il concevoir des manuels plus complets qui pourraient servir plusieurs années de suite, je pense à la littérature, au français, aux sciences aussi et les élèves pourraient garder ce manuel sur la durée du collège et même après, dans leur vie d’adulte pour garder ce souvenir du collège et s’y replonger de temps en temps. Ce sont des sources aussi de culture générale qui devraient pouvoir être conservées par les élèves et les futurs adultes qu’ils deviendront. »

C’est la rentrée pour certains élèves aujourd’hui, c’est aussi la rentrée politique. Dans la majorité plurielle, quelques uns chahutent au fond de la classe. Faut-il mettre les Verts au piquet ?

- « Il y a eu beaucoup de propos de vacances. Maintenant les choses sérieuses reprennent. Moi, je vois fonctionner ce gouvernement pluriel. Il fonctionne bien. Les différentes composantes travaillent bien ensemble, s’entendent bien. Par exemple avec D. Voynet, nous allons lancer des actions en coopération, sur le domaine de l’éducation et de l’environnement. Avec M.-G. Buffet, nous faisons le contrat éducatif local. Le souci de ce gouvernement d’abord, c’est qu’on s’y respecte, qu’on y travaille ensemble. Nous, nous nourrissons de cette richesse de la diversité. Au-delà des phrases de vacances, il faut que cette cohésion gouvernementale demeure et que nous continuions à nous respecter les uns les autres avec nos différentes sensibilités qui permettent de mieux appréhender les problèmes qui se posent au quotidien. »