Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à France 3 le 30 novembre 1997, sur le meurtre d'une Française retenue en otage au Tadjikistan, le piétinement du processus de paix au Proche-Orient et sur la poursuite du désarmement en Irak.

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Texte intégral

Laurent Bignolas : Pourquoi la France est-elle ainsi visée au Tadjikistan après l’avoir été en Tchétchénie ?

Hubert Védrine : Cela n’est pas uniquement la France qui est visée en particulier. Ce ne sont même pas des pays qui sont visés. Ce sont des étrangers qui sont visés parce qu’ils sont présents pour des raisons d’humanité, pour des raisons de générosité. Vous l’avez dit, on ne peut qu’être d’autant plus bouleversés, comme l’a dit le Premier ministre, de voir cette mort tragique de cette jeune femme. C’est tout à fait consternant ; et c’est pour dire à quel point c’est révoltant dans ce cas particulier de gens qui viennent pour aider, pour soigner des enfants. Cela pose d’ailleurs le problème des conditions dans lesquelles s’exposent parfois des gens qui sont portés par un idéal magnifique, et qui vont dans le cadre d’ONG, par exemple, dans des programmes européens – c’était le cas, là –, pour rendre service dans des régions qui sont quand même des régions à hauts risques, par ailleurs.

Christian Malard : Est-ce que vous considérez que ces organisations humanitaires doivent quitter ces régions instables, comme la Tchétchénie ou le Tadjikistan ?

Hubert Védrine : On ne peut pas faire ici la liste des endroits qui sont trop dangereux pour y rester. Et puis, en même temps, on sait bien que lorsqu’il faut porter aide et assistance, et que le pays va mal, on ne peut pas non plus ne faire cette démarche que dans des pays qui sont parfaitement gérés et en paix. Sinon, qui aiderait-on ? Cela dit, nous allons demander que, dans le cadre aussi bien national que dans le cadre européen, une réflexion s’instaure dans le respect des organisations – qui sont très soucieuses de leur indépendance –, mais nous allons quand même mettre en avant quelques réflexions à partir de ce qui se passe dans le nord Caucase, ou dans ces régions. Je voudrais préciser un point, si vous le permettez : je ne suis pas sûr que cela soit pendant l’assaut des forces de l’ordre (que la ressortissante française a été tuée, NDLR). Il y a des interprétations un peu différentes – c’est loin, c’est compliqué, de savoir ce qui s’est passé à Douchambé –. Il semblerait que cela soit peut-être des comportements entre les ravisseurs eux-mêmes. De toute façon, c’est un drame désolant, quel que soit l’enchaînement des faits.

Laurent Bignolas : Le Proche-Orient : la France a déployé toute sa diplomatie pour aider à la reprise du processus de paix. On a l’impression que l’on est en plein échec, non ?

Hubert Védrine : Il est difficile de penser que ce qui est mis en avant suffise à relancer la dynamique, en effet.

Christian Malard : Est-ce que l’on peut réellement envisager la paix quand on a, d’un côté Monsieur Netanyahou, qui ne respecte pas les accords d’Oslo à la lettre, et puis de l’autre côté, que la toute-puissante ou supposée toute-puissante administration américaine n’a aucune prise sur lui ?

Hubert Védrine : Monsieur Malard, c’est tellement important de remettre en marche le processus de paix, d’arriver un jour à une solution équitable – qui garantira la sécurité pour tous, c’est la seule façon – que l’on ne peut se décourager en aucune façon quel que soit le contexte.

Laurent Bignolas : Yasser Arafat a l’air fatigué, on l’a vu sur les images. N’est-il pas également un peu usé politiquement ? Et est-ce que cela n’est pas là un autre risque pour la paix ?

Hubert Védrine : Il y a un début de contestation parce qu’il y a beaucoup de Palestiniens qui considèrent qu’ils ont été dupés dans l’affaire, parce que l’on est maintenant très loin des engagements qui avaient été pris à Oslo ou après, à l’intérieur de ce que l’on appelle le processus d’Oslo. Donc c’est vrai que le Premier ministre israélien fait un geste, mais c’est un petit geste, qui est très en-deçà des engagements pris par le gouvernement israélien de l’époque, dans le cadre de ce processus. Et il pose des conditions supplémentaires par rapport à cela. Donc l’écart – entre ce que Monsieur Netanyahou accepte de faire, en tenant compte un peu aussi d’une inquiétude internationale de plus en plus vive et de plus en plus clairement exprimée, et ce dont Monsieur Arafat a besoin pour que le processus de paix ne soit pas complètement décrédibilisé aux yeux des Palestiniens –, reste très considérable, trop considérable. Mais nous n’allons pas relâcher nos efforts, quoi qu’il arrive.

Laurent Bignolas : Efforts et pressions ?

Hubert Védrine : Persuasions, discussions, avec toutes les forces en présence, comme je l’ai fait durant ce voyage.

Christian Malard : Vous avez rencontré Monsieur Moubarak après la tragédie de Louxor. Avez-vous le sentiment que son régime, que l’Égypte est menacée par les islamistes ? Y a-t-il une réelle inquiétude vis-à-vis des islamistes ? C’est comme l’Algérie ?

Hubert Védrine : Non, bien sûr que non. Je pense – d’ailleurs, en Algérie, je n’y crois pas non plus, au bout du compte – que ce sont des situations de vulnérabilité, et que par rapport au terrorisme, on n’a jamais de garanties à 100 %, cela n’existe pas. Donc vulnérabilité, oui. Mais menace sur le régime en tant que tel, bien sûr que non.

Christian Malard : Un petit mot sur la crise irako-américaine. Elle n’est peut-être pas terminée, forcément. Est-ce que vous n’avez pas le sentiment que les Américains, devant les nouvelles tracasseries causées par Saddam Hussein, ont envie de passer outre la médiation russe, et peut-être même d’en découdre avec Saddam Hussein ? On a un peu ce sentiment, non ?

Hubert Védrine : Il y a une partie de l’opinion américaine qui veut en découdre, naturellement. Mais le fond du problème n’est pas là, quand même. Le fond du problème, c’est qu’après l’invasion du Koweït, l’Irak a été l’objet de résolutions du Conseil de sécurité lui imposant de démanteler ses programmes d’armes de destruction massive. Or, aujourd’hui, certains considèrent – une partie de la Commission, l’Agence pour l’énergie atomique – que c’est à peu près fait sur le plan nucléaire. Certains considèrent – cela reste à confirmer – que c’est vrai sur le plan balistique. Mais cela reste entièrement à faire et à démontrer sur le plan chimique et bactériologique. Donc il faut quand même partir de là. Et nous, nous sommes logiques avec nous-mêmes, depuis le début, dans cette affaire de crise irakienne. Nous appelons l’Irak à respecter ces résolutions, toutes les résolutions. Il n’y a pas de résolutions cachées supplémentaires, mais rien que les résolutions. Il ne faut pas aller au-delà. Donc, à partir de ce moment-là, on pourra sortir. Et on évitera les tentations de recours à la force, qui ne sont souhaitées par personne. Il faut trouver un autre type de solutions, et vous avez vu ces derniers temps que la diplomatie française est en pointe pour trouver ces solutions.

Christian Malard : Française et russe ?

Hubert Védrine : Oui, en bonne coordination, en effet.