Interview de M. Jack Lang, membre du bureau national du PS et président de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, à RTL, le 22 avril 1999, sur la stratégie militaire des alliés de l'OTAN au Kosovo, la médiation de la Russie, l'aide aux réfugiés, l'autonomie de la défense européenne et les élections européennes.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Jack Lang - membre du bureau national du PS et président de la commission des affaires étrangères de l'Assemblé ;
  • Olivier Mazerolle - Journaliste

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q - 0n reparle ce matin d'offensive terrestre, les Britanniques sont très pour, les Américains sont prêts à en débattre.

- « Je ne veux engager ici que mon propre sentiment, rien ne doit être exclu mais, à ma connaissance, rien n'a été programmé de tel »

Q - Et ça vous paraîtrait envisageable une offensive terrestre ?

- « Mais je vous parle à titre personnel, on ne doit pas, intellectuellement et par principe, exclure une telle hypothèse. Mais encore une fois, rien n'a été programmé à ce stade et je ne peux pas vous en dire plus. »

Q - Le Président de la République n'a évoqué, lui, que l'intensification des frappes aériennes. Hier soir, dans son intervention, il a eu raison de s'en tenir à ce point ?

- « Il a eu raison puisque c'est la stratégie qui a été arrêtée par les différents pays alliés. La stratégie, quelle est-elle ? Elle est, je le rappelle, de détruire l'appareil militaire et policier de Milosevic qui est la cause, depuis dix ans, de 200 000 morts et de toutes les destructions que nous connaissons. Sur ce plan, je crois qu'il faudrait, si vous le permettez un instant, éclairer à nouveau l'offensive et la stratégie qui est la nôtre. Vous avez, d'un côté, la stratégie des pays démocratiques et de l'autre, la stratégie d'un dictateur. Alors évidemment, un dictateur comme Milosevic, il ne fait pas de quartiers. Il y va, il fonce, il détruit, il assassine, il torture, il incendie les villages et ça va vite ! Nous, nous appartenons à un système de société démocratique dans lequel nous avons souhaité que ce recours à la force s'attaque, non pas au peuple serbe que nous respectons, que nous aimons, mais à ses dirigeants dont nous voulons détruire la machinerie policière et militaire. Ce qui veut dire que nous prenons des précautions pour épargner les vies humaines, pour ne pas mettre l'économie serbe dans une situation effrayante qui ensuite, pèserait sur les Serbes qui n'en peuvent mais. D'où la nécessité du temps, ce n'est pas un clip, comme l'avait évoqué le président Clinton, ce n'est pas un clip une guerre comme celle-là, ce n'est pas une fiction hollywoodienne en deux heures, on appuie sur un bouton, clac, terminé ! C'est une opération qui réclame du temps, de l'obstination et de la persévérance. »

Q - Est-ce que des démocraties comme les nôtres sont armées pour supporter une guerre d'usure pareille ? Après tout, J. Chirac lui-même semblait un peu désabusé hier quand il a dit : et pourtant le régime de Belgrade s'enterre.

- « Pour l'instant, mais en même temps il faut savoir qu'une partie des forces serbes sont passées à la défensive, que nous avons réussi à détruire un grand nombre de lignes de communication, de sites militaires, de sites policiers, de sites politiques et, progressivement, la situation de Milosevic s'affaiblit. »

Q - Mais vous préférez cette guerre d'usure ? Est-ce que pour vous ça serait, par exemple, une catastrophe que quelqu'un en Europe ou aux États-Unis dise : mais après tout, techniquement, technologiquement, on a les capacités de faire l'équivalent de Dresde ?

- « Techniquement, on peut être un monstre. Techniquement, on peut faire de Belgrade, Dresde, c'est-à-dire qu'on peut raser Belgrade. Mais nous ne sommes pas des monstres, nous sommes des hommes et des femmes appartenant à des pays civilisés et nous voulons faire reculer la barbarie dans cette région du monde, en n'utilisant pas des moyens barbares mais des moyens qui, je dirais, sont ceux malheureusement de la guerre mais qui, autant que possible, épargnent les vies humaines. »

Q - Et si les alliés échouaient dans cette guerre d'usure ?

- « Ils n'échoueront pas. Il faut garder ses nerfs, il faut tenir bon et nous réussirons à faire plier Milosevic. »

Q - Une des mesures envisagées, c'est l'embargo pétrolier.

- « Oui, c'est une question qui a été posée. Ses bases juridiques sont incertaines, c'est le moins qu'on puisse dire. Par ailleurs, pourquoi pénaliser le Monténégro qui, lui, est en difficulté ? Et nous préférons, si nous voulons priver les armées serbes de carburant, détruire les ponts entre la Serbie et le Monténégro. »

Q - Alors aujourd'hui, l'envoyé spécial de B. Eltsine, V Tchernomyrdine, doit se rendre et Belgrade, vous attendez quelque chose de cette médiation russe ?

- « Aucune tentative ne doit être méprisée ou diminuée, je crois que plus on essaie d'avancer vers la voie d'une solution diplomatique, mieux c'est. Mais en même temps, il ne faut pas créer des illusions. Les choses sont beaucoup plus complexes qu'on ne l'imagine. Les relations entre les Russes et les Serbes ne sont pas aussi simples qu'on le croit ici ou là, à Paris ou ailleurs. Mais en même temps, comme vous le savez, nous, nous souhaitons le retour des Nations unies. Nous souhaitons une solution politique et diplomatique, mais sur les bases qui ont été fixées. C'est-à-dire qu'il faut que Milosevic accepte les conditions minimales, évidentes, que nous avions posées. C'est-à-dire, je le répète en deux mots : qu'il cesse ses actions terroristes, qu'il accepte le retour des réfugiés et qu'il accepte, enfin, une garantie internationale. C'est simple ! »

Q - Mais peut-on parler, comme l'a fait le Président de la République hier soir, d'une autonomie politique européenne, alors que tous les européens vont se retrouver pendant ce week-end à Washington aux côtés de B. Clinton, pour célébrer le 50e anniversaire de l'Alliance atlantique ?

- « Je crois que le Président a eu raison d'évoquer l'autonomie européenne parce que... »

Q - C'est une réalité ? Pas un mythe ?

- « Nullement ! Tout au long des mois et des mois, qui a pris l'initiative diplomatique, précisément, pour tenter de trouver une solution ? Ce sont les Européens, en particulier notre ministre H. Védrine, R. Cook et l'ensemble des gouvernements. De même, qui a souhaité que soit présent le secrétaire général des Nations unies, K. Annan, avec l'ensemble des chefs d'État et des gouvernements européens ? C'est nous-mêmes et en particulier la France. Et par ailleurs, nous apportons notre contribution militaire. Mais il n'est pas faux que, évidemment, du point de vue militaire, le jour viendra où il faudra, c'est une question d'avenir, créer une véritable défense européenne. »

Q - Les réfugiés : il y a ceux qui sont maintenant en dehors du Kosovo et puis il y a ceux qui sont toujours à l'intérieur du Kosovo, il faudrait leur parachutés des vivres ?

- « C'est ce que souhaite le Président de la République, c'est une opération délicate sur laquelle on travaille en ce moment. »

Q - Et des réfugiés, on en accueille suffisamment en France ? Au compte-goutte tout de même.

- « Non, pas au compte-goutte, on les accueille de façon maîtrisée, ordonnée, organisée, pour que les familles qui le souhaitent vraiment, puissent accueillir d'autres familles. Nous allons recevoir, je crois aujourd'hui encore, 300 réfugiés, au début de la semaine 500 réfugiés. Personnellement, je pense que nous accueillerons en France entre 4 et 5 000 réfugiés. »

Q - Autre versant de l'actualité, l'opposition n'ira pas unie au combat électoral pour les élections européennes, c'est bon pour la liste de F. Hollande ?

- « Vous savez il ne faut pas raisonner en ces termes. Cette histoire, naturellement c'est objectivement bon pour les socialistes. Mais en même temps, c'est attristant sur un plan plus général. La droite se divise, se subdivise, c'est un peu dérisoire et surréaliste, surtout en ces périodes de guerre. Et je constate malheureusement que, au nom de l'Europe et sur le dos de l'Europe - dont malheureusement on se contre fiche un peu trop -, chaque parti ou chaque petite boutique politique présente son échoppe, sa liste et une fois encore, en France, on assiste à un combat de coqs, plutôt qu'à un grand affrontement d'idées et de programmes. En ce qui nous concerne en tout cas, nous voulons que cette campagne soit une campagne d'idées, qu'elle soit à la fois nationale et internationale. La preuve samedi prochain, personnellement, je participe à un rassemblement à Rome avec Arafat, Madame Rabin, S. Perez et Beltroni sur le thème de l'Europe de la paix et de la tolérance. Et je crois que F. Hollande va au Portugal rencontrer M. Suarez, aujourd'hui ou demain. »