Texte intégral
Q - « Pas d'autre solution que d'intensifier les bombardements » : c'est ce qu'a dit Lionel Jospin, Premier ministre, hier, à l'Assemblée nationale. Est-ce que vous partagez, ce matin, cette déclaration du Premier ministre ?
- « Je pense que c'est, en effet, le moment de faire preuve de continuité dans l'effort, de détermination dans l'action, et de fermeté dans la ligne politique et militaire des alliés. Vous voyez bien que les objectifs de ce conflit - puisqu'il s'agit bien d'un conflit - c'est d'amener le régime, la dictature de Belgrade à faire les concessions nécessaires. Pour l'instant ce n'est pas le cas et, par conséquent, il faut continuer. »
Q - « Ce n'est pas le cas », dites-vous « on peut même aller plus loin ». Pour le moment, le premier bilan qu'on peut dresser n'est-il pas, finalement, exactement inverse des objectifs ? Milosevic semble plus fort chez lui que jamais, et les réfugiés sont plus nombreux que jamais sur les routes !
- « Pour ce qui concerne les réfugiés, évidemment on voit bien que le déclenchement du conflit a entraîné les évènements que vous décrivez. Je me permets simplement de vous rappeler que tout le monde savait qu'après l'échec de la négociation diplomatique, on arriverait à une situation dramatique au Kosovo. Autrement dit, l'intervention des alliés n'est pas à l'origine de cette crise, c'est l'initiative prise par les partenaires européens et américains pour essayer d'empêcher le gouvernement de Belgrade de poursuivre ses exactions.
Vous savez le gouvernement de Belgrade ce sont des hommes sans foi ni loi. Je vous rappelle qu'en Bosnie-Herzégovine ils sont responsables de milliers de morts. Rappelez-vous les évènements de Sebrenica où, de sang-froid, l'armée serbe a fait exécuter plusieurs milliers de civils après avoir chassé les soldats de l'ONU ! Autrement dit, on a affaire - malheureusement - à des gens qui ne reconnaissent pas les moeurs et les pratiques, et qui ont une indifférence totale aux droits de l'homme. On ne peut pas laisser faire cela. »
Q - L'agence yougoslave annonce la destruction d'un pont au nord de Belgrade. Trois soldats américains ont disparu ? Est-ce que c'est comme cela que Milosevic va céder ? Qu'est-ce qui indique que Milosevic cédera aux bombardements ?
- « La détermination de l'action militaire de l'Alliance finira par obtenir des résultats. Mais, je comprends bien que dans les démocraties modernes, comme tout est sur la place publique, le moindre incident est connu, il faut que les dirigeants fassent preuve de fermeté. Mais, je crois bien que ce n'est pas aujourd'hui, en changeant de ligne, en faisant preuve de faiblesse, en se déroutant de sa ligne originelle, que nous pourrions améliorer les choses. »
Q - Est-ce qu'il faut aller plus loin ?
- « Faire preuve de continuité… »
Q - Beaucoup disent qu'il faut une intervention terrestre pour protéger les réfugiés ?
- « Je crois qu'il faut faire preuve de continuité dans l'action, et quant aux options militaires possibles - naturellement dans une action de ce type, il y a toujours plusieurs options militaires possibles - il ne faut rien exclure. Mais je dirais que, personnellement, je ne vois pas de raison particulière d'exposer, au-delà du raisonnable, les forces françaises. »
Q - La médiation russe : tout le monde dit qu'elle a échoué.
- « Non. Était-elle bien adaptée dans la circonstance et dans le moment ? On peut en discuter. Personnellement, je pense que c'était un peu prématuré. Mais en toute hypothèse, il ne faut pas laisser la Russie en dehors de cette affaire. Bien au contraire, il faut l'associer. On l'a fait pendant la phase diplomatique, on ne l'a pas fait ensuite, et je crois que c'est une erreur. La Russie sera l'une des clés de la sortie de cette crise, parce que c'est aussi sa zone d'influence, et parce qu'elle est une des puissances européennes, même si aujourd'hui elle est plus faible qu'en d'autres circonstances. Nous avons besoin du concours de la diplomatie et des dirigeants russes dans cette affaire. »
Q - Vous qui avez, longtemps et souvent, siégé en Conseil des ministres, quel est votre sentiment lorsque vous avez entendu, hier, Lionel Jospin, dire qu'on pouvait discuter de tout en République et dans la majorité, y compris au sein du conseil des ministres, devant le Président de la république : est-ce que c'est une bonne définition de ce qu'il faut faire ?
- « On peut discuter de tout, mais enfin lorsque l'armée française est engagée dans des actions où elle prend des risques très importants pour les objectifs fixés par le Président de la république, la moindre des choses c'est que le Gouvernement fasse preuve de cohésion et de solidité. Or, pour l'instant ce qui règne c'est plutôt une atmosphère de crise politique autour du Premier ministre, de son gouvernement et de sa majorité. »
Regardez le Parti communiste qui, une fois de plus, invente la « participation sans soutien », qui est dans le Gouvernement et dont les ministres qui sont au Gouvernement - sans compter le secrétaire national du Parti communiste - font des déclarations hostiles à la ligne, aux choix faits par la France, exprimés par le Président de la République et adopté en conseil des ministres !
Vous savez bien que M. Chevènement ne cesse de répéter en toute circonstance - sauf peut-être devant les micros, mais cela va venir - son hostilité à ces initiatives et ces actions. M. Chevènement, non seulement dirige l'un des partis de la coalition, mais, en plus, il est ministre de l'Intérieur, ce qui, dans cette période, n'est pas rien !
Voyez les hésitations des Verts dont on ne sait pas s'ils sont pour ou contre, ou les deux à la fois. Véritablement, aujourd'hui, où est la cohésion ? Où s'exprime-t-elle ? Elle s'exprime autour du Président de la République, entre le RPR et l'UDF. C'est quand même une situation paradoxale, et nous avons raison de réclamer la clarification de la position au sein de la majorité. »
Q - Est-ce que vous joignez votre voix, à ceux qui demandent la démission des ministres communistes du Gouvernement ?
- « Je ne suis pas chargé de demander la démission des uns ou des autres. Ce sont des déclarations un peu déclamatoires. Ce qui compte c'est que la majorité nous dise ce qu'elle veut. Ce qui compte c'est qu'au sein du Gouvernement on sache s'il y a une cohésion autour des décisions et des choix, et des initiatives prises par le Président de la République, et je le répète, adoptés en conseil des ministres. Il est inimaginable que, durablement, on s'installe dans une situation dans laquelle le conseil des ministres serait la foire d'empoigne. »
Q - Vous avez utilisé le mot de « crise politique ». C'est un terme grave ! Vous pensez qu'on est en situation de crise politique ?
- « On n'y est pas encore, mais il flotte un parfum assez étrange autour du Gouvernement, au sein du Gouvernement, autour du Premier ministre, et cette situation n'est pas conforme à l'intérêt national dans cette période de crise internationale. »
Q - Est-ce que la cohabitation est un système compatible avec la gravité des évènements qu'on doit vivre ?
- « La cohabitation est un mauvais système. Je n'ai jamais cessé de le répéter en dépit du fait que je vois bien que l'opinion publique y est dans l'ensemble plutôt favorable. Et on voit bien que, dans un moment comme celui que nous vivons - qui est important parce que la France est engagée dans une action militaire internationale sur le sol européen, les troupes françaises sont exposées, prennent des risques en fonction des décisions prises par le Président de la République -, on a besoin de la cohésion de l'ensemble de l'exécutif autour du Chef des armées. Ce n'est pas ce qu'on a. Et c'est le résultat, en effet, malheureux, de ce système - que je crois pernicieux pour l'intérêt français - qui est celui de la cohabitation. »