Interviews de M. Jean-Marie Le Pen, président du Front national pour l'unité française, à France-Inter le 3 juin 1999 et à RMC le 7, sur la liste de MM. Pasqua et de Villiers pour les élections européennes, la présence sur sa liste de M. Charles de Gaulle, petit fils du Général, de sa position vis à vis du gaullisme, le conflit au Kosovo et sur le "droit à la liberté de penser des musulmans".

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Média : Emission Forum RMC FR3 - France Inter - RMC

Texte intégral

France lnter - jeudi 3 juin 1999

Q - Messieurs Pasqua et de Villiers occupent au fond un espace qui est traditionnellement le vôtre. Est-ce que ça vous pose une question particulière ?

- « Je note que dans le sondage d'avant-hier, MM. Pasqua et de Villiers étaient derrière moi. Mais enfin, les sondages se suivent et ne se ressemblent pas, ils dépendent beaucoup de la personne qui les a commandés. Et moi, je n'en commande jamais. Mais je les relativise, si vous voulez. Bien sûr, c'est un effort qui est fait par le système, par l'opposition parlementaire, de récupérer si possible des voix du Front national ou plutôt d'empêcher que les voix du RPR ne viennent vers le Front national. Je crois que ce sera une tentative vouée à l'échec d'autant que Pasqua et de Villiers n'iront pas à Strasbourg puisque l'un est sénateur, l'autre député, et tous les deux présidents de conseil général. »

Q - Mais vous peut-être pas non plus ! Vous êtes menacé d'inéligibilité.

- « Oui, mais ça c'est un autre problème. »

Q - Oui, mais c'en est un quand même !

- « Oui. Si vous me permettez une petite information : le meeting que je tiens à Nice, ce soir, n'aura pas lieu dans la salle du Théâtre de Verdure qui a été fermée - comme par hasard - par la municipalité pour des raisons de sécurité, mais, salle Leyrit dans le quartier Saint-Roch. Je la tiendrai quand même. »

Q - M. Mégret a l'intention, en cas de forte poussée de MM. Pasqua et de Villiers, de leur proposer une grande union à droite.

- « Ça ne m'étonne pas. Il proposera une grande union à n'importe qui. »

Q - Et vous ?

- « Moi non. Écoutez ! Il faut être d'accord sur les idées. Ce n'est pas moi qui me suis refusé, ni le Front national, à des accords électoraux, par exemple, comme c'est normal dans la même famille politique, si on peut dire, mais ce sont les partis de l'établissement. Par conséquent, c'est eux qui se sont suicidés, qui se sont étranglés eux-mêmes, c'est à eux de couper la corde, ce n'est pas à moi. »

Q - Que dites-vous de la méfiance et de la question du crédit politique ? Ce n'est pas indifférent, vous venez d'être condamné pour incitation à la haine raciale. Vous êtes un homme politique qui revendique d'aller à Strasbourg ?

- « C'est curieux, moi, cette condamnation, je la connais depuis trois semaines. Comment se fait-il qu'elle soit annoncée aujourd'hui à dix jours des élections ? Ce n'est pas innocent vous pensez bien. »

Q - On ne peut pas invoquer le complot une fois de plus quand même ! Vous avez prononcé des mots terribles et vous êtes condamné pour ça !

- « Non, je considère que non. Mais enfin, je ne vais pas entamer un débat là-dessus. Il s'agit là d'un sujet tabou qu'il est interdit d'aborder autrement que dans l'axe de la pensée unique. Donc, parlons d'autre chose. »

Q - Oui, mais c'est la question de la responsabilité, de la moralité politique, de l'éthique - vous l'avez si souvent revendiqué. Attendez ! Vous êtes condamné et vous voulez aller à Strasbourg.

- « Je n'ai pas de complexe dans le domaine de la respectabilité, ni de la moralité quand je me compare aux hommes politiques de la Ve République, dont d'ailleurs les noms constellent en permanence les salles de justice et les cabinets des juges d'instruction. »

Q - Vous dites que c'est un jugement inique ?

- « Oui, je dis que c'est un jugement inique. Mais n'en parlons pas si vous voulez, je ne vais pas discuter. Je vous dis : « oui, je crois que c'est un jugement unique. »

Q - Donc « injuste », c'est ce que cela veut dire « inique » ?

- « Exactement ! Oui. »
 
Q - M. Cohn-Bendit dit de vous que vous préparez la guerre civile. Qu'est-ce que vous répondez à ça ?

- « Pour l'instant, c'est lui qui prend des coups de pieds aux fesses. Ils les trouvent d'ailleurs scandaleux quand ce sont ses adversaires qui les lui donnent. Quand ce sont ses amis qui viennent perturber nos réunions politiques, M. Cohn-Bendit trouve que c'est du harcèlement démocratique. »

Q - Comment se fait-il qu'on ne voie pas, ni dans vos propos, ni d'ailleurs dans ceux des autres, les vrais enjeux de ces européennes ?

- « Je ne parle que de cela pour ma part, et je m'efforce de ne pas parler, pour l'instant au moins de la Corse, de la guerre à l'étranger, etc. Je dis : « l'enjeu, c'est la disparition de la France ». Si on applique les traités d'Amsterdam et de Maastricht, la France disparaîtra comme État souverain et indépendant avec toutes les conséquences dramatiques que cela aura sur la situation des Français. D'autant que l'Europe, depuis dix ans, non seulement n'a pas résolu un seul des problèmes que les gouvernements lui avaient transférés - l'immigration, insécurité, chômage, fiscalisme –, mais elle les a tous aggravés et, de surcroît, elle nous a apporté la guerre en Europe au lieu de la paix. »

Q - L'Europe qui serait la disparition de la France. Mais la France repliée sur elle-même, est-ce que ce n'est pas aussi la disparition de la France ?

- «  Non, je ne sais pas pourquoi « repliée sur elle-même ». La France n'est pas refermée. C'est une France défendue normalement par des frontières ou des droits de douane, qui commerce avec le reste du monde, mais le fait dans l'intérêt de ses citoyens et pas seulement en se livrant au courant du mondialisme, ni aux oukases des « économâtres ».

Q - Qu'est-ce que vous proposez ? Quel est votre programme ?

- « La présence de C. de Gaulle à mes côtés montre bien que nous avons, sur ce sujet, la même conception que le général de Gaulle avait avant sa mort : celle de l'Europe des nations. »

Q - Ça a fait dresser les cheveux de la famille de Gaulle, ça !

- « Non, pas du tout. Je vous le signale, pas du tout ! Des arrière-petits-enfants, oui, mais pas de la famille à proprement parler. Soyons sérieux ! Je pense que C. de Gaulle, député européen, n'a pas à demander l'autorisation de ses petits-petits cousins pour faire quoi que ce soit. Il a une responsabilité politique. Ce qui est important, c'est que, ce que voulait le général de Gaulle, c'était l'Europe de Strasbourg contre l'Europe de Bruxelles. C'était une Europe des nations, souveraine, coopérant au maximum, mais refusant de se fondre dans un ensemble dont on voit d'ailleurs qu'il n'est qu'une étape vers la mondialisation. »

Q - M. Le Pen, pourquoi vous faites toujours parler les morts, de Gaulle, Brassens, et j'en passe ?

- « Je n'ai pas fait parler Brassens, je le chante Brassens. Je fais parler ceux qui ont fait le pays. L'histoire est faite par les actions des hommes et c'est pour cela que je m'en inspire de façon à essayer d'éclairer l'avenir. Ce n'est pas ce que font mes concurrents qui se fient ou au sentiment qu'ils ont immédiatement ou aux influences qu'ils subissent. »

Q - Croyez-vous vraiment que le fait que vous vous inspiriez du gaullisme puisse résister à l'analyse ?

- « Pourquoi pas ? C'est quoi le gaullisme ? Je parle d'une question bien précise. Moi, j'ai combattu le général de Gaulle sur un certain nombre de points de sa politique, mais en revanche… »

Q - Ce n'est pas la préférence nationale, le gaullisme.

- « J'ai toujours été d'accord pour la conception européenne du général de Gaulle, celle qui préservait la souveraineté de la France et, par conséquent, préservait aussi le peuple français. »

Q - Oui, mais la question de la préférence nationale, qui est quand même un point fort de votre programme, ce n'est pas gaullien franchement ?

- « Si, bien sûr que si, et comment ! Bien sûr que si ! Lisez le livre de Peyreffite et vous serez éclairés sur les pensées du général de Gaulle sur ce sujet ou sur d'autres. »

Q - Que dites-vous de la posture des Français vis-à-vis de ces élections qui inscrites, encore une fois, entre l'incertitude, la méfiance, comment vous l'expliquez ?

- « Malheureusement, je ne suis pas sûr que nos compatriotes appréhendent ces élections avec la gravité et le sérieux qu'il faudrait. Pour eux, l'Europe, c'est quelque chose d'assez éloigné. Ils ne voient pas très bien quelles sont les conséquences d'un vote comme celui-là, alors que déjà 60 % des lois qui s'appliquent dans leur pays ne sont plus décidées par le Parlement français, mais sont décidées à Bruxelles. »


RMC - lundi 7 juin 1999

Q - Est-ce que vous avez effectivement reçu ces fameux 41 millions de francs que les juges ont décidé de vous débloquer et est-ce que ça change quelque chose dans votre campagne surtout ?

- « Eh bien, tout de même un petit peu, mais nous les recevons avec beaucoup de retard. Les manoeuvres du ministre des Finances auront retardé de cinq semaines, ce qui, en campagne électorale, est très long. Or, c'était l'attribution d'une subvention qui était notre propriété puisqu'elle visait les comptes de 1998. Bien évidemment, nous avons été gênés dans la possibilité pour nous, d'engager des actions de communication importantes. Nous l'avons été d'autant plus que dans les mois qui ont précédé, nos comptes en banque ont été bloqués sur l'initiative des traîtres Mégret et compagnie. »

Q - Les conversations entre officiers serbes et officiers de l'OTAN ont provisoirement échoué et on annonce ce matin que les bombardements vont reprendre. Est-ce que c'est un grave retour en arrière ?

- « Oui. J'ai toujours dit que cette guerre s'engageait dans le guêpier balkanique et que très probablement les Américains et leurs alliés, hélas européens, seraient là encore dans quelques dizaines d'années. Je constate que c'est en train de prendre ce tour, entre arrêts des bombardements et reprises des bombardements. Mais ce qui est abominable, c'est qu'on assiste pendant près de trois mois, à l'écrasement de toutes les ressources civiles de ce pays - petit pays de 12 millions d'habitants déjà ruinés par 50 ans de communisme -, par les armées de 500, que dis-je, d'un milliard d'hommes les plus riches du monde, derrière les États-Unis et l'Europe. »

Q - Est-ce que M. Milosevic peut rester ?

- « Je ne sais pas. Ça n'a pas beaucoup d'importance. Milosevic a derrière lui le peuple serbe, non pas par conviction politique, mais parce que tous les Serbes ont le sentiment d'être assassinés, d'avoir été agressés injustement. »

Q - Vous avez, vendredi, été à Martin-de-Crau dans les Bouches-du-Rhône, vous avez appelé à la réconciliation nationale. Alors, ce matin, vous étendez ces propositions aux gens qui ont longtemps travaillé avec vous, c'est-à-dire M. Mégret et les gens qui ont travaillé avec lui, et leurs électeurs ?

- « Les électeurs, il n'y a absolument aucun problème, puisque c'est eux qui choisissent les adhérents, les militants, voire même certains élus, s'ils n'ont pas pris de part directe et notoire à l'agression criminelle dont le mouvement a été la victime, la cible en pleine période électorale. Les chefs de ce complot, certainement pas, car ils ont utilisé contre nous, et dans les circonstances sur j'ai dites, sous un gouvernement socialo-communiste, des méthodes d'une bassesse telle que jamais aucun autre adversaire du Front national n'en a employée. »

Q - Mais il est absolument exclu que vous vous réconciliez, un jour, même après les élections, avec M. Mégret ou ses lieutenants ?

- « Totalement exclu, il n'y a rien que je déteste tant que la félonie. »

Q - M. Mégret vous a accusé, ce week-end, d'avoir abandonné un combat que vous aviez, dit-il, en commun, c'est-à-dire le combat contre l'islamisation de la France.

- « Je mène le même combat. Je pose les responsabilités là où elles sont. La responsabilité de l'immigration ne repose pas sur les immigrés, ni même sur les petits voyous des banlieues. Les responsabilités sont exclusivement celles des hommes politiques français, de droite et de gauche, qui non seulement les ont laissés sans contrôle, mais encore les ont attirés en leur offrant un certain nombre de services sociaux, et en étant systématiquement complaisants à l'égard de ce danger mortel. J'ai simplement dit que les musulmans qui se trouvaient en France avaient le droit, comme d'autres citoyens, de pratiquer leur religion, cela ne me choquait pas qu'un musulman prie Allah. «

Q - Donc, on a le droit de faire des mosquées en France ?

- « C'est tout à fait différent. J'ai dit que j'étais tout à fait hostile à la construction des mosquées-cathédrales, car on sait que la religion musulmane n'est pas exclusivement spirituelle. Elle comprend aussi une partie politique. Là, c'est un peu différent. La construction de mosquées-cathédrales, on pourrait éventuellement en discuter le jour où on pourra construire, nous, des cathédrales en Algérie, en Égypte ou en Arabie Saoudite. »

Q - Donc, vous dites oui au culte, au droit de culte, mais non à la mosquée. C'est ça ?

- « Au droit de la liberté de penser des musulmans. Il y en a qui sont citoyens français par, je dirais, le droit du sang, du sang versé en particulier. C'est le cas de mon colistier, M. Sid-Ahmed Yahiaoui, qui est pupille de la Nation, dont le père, sénateur algérien, a été assassiné en 1962 par le FLN. Ceux-là, les Harkis et ceux qui ont démontré leur amour de la France par un choix exclusif de notre nationalité, abandonnant leur nationalité d'origine et acceptant les charges, y compris les devoirs de sacrifice s'ils leur étaient demandés, ceux-là oui. Quant aux gens qui résident dans notre pays, ils ont le droit de croire en Dieu ou de ne pas y croire, mais il n'y a aucune raison de faire une discrimination. On m'a cité l'affaire ou l'opinion de mon gendre, car on me demande comme ça compte des opinions de mes colistiers. Il a dit, comme M. Sid Ahmed d'ailleurs l'a dit, à propos du foulard - c'était une affaire de foulard - : ou bien on interdit la kippa et il n'y aura pas de foulard, mais si on autorise la kippa, on ne voit pas pourquoi on refuserait le foulard. »

Q - Le bilan du gouvernement Jospin, deux ans ?

- « M. Jospin est un bon metteur en scène, un petit peu à la manière de Potemkine qui fût le Premier ministre de la grande Reine Catherine et qui, vous le savez, dressait des villages en carton superbe sur le passage de la souveraine. C'est un monsieur qui sait présenter ce qu'il a fait et passer très vite sur ce qu'il n'a pas fait. Car il n'a résolu aucun des grands problèmes français, non plus d'ailleurs que l'Europe, l'immigration, l'insécurité, le chômage, le fiscalisme, la dénatalité, la corruption. Tout ça baigne, si je peux dire, tout ça continue son petit bonhomme et quelquefois son grand bonhomme de chemin. M. Jospin n'a pas obtenu du succès. Alors on a des formules : les 35 heures, les emplois jeunes, etc. Tout ça masque un grand néant de solutions fondamentales sans lesquelles il n'y aura pas de reconstruction politique, morale, économique et sociale de la France. Voilà d'ailleurs l'Europe donne la même apparence, alors que l'Europe, non seulement, n'a pas aidé à la solution de ces problèmes, elle les a tous aggravés. »

Q - L'attaque politique de vos adversaires, c'est de dire : Le Pen qu'est-ce qu'il va faire de ses voix ? Qu'est-ce que vous allez faire de vos voix ?

- « D'abord, je vous invite à venir jeudi 10 à Paris à la porte de Versailles, vous verrez que notre courant est très ardent et très vital. Avec les voix, je ferai des députés, voyez-vous, c'est à ça que ça sert. Et avec les députés européens, je défendrai le concept de France souveraine, indépendante dans l'Europe des nations. »