Articles de Mme Arlette Laguiller, porte parole de Lutte ouvrière, dans "Lutte ouvrière" des 9, 16, 23 et 30 avril 1999, sur les bombardements de l'OTAN au Kosovo et l'accueil des réfugiés kosovars en Europe.

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Média : Lutte Ouvrière

Texte intégral

À BAS LES BOMBARDEMENTS DE L’OTAN !
À BAS LA « PURIFICATION ETHNIQUE » !

Comment ne pas être révolté devant la souffrance physique et morale de femmes ; d’hommes, d’enfants, pataugeant dans la boue d’un camp de fortune, chassés de chez eux par la terreur méthodique ? Comment ne pas être révolté par l’infamie de la « purification ethnique », pratiquée contre la population albanaise du Kosovo par Milosevic, le chef de l’Etat serbe, son armée et des bandes armées ultra-nationalistes, après avoir été pratiquée hier en Croatie ou en Bosnie, par les mêmes ou par d’autres ?
Oui, Milosevic est une crapule sanguinaire et la politique de « purification ethnique » est la pire qui soit dans ces Balkans aux peuples entremêlés, souvent d’une ville ou d’un village à un autre et parfois dans les mêmes villages ou les mêmes cages d’escalier. C’est une politique dont les conséquences sont dramatiques, et pas seulement pour le peuple victime chassé de chez lui, mais aussi pour le peuple dont se revendiquent les assassins qui la pratiquent. Car cette politique creuse un fleuve de sang entre les peuples et, la haine alimentant la haine, depuis l’éclatement de la Yougoslavie tous ses peuples pour ainsi dire en ont été tour à tour victimes.
Cette politique n’était pas inévitable. Sous le régime de Tito, pourtant pas un modèle, les peuples avaient coexisté et bien des jeunes, issus de mariages mixtes, ne savaient même pas quelle était leur « ethnie » : ils étaient simplement des Yougoslaves. C’est la rivalité des dirigeants politiques, chacun exacerbant le nationalisme de son peuple pour s’imposer, relayés par des chefs de bandes armées, qui a fini par imposer aux peuples, à commencer par le leur propre, ces guerres ethniques faisant des dizaines de milliers de morts et des millions d’exilés.
Mais aujourd’hui, lorsque les dirigeants des grandes puissances, dont le couple Chirac-Jospin, viennent la main sur le cœur se poser en défenseurs des droits humains, ce sont les incendiaires qui osent se poser en pompiers. Car leur responsabilité est écrasante dans la situation créée dans l’ex-Yougoslavie.
Le destin des Balkans, terrain de pillage traditionnellement disputé entre capitaux anglais, français et allemands, se règle depuis plus d’un siècle entre puissances impérialistes, tantôt rivales, tantôt complices. Voilà pourquoi cette région de l’Europe ne parvient pas à sortir de la pauvreté, de l’oppression et des violences ethniques. Plus récemment, les grandes puissances ont encouragé ceux qui poussaient à l’éclatement de la Yougoslavie et ont imposé aux Etats successeurs des frontières qui coupaient des peuples et exacerbaient les nationalismes. En jouant les uns contre les autres les cliques nationalistes, les grandes puissances ont jeté de l’huile sur le feu.
Comment croire que c’est le peuple albanais et ses droits qui les préoccupent ? A commencer par les dirigeants de cet Etat français qui, pour nier au peuple algérien le droit à l’existence nationale, a mené une guerre dont l’atrocité n’a rien à envier à celle de Milosevic au Kosovo.
La seule raison des bombardements de l’OTAN est d’imposer l’ordre mondial des grandes puissances et d’amener Milosevic à être plus obéissant à cet ordre. Les bombardements n’aident en rien la population albanaise du Kosovo mais aggravent dramatiquement son sort. Ils favorisent les éléments les plus chauvins en Serbie et leur donnent le prétexte pour museler toute opposition éventuelle, laissant les mains plus libres à Milosevic pour intensifier la purification ethnique.
Les puissances occidentales et Milosevic jouent maintenant à se renvoyer la balle, l’un annonçant un cessez-le-feu unilatéral et les autres déclarant qu’elles poursuivront les bombardements jusqu’à ce que Milosevic accepte le retour des réfugiés. Mais le peuple kosovar n’a rien à attendre de ces grandes puissances qui finiront par s’entendre avec Milosevic – car c’est bien avec lui qu’elles comptent négocier – et par consacrer le rapport de forces sur le terrain, foulant au pied le droit du peuple kosovar à disposer librement de lui-même. Et en attendant, les grandes puissances déploient des moyens autrement plus importants et rapides pour bombarder en Serbie, en punissant son peuple pour les crimes de son dictateur, que pour les amener de la nourriture et des tentes aux réfugiés.
Les travailleurs n’ont pas à accorder le moindre soutien à une guerre qui n’est pas menée pour défendre un peuple mais pour imposer, contre les peuples, la loi des grandes puissances.

LES GRANDES PUISSANCES DÉFENDENT LEUR ORDRE PAS LE PEUPLE KOSOVAR

La presse a souligné l’importance de l’élan de solidarité qui s’est manifesté dans le grand public en faveur des réfugiés kosovars. Que, dans tout le pays, des milliers de personnes aient ainsi apporté leur soutien matériel est un fait remarquable. Non seulement parce que cela soulagera un peu la détresse de ces femmes et de ces hommes que la criminelle politique et « purification ethnique » de Milosevic a contraints de fuir en abandonnant tout, mais aussi parce que c’est un soutien moral, un témoignage de solidarité humaine, dont ils ont bien besoin.
Mais derrière cet élan désintéressé tentent de se camoufler des gens qui le sont beaucoup moins. Ce sont les hommes politiques qui ont pris l’initiative des attaques aériennes sur la Yougoslavie. Car les Chirac et les Jospin, comme tous les autres dirigeants des grandes puissances de l’OTAN, se moquent bien, eux, du sort de la population kosovare, comme le prouve la manière même dont cette intervention se déroule.
Ce ne sont certes pas ces dirigeants qui sont responsables du processus de « purification ethnique », déjà engagé par Milosevic avant même les premiers bombardements de l’OTAN. Mais à moins d’être d’une incompétence crasse, ils ne pouvaient ignorer que les bombardements de l’OTAN sur tout le territoire yougoslave ne pourraient que paralyser toute opposition à Milosevic, renforcer les courants serbes les plus nationalistes dans leur criminelle détermination, et précipiter le processus visant à vider le Kosovo de tout ou partie de sa population de langue albanaise.
Les forces de l’OTAN ne sont pas intervenues pour protéger celle-ci, mais pour essayer de contraindre Milosevic à négocier une solution pour maintenir l’ordre impérialiste dans les Balkans (en ne reconnaissant même pas au peuple kosovar le droit de déterminer librement son avenir).
S’ils ont choisi de n’intervenir que par voie aérienne, ce n’est pas guidés par le souci de la vie de leurs soldats, mais par la peur politique de ce que pourraient être les réactions de leur propre opinion publique devant les pertes en hommes que pourraient entraîner un conflit terrestre. Et leurs attaques aériennes n’étaient pas dirigées contre les troupes ou les milices serbes qui faisaient régner la terreur dans les villages du Kosovo, mais contre les villes de toute la Yougoslavie, y compris de ce Monténégro où s’entassent également des milliers de réfugiés kosovars.
Quand s’est posé le problème d’aider ces réfugiés, les dirigeants des puissances de l’OTAN n’ont pas fait preuve, loin s’en faut, de la même générosité que le grand public. Sous prétexte de ne pas faciliter le travail à Milosevic, le tandem Chirac-Jospin s’est même prononcé fermement pour que les réfugiés restent à croupir dans leurs camps de réfugiés, quoi qu’il arrive. C’est fou ce que ces gens-là peuvent être héroïques avec la peau des autres !
Par ailleurs, en s’en prenant ainsi à l’ensemble du peuple serbe, en le traitant comme s’il était tout entier complice de Milosevic, les dirigeants de l’OTAN n’ont fait que contribuer à approfondir le fossé de haine que ceux de Belgrade s’emploient à creuser entre les différents peuples de la Yougoslavie. Et quelle que soit l’issue du conflit en cours, les peuples de la région risquent de payer cher la situation ainsi créée et cela pendant des années encore, voire des décennies.
En fait, le sang que Milosevic a sur les mains ne gênera pas les dirigeants occidentaux pour traiter avec lui. Ce qu’ils lui reprochent, c’est de prendre des initiatives susceptibles de déstabiliser d’autres Etats de cette région. Comme dans le cas de l’Irak et de Saddam Hussein, ils démontrer que ce sont eux qui décident ce que les dictateurs ont le droit de faire. Mais ils seront toujours prêts à s’accommoder de Milosevic. Ils le disent. Et peut-être même, comme la Grande-Bretagne l’avait fait une fois terminée la guerre qui a déchiré il y a quelques années la Bosnie, lui vendront-ils de nouveau des armes demain, une fois réglé à leur manière le problème du Kosovo. Des armes destinées à tenir en respect son propre peuple.

PENDANT LE BOMBARDEMENT LES AFFAIRES CONTINUENT

Depuis maintenant un mois, les bombardements aériens qui se succèdent sur Yougoslavie et le drame affreux des réfugiés du Kosovo font presque exclusivement la Une des journaux. Du coup, les informations concernant les mesures que réclame le patronat ont été bien discrètes. Mais elles n’en annoncent pas moins de nouvelles attaques contre le niveau de vie de la classe ouvrière. Alors qu’un rapport de la très officielle commission du plant a récemment proposé de ^porter de quarante ans à quarante-deux ans et demi le nombre d’années de cotisations nécessaires pour pouvoir bénéficier d’une retraite à taux plein, le MEDEF (l’ex-CNPF) a en effet proposé que cette durée soit portée à quarante-cinq ans. Autant dire que si cette proposition était adoptée par le gouvernement, compte tenu de l’âge que doivent atteindre aujourd’hui beaucoup de jeunes pour trouver un premier emploi, la grande majorité des travailleurs ne pourraient espérer partir avec une retraite complète avant l’âge de soixante-dix ans.
Evidemment, les patrons qui avancent une telle idée n’envisagent pas que les salariés resteront en activité jusqu’à cet âge, puisqu’aujourd’hui ils font tout pour se débarrasser des plus de cinquante ans. Mais ce qu’ils ne veulent surtout pas faire, c’est cotiser plus pour les retraites de ceux sur le travail desquels ils bâtissent leur fortune. Contrairement à ce qu’on voudrait nous faire croire, le problème des retraités n’est pas un problème démographique. La classe ouvrière produit aujourd’hui bien plus de richesses qu’il y a vingt, trente ou quarante ans. Cela devrait permettre d’assurer à tous les travailleurs un niveau de vie décent pendant leur période d’activité, comme pendant leur retraite… si la seule préoccupation de ceux qui possèdent les entreprises n’était pas de vouloir faire toujours plus de profits au détriment de la grande majorité de la population.
Les dirigeants d’Elf viennent de donner un nouvel exemple de ce comportement.
Leur groupe se porte très bien. Il a engrangé l’an passé des bénéfices considérables. Mais ils veulent cependant supprimer plus de 1 300 emplois, dont 800 à Pau (sans compter les retombées que ces réductions d’effectifs peuvent avoir chez leurs sous-traitants), pour faire encore plus de profits.
Comme toujours en pareil cas, le député-maire de Pau (qui appartient à la majorité gouvernementale) a protesté, en pensant à sa réélection. Mais l’attitude des dirigeants de Elf est celle de tous les patrons de grandes entreprises qui depuis des années réduisent les effectifs, licencient, pour augmenter leurs profits avec la bénédiction de tous les gouvernements qui se sont succédé, ceux de droit comme ceux qui se prétendaient de gauche, le gouvernement Jospin comme les autres.
D’ailleurs, ce gouvernement n’est pas revenu sur les mesures que Balladur avait prises pour repousser l’âge de la retraite, en augmentant le nombre de trimestres de cotisations nécessaires. Et si Jospin a commandé un rapport visant à augmenter la durée de cotisations, ce n’est certainement pas pour faire le contraire. Il n’acceptera pas forcément, bien sûr, ce que demande le patronat (ce qui lui permettra de prétendre qu’il a joué un rôle d’arbitre), mais il prépare manifestement un mauvais coup sur les retraites… pour après les élections européennes, bien sûr.
Encore faudrait-il, pour qu’il réussisse, que les travailleurs se laissent faire. Eh bien, il faut montrer que nous n’y sommes pas disposés. Et nous pourrons justement l’en avertir lors de ces élections, en votant pour la seule liste qui propose de prendre sur les profits du grand capital pour combattre le chômage, et de réquisitionner les entreprises qui font les profits et qui osent licencier quand même : la liste commune de Lutte Ouvrière et de la Ligue, Communiste Révolutionnaire.

DIS-MOI QUI TU DÉFENDS, JE TE DIRAIS QUI TU ES

Il est de plus en plus clair que les bombardements de l’OTAN, loin d’avoir aidé en quoi que ce soit les Albanais du Kosovo, ont au contraire considérablement aggravé leur sort, en permettant à Milosevic de museler toute opposition à sa politique et de procéder à la déportation de populations entières. Mais les puissances de l’OTAN sont bien  décidées à poursuivre la même politique. Elles sont, disent-elles, patientes et ont tout leur temps. Et qu’importent les conditions de vie épouvantables des réfugiés kosovars qui s’entassent dans des camps de fortune : ce ne sont pas pour eux qu’elles sont intervenues, mais pour contraindre Milosevic à reconnaître leur droit à décider ce qu’il a le droit de faire ou pas, comme les « juges de paix » du milieu essaient de faire régner un semblant d’ordre parmi les truands !
En France, le triste bilan de cette opération n’a pas entamé le parfait accord qui règne depuis le début des bombardements sur la Yougoslavie entre Chirac et Jospin. L’un est pourtant ouvertement de droite, et l’autre se dit socialiste. Mais ils ont l’un et l’autre la même ambition : défendre les intérêts de la bourgeoisie française, et quand ils estiment nécessaire de faire parler la poudre pour cela, ils sont capables d’oublier l’antagonisme de leurs ambitions personnelles, bien plus en tout cas que les dirigeants du RPR ou de l’UDF entre eux !
Mais il n’y a pas que sur le terrain de la politique extérieure que rien ne sépare vraiment la politique de la droite de celle de la gauche dite plurielle. Voilà près de deux ans que Jospin a constitué son gouvernement, en déclarant qu’il allait s’attaquer en priorité au chômage (comme l’avaient fait tous ses prédécesseurs depuis plus de vingt ans). Et les unes après les autres, les grandes entreprises continuent de supprimer des emplois. Ces jours-ci c’est, entre autres, le pétrolier Elf et le trust de l’informatique IBM qui ont annoncé des réductions importantes d’effectifs. Parce que ces secteurs sont en récession ou parce que leurs affaires vont mal ? Pas du tout ! Mais pour augmenter encore leurs bénéfices !
C’est système économique dément que celui où une poignée de gros actionnaires peut décider, pour s’enrichir encore plus, de supprimer des milliers d’emplois, et donc de condamner des milliers de personnes au chômage. C’est un système inique que celui où une petite minorité de gens, qui n’ont eu quelquefois d’autre peine que d’hériter de la fortune de papa, a tous les pouvoirs de décisions économiques, alors que la grande masse des hommes et des femmes, dont le travail a permis de développer ces entreprises n’en a aucun. Mais c’est le système que défend Jospin, tout comme Chirac. Et le gouvernement ne fera rien pour s’opposer à ces mesures qui vont encore aggraver la situation de l’emploi, parce qu’il ne veut surtout pas s’en prendre au droit des capitalistes de gérer leurs entreprises comme ils l’entendent, même si cela se fait aux dépens de la grande majorité de la population.
Les défenseurs de ce système prétendent qu’ils défendent le droit à la propriété. Mais il serait plus honnête de dire qu’ils défendent le droit à la propriété d’une poignée de privilégiés. Car combien de travailleurs ont tout perdu ces dernières années, leurs maigres biens, leur appartement, la modeste maison fruit d’années de privations et d’économies, parce qu’ils ont été réduits au chômage, et parfois à la misère ?
Lutter contre le chômage, cela impliquerait de s’en prendre au droit absolu du grand patronat sur les entreprises, de lever le secret bancaire et le secret commercial pour permettre à chacun  de voir d’où viennent et où vont les richesses produites ; de réquisitionner les entreprises qui font des bénéfices et qui osent licencier quand même.
C’est pour permettre aux travailleurs de dire par leur vote que c’est cette politique-là qu’ils voudraient voir appliquer que Lutte Ouvrière et la Ligue Communiste Révolutionnaire se présenteront aux prochaines élections européennes.