Articles de Mme Arlette Laguiller, porte parole de Lutte ouvrière, dans "Lutte ouvrière" du 28 mai 1999, des 4, 11 et 25 juin, sur le deuxième projet de loi sur les 35 heures, les résultats des élections européennes du 13 juin 1999, le budget de la Sécurité sociale et le conflit du Kosovo.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Lutte Ouvrière

Texte intégral

Lutte ouvrière, 28 mai 1999

Faisons-nous respecter !

Décidément, le Gouvernement Jospin est un spécialiste des cadeaux au grand patronat et des mesures anti-ouvrières, présentées comme des « avancées sociales ». Après la première loi sur les 35 heures, qui donnait aux patrons la possibilité d’imposer une flexibilité accrue, c’est-à-dire d’obliger les salariés à effectuer des heures supplémentaires (non majorées) et à travailler le samedi en fonction de la recherche du profit maximum, le projet de loi sur le financement du passage aux 35 heures constitue un nouveau cadeau (à peine) déguisé au patronat.
D’abord, pourquoi financer les 35 heures ? Depuis des années, les salaires sont quasiment bloqués, alors que les grandes entreprises de ce pays n’ont cessé d’engranger des bénéfices records. Elles auraient très bien pu supporter des diminutions de salaires.
Mais le gouvernement de la « gauche plurielle » ne veut surtout pas contraindre les patrons à quoi que ce soit. Il a donc prévu d’offrir une compensation, de taille, au patronat : une baisse des charges sociales sur tous les salaires de la grande majorité des travailleurs de ce pays. Et après cela, on nous expliquera que, si le budget de la Sécurité sociale est en déficit, c’est parce que les gens se soignent trop !
Mais cet argent qui ne rentrera pas dans les caisses de la Sécurité sociale, il va falloir le sortir d’ailleurs. Le gouvernement a bien parlé d’instituer une « écotaxe » sur les entreprises qui polluent et qui consomment beaucoup d’énergie, d’augmenter un peu aussi l’impôt sur les bénéfices des entreprises (qui est encore loin d’être au niveau où il était sous Giscard). Mais cela, c’est pour la galerie, pour avoir l’air de faire payer un peu les entreprises, car cela ne compensera pas (sinon, pourquoi toutes ces complications ?) l’énorme cadeau fait au patronat.
Et, en définitive, c’est une fois de plus aux travailleurs que le gouvernement va essayer de faire payer la note de ses largesses au patronat. Il suffit pour s’en convaincre de voir comment ont opéré les différents gouvernements qui se sont succédé ces dernières années ; en augmentant la TVA (et Jospin n’est pas revenu sur cette mesure de Juppé) et la CSG.
Or, il s’agit, dans les deux cas, d’un mode de financement particulièrement inique, puisque (contrairement à ce qui se passe pour l’impôt sur les revenus) ce sont les mêmes taux d’imposition qui sont appliqués pour tout le monde, sur les maigres salaires de ceux qui ne perçoivent pour vivre que le SMIC, voire moins, comme sur les revenus des plus fortunés.
Bien évidemment, on va encore nous dire que ces mesures sont faites pour « inciter » les patrons à créer des emplois, en diminuant le « coût du travail ». Mais depuis des années que tous les gouvernements appliquent les mêmes recettes, il est clair que ces « incitations » n’ont jamais amené à la création d’emplois. Le Gouvernement « incite ». Le grand patronat empoche… et réclame encore davantage, sans manifester la moindre reconnaissance, ce qui est dans l’ordre des choses, car les riches n’éprouvent pas le besoin de manifester de la reconnaissance à leurs larbins.
Aux travailleurs, ce Gouvernement qui se prétend de gauche se contente d’offrir de bonnes paroles, en espérant qu’ils se contenteront de cela. Eh bien, nous devons montrer aux possédants, et au Gouvernement à leur service, qu’il n’en est rien. Et cela, nous pourrons le dire à l’occasion des prochaines élections européennes, en votant pour la seule liste qui dénonce tous les cadeaux faits au patronat, et qui affirme qu’il faut au contraire prendre sur les profits capitalistes pour créer des emplois et lutter vraiment contre le chômage, la liste présentée par Lutte ouvrière et la Ligue communiste révolutionnaire. Plus nous serons nombreux à le faire, plus ils sauront que monte la colère du monde du travail.

Lutte ouvrière, 4 juin 1999

Faisons entendre notre voix

Le budget de la Sécurité sociale est donc une nouvelle fois en déficit. Rien d’étonnant puisque les raisons de ce déficit demeurent, à commencer par la plus importante, la faiblesse des rentrées, qui découle du chômage, de la stagnation ou de la diminution des ressources des salariés.
Bien évidemment, les responsables du Gouvernement et les économistes payés pour cela vont prétendre que c’est l’augmentation des dépenses de santé qui est en cause, que nous nous soignons trop. C’est d’autant plus scandaleux que la situation dans les hôpitaux ne cesse de se dégrader et que bien des soins n’y sont plus correctement assurés, faute de personnel.
On va encore nous dire que nous devons économiser sur la santé, et la liste des médicaments non remboursés, ou remboursés à un taux dérisoire, va s’allonger.
Mais très discrètement, le ministère de la santé vient de décider d’augmenter un grand nombre de médicaments dits « génériques » (ces médicaments dont on nous dit qu’ils vont diminuer les dépenses), en augmentant la marge des pharmacies sur ces produits pour les encourager… à ne pas boycotter les produits trop bon marché.
Les quelque 23 000 propriétaires de pharmacies de ce pays sont des notables. Pas question pour ce Gouvernement qui se dit de gauche de les contraindre à quoi que ce soit. Il les « incite » à tenir compte de ses souhaits. Exactement comme il prétend « inciter » le patronat à créer des emplois en multipliant les cadeaux à son intention.
La loi Aubry sur les 35 heures est un bon exemple.
Premier cadeau : elle donne le moyen au patronat d’imposer une flexibilité accrue, de pouvoir imposer les horaires qu’il veut, comme il veut, sans même avoir à payer des heures supplémentaires. Non seulement ça ne créera aucun emploi, mais cela aboutira au contraire à en supprimer, puisque le but de l’opération est de permettre au patronat de faire face aux à-coups de la production sans avoir à embaucher. Deuxième cadeau, le gouvernement va réduire les charges sociales sur tous les salaires inférieurs à 12 000 F par mois. Et comme le patronat continue de se plaindre (on ne voit pas pourquoi il arrêterait, puisque ça marche si bien), les cadeaux ne s’arrêteront sans doute pas là ! Et les licenciements ne s’arrêteront pas non plus.
Les seuls qui n’ont droit à aucun ménagement, qu’on jette à la rue quand une entreprise licencie, qu’on expulse de leur logement quand ils ne peuvent plus payer leurs loyers, ce sont les travailleurs.
Cela fait plus de vingt ans que tous les gouvernements ont multiplié les diminutions de charges sociales ou les dégrèvements fiscaux aux patrons, sous prétexte de les « inciter » à créer des emplois. Cela ne marche pas. Tout le monde peut le constater. Mais le Gouvernement Jospin continue quand même dans cette voie-là, parce qu’il est bien moins préoccupé de lutter contre le chômage que de permettre aux capitalistes de continuer à s’enrichir toujours plus. C’est devant eux qu’il se sent responsable.
Et les gens qui mènent cette politique voudraient que les travailleurs votent pour eux ! Mais ils se moquent de nous !
Voter pour les listes de la « gauche plurielle », pour voter contre celles de la droite ou de l’extrême droite, ce serait dire qu’on est content de la politique de Jospin-Aubry et qu’on en redemande.
La composition du futur Parlement européen, quelle qu’elle soit, ne changera rien à notre sort.
Mais ces élections peuvent faire pression sur ce gouvernement. Il faut un vote de censure contre sa politique, qui est celle de tous ceux qui l’ont précédé. Il faut voter pour la liste conduite par Arlette Laguiller et Alain Krivine, car l’extrême gauche a toujours exprimé et défendu les intérêts de la population laborieuse.
Si cette liste obtient un score conséquent, ce sera un signal pour ce gouvernement : le signal que les travailleurs en ont assez et qu’il doit enfin tenir ses promesses.

Lutte ouvrière, 11 juin 1999

On nous demande notre avis : donnons-le !

Interrogé sur le nombre de suffrages qui, lors du scrutin européen de dimanche prochain, pourraient se porter sur la liste présentée en commun par Lutte ouvrière et la Ligue communiste révolutionnaire, François Hollande, la tête de liste du Parti socialiste, a répondu que ce serait des voix perdues, car il ne fallait voter que pour des gens capables d’occuper des responsabilités gouvernementales. Seulement, quelle politique mènent dons les dirigeants socialistes, si fiers d’être au Gouvernement ? Pour l’essentiel, la même que celle des gouvernements de droite qui les ont précédés, celui de Balladur et celui de Juppé.
Le Gouvernement Jospin a poursuivi la politique de ses prédécesseurs, de cadeaux au patronat, de diminution des charges sociales et de dégrèvements fiscaux, sans que cela crée un emploi de plus. Il n’a pris aucune mesure pour empêcher les licenciements massifs et les suppressions d’emplois, y compris dans les entreprises qui font des bénéfices, et qui suppriment tout de même des emplois. Avec la loi Aubry, il a donné au patronat le moyen d’imposer plus de « flexibilité » aux travailleurs, aux dépens de leur vie professionnelle et familiale, ce qui, loin de se traduire par des embauches, ne peut amener que de nouvelles suppressions d’emplois.
Ce gouvernement a plus privatisé d’entreprises publiques en deux ans que Balladur et Juppé réunis, ce qui ne peut là aussi qu’amener de nouvelles suppressions d’emplois. Il s’en prend aux retraites. Alors, pourquoi faudrait-il que les travailleurs aillent voter pour la liste d’un parti qui ne défend que les intérêts des industriels et des banquiers ?
Robert Hue lui aussi affirme qu’il ne faut pas voter pour la liste présentée par Lutte ouvrière et la Ligue communiste révolutionnaire, parce qu’il ne s’agirait d’après lui que d’un vote « contestataire », inefficace. Il dit qu’il faut voter pour la liste du Parti communiste français, parce que ce serait le meilleur moyen de tirer à gauche la politique du Gouvernement.
Mais quand, depuis deux ans, avons-nous vu les ministres, les députés du Parti communiste tirer à gauche la politique de ce gouvernement ? Ils ont, sur toutes les grandes décisions, soutenues comme un seul homme la politique de Jospin. Le seul travail ministériel que les dirigeants du Parti communiste osent mettre en avant, c’est celui de leur ministre des sports, Marie-George Buffet, contre le dopage. Comme si c’était là le problème essentiel pour les trois millions de chômeurs qu’avouent les statistiques officielles, pour les millions de travailleurs qui survivent avec des salaires bien inférieurs au SMIC, pour tous ceux qui connaissent des conditions de travail, des cadences et des horaires de plus en plus démentiels.
En réalité, le seul geste positif que les travailleurs peuvent faire lors des élections européennes du 13 juin, c’est de montrer leur opposition résolue à la politique menée par le Gouvernement Jospin, en votant pour la liste présenté par Lutte ouvrière et la Ligue communiste révolutionnaire. C’est la seule manière de peser sur la politique du Gouvernement, de la « tirer à gauche » car, s’ils sont nombreux à le faire, cela montrera à Jospin et aux autres dirigeants du Parti socialiste, tout comme aux hommes de la droite, et au patronat, que le mécontentement de la classe ouvrière grandit, que sa colère monte, et qu’ils feraient bien de changer de politique s’ils ne veulent pas connaître une explosion sociale.
Parmi toutes les listes en présence, il n’y en a qu’une dans ces élections qui affirme que, pour lutter contre le chômage, il faut prendre l’argent là où il est, sur les bénéfices accumulés depuis des années sur le dos des travailleurs par toutes les grandes entreprises capitalistes. C’est la liste LO-LCR, que je conduis avec Alain Krivine. Et c’est la liste pour laquelle doivent voter tous ceux qui veulent condamner cette politique, qui fait que les riches sont de plus en plus riches, et les pauvres de plus en plus pauvres.

Lutte ouvrière, 25 juin 1999

Kosovo : les criminels ne sont pas seulement dans le camp des vaincus

La guerre est officiellement finie au Kosovo et en Serbie. Les dirigeants du G8, les huit plus grandes puissances du monde, réunis à Cologne les 19 et 20 juin, ont exprimé, d’après Chirac, leur « satisfaction d’avoir bien travaillé ».
Mais quel est donc le bilan du « bon travail » des 79 jours de bombardement de la Serbie et du Kosovo ? Combien de morts sous les bombes ajoutés à ceux victimes de l’épuration ethnique des bandes armées de Miloševic ? Combien de destructions, en Serbie, mais aussi au Kosovo qu’on a prétendu aider ? Combien de vies brisées ?
Ce sont l’armée et les bandes ultra-nationalistes serbes qui ont commencé à tuer et à incendier. Mais les bombardements de l’OTAN ont achevé le travail en faisant du Kosovo un champ de ruines. Et non seulement ils n’ont pas arrêté l’exode de la population kosovare albanaise, chassée par les ultras serbes, ils l’ont au contraire amplifié.
Aujourd’hui que la guerre est finie, les exilés peuvent commencer à rentrer chez eux. Mais c’est pour trouver leurs maisons incendiées ou effondrées sous les bombes, leur cheptel dévasté. Et pendant que les Bouygues de toutes les grandes puissances se jettent déjà, comme des hyènes, sur les contrats des grands chantiers de reconstruction qui, eux, seront financés par des prêts occidentaux, les réfugiés qui rentrent ne peuvent compter que sur eux-mêmes pour reconstruire une maison, pour rendre habitable un appartement.
Les réfugiés albanais qui rentrent en croisent d’autres sur leur chemin, des Serbes des fois, qui partent vers une Serbie elle aussi dévastée par les bombes. Juste retour des choses, diront les imbéciles, en invoquant les preuves macabres des crimes perpétrés contre les Kosovars albanais. Mais s’il était juste de rendre tout un peuple collectivement coupable de ce qu’on fait l’armée, la police et les bandes armées de l’extrême droite, alors qu’avons-nous à nous dire, ici, pour l’époque où « nos » ultras, « nos » paras, « notre » armée, sous les ordres de « nos » gouvernements, croyaient pouvoir empêcher l’indépendance de l’Algérie, en tuant, en violant, en torturant ?
Ce sont les peuples qui ont payé pour les crimes de Miloševic, même pas son armée. Les observateurs soulignent le bon état de marche de l’armée serbe. Cela ne gêne nullement les grandes puissances, au contraire : cette armée, une des plus puissantes de la région, doit pouvoir servir, comme elle a servi au Kosovo, y compris en cas de besoin contre le peuple serbe lui-même.
Le « bon travail » des bombardiers français, américains, britanniques, etc. a apporté la démonstration que les grandes puissances sont les maîtres de la région. Mais qu’a-t-il apporté aux populations du Kosovo ? Même pas le droit de disposer d’elles-mêmes : au lieu de l’indépendance, le Kosovo restera sous souveraineté serbe, soumis à un protectorat militaire international, et divisé en zones d’occupation.
La paix ? Mais cette paix est une paix armée et précaire. L’intervention occidentale n’avait nullement pour but d’atténuer les haines ethniques, sciemment attisées par Miloševic et l’extrême droite serbe. Elle les a aggravées, favorisant de part et d’autre les ultra-nationalistes.
La prospérité pour les Balkans, comme a osé l’évoquer la réunion du G8 ? Mais si les Balkans sont une des régions les plus pauvres d’Europe, c’est parce qu’ils sont, depuis au moins un siècle, un terrain de pillage pour grandes puissances. De ces grandes puissances qui ont toujours joué les peuples les uns contre les autres, pour mieux les dépouiller tous.
Et comment donc les grandes puissances pourraient-elles assurer la prospérité des peuples dans cette région, alors que nous voyons bien, ici, avec le chômage et la misère qui montent, qu’ils n’assurent pas une vie correcte même à leurs propres classes laborieuses ?
Une guerre est finie, tant mieux, mais il n’y a pas de quoi s’en réjouir vraiment, car dans ce monde dominé par l’impérialisme, leur paix elle-même est porteuse de misères, d’injustices, de haines, et est déjà grosse de la guerre suivante.