Texte intégral
Paris-Match. – Étonné par votre score ?
Jean Saint-Josse. – Pas du tout. J’ai toujours dit qu’on ferait au minimum 1 million de voix, soit à peu près 6 %. On a obtenu davantage mais ce n’est pas grâce aux sondages. Ils nous ont donné 1, 2, 3 points au maximum pendant la campagne. Il y a probablement bien des personnes qui n’ont pas voté pour nous parce qu’elles pensaient leur suffrage perdu. J’en déduis que nous aurions pu faire beaucoup plus. Lorsque je vois la médiatisation dont a bénéficié Arlette Laguiller, digne d’un président de la République, et que j’observe son score après coup, je suis tout à fait consterné.
P.-M. – Comment comptez-vous capitaliser votre résultat ?
J. S.-J. – Je vais me lancer dans un grand tour de France pour remercier tous ceux qui nous ont aidés dans cette campagne et jeter avec eux les bases d’un nouveau mouvement. Nous serons prêts pour la rentrée. Nous avons montré que nous possédions une assise populaire. Nous continuerons à nous battre pour défendre les droits des chasseurs et des pêcheurs face à l’omnipotence de la Commission européenne. Nous mettrons aussi l’accent sur la reconnaissance des identités et l’aménagement du territoire. Pour rappeler encore et encore qu’il y a eu en France, il n’y a pas si longtemps, 80 % de ruraux sur 90 % du territoire et qu’inversement, aujourd’hui, 80 % des Français vivent en ville et s’entassent dans les banlieues. Il est temps d’engager une véritable redynamisation de la vie rurale. Un peuple qui n’a pas de racines est un peuple qui se meurt. En ce qui concerne la construction européenne, il est absurde que plusieurs États puissent imposer à un autre les règlementations dont il ne veut pas. De son côté, la commission décide de tout mais ne connaît rien aux réalités locales. Là aussi, il faut absolument changer de direction.
P.-M. – Pendant la campagne, les chasseurs ont plusieurs fois gêné les meetings des écologistes. Ce n’est pas vraiment une preuve de tolérance…
J. S.-J. – C’est du baratin. De la manipulation. Du mauvais cinéma. Nous n’avions strictement aucune raison de bloquer les réunions publiques des Verts. Plus ils parlaient, plus on avait de voix. Cohn-Bendit est venu chez moi, dans les Pyrénées-Atlantiques et ça s’est très bien passé pour lui, sauf qu’il n’y avait personne dans la salle. À ma connaissance, le seul Vert qui a pris une « poire » pendant la campagne, c’est le ministre des affaires étrangères allemand, Joschka Fischer, et c’est un écologiste qui l’a boxé.
P.-M. – Dominique Voynet reste tout de même votre cible préférée…
J. S.-J. – Elle doit changer de ministère. C’est une personne incompétente, anti-chasse, et dont la loi sur l’aménagement du territoire contribue à vider les campagnes. On ne peut pas être ministre de quelque chose qu’on n’aime pas.
Paris-Match. – Vous avez demandé publiquement, le soir des élections, un rendez-vous à Lionel Jospin. Qu’avez-vous à lui « apprendre sur l’Europe » ?
Daniel Cohn-Bendit. – Nous sommes face à des échéances importantes, à prendre en compte dans une optique européenne. Qu’allons-nous faire à propos du ferroutage par exemple : comment faire passer le transport en camion sur le rail ? Quelle position prendre par rapport aux grands projets européens de développement durable ? Comment démocratiser les institutions qui gèrent le nucléaire ? Il y a des tas d’initiatives à lancer, en prenant modèle sur d’autres pays membres. La régularisation de tous les sans-papiers est au premier rang d’entre elles.
P.-M. – Vous voyez dans le succès des Verts l’émergence d’une troisième gauche. Mais la gauche, partout en Europe, a plutôt perdu du terrain…
D. C.-B. – On déforme les choses. Le Labour britannique a perdu des voix. Mais c’est à cause du changement de mode de scrutin, passé de l’uninominal à la proportionnelle. La non-mobilisation des électeurs de Tony Blair a poussé les conservateurs en avant. En Allemagne, les socialistes n’ont perdu que 1 % par rapport à l’élection précédente, qui marquait déjà, il est vrai, un gros recul. Les Verts, en revanche, ont rétrogradé en Allemagne. Ils ont progressé ailleurs…
P.-M. – Jean-Pierre Chevènement a parlé « d’effet dioxine ». La prise de conscience écologiste en France ne risque-t-elle pas d’être purement conjoncturelle ?
D. C.-B. – C’est un mouvement de fond. Après l’amiante, la vache folle, les poulets fous, les Français veulent savoir ce qu’ils ont dans leur assiette. Ils en ont assez d’avoir peur pour les aliments, donc ils boivent… Au-delà de ses préoccupations sanitaires, il y a une vraie volonté, à gauche, d’un positionnement plus radicalement européen et d’une accélération de la construction de l’Europe.
P.-M. – Des préoccupations européennes et environnementales… C’est votre définition de la troisième gauche ?
D. C.-B. – Cette gauche vient pour une part de l’écologie, pour l’autre d’un réformisme radical, très social, fondé sur le mouvement associatif. Avec les Verts, elle pourrait former une composante de la majorité plurielle, différente des communistes et des socialistes. Plus radicalisée notamment sur le plan social : sur la réduction du temps de travail et l’harmonisation sociale et fiscale.
P.-M. – Entre Francfort, Paris, Bruxelles et Strasbourg, votre emploi du temps de député européen ne va-t-il pas être encore plus bousculé qu’avant ?
D. C.-B. – J’intervenais déjà un peu partout. Ce ne sera pas pire. Dans l’immédiat, je dois travailler à la constitution du groupe à l’assemblée : il faut dès cette semaine élire toutes les instances et développer des stratégies pour l’élection à la présidence du Parlement. D’ici là, j’aurais dormi un peu, chez moi, à Francfort, et vu mon fils.
L’appel de Charles Pasqua « Mon combat n’est pas terminé.
Je le mènerai avec tous les Français quelles que soient Leurs idées politiques »
En votant pour la liste que je conduisais avec Philippe de Villiers aux élections européennes, en plaçant cette liste en tête à la fois des listes « souverainistes », c’est-à-dire celles qui étaient opposées à la construction européenne telle qu’elle se fait, et des listes de l’opposition, les Français nous ont lancé un appel : ils souhaitent clairement que se construise une force politique nouvelle, indépendante, consacrée à la défense de la souveraineté et à la personnalité de la France.
C’est pour cela, en fonction de ce vote et de son importance, que j’ai décidé de créer avec Philippe de Villiers et tous ceux qui le souhaitent le Rassemblement pour la France.
Ce combat en effet n’est pas terminé. Une nouvelle négociation est en train de s’engager entre les Quinze pour réformer les institutions avant que l’Europe ne s’élargisse aux pays de l’Est. Bien sûr, dans l’esprit des gouvernements actuels de l’Europe et de la France, ces négociations consistent modestement à répartir le nombre de voix dont dispose chaque pays au sein du conseil des ministres européens et le nombre de sièges à la Commission de Bruxelles.
Je crois, moi, qu’il faut profiter de ces négociations pour remettre l’Europe d’aplomb. C’est-à-dire rendre aux pouvoirs nationaux, qui sont les seuls démocratiquement élus, la maîtrise de la construction européenne pour l’enlever à la Commission de Bruxelles, dont les limites sont clairement apparues au printemps dernier.
Je crois également que la France doit peser de tout son poids, et d’abord le Président de la République, pour maintenir la règle de l’unanimité dans les domaines essentiels, c’est-à-dire concrètement réaffirmer le droit de veto de chaque nation dès lors qu’elle considère que ses intérêts vitaux sont en jeu.
À cette condition, nous évoluerons vers l’Europe des nations confédérale qui est celle que nous voulons et, semble-t-il, veulent avec nous une majorité de Français. C’est autour de cette idée que doit se constituer la majorité de demain.
Ce combat, je le mènerai avec Philippe de Villiers, avec le RPF, et avec tous les Français qui, quelles que soient leurs idées politiques, nous rejoindront dans ce combat essentiel. C’est cela, la philosophie d’un rassemblement.