Texte intégral
Q - Vous êtes à Ajaccio où le Premier ministre, L. Jospin, a dit ce matin, devant votre Assemblée « que rien ne sera possible en Corse, tant que la société corse dans son ensemble ne condamnera pas la violence ». Peut-il y avoir un consensus en France sur ce préalable ?
– « Écoutez la société corse condamne la violence, la condamne avec force. Rappelons quand même que 40 000 Corses ont défilé après l'odieux assassinat du préfet Érignac l'année dernière. Et je crois que cette condamnation aujourd'hui demeure, l'émotion demeure. Il y a une sensibilité politique, la sensibilité nationaliste qui a été pendant de longues années liée à la clandestinité et qui manifestement a du mal à en sortir. Mais je crois qu'il faut distinguer la société corse du nationalisme et faire la part des choses. Aujourd'hui les Corses ont envie de se reconstruire et je crois que pour se reconstruire il faut, à la fois, normaliser les relations entre Paris et la Corse, entre les gouvernements nationaux et les gouvernements insulaires. Une sorte de respect mutuel. Je crois pouvoir dire qu'aujourd'hui c'est fait à travers ce voyage. Il faut ensuite relancer la machine économique et profiter de la croissance. Comme l'ensemble des Français, la Corse veut vivre à l'heure de la croissance et du développement et de l'emploi. Et puis reste enfin l'organisation territoriale qui, dans une île, dans toutes les îles de Méditerranée, peut être différente de l'organisation uniforme de l'ensemble du pays. »
Q - Selon vous, le Premier ministre a répondu à l'attente née dans l'île de sa venue ?
– « Je crois qu'il ne peut y aller que par touches successives. Et aujourd'hui il fallait qu'il soit, à la fois, entendu par l'opinion nationale ce qui est un exercice difficile – et par l'opinion corse. Et je crois qu'il essaye de faire avancer une synthèse et nous aussi. Car on veut être compris par l'ensemble des Français ; on ne veut pas voir se perpétuer la fracture qui s'est creusée entre l'opinion nationale et l'opinion corse. Il y a aujourd'hui plus de 40 % de Français qui disent : si les Corses veulent leur indépendance, qu'ils la prennent ! Et vous ne trouvez pas en Corse 8 à 9 % de Corses qui disent on veut être indépendants. C'est vous dire l'écart qui existe. »
Q - Mais parler aux Français et aux Corses – qui sont aussi Français – c'est aussi votre mission à vous, J. Rossi ? Vous avez été ministre de la République, vous êtes président du groupe DL à l'Assemblée nationale, comment justifiez-vous, en tant qu'ancien ministre de la République, votre attitude dans l'île à l'égard de Corsica-nazione ?
– « Mais mon attitude dans l'île est exactement la même qu'à Paris. Je tiens le même discours en Corse et à Paris. Je l'ai tenu aujourd'hui face aux médias nationaux et je ne tiens pas un autre discours à Paris. Nous souhaitons sortir de la violence, nous la condamnons avec fermeté. Nous ne pouvons pas parler à la place de M. Talamoni. Mais M. Talamoni il se trouve qu'il y a 17 % de Corses qui ont voté pour lui, j'aurais préféré qu'il y en ait moins parce qu'il défend des thèses indépendantistes. M. Talamoni n'a pas voté pour moi à la présidence de l'Assemblée, il ne vote pas les budgets que je présente avec l'exécutif. Simplement c'est la première force d'opposition à l'exécutif et au président de l'Assemblée de Corse, et je respecte les oppositions. Je préfère des nationalistes qui sont en désaccord avec moi à l'Assemblée que des nationalistes qui mettent des bombes, ce que je condamne fermement. »
Q - Vous lui avez permis à M. Talamoni d'être président de commission dans votre Assemblée et il se refuse aujourd'hui à condamner les assassins du préfet Érignac !
– « Non, l'Assemblée est une Assemblée où toutes les sensibilités politiques sont représentées, et la majorité régionale – et pas moi à titre personnel, la majorité toute entière – a considéré que les responsables de l'opposition, les nationalistes d'un côté et la gauche plurielle, avaient vocation non pas à participer à la gestion mais à animer le débat. Et animer une commission c'est contribuer à animer le débat. Et c'est en parlant, comme on a commencé à le faire aujourd'hui – et comme l'a fait d'ailleurs le Premier ministre, en dialoguant puissamment et abondamment avec M. Talamoni, et en lui consacrant d'ailleurs un temps d'écoute plus important peut-être qu'à l'égard des autres groupes, et il a bien fait – eh bien c'est ce que nous faisons à l'Assemblée de Corse au quotidien. C'est pas une chose facile. »
Q - Ce partenaire de travail vient encore hier, par la presse, de dire qu'il ne conseillait pas au tueur présumé de se rendre à la police…
– « Ça c'est le travail de M. Chevènement, si j'ose dire, M. Chevènement a fait des déclarations péremptoires souvent sur le dossier corse. Il sera jugé lui aussi à des résultats en matière d'ordre public et de sécurité. »
Q - C'est pas votre problème aussi que le tueur présumé de C. Érignac soit dans la nature en Corse ?
– « Mon problème c'est celui de l'ensemble de la collectivité nationale et donc le mien. Mais je souhaite, moi, que les assassins soient recherchés, punis et condamnés, par la justice. »
Q - L'avenir : doit-on comprendre que vous êtes devenu progressivement autonomiste ?
– « Absolument pas. Le problème ne se pose pas comme cela. L'autonomie ou « la décentralisation avancés ». Le mot « autonomie » je n'y suis pas attaché plus qu'un autre mot, et, d'ailleurs les nationalistes eux-mêmes le réfutent en disant que le mot « autonomie », ceux qui siègent à l'Assemblée en tout cas, est un mot qui a une consonance trop politique. Un statut, donnant plus de responsabilités à la Corse doit aboutir à un apaisement des relations entre le pouvoir central et la Corse, à une organisation efficace du pouvoir insulaire parce qu'on est dans une île qui a des problèmes très particuliers, et surtout, le statut ne peut pas être la propriété d'un parti – ni la mienne, ni celle des autonomistes ou des nationalistes, ni celle de la droite ou de la gauche. C'est pour ça qu'une évolution statutaire se ne fera le moment venu, que s'il y a une majorité de la droite qui est pour, une majorité de la gauche est pour, et une majorité des nationalistes qui sont pour. Ce n'est pas encore le cas aujourd'hui. Et de toutes façons comme M. Jospin a manifestement renvoyé ce dossier après les élections présidentielles, car il a suffisamment de problèmes pour ne pas en créer d'autres pendant cette période sensible, je crois qu'il a fait preuve d'une certaine lucidité. Mais le débat est ouvert chez nous, et il se poursuivra dans les mois et les années à venir. »
Q - Veillerez-vous, là où vous êtes, à ce que les paillotes illégales soient détruites conformément à l'État de droit ?
– « Pour les paillotes nous n'avons jamais demandé ce qu'elles ne soient pas détruites. Nous avons demandé simplement un sursis de six mois pour que les professionnels qui emploient 20, 30 ou 40 personnes puissent travailler, pendant l'été. Et nous sommes pour l'exécution des décisions de justice mais par les voies normales et non pas par celle qu'avait choisie le préfet Bonnet en mettant le feu lui-même par ses hommes interposés, à ces paillotes. »
Q - Craignez-vous un retour de la violence en Corse dans les semaines ou les mois qui viennent ?
– « Je ne sais pas. Nous vivons en Corse depuis 30 ans dans une situation de calme, d'apaisement et de violence. Je ne sens pas les choses en ce moment dans une période un peu plate. Et de ce point de vue-là, le ministre de l'Intérieur a sans doute plus d'informations que moi. Le problème corse n'est pas réglé hélas ! S'il l'était, je crois que nous n'aurions pas cette discussion aujourd'hui. »