Texte intégral
Q - Un rapport commandé par le ministère de l'Agriculture conclut qu'il y a en France 600 à 700 exploitations de poulets en trop, qu'il faut les supprimer. Est-ce que ça veut dire qu'après le porc, les choux-fleurs, les fruits et légumes, le lait, il faut s'attendre maintenant à une crise du poulet ?
— « Il est bien difficile dans ce pays d'avoir une adéquation complète entre la production et la consommation, c'est le propre de l'agriculture. L'aviculture a connu un développement très fort lorsqu'il y a eu la crise de la vache folle. Et, aujourd'hui, il faut réajuster les choses ceci étant accentué par les difficultés que nous avons eues sur l'exportation. Alors s'il faut faire de la restructuration, nous devons faire en sorte que les agriculteurs qui veulent vivre de ce métier puissent continuer encore à le faire. Dans le cadre de préretraites, il y aura sans doute des ajustements à faire. Je crois qu'il ne faut pas non plus aller trop vite car il faut faire attention aux coups de balancier. »
Q - Ca veut dire que vous allez négocier avec le Gouvernement un système d'indemnités, par exemple, pour les éleveurs qui accepteraient d'arrêter leur exploitation ?
— « Bien sûr. C'est ce que nous allons étudier. C'est comme dans tous les secteurs : lorsqu'il y a une inadéquation entre l'offre et le demande qui peut-être temporaire ou durable, il faut pouvoir faire des réajustements parce que si le marché ne peut pas absorber complètement la production, il faut voir tous les aspects d'exportation et de nouveaux marchés sur le territoire français et européen et sans doute ajuster à partir de ça. »
Q - Vous parlez d'un décalage entre l'offre et la demande, mais finalement n'est-ce pas votre rôle, en tant qu'organisation syndicale la plus puissante dans le secteur, d'organiser les filières pour éviter cette surproduction ?
— « C'est ce que nous faisons, mais le marché parfois est plus rapide ou plus incertain puisque nous avons connu d'une part des difficultés sur l'exportation avec la Russie ; nous avons aussi connu le problème de la dioxine avec une consommation qui a légèrement baissé au niveau européen et un mouvement ascendant depuis maintenant une dizaine d'années sur la consommation qui n'avait cessé d'augmenter. Donc, les mise en production — lorsque l'agriculteur avec son entreprise décide de mettre en production — c'est quelquefois un an et demi-deux ans avant qu'il vende ses premiers poulets. C'est très difficile. Nous, nous essayons d'organiser cela au mieux, mais malheureusement il y a, à certains moments, des conjonctures qui sont plus difficiles. »
Q - Que dites-vous aujourd'hui à un jeune qui décide de s'installer, d'ouvrir un élevage de poulets ?
— « Aujourd'hui, certaines personnes de l'extérieur seraient surprises de voir encore des ateliers de poulets se mettre en place. Ce sont des décisions qui ont sans doute été prises il y a un an et demi-deux ans et on ne peut pas comme ça, du fait de l'investissement, arrêter d'un seul coup cette mise en production. Par contre, il va falloir faire une petite pause dans l'installation pendant un certain temps dans le cadre de ces productions. Il faut sans doute chercher de nouveaux débouchés et ajuster, mais dans l'immédiat il est plus prudent de ralentir ou d'arrêter complètement les nouvelles constructions. D'ailleurs, on ne comprendrait pas que dans le même temps on arrête des productions et qu'on en construise de nouvelles. N'oublions pas que notre métier a aussi besoin d'être renouvelé et que malgré les difficultés du marché, il faut toujours avoir un volant de modernisation parce que si les outils vieillissent trop rapidement, c'est demain la compétitivité de toute la filière qui peut être remise en cause. »
Q - Vous parliez des difficultés à l'exportation liées notamment à la crise de la dioxine. Il y a une autre affaire sur le plan sanitaire qui vient d'éclater puisque les Allemands dans un premier temps et maintenant les Anglais se méfient du poulet français qui serait nourri avec des farines mélangées à des boues provenant de stations d'épuration. Là, on tombe de haut ! Est-ce vrai que nos poulets sont nourris avec les boues de stations d'épuration ?
— « Non. Il faut arrêter ce qui est dit là-dessus. Je ne peux pas contester aujourd'hui parce que je n'ai pas les preuves qu'il y ait ici ou là quelques fraudeurs. D'ailleurs, une enquête au niveau européen a été engagée là-dessus et la vérité est pour ainsi dire faite : il n'y a pas de mise dans l'alimentation de produits tels que ceux qui ont été évoqués. Tous les produits qui y ont été mis étaient des produits sains. Peut-être y a-t-il eu ici quelques malfaisants. Nous l'avions déjà dénoncé et demandé l'enquête. Il semblerait que l'enquête ait montré qu'il n'y a pas de problème. Alors j'espère que, du côté des Allemands et des Anglais, ce ne sont pas des rétorsions de mesures commerciales. »
Q - Vous pensez que ça peut être une revanche après la vache folle, après le poulet à la dioxine ?
— « Aujourd'hui tout le monde fait de plus en plus d'analyse et le consommateur a raison d'être exigeant pour demander la traçabilité du produit, la connaissance de toute l'alimentation. C'est ce qui a été fait. Comme on l'a dit depuis de nombreux mois, nous avons en France et en Europe sans doute l'alimentation la plus saine et la plus contrôlée. Alors évidemment plus on fait de contrôles, plus on a de chance de trouver ici ou là quelques aspects de malversation. Si on les trouve c'est signe qu'il y a beaucoup de contrôles. Je dois dire aux consommateurs aujourd'hui : “N'ayez pas peur, car globalement la production française et européenne est sans doute, en matière sanitaire, la plus sûre du monde“. »
Q - Vous craignez tout de même les effets psychologiques que peut avoir sur le grand public la succession de tous ces scandales alimentaires ? C'est un peu le travail des producteurs qui est en cause, là ?
— « Tout à fait, car évidemment le consommateur aujourd'hui a devant lui l'étal de toutes les productions. Alors si, demain, il y a un petit doute — qu'il soit réel ou médiatisé — sur tel ou tel produit, il a tendance à se retourner vers un autre produit. C'est comme ça, qu'au moment où nous avons eu la vache folle, les consommateurs se sont tournés vers la volaille très rapidement. Aujourd'hui, un petit peu de problème sur la volaille et on se tourne vers le porc ! Donc, concernant l'organisation des marchés, vous comprenez que c'est quand même très difficile de jouer le Yo-Yo comme cela. C'est vrai que le consommateur a besoin d'être rassuré et ça peut avoir des conséquences importantes. C'est pourquoi nous devons communiquer en permanence sur la traçabilité de nos produits, c'est-à-dire permettre au consommateur où qu'il soit et quand il le veut, de pouvoir remonter la filière pour savoir d'où vient son aliment et comment il a été produit. C'est ça la sécurité et la communication qui est indispensable, toutes productions confondues pour demain. »
Q - La surproduction et la mauvaise organisation des marchés touchent la filière fruits et légumes avec comme conséquence ce double étiquetage qui se met lentement en place. Vous croyez en son efficacité ?
— « Il faut être clair, nous ne sommes encore à croire au Père Noël et à dire que, parce que l'on va faire le double étiquetage, tout va être réglé. Mais, dans ce pays, on demande de plus en plus de transparence pour la qualité des produits. Nous, nous disons : “Banco pour la transparence de la qualité des produits, mais banco aussi pour la transparence au niveau des prix !“ Alors, on nous dit : “Ce n'est pas facile de mettre deux prix : celui de la production et celui de la consommation.” Mais, si cela gêne quelques personnes ici ou là, c'est sans doute que tout le monde ne veut pas dire la vérité. Et, le consommateur, contrairement à ce que j'ai pu entendre dire — “ce n'est pas son problème !“ —, eh bien si ! C'est son problème à moyen et long terme. Parce que si tous les éléments de la filière — le producteur, le transformateur, le distributeur et le consommateur — ne retrouvent pas la vérité du marché, demain il y aura des morceaux de filières qui périront — par exemple la production —, et à ce moment-là, le consommateur n'aura plus cette sécurité de proximité, même si elle est géographiquement à l'intérieur de la France, qui lui permet d'avoir la sécurité alimentaire. Cela concerne tout le monde. »
Q - Cette mesure inédite, qui peut finalement passer pour un gadget, est-ce que ce n'est pas un geste du Gouvernement qui aurait voulu marquer une solidarité avec les producteurs, tout en reconnaissant qu'il ne peut pas faire grand-chose ?
— « Si c'est la loi qui est un gadget, je ne suis pas d'accord, puisque c'est la loi qui nous permet de le faire en période de crise ! J'entends bien demander à M. Glavany qui a eu le courage de mettre en place…— et là, je le félicite d'avoir écouté la production et le travail qui a été réalisé ; c'est une mesure courageuse du ministère de l'Agriculture — j'entends bien discuter avec lui pour savoir comment on organise pour élargir cette mesure plutôt que de la restreindre uniquement aux fruits et légumes. Nous avons besoin de vérité. Aujourd'hui, les producteurs sont complètement enserrés avec la pression énorme, incroyable, que représente la grande distribution, plus particulièrement sur les vendeurs de produits que nous sommes ou les transformateurs. Il est temps que chacun sache exactement comment se constitue un prix d'un bout à l'autre de la filière. On va me dire : “il y a un peu de déchet, il y a le transport…“, OK ! Qu'il y ait des marges, ce n'est pas ce que nous remettons en cause ; mais, quand un producteur voit dans sa propre région ses fruits et légumes multipliés par trois ou par quatre du jour au lendemain, il y a quand même des questions à se poser. »
Q - Vous mettez régulièrement en cause la grande distribution. Cela vous inquiète, l'apparition de ces mégacentrales d'achat qui sont en train de se créer entre eux ? Hier, des producteurs de lait ont manifesté.
— « Nous avons besoin de la grande distribution pour avoir cette relation avec les consommateurs. Ce sont eux qui nous vendent une grande partie de nos produits. »
Q - C'est aussi ce qui permet aux consommateurs d'avoir des prix bas.
— « Des prix bas. Mais, à serrer trop fort, le consommateur risque de ne plus s'y retrouver demain. Il est vrai qu'aujourd'hui lorsque nous avons plus cinq-six grands groupes d'achat, les entreprises sont complètement dépendantes de bon vouloir de la grande distribution. C'est plutôt le fait de la concentration trop forte qui nous pose problème. Je le dis clairement : ce n'est pas un problème agricole, c'est un véritable problème de société. Si, demain, nous n'avons plus que deux ou trois méga-entreprises françaises, européennes ou internationales, où se prendront les décisions d'orienter telle ou telle production ? Avec une telle puissance, pourquoi demain la grande distribution ne ferait-elle pas toute la politique au niveau d'un pays ? C'est un vrai débat de société qu'il nous faut avoir. Il n'est pas question de remettre en cause la distribution. C'est plus ses méthodes et sa superconcentration qu'il faudra mettre en cause. »
Q - Est-ce que vous souhaitez des états-généraux de l'agriculture où les producteurs seraient réunis mais également la grande distribution, les intermédiaires ?
— « Je dirais plutôt des états-généraux de l'alimentation, car cela ne concerne pas uniquement les producteurs ou les consommateurs, mais cela concerne toute la filière. Je crois que nous n'y échapperons pas. Nous avions eu l'occasion d'en discuter avec Mme Lebranchu, le Secrétaire d'Etat à l'Alimentation : il est impératif que dans les semaines et les mois qui viennent il y ait un véritable débat, des états-généraux si l'on peut dire, pour voir vraiment l'avenir. Parce que, faire de la politique à la petite semaine — on fait la pression sur les prix, après il y a une crise, le Gouvernement doit intervenir — ce n'est pas comme cela que l'on peut concevoir une véritable profession agricole ou de distribution qui puisse tenir longtemps. »
Q - Comment sentez-vous vos troupes ? Les agriculteurs, vous les sentez vraiment en colère ? Vous pensez qu'il peut y avoir une explosion pour la rentrée ?
— « J'avais dit, dès le mois de juin, que la rentrée serait chaude. Le ministre même, me narguant un peu, avait dit : “M. Guyau est un bon prévisionniste, il fait chaud cet été.” Je me suis aperçu, contrairement à ce que j'avais pensé, que ce n'est pas dès l'automne que cela va être chaud, c'est déjà dès aujourd'hui. Quand vous mettez la volaille, le porc, le lait, les fruits et légumes, sans oublier l'application de la réforme de la Politique agricole commune qui n'est pas encore tout à fait bien établie en particulier sur certaines productions qui ont de graves difficultés après les négociations européennes, tous les ingrédients pour avoir une rentrée plutôt chaude — mais tout dépend de la réactivité du Gouvernement et du ministre de l'Agriculture — sont établis. C'est ce que nous verrons dans notre conseil national de rentrée, dès le 9 septembre. »