Interviews de M. Louis Mermaz, ministre chargé des relations avec le Parlement, porte-parole du gouvernement et membre du PS, à France-Inter le 2, Europe 1 le 16 et RTL le 24 décembre 1992, sur la réforme de la PAC, le bilan de la législature, les élections législatives et les conflits en Somalie et Bosnie.

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Média : France Inter - Europe 1 - RTL

Texte intégral

Q. : Vous étiez ministre de l'agriculture quand a été conclue la réforme de la PAC. L'opposition vous reproche d'avoir accepté des sacrifices sans garantie sur le GATT. Avec le recul, la France s'est faite piéger ?

R. : Absolument pas. La réforme de la PAC c'est le meilleur argument que nous ayons aujourd'hui pour en appeler à la solidarité européenne. Avec les jours qui passent, les ministres de l'agriculture et les gouvernements européens notent qu'ils sont tous concernés. La manifestation de Strasbourg va certainement les conforter dans ce sentiment. Italiens, Belges, Espagnols et d'autres qui vont venir disent "il ne faut pas accepter un accord agricole séparé des autres dossiers très importants. Mais il ne faut pas non plus que l'accord de Washington entre en contradiction avec la réforme de la PAC." Je me souviens très bien aussi que le fameux mandat communautaire du 6 novembre 90 que nous avons arraché à Luxembourg – et dont je suis l'auteur principal – est la meilleure protection que nous puissions opposer aux prétentions des USA. Cet accord, conforme à ce que nous avons fait ensuite, s'oppose, par exemple, aux limitations de volumes exportés, à une introduction automatique produit par produit de contingents américains, au fait que les USA continueraient de nous vendre des aliments et du bétail sans droits de douane.

Q. : Si vous n'aviez pas mis le doigt dans l'engrenage, est-ce que la menace du veto de la France ne serait pas plus crédible ?

R. : Non, car la réforme de la PAC c'est une affaire entre Européens. C'est une nouvelle conception de l'occupation de notre espace. La réforme de la PAC, c'est quelque chose qui est susceptible de bouger. Dans les semaines qui ont suivi, il y a eu des mesures d'accompagnement communautaires et nationales. C'est une excellente réforme. Je me félicite de ce que le gouvernement à partir de ces deux môles de résistance – le mandat communautaire du 6 novembre 90, et la réforme – nous permettent aujourd'hui de dire que l'on veut un accord équilibré.

Q. : S'agissant de la réforme de la Constitution, l'opposition traîne les pieds en parlant de "piège", de "jeu pour la cohabitation." L'intergroupe RPR/UDF à l'Assemblée nationale ne veut pas participer au Comité consultatif. Le gouvernement de l'y inviter ?

R. : Le Président de la République s'apprête à proposer la mise en place d'un Comité consultatif pour que le maximum d'esprits compétents et de bonnes volontés puissent se saisir de ces propositions. Il faut aller au-delà du circonstanciel – car il y a assez longtemps que l'on dit qu'il faut davantage rééquilibrer les pouvoirs, donner plus de pouvoir, d'aisance à la vie parlementaire – pour que l'on soit capable de se réjouir que cela se fasse.

Q. : C'est un appel à d'éventuelles personnalités de l'opposition pour donner leur avis ?

R. : C'est le Président qui décidera. Il faut s'attacher plus au fond qu'à la forme. Ce sont des idées qui vont vivre : lorsque l'on dit qu'il ne faut pas abuser du 49.2, qu'il faut que les parlementaires puissent se saisir de propositions de loi, qu'ils aient plus d'initiative dans la fabrication de la loi, ce sont des idées qui vont tout à fait dans le bon sens.

Q. : N'est-ce pas une réforme qui est mort-née ?

R. : Non. C'est une réforme qui commence, qui évoluera selon les circonstances. Des idées sont sur la table, et c'est à l'opposition et à l'ensemble des Français, de se saisir de ce dossier. C'est un grand débat qui s'ouvre sur l'évolution de nos institutions.

Q. : Ce n'est pas un enjeu pour la cohabitation ?

R. : La cohabitation, on verra, on n'y est pas encore. Si l'opposition a un comportement de refus – comme elle a refusé la solidarité au gouvernement dans les négociations du GATT – si elle refuse d'entrer dans la modernisation de nos institutions, je ne suis pas certain que cela va améliorer ses actions auprès des électeurs dans les semaines prochaines.

Q. : Vous lancez, en fin de semaine, avec R. DUMAS les "Rencontres pour demain". N'est-ce pas une sorte de présence et action du mitterrandisme ?

R. : Nous souhaitons mélanger les générations pour appeler nos concitoyens, s'ils le veulent, à s'unir autour du Président, autour du gouvernement pour défendre les réformes et les acquis, pour démontrer que l'opposition s'est opposée à toutes les réformes importantes depuis 12 ans. Je ne connais pas de réforme importante sur laquelle l'opposition n'ait pas voté non. Quand il se disent aujourd'hui réformistes, on peut se poser des questions. IL faut faire cette démonstration. Il faut ouvrir des perspectives aux Français : beaucoup de choses ont été faites depuis 12 ans, la France a changé. Elle est plus vraie, elle est plus forte. C'est ce bilan qu'il faut tirer. IL faut prendre conscience de la stature internationale de la France. C'est un message déterminé et vigoureux que nous voulons délivrer.

Q. : Pourquoi le Président donne-t-il à ce point l'impression de vouloir se détacher du PS ? Le PS serait-il devenu un boulet ?

R. : Le Président a une fonction qui le met au-dessus des partis, même s'il a toujours des sentiments et des aspirations socialistes. Son rôle est de rassembler sur des thèmes et des lignes de force. Le PS en fait partie. Mais il y a aussi d'autres forces de progrès qui sont dans la majorité présidentielle et qui seront là demain pour témoigner et se battre dans le cadre des prochaines élections.

Q. : Vous formez la garde prétorienne ?

R. : Non, des militants parmi d'autres. Des hommes qui assumait certaines responsabilités ces 12 dernières années, vont se réunir pour lancer un appel dynamique. P. BÉRÉGOVOY se rendra à ces rencontres.

 

16 décembre 1992
Europe 1

Q. : Cette campagne va ressusciter la confrontation directe droite-gauche ?

R. : L'alternance se fait forcément entre une droite et une gauche. Lorsque l'opposition propose de remettre en cause le système de sécurité sociale ou le système scolaire, il y a une menace pour l'équilibre de la société française, donc il faut bien crier gare à temps.

Q. : Vous allez proposer "l'alliance des Français pour le progrès", c'est une nouvelle astuce ?

R. : C'est une formule moderne qui doit, autour du PS, réunir d'autres associés, des radicaux, des démocrates, des hommes et des femmes qui assument le changement et se disent qu'en les circonstances internationales actuelles on ne change pas une société en l'espace de dix ans ; que beaucoup de choses ont été faites et risquent d'être menacées par un retour de la droite au pouvoir.

Q. : Les écologistes sont déjà prêts, selon B. LALONDE, à cohabiter avec M. BALLADUR par exemple ?

R. : C'est une déclaration d'un écologiste, mais l'électorat écologiste est plutôt entraîné vers la gauche. Le problème pour nous est de jeter un pont avec les écologistes, et cela se fera plus facilement au soir des élections du premier tour. Ce sera l'heure de vérité.

Q. : Vous avez un peu honte du PS ?

R. : Le PS reste la force principale de la gauche, l'axe central le plus important de la majorité présidentielle.

Q. : Vous êtes porte-parole du gouvernement, pouvez-vous me dire quelle est la mission des soldats Français qui sont en Somalie ?

R. : La mission des soldats Français qui agissent sur un mandat de l'ONU, c'est d'être fidèle à ce mandat de l'ONU et c'est M. BOUTROS-GHALI qui a demandé que les moyens soient employés pour neutraliser les bandes armées, donc les Français sont fidèles à cela.

Q. : Donc la finalité de la mission est humanitaire avec tout de même la responsabilité de confisquer les armes des bandes ?

R. : Évidemment, faute de quoi la mission humanitaire ne pourrait pas s'accomplir.

Q. : Si les Américains ne participent pas à une intervention militaire en Bosnie, les Européens doivent-ils y aller tout seuls ?

R. : L'intervention n'est efficace que s'il y a une décision de l'ONU qui entraîne tout le monde. Les Français ont eu l'initiative des couloirs humanitaires, donc protection militaire. La France a demandé et a été suivie par la Communauté européenne au sommet d’Édimbourg lorsqu'elle a voulu qu'il y ait un contrôle de l'espace aérien bosniaque. C'est conforme aussi à la dernière résolution du conseil de sécurité.

Q. : Donc on s'achemine cet hiver vers la menace d'une intervention militaire ou peut-être une intervention directe ?

R. : Une intervention à déterminer entre les pays membres du conseil de sécurité. La France y participera à partir du moment où se sera dans le cadre d'une décision du conseil de sécurité. En tenant compte du fait que la situation est particulière, avec une extraordinaire imbrication des populations et que, pour aider, il ne faut pas ajouter au massacre un autre massacre.

Q. : Ne regrettez-vous·pas d'avoir négocié comme vous l'avez fait la réforme de la PAC ?

R. : Il y a encore à progresser dans la compréhension de la réforme de la PAC, mais c'est justement avec cette réforme qu'aujourd'hui nous pouvons nous opposer aux prétentions excessives des Américains. Nous avons fait ce qu'il fallait pour qu'il y ait une solidarité européenne, et j'ai toujours dit que l'accord doit être global et équilibré, qu'il ne faut, pas sacrifier les intérêts agricoles.

Q. : Dans trois mois et demi vous n'aurez probablement plus la majorité, n'avez-vous pas le sentiment de vivre la fin d'un beau rêve ?

R. : Absolument pas, les élections sont devant nous. Nous allons nous battre avec détermination, et dans les trois mois à venir, il peut se passer beaucoup de choses. Quand je vois l'absence de programme de l'opposition, ses divisions qui vont chaque jour s'aggravant, je me dis que si les socialistes ont confiance en eux, ils peuvent changer beaucoup de choses.

 

24 décembre 1992
RTL

Q. : Le Parlement s'est séparé hier, vous êtes presque un ministre au chômage ?

R. : Non, car il y a toute l'action gouvernementale et la mise en œuvre maintenant des décisions du Parlement que je vais devoir, avec mes collègues, expliquer.

Q. : Quel bilan tirez-vous de cette législature ?

R. : C'est une législature qui, sur le plan économique, enregistre de bons résultats, puisque la France est un des pays qui a les meilleurs indices économiques, la force de la monnaie, une balance commerciale équilibrée, donc certainement une puissance économique. Il y a aussi le problème du chômage et tous les problèmes sociaux. Je crois que cette dernière session parlementaire a été consacrée à l'action sociale. Exemples entre autres : l'instauration d'un fonds de solidarité vieillesse et d'une allocation d'autonomie-dépendance qui ne prendra effet qu'à partir de 1994. Il y a aussi des dispositions qui sont définitives : désormais, le temps partiel sera possible dans les entreprises. À un moment où certaines entreprises, même publiques, déclenchent des vagues de licenciements que je n'approuve pas du tout, désormais pour licencier, il faudra demander une autorisation à l'inspection du travail. Il faudra mettre place un plan social de reclassement des salariés.

Q. : Les patrons ne sont pas très contents…

R. : Mais ils doivent aussi se préoccuper de l'aspect social de la gestion. Il n'y a pas d'entreprises sans les salariés. À noter dans les mesures sociales, le plafonnement des taxes d'habitation qui auront un effet bénéfique pour ceux qui sont locataires de logements sociaux. C'est dans loi de Finances 93.

Q. : Les élections législatives sont en mars et on ne prête pas au PS un grand grand succès électoral… Qui va mener la campagne ?

R. : Elle sera menée par le Premier ministre qui prendra la tête d'une coalition. L'élément important dans cette coalition sera le PS qui sera mobilisé par L. FABIUS.

Q. : Comment pouvez-vous remonter le courant ?

R. : Je crois qu'il va y avoir une prise de conscience. Les socialistes sont attaqués de toutes parts, il y a un climat ambiant qui leur fait porter la responsabilité de ce qui ne va pas mais on ne les crédite pas de ce qui va. Il faut donc défendre ce qui a été fait, les réformes, et il faut surtout se projeter vers l'avenir. Dans une période de crise universelle, c'est certainement cette alliance des Français pour le progrès qui va rassembler toutes les forces tournées vers l'avenir. Le fait que nous ayons une situation économique assainie c'est un atout pour la période qui va venir, tout le monde le sait.

Q. : Est-ce que B. TAPIE va entrer au gouvernement entrer au gouvernement ?

R. : P. BÉRÉGOVOY tient une conférence de presse ce matin, la question lui sera certainement posée. C'est une chose qui semble envisagée si j'en juge par les déclarations de TAPIE qui a rencontré P. BÉRÉGOVOY. Attendons et nous saurons.

Q. : Faut-il intervenir militairement dans l'ex-Yougoslavie ?

R. : C'est la France qui finalement a fait triompher le droit d'ingérence auprès de l'ONU. Comme le Président de la République l'a annoncé, il y aura des missions dont l'une confiée à Mme Veil, qui vont partir en direction des camps de détention où se passent des atrocités et la force militaire qui sera présente pour permettre aux observateurs de l'ONU de se rendre dans les camps et dans les lieux de détention. Mais on s'achemine aussi vers un contrôle de l'espace aérien, afin que les avions serbes qui continuent de violer l'espace aérien bosniaque soient interceptés suivant la décision du Conseil de sécurité. Il faut que les agresseurs comprennent que le monde ne supporte plus cette situation.

Q. : L'Armée française est présente en ex-Yougoslavie, en Somalie, au Cambodge : ça ne fait pas un peu trop ?

R. : La France fait le maximum et nous devons avoir une pensée pour nos soldats qui, sur de très nombreux territoires, sont présents. Ils sont là pour l'aide humanitaire en Somalie, en Bosnie, au Cambodge où ils font de l'alphabétisation dans des conditions difficiles.