Interview de M. Philippe de Villiers, président du Mouvement pour la France, dans "Le Figaro" le 9 juin 1999, sur son refus d'une Europe fédérale et du primat accordé à l'économie dans la construction européenne, sa campagne électorale avec Charles Pasqua pour les élections européennes.

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LE FIGARO. - En dépit de tous vos efforts, la campagne ne passionne pas les foules. Le débat sur l'Europe et la nation est-il définitivement dépassé ?

Philippe de VILLIERS. - Tout a été fait pour qu'il n'y ait pas de campagne. Les appareils politiques d'une part, les grands médias d'autre part ont voulu éviter toute mise en cause de la pensée unique. La France est aujourd'hui dominée par un système de partis qui n'est plus au service de la France et des Français, et par une nomenklatura qui est la même à Paris, Bruxelles ou Francfort. Elle ne nous écoute plus, n'entend plus les Français, et rompt un à un tous les attachements vitaux.

LE FIGARO. - Quelles leçons tirez-vous de la guerre du Kosovo ?

- Les Etats-Unis ont réussi leur opération : creuser un fossé à la place du mur qui sépare les deux Europe, l'Europe de l'Ouest de l'Europe de l'Est ; et imposer l'Otan comme leur outil de contrôle politique et militaire de l'Europe.

LE FIGARO. - Votre hostilité à cette Europe telle qu'elle se construit n'est-elle pas le voile commode d'un refus viscéral de l'Europe tout court ?

- Bien sûr que non. C'est l'inverse. Nous sommes au coeur d'un paradoxe qui s'est affirmé avec éclat pendant le conflit du Kosovo : les euro, béats, qui prétendaient donner à l'Europe un statut de puissance indépendante, ont précipité l'Europe dans les bras des Américains. Au contraire, ceux qu'on qualifiait d'eurosceptiques apparaissent comme les ultimes défenseurs d'une Europe indépendante qui s'appuie sur les nations.

LE FIGARO. - Votre paradoxe n'est-il pas de vouloir l'indépendance par rapport aux Etats-Unis, sans vous donner les moyens de la puissance fédérale européenne ?

- Il n'y a pas de nation européenne, pas de peuple européen. L'Europe tire sa force de la diversité des nations qui la composent. L'Europe que nous voulons promouvoir avec Charles Pasqua est celle de l'avenir. Notre époque vit en effet la fin des blocs, la désagrégation des empires, la disparition des fédérations artificielles. D'autre part, l'Europe connaît désormais l'urgence de l'élargissement, la réunion tant attendue de tout le continent européen. Or, pour construire une Europe à 20, 30 ou 35 pays, l'objectif ne peut plus être le super-Etat fédéral et monolithique, et la méthode pour y parvenir ne peut plus être celle de Jean Monnet de l'union par l'intégration économique. Il nous faut donc changer d'Europe, changer de dimension, d'architecture, et de vocation : passer de l'Euroland à l'Europe continentale ; passer de la fédération à la confédération ; passer du primat du monétaire à celui du politique. Notre Europe sera celle de la proximité, de la protection, de la coopération. C'est une folie totalitaire que de vouloir faire entrer l'Europe dans une ère post-démocratique, post-nationale, post-morale. C'est pourtant le projet de l'euro-fédéralisme.

LE FIGARO. - Il y a huit ans, vous condamniez de même le traité de Maastricht et la monnaie unique, que vous accusiez d'être un super-mark. Or l'euro faible d'aujourd'hui qui favorise les exportateurs européens ne nous empêche pas d'avoir des taux d'intérêt très bas. Un miracle à l'américaine ?

- L'euro est un échec. Sa faiblesse signifie que les investisseurs n'ont pas confiance, que la prospérité ne revient pas en Europe. On constate que les divergences de croissance entre pays européens vont tirer l'euro à hue et à dia. On découvre, mais un peu tard, qu'il n'y a pas en Europe les conditions de base de réalisation d'une monnaie unique : la zone optimale monétaire. Enorme faute historique de ceux qui ont cru qu'on pouvait mettre l'économie au service de la monnaie, alors qu'aux EU, à l'inverse on n'a jamais cessé de mettre la monnaie au service de l'économie.

LE FIGARO. - Qu'est devenu le slogan ni droite-ni gauche cher à Charles Pasqua ? On a l'impression qu'il l'a perdu en chemin ?

- C'est un slogan gaullien. Cette démarche est en train de réussir. Le grand courant de sympathie qui s'est créé derrière nous pendant cette campagne correspond à uns volonté de rupture avec la mollesse, le renoncement, et le mensonge. Je suis frappé de voir la puissance et la diversité des ralliements silencieux venus de toutes les franges de la société française. Charles Pasqua et moi-même sommes deux hommes de droite qui s'adressent à tous les Français, par-dessus les partis, pour aller à l'essentiel. Le soutien apporté par Max Gallo est le signe d'une nouvelle époque : la résistance à toutes les formes subtiles et perverses d'abaissement de la France.

LE FIGARO. - Mais de quelle France parlez-vous ? Où vous situez-vous dans les débats de politique intérieure ?

- L'élection du 13 juin porte sur l'Europe mais aussi sur la France. L'Europe que nous voulons, la France que nous aimons. Notre France, ce n'est pas celle dans laquelle on met les gendarmes en prison, pendant que les voyous sont en liberté. Ce n'est pas celle dans laquelle les commerçants abaissent leur rideau pour ne pas être rackettés. Ce n'est pas celle dans laquelle les dealers prennent le pouvoir, dans les quartiers, dans la rue, et à l'école. Ce n'est pas celle dans laquelle certains étrangers voudraient nous imposer leurs moeurs et leurs lois. Ce n'est pas celle du Pacs, c'est celle de la famille. C'est la France de l'ordre, de la sécurité et de la paix civile.

LE FIGARO. - Un succès le 13 juin provoquerait la naissance d'un nouveau mouvement politique, le Rassemblement pour la France ?

- En bonne stratégie militaire, il y a un principe sacro-saint : colline après colline.