Interview de M. Luc Guyau, président de la FNSEA, à France Info le 9 septembre 1999, sur la production et les prix agricoles, la qualité des produits et la sécurité alimentaire et la nécessité de trouver un équilibre entre producteurs et distributeurs.

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Média : France Info

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Q - À l'issue de votre Conseil national vous appelez à manifester demain matin, partout en France. S'agit-il de bloquer toutes les préfectures de France pour montrer que la FNSEA est plus puissante encore que la Confédération paysanne qui a tenu le haut du pavé ces temps-ci ?

« Il s'agit avant tout de défendre le revenu des agriculteurs et surtout de leur donner confiance. Aujourd'hui les agriculteurs souffrent, dans beaucoup de productions, pour leur revenu. Je l'ai écrit au Premier ministre qui réunit son Gouvernement dans un séminaire vendredi. Je lui ai demandé de redonner confiance aux agriculteurs, de mettre en place une Conférence agricole pour en discuter, mais aussi de légiférer en matière de grande distribution. Parce qu'aujourd'hui à force de tirer sur les prix, sur toutes les productions, à force de mettre des charges supplémentaires, les agriculteurs, tous azimuts, ne peuvent plus supporter ces dégradations de revenus qui sont en cours ou qui se préparent. Parce qu'il est bien question du moment présent, mais surtout il faut leur redonner espoir et confiance en l'avenir. »

Q - On sent bien que vous reprenez aussi la main après le festival José Bové dans les médias. Comment avez-vous interprété ce vedettariat nouveau de l'homme du Larzac ?

« Reprendre la main » non puisque durant l'été nous avons été sur le terrain en permanence, nous n'avons pas cessé les actions syndicales. Nous avons même été ceux qui avons commencé les actions dans les McDonald's. Alors José Bové a fait des actions syndicales qui ne sont pas les nôtres. Il a pris ses responsabilités. Ce sont des actions qui ont été à mon sens surmédiatisées. Nous continuons notre travail de défense des agriculteurs partout sur le territoire. Nous l'avons dit au ministre de l'Agriculture ; il semble ne pas assez entendre les appels des agriculteurs surtout de façon globale. C'est ce que nous voulons redire aujourd'hui. »

Q - On est dans un climat de surenchère là, par rapport à vos concurrents et amis ?

« Non, on n'est pas sur « un climat de surenchère » mais c'est un climat de défense des agriculteurs dans le moyen et dans le long terme. La FNSEA définit sa politique chaque année dans les congrès ; elle essaie de défendre le revenu des producteurs dans les différentes productions, au mois le mois, avec les pouvoirs publics. À condition qu'on ne laisse pas traîner trop les choses et c'est le cas un peu aujourd'hui. »

Q - On sent bien que l'un des noeuds du problème dans cette crise un peu multiforme, c'est l'équilibre entre les producteurs et les distributeurs. Et vous, vous vous tournez vers l'État, légiférant ?

« Tout à fait. Aujourd'hui le débat entre les producteurs et les distributeurs est quand même très important. C'est véritablement le pot de terre contre le pot de fer. L'État a la responsabilité de légiférer, de réglementer tout cela. Non pas pour dire à la grande distribution : vous devez faire ça, mais de donner un minimum d'encadrement pour qu'un prix soit un prix. Parce qu'aujourd'hui ça n'est plus tenable ! Quand vous passez un contrat, vous achetez une voiture, on vous dit : c'est tant ! Vous demandez un rabais, vous le faites, et c'est terminé. Mais c'est pas comme ça avec la grande distribution aujourd'hui. Quand le premier rabais est obtenu, il faut aller goudronner la cour du magasin, il faut construire le magasin, il faut habiller la serveuse, il faut ensuite faire une remise, y compris à la fin de l'année si on veut retourner l'année suivante. Ça n'est plus tenable ! Mais nous souhaitons tout à fait passer contrat avec la grande distribution. Ils ont besoin des agriculteurs, nous avons besoin de la grande distribution. »

Q - J. Glavany vous invite à un partenariat avec eux.

« Oui, mais à condition que l'État ne se défile pas de ses responsabilités et qu'il prenne bien les moyens, soit de mettre des nouvelles lois, soit de changer les lois, ou soit d'aménager les nouvelles réglementations. »

Q - C'est pas très libéral pour des défenseurs de la libre-entreprise que vous êtes ?

« Oui mais vous savez le libéralisme ça a quand même des limites, et avec l'agriculture c'est pas la première fois que vous m'entendez dire que le libéralisme outrancier ne peut pas se marier avec l'agriculture. Légiférer quelque peu ce n'est pas tout encadrer. C'est un véritable choix de société car à force de toujours tirer sur le prix pour les agriculteurs, demain ces derniers ne pourront plus répondre à la demande de la société. »

Q - Mais les agriculteurs ne tirent jamais eux-mêmes ? Par exemple, dans les fruits et légumes il y a d'abord surproduction, ce qui explique les bas-prix dont vous êtes prisonniers quand même de cette intensification !

« Vous avez raison de me renvoyer la balle sur ce sujet. Je ne dis pas que l'État et la grande distribution ont seuls leurs responsabilités. Nous avons, nous aussi, les nôtres. Et depuis de nombreuses années, nous disons que si nous voulons maintenir des prix équitables, qui nous permettent une bonne rémunération, il nous faut une certaine maîtrise de production, c'est-à-dire d'être plus proches de ce que le marché demande, en quantité et en qualité. »

Q - Vous n'arrivez pas à l'obtenir de vos troupes…

« Nous n'arrivons pas à l'obtenir de toutes nos troupes. Certains secteurs ont tout à fait organisés d'ailleurs – le secteur laitier, même s'ils ont d'autres problèmes aujourd'hui, il y a eu des maîtrises de production. »

Q - Mais pas en fruits et légumes.

« Nous avons plus de difficultés en fruits et légumes. Aujourd'hui nous allons encore, y compris sur les fruits et légumes, prendre notre bâton de pèlerin pour mieux les organiser et nous espérons aller jusque, peut-être, à une centrale de vente, car si nous voulons faire front commun avec la grande distribution, il faudra aussi que l'État nous autorise, nous, à travailler ensemble. Car à un certain moment on nous a empêché, on nous a accusé d'entente entre les agriculteurs ou entre des groupes d'agriculteurs, quand on voulait vendre en commun à la grande distribution ou à d'autres secteurs. Ça fait déjà bien longtemps que la FNSEA a alerté les agriculteurs pour qu'on maîtrise cela un peu mieux. »

Q - Qui est responsable de la mal bouffe ? Le consommateur peu exigeant ou le producteur qui fait du bas de gamme ?

« Moi je parle de « la bonne bouffe ». Les agriculteurs français doivent répondre à la demande de la société française et européenne pour des produits de qualité. Et tous les produits agricoles ont vocation à être de qualité. D'ailleurs il faut bien que nos consommateurs en soient conscients : il n'y a pas de pays au monde où il y a plus de sécurité alimentaire qu'en France et en Europe. Bien sûr on trouve ici ou là des dérapages. Mais parce qu'on fait des analyses. Il y a des pays où on ne trouve rien parce qu'on ne fait pas d'analyses. »

Q - Vous allez, vous aussi, cibler McDonald's, continuer à faire ça ?

« McDonald's c'est un épiphénomène, c'est un engagement dans la société, qui correspond à certaines demandes de clientèles. Nous souhaitons simplement que McDonald's, s'il répond à cette demande, doit assurer lui aussi la sécurité au niveau de la qualité, au niveau des producteurs. »

Q - On va vers quoi là, à la fin de la semaine, à la fin de votre Conseil national ? Une crise larvée, des explosions de violence ici et là ? Et vous attendez tout, des pouvoirs publics en fait ?

« Non. J'avais dit au début de l'été que l'automne serait sans doute « chaud » car je sentais les nuages s'amonceler et ils sont arrivés. Aujourd'hui, nous interpellons le Gouvernement par la voie du Premier ministre, pour qu'il nous donne ses axes bien précis de travail en commun pour redonner confiance aux agriculteurs. Tout dépend maintenant de l'attitude du Gouvernement. S'il répond à nos demandes il n'y a pas de raison que nous ne mettions pas au travail pour véritablement engager ces réflexions et ces réformes qui sont nécessaires. Mais je dis : pas tout du Gouvernement. Il y a aussi la grande distribution ; il y a la société qui doit comprendre aussi que le rôle et la place des agriculteurs est indispensable, et qu'ils en ont la responsabilité. Si tout le monde se met autour de la table, l'alliance entre les consommateurs et les producteurs – que j'appelle déjà depuis de nombreuses années –, nous pourrons la réaliser. ».