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Q - Le monde agricole est en crise, avec comme cible désignée la grande distribution. Mais, plus fondamentalement, le problème n'est-il pas lié à une surproduction chronique ? Comment peut-on échapper durablement à une telle situation ?
Nous ne sommes pas confrontés à une surproduction structurelle, mais à une inadéquation ponctuelle de l'offre à la demande. Cela a été le cas l'an dernier pour les volailles et le porc, qui ont subi de plein fouet d'abord les crises russe et asiatique, puis celle de la dioxine. D'ailleurs, s'agissant des productions animales, il faut anticiper davantage les crises et adapter les mises en production. Dans le porc, on sait que neuf mois après le début de la gestation d'une truie, 800 kilos de viande charcutière seront mis sur le marché. L'effet est mécanique. Nous demandons donc la mise en place au niveau national de quelques mécanismes régulateurs. Cela suppose des soutiens des pouvoirs publics dans le cadre de l'organisation du marché. Mais cela suppose aussi que certains agriculteurs arrêtent d'avoir des comportements purement spéculatifs et que les acheteurs ne profitent pas systématiquement des baisses pour faire des coups. Un lien contractuel avec la grande distribution pour la promotion des produits me paraît également une piste à explorer.
Q - S'agissant des fruits et légumes, vous n'avez pas vu venir la crise en juin, alors que, déjà, vous pronostiquiez une rentrée chaude.
C'est vrai, nous ne disposions pas alors des éléments permettant d'anticiper cette crise, renforcée, je dois le souligner, par la grande distribution, qui a considérablement augmenté sa pression sur les prix. Essentiellement parce que les fruits et légumes sont des denrées périssables, donc difficiles à stocker. Le producteur est de ce fait obligé de vendre et de passer sous les fourches Caudines de la distribution. Alors que la production de porc ou de volaille est fortement industrialisée, la culture des fruits et légumes est, elle, encore très dispersée et insuffisamment organisée. Aujourd'hui, nous avons avant tout besoin de savoir qui produit et qui commercialise. Cela suppose donc une meilleure organisation de la filière. Enfin, il faut éviter que les importations ne perturbent les productions locales comme ce fut le cas pour les fraises.
Q - Vous avez promis pour la rentrée du débat ou du combat. Pour l'instant, nous assistons plutôt à un combat sur le terrain. Le débat est-il vraiment engagé avec les pouvoirs publics ?
Dans la crise du lait, les producteurs sont en conflit avec les transformateurs qui leur imposent une baisse de 5,4 centimes par litre pour le trimestre. Mais ces industriels ont aussi leurs contraintes, je veux parler des pratiques de la grande distribution. Dans ce bras de fer, aucun industriel privé ou coopératif n'a la possibilité de s'insurger contre les grandes enseignes dont les méthodes sont à certains moments proches du terrorisme commercial. Au point que beaucoup hésitent à entrer en guerre contre elles de peur d'être déréférencés. C'est pourquoi nous exigeons que les pouvoirs publics prennent toutes leurs responsabilités, et édictent des règles commerciales claires. Cela relève du droit de la concurrence. Si nous ne sommes pas écoutés, la mobilisation des producteurs va s'intensifier, car il faut absolument sortir de cette situation.
Quant au débat, que vous évoquez, avec les pouvoirs publics, je dois constater que nous souffrons aujourd'hui d'un manque très net de lisibilité de la politique du gouvernement. C'est particulièrement net avec Jean Glavany, le ministre de l'Agriculture. D'un côté, la loi d'orientation agricole nous demande de répondre de plus en plus aux demandes nouvelles de la société, en particulier en matière de qualité, de sécurité alimentaire et d'aménagement du territoire. De l'autre, la réforme de la politique agricole commune (PAC) impose de nouvelles baisses de prix. Je trouve qu'on confond un peu facilement produit brut et revenu net dans les exploitations. Pour nous, davantage de lisibilité implique de donner les moyens à l'agriculture d'être compétitive tout en assurant ses nouvelles missions. Cela passe notamment par des allégements de charges et par une valorisation accrue des productions grâce à des prix rémunérateurs. Enfin, plus de lisibilité suppose aussi d'avoir un discours offensif à l'égard des marchés extérieurs.
Q - Vous êtes dans la ligne de mire de Dominique Voynet et de sa fiscalité écologique. Parvenez-vous à être entendus et, surtout, qu'êtes-vous prêts à accepter de sa part ?
Des problèmes existent, nous ne le nions pas. Mais nous ne pouvons être favorables à une politique de sanctions. Nous préconisons, au contraire, une démarche de prévention, c'est-à-dire de responsabilisation des agriculteurs. Le danger du projet Voynet, c'est d'instaurer une sorte de droit à polluer. Une fois le montant de la taxe acquitté, l'agriculteur resterait libre de faire ce qu'il veut. Nous n'acceptons pas ce type de raisonnement comme nous refusons une taxe généralisée sur les phytosanitaires. Nous avons proposé une cotisation interprofessionnelle destinée à alimenter un fonds de 250 millions de francs pour encourager les pratiques respectueuses de l'environnement. Sans succès. Aujourd'hui, nous avons d'autant plus de raisons de refuser cette TGAP qu'elle ne devrait pas être affectée à des actions de prévention, mais, au contraire, noyée dans le budget global de l'Etat. Ce qui revient, pour nous, à la mise en place d'un nouvel impôt. Apparemment, les derniers arbitrages nous donnent raison pour les engrais, puisque rien ne devrait être fait dans l'immédiat. En revanche, pour les phytosanitaires, nous n'avons pas réussi à faire fléchir le ministre.
Q - Etre plus productif tout en prenant en compte davantage l'environnement est contradictoire. Quelle voie entendez-vous suivre ?
La seule façon de lever cette contradiction est d'intégrer la protection de l'environnement à une démarche économique, viable et durable. Dans cet esprit, nous voulons favoriser la qualité avec la labellisation et l'identification des produits, c'est-à-dire la traçabilité. C'est une façon de créer plus de valeur ajoutée dès l'exploitation et d'améliorer nos revenus. Pour sortir de cette spirale « prix toujours plus bas-qualité basique », il faudrait que le consommateur accepte de payer un peu plus. Les produits agricoles de base n'entrent que pour 4 % dans le panier de la ménagère.
Q - En avril, vous avez demandé la réunion d'une conférence agricole afin de déterminer les mesures à prendre au niveau national pour accompagner la nouvelle PAC. Où en sommes-nous ?
Je l'ai demandée et je la redemande. Jean Glavany a commis l'erreur de la reporter sine die. Le seul point sur lequel il a pris position, c'est la modulation des aides agricoles pour financer les contrats territoriaux d'exploitation, ce que nous serons les seuls à faire en Europe. Si le ministre voulait réellement rééquilibrer les soutiens, il aurait été possible d'appliquer un plafonnement européen et un prélèvement à la marge sur le budget agricole comme nous l'avions proposé. Or le système gouvernemental présente l'inconvénient de créer de nouvelles inégalités, de pénaliser les agriculteurs français par rapport à leurs concurrents européens et d'engendrer une baisse des revenus.
Q - Vous estimiez avant l'accord de Berlin que la réforme de la PAC servait avant tout les intérêts américains. Cela veut-il dire que l'Europe aborde les négociations de l'OMC en position de faiblesse ? Et pourquoi ?
Les Etats-Unis sont les champions du double langage, car ils prônent une baisse mondiale des subventions au moment où ils augmentent les leurs. Jugez plutôt : 6 milliards de dollars supplémentaires distribués l'an dernier aux agriculteurs américains et sans doute plus cette année. En moyenne, les « farmers » sont aidés deux fois et demie plus que leurs homologues européens. Et je ne parle pas des crédits gratuits à l'exportation ou de l'aide alimentaire utilisée abusivement. L'Union européenne ne doit pas avoir peur des Etats-Unis et montrer du doigt leurs incohérences. Il faut réaffirmer haut et fort le modèle européen et, à l'intérieur de celui-ci, les spécificités françaises. Nous sommes un pays agricole qui entend le rester et contribuer à l'équilibre alimentaire mondial. Et je pense qu'il n'est pas bon de laisser ce soin aux seuls Américains. Dès le début des négociations, nous serons très présents, car il n'est pas question de donner un chèque en blanc à nos représentants.