Interview de M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie, dans "Revue politique et parlementaire" de septembre 1997, sur les orientations de la politique industrielle pour le respect de l'environnement notamment la production d'énergie éolienne, la recherche en matière de traitement des déchets radioactifs et le développement de la voiture électrique.

Prononcé le 1er septembre 1997

Intervenant(s) : 

Média : Revue politique et parlementaire

Texte intégral

Mario Guastoni (RPP) : Mme Dominique Voynet a pris certaines décisions concernant des grands chantiers (nucléaires, autoroutiers et ferroviaires). Bien évidemment, ces décisions ont fait l’objet d’une concertation préalable. Vous avez cependant à cœur le développement de nos industries. Comment comptez-vous aidez celles-ci à surmonter les difficultés éventuelles entraînées par la politique de l’environnement ?

Christian Pierret : Aujourd’hui, il n’est plus question d’opposer politique industrielle et politique de l’environnement. Le développement d’un secteur industriel puissant, seul susceptible de créer emplois et richesse, se doit d’être respectueux de l’homme et de l’environnement pour être « durable » ou « soutenable ». La situation française dans ce domaine est plus que satisfaisante. En 1996, un rapport de l’OCDE sur nos performances environnementales a jugé la France comme l’un des pays d’Europe les plus respectueux de l’environnement. C’est une véritable priorité pour moi.

D’ailleurs, l’action de mon ministère, dans ce domaine s’oriente vers la recherche des synergies entre environnement et industrie. Sans rechercher l’exhaustivité, on peut citer quatre grands axes.

D’abord, un effort de recherche vers les technologies économes et propres à travers l’appel à propositions de « technologies clés », action qui va mobiliser 1 milliard en deux ans.

Puis, le développement des véhicules alternatifs en mobilisant les acteurs sur ce thème riche d’enjeux industriels, énergétiques et environnementaux. L’annonce par GDF des conditions économiques de mise à disposition du gaz carburant, l’effort que j’ai sollicité du président d’EDF pour le développement du véhicule électrique et la reconduction de l’avantage fiscal dont bénéficie le GPL devraient permettre aux véhicules alternatifs de prendre leur essor.

Ensuite, l’utilisation rationnelle de l’énergie. La France est aujourd’hui le premier producteur européen d’énergies renouvelables. Grâce à une politique rigoureuse de maîtrise de l’énergie, et au succès de son programme électronucléaire, elle est, avec le Japon, le pays industrialisé qui lutte le plus efficacement contre les changements climatiques.

J’ai décidé d’intensifier encore cet effort. Le programme Eole 2005, visant à voter notre pays d’un potentiel éolien de 500 MW d’ici 2005, a rencontré un vif succès, avec 77,5 MW retenus pour la première tranche, au lieu des 50 MW initialement prévus. À ma demande, EDF lance dès 1997 un nouvel appel à propositions pour la fourniture d’électricité à partir d’énergie éolienne, mais aussi à partir du biogaz et de bois combustible.

Enfin, le développement des éco-industries. La France présente la particularité d’avoir délégué depuis fort longtemps à des entreprises privées des missions de service public dans le domaine de l’environnement. De fait, nos entreprises sont devenues les leaders européens, voire les leaders mondiaux dans ce secteur créateur d’emploi.

Mon ministère s’attache à faire profiter notre économie de cet avantage compétitif, notamment en favorisant le rapprochement des PMI qui fabriquent les équipements avec les grands groupes exportateurs de services.

La protection et l’amélioration de l’environnement sont des enjeux stratégiques pour le développement de l’industrie française et constituent autant d’opportunités à saisir. L’impératif industriel et l’impératif environnemental ne doivent pas s’opposer, mais au contraire se renforcer mutuellement, pour contribuer à la construction de notre avenir.

Mario Guastoni : Les déchets radioactifs à vie longue issus de l’industrie nucléaire constituent une véritable source de préoccupation. Dans un souci de rassurer l’opinion publique, vous avez préconisé la création d’un comité des sages. Celui-ci doit instamment donner son avis sur le choix du site de l’implantation d’un laboratoire souterrain d’étude et de stockage en profondeur des déchets nucléaires. Comment pensez-vous organiser ce comité et qu’attendez-vous de cette mesure ?

Christian Pierret : Il est essentiel de gérer les déchets radioactifs de haute activité et à vie longue de façon responsable, dans le respect de la protection de la nature, de l’environnement et de la santé, en prenant en considération les droits des générations futures.

Dans ce but, la loi du 30 décembre 1991, à la bonne application de laquelle le gouvernement est très attaché, a défini un processus de recherche clair, transparent et démocratique, donnant aux populations de nombreuses garanties. En particulier, trois axes de recherche ont été définis :
    - la recherche de solutions permettant la séparation et la transmutation des éléments radioactifs à vie longue présents dans ces déchets ;
    - l’étude des possibilités de stockage réversible ou irréversible dans les formations géologiques profondes, notamment grâce à la réalisation de laboratoires souterrains ;
    - l’étude de procédés de conditionnement et d’entreposage de longue durée en surface de ces déchets.

Des moyens importants sont consacrés à chacun de ces axes. Concernant particulièrement le second, de nombreuses interrogations ont été formulées sur le concept de réversibilité. Le comité des sages dont j’ai proposé la création se limiterait à l’analyse de la question éthique et scientifique de la réversibilité. Il me semble qu’un tel comité permettrait de bien définir ce que nous entendons par réversibilité ou irréversibilité.

Mario Guastoni : Défenseur d’une industrie automobile française « performante mais confrontée à de nombreuses difficultés » est aujourd’hui votre position dans le débat sur la fiscalité du diesel ?

Christian Pierret : Les constructeurs français peuvent être considérés comme des spécialistes du diesel. Renault et PSA se sont forgés un réel avantage dans ce créneau, tant au niveau national qu’européen. Les six premiers véhicules diesel vendus en France sont produits par les constructeurs français. Ils comptent dans leurs ventes totales de voitures particulières en France, près de 40 % des véhicules diesel. En Europe, ils réalisent 33 % des ventes totales de véhicules diesel. Cette spécialisation ne me semble pas critiquable.

Il convient de noter que le marché des véhicules diesel ne peut plus être considéré comme un particularisme français. Ce type de motorisation a progressé de 30 % depuis 1992 en Europe et plus d’une voiture sur cinq immatriculées en 1996 en Europe était équipée d’un moteur diesel.

De même, la motorisation diesel est en pleine révolution. Les progrès inhérents à ce type de motorisation, notamment la technique de l’injection directe, permettent de réduire de 30 % la consommation énergétique par rapport à un moteur à essence classique et de diminuer substantiellement les émissions polluantes. Certains progrès dans le domaine des carburants, récents ou futurs (dans le cadre notamment des normes Euro 2000 et 2005 qui prévoient de fortes diminutions des taux de sulfurisation du diesel), laissent à penser que des réductions sensibles des émissions polluantes sont envisageables.

Enfin, l’ensemble des constructeurs investissent dans cette motorisation. Les constructeurs européens, notamment Fiat et VAG, fondent de grands espoirs dans le diesel et ont admis le potentiel de progrès que présentait la motorisation diesel en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Il n’en reste pas moins qu’il subsiste des interrogations sur les particules émises par les véhicules fonctionnant au diesel. Il faut que des réponses techniques soient apportées à ces interrogations dans un climat serein et dépassionné.

Les véhicules à essence et les véhicules diesel polluent de manière comparable, chacun ayant des avantages et des inconvénients suivant les polluants considérés. C’est pourquoi la solution au grave problème de la pollution urbaine passe par le développement de véhicules propres (GPL, GNV, électrique) et par une nouvelle répartition des déplacements entre le transport individuel et le transport collectif. C’est là qu’il faut concentrer nos efforts plutôt que de chercher à opposer un carburant à un autre.

Mario Guastoni : Vous avez indiqué que le gouvernement entendait donner un nouvel élan à la voiture électrique en encourageant notamment son usage dans les entreprises publiques. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

Christian Pierret : La voiture électrique connaît en ce moment des difficultés : après une politique très volontaire ayant conduit à l’achat de 1 300 véhicules en 1996, les ventes en 1997 sont décevantes. De fait, ses caractéristiques techniques actuelles (autonomie de 80 à 100 km) limitent les utilisations possibles. Pourtant, il existe potentiellement des vrais enjeux industriels à l’échelle de quelques années : des recherches sont en cours pour aboutir à une autonomie de près de 200 km ouvrant ainsi la porte à un véritable marché. Les constructeurs américains et japonais travaillent sur le sujet

Aujourd’hui, Renault et PSA disposent d’une avance technologique réelle sur le sujet car la France, sur la base de l’année 1996, est le premier marché mondial. Il faut préserver cet atout et maintenir un certain volet de commandes pour des véhicules électriques au cours des prochaines années.

La loi sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie prévoit des dispositifs pour favoriser le développement des véhicules propres. Le gouvernement entend les mettre en œuvre.

Mario Guastoni : Aujourd’hui, au-delà de votre volonté d’ouvrir la discussion, quelles mesures préconisez-vous afin d’aider ces constructeurs automobiles à gérer au mieux leur problème de pyramide des âges ?

Christian Pierret : Les constructeurs français sont confrontés à une dégradation de la pyramide des âges de leurs effectifs. Un déséquilibre qui retarde la mutation industrielle des constructeurs, c’est-à-dire le passage d’une organisation du travail fondée sur les principes du taylorisme à une organisation reposant sur la polyvalence des salariés.

La résolution de ce problème passe nécessairement par une réflexion globale sur l’organisation du travail, la réduction du temps de travail et des mesures d’âge. Mme Aubry, ministre de l’Emploi et de la Solidarité, est également concernée par ce problème dont les conséquences sociales sont importantes. Nous sommes disposés à discuter avec les industriels de leurs problèmes et envisager, avec eux, ce qui peut être fait.

Mario Guastoni : L’avenir de La Poste et son équilibre financier est un dossier que vous suivez de près. Quelles mesures entendez-vous mettre en œuvre pour faire de La Poste « un service public à esprit d’entreprise ouvert sur l’international » ?

Christian Pierret : Les trois termes de la formule que vous citez, que j’ai effectivement utilisée, résume ma vision de La Poste et de son développement à venir. Service public, car c’est la raison d’être de La Poste dans ses missions quotidiennes au service de l’économie nationale et de nos concitoyens. Esprit d’entreprise, car c’est un esprit de développement et d’innovation qui doit constamment guider l’action des postiers, dans un souci de compétitivité et de préservation des équilibres financiers.

Ouverture sur l’international enfin, car c’est désormais une dimension incontournable du développement de La Poste compte tenu de son activité même et des besoins de ses clients.

C’est dans ce cadre que seront prochainement définies les grandes orientations qui détermineront les lignes d’action de La Poste pour les quatre à cinq ans à venir.

C’est l’objet du prochain contrat pluriannuel entre l’État et La Poste, en cours de préparation et dont je souhaite qu’il soit un contrat « d’objectifs et de progrès » pour mieux traduire sa philosophie.

Je distingue trois sujets centraux pour l’avenir de La Poste : la définition des axes de développement de ses métiers courrier et colis, notamment à l’international ; l’évolution de la présence postale pour un meilleur service de proximité pour tous les Français ; l’engagement fort de La Poste dans l’utilisation et la diffusion des nouvelles technologies.

Je m’emploierai, pour ma part, à conforter le cadre réglementaire d’exercice de ses missions en proposant dès l’an prochain, au Parlement, un projet de loi de transposition de la directive européenne.

Cette loi fixera un cadre clair, préservant les intérêts fondamentaux de La Poste pour un service public ambitieux et sachant s’adapter aux évolutions toujours plus rapides de son environnement.

Enfin, et c’est fondamental, la réussite repose sur un dialogue social renouvelé, condition indispensable pour mobiliser les postiers au service d’un projet ambitieux.