Interview de M. Alain Madelin, président de Démocratie libérale, à RMC le 8 juin 1999, sur l'intervention française au Kosovo, la pollution à la dioxine des poulets belges et le souhait de la création d'une administration européenne de contrôle, la sécurité dans les transports et les élections européennes.

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Texte intégral

Q - Dans le livre, « Le droit du plus faible », vous écrivez que l'avenir de l'Europe se joue au Kosovo. Je voulais avoir votre sentiment sur les ratés des rencontres entre alliés et russes. Est-ce que vous pensez que c'est un incident de dernière minute qui ne prête pas à conséquence ou bien y a-t-il vrai un risque que la paix soit en panne ?

- « Non, de toute façon depuis le début du conflit, il est clair que dès lors que les européens se sont engagés de façon unanime avec les américains, à l'évidence l'ex-Yougoslavie, le régime de M. Milosevic ne pouvait pas gagner. Donc à l'arrivée nous ferons plier Milosevic. Qu'il y ait du retard c'est possible. Mais bien évidemment nous avons vocation à créer une sorte de protectorat militaire sur le Kosovo et à faire en sorte que les kosovars reviennent au Kosovo. Mais voyez-vous, je crois que l'Europe en réalité grandit et se renforce dans les crises et dans les épreuves. Là, il y a eu une épreuve, une formidable épreuve ! Est-ce qu'on a laissé faire l'épuration ethnique ? Les européens ont fait un choix très courageux et ce n'ait pas facile, ce n'était pas évident. Le Président de la République, J. Chirac, a eu notamment un rôle entraînant. Mais le fait que les européens s'engagent c'était déjà une bonne chose. Et puis le fait, aujourd'hui, que les européens prennent conscience de ce qu'ils sont, qu'il y a nécessité de créer un espace de paix, de sécurité et de démocratie sur l'ensemble du continent européen, de le doter d'une défense commune, c'est une formidable avancée. Du mal parfois peut sortir un bien. »

Q - Est-ce que l'affaire pourrait se solder avec un protectorat et Milosevic au pouvoir ? Est-ce que c'est imaginable ? Est-ce que la paix peut revenir, est-ce que les réfugiés peuvent rentrer ?

- « Milosevic n'est pas la priorité des alliés. La priorité des alliés c'est le retour des kosovars au Kosovo. Maintenant, à l'évidence, M. Milosevic n'a pas vocation à terminer ses jours tranquillement à la pêche. »

Q - L'Europe alimentaire : 1 400 élevages belges sont interdits de production et de vente - poulets, porcs, boeufs, oeufs - en Belgique, parce que les produits sont contaminés à la dioxine. Les français ont commencé à utiliser ces produits. C'est l'échec de qui, cette affaire là ?

- « C'est un échec collectif, et sans doute un manque d'Europe. Lorsque l'on fait la liberté de circulation des produits à l'intérieur de l'Europe, lorsqu'on supprime les frontières intérieures - cette liberté de circulation ce n'est pas la liberté de contamination - il faut qu'il y ait des contrôles. Il y a une défaillance des contrôles en Belgique. Il y a eu aussi, semble-t-il, une défaillance des contrôles en France. On a été prévenu, quand même, que des produits contaminés avaient été introduits en France. Le ministre de l'Agriculture dit : « on n'avait pas compris que c'était grave. » Lorsqu'on vous dit : « il y a des produits empoisonnés qui ont été envoyés en France », a priori n'importe qui comprendrait que c'est quelque chose qui mérite un examen et non pas un classement sans suite. Et puis, il y a une faiblesse de l'Europe qui ne dispose pas, comme par exemple les États-Unis avec la Food and Drug Administration, d'un organisme indépendant des gouvernements, des États, indépendant des groupes industriels et des lobbies alimentaires. C'est la raison pour laquelle je propose une agence européenne de sécurité sanitaire et alimentaire dotée des moyens nécessaire. »

Q - Une administration de plus ?

- « Non, pas une administration de plus. C'est une agence de plus, c'est une agence indépendante. Ceci existe quand on prend l'exemple de la Food and Drug Administration aux États-Unis. Je crois que c'est quelque chose d'extrêmement utile et de très protecteur pour le consommateur. Ce qui compte, c'est la protection du consommateur. Et c'est vrai qu'il y a eu des excès, une tendance aux excès dans ce qu'on appelle le « productivisme agricole » : toujours plus de productivité au détriment de la qualité du produit. Je crois que nous sommes arrivés au point de retournement par rapport à ce modèle agricole là, qui appartient heureusement au passé, mais il faut quand même être vigilant. »

Q - Cela veut dire que pour l'eau, l'alimentation, pour tout ce qui concerne la santé publique, il faudra maintenant des règlements ou de contrôles pour toute l'Europe ?

- « Il faut des contrôles. Concernant les règlements on a un principe de reconnaissance mutuelle des normes qui dit grosso modo ce qui est bon pour les Belges doit être bon pour les Français et ce qui est bon pour les Français doit être bon pour les Allemands. On a tous intérêt à la sécurité des consommateurs. Ceci est une évidence. Donc il y a besoin d'un certain nombre de normes minimum, mais il y a surtout besoin, aujourd'hui, de les faire respecter à l'intérieur d'un espace sans frontières. C'est aussi un problème de responsabilité. On ne peut pas mettre un flic, un contrôleur, derrière chaque producteur. Il faut qu'il y ait des systèmes de responsabilité clairs et nets et que l'on sache que si quelqu'un est pris la mains dans le sac les sanctions sont extrêmement lourdes, de façon à ce qu'il y ait une très grande vigilance de la part de ceux qui peuvent se laisser aller à de telles erreurs. »

Q - A propos de main dans le sac, dans votre région en Bretagne, un producteur a mis « Produit d'origine française » alors que cela venait de Belgique.

- « Je ne connais pas exactement les faits, mais tels qu'ils ont été rapportés par la presse c'est une fraude, et une fraude mérite d'être sanctionnée. Lorsque vous avez une fraude ou un acte délictueux qui est sanctionné extrêmement durement, c'est le meilleur des contrôles pour la suite. Les gens font extrêmement attention ensuite. »

Q - Hier à la RATP, on a fait grève trois heures avec l'accord de la direction, pour enterrer un employé qui est décédé de mort presque naturelle, sans subir de coups. Cela vous inspire des réflexions ?

- « Cela m'inspire qu'il y a une grande inquiétude aujourd'hui chez les employés de la RATP. C'est une évidence ! Manifestement la sécurité n'est pas revenue. Et là, l'Europe aussi peut être un bon terrain d'expérience, parce que tous les pays sont confrontés aux mêmes défis en matière de sécurité, en matière d'immigration, en matière de retraite, en matière de santé, en matière d'éducation, etc. En matière de sécurité, il y a des pays qui obtiennent de meilleurs résultats que nous. Il faut essayer de s'inspirer de ce qu'ils font. C'est la raison pour laquelle avec notre liste, avec N. Sarkozy, nous faisons campagne non pas pour l'Europe médiocre, non pas pour l'Europe moyenne, non pas pour l'Europe qui toise, non pas pour une sorte de super-bureaucratie européenne qui nous enquiquinera dans notre vie quotidienne, mais pour, dans ce formidable terrain d'expérience que représente l'Europe, prendre le meilleur de l'expérience des autres. Tenez, en Angleterre la criminalité, la délinquance reculent ! Pourquoi ? Parce que, là encore, on a su res-pon-sa-bi-li-ser : responsabiliser les parents, responsabiliser les mineurs délinquants. Au-delà de ces deux incidents de la RATP c'est toute une politique de sécurité qui mérite d'être remise en cause. Il y a un certain angélisme de la part de ceux qui nous dirigent. Souvenez-vous, il y a quelques mois, lorsque des maires courageux avaient dit :  “le rôle de gamins de 8 ans ce n'est pas de traîner à trois heures du matin dans des quartiers dangereux !” Ils avaient voulu instituer un couvre-feu. Réaction scandalisée du Gouvernement, des ministres, etc ! Que fait l'Angleterre de T. Blair ? Eh bien, elle fait un couvre-feu pour les gamins en péril dans de telles zones. L'Europe est, encore une fois, un bon terrain d'expérience et de leçons. »

Q - Les français ont vu hier soir un débat qui a tourné au déballage entre toutes les têtes de listes, notamment entre les gens qui sont du même camp.

- « Je n'ai pas vu ce débat puisque j'étais en meeting à Toulon, et aujourd'hui je vais en Corse. Moi, je n'ai qu'un seul adversaire dans cette campagne électorale : ce sont les socialistes. En effet, partout en Europe, le débat tourne entre d'un côté une liste socialiste et social-démocrate. Je n'ai pas d'autres adversaires et pas d'autres polémiques. »

Q - Qu'est-ce qu'il faut faire le 14 au matin pour recoller les morceaux des listes de votre camp ?

- « Vous m'inviterez le 14 ! »

Q - Il faut réunir tout le monde ?

- « Le drame de cette élection européenne c'est le mode de scrutin. C'est le poison de la proportionnelle qui fait chavirer les têtes, qui réveille les ambitions partisanes ou les ambitions personnelles. Nous, le RPR et Démocratie Libérale, nous avons choisi l'union parce qu'elle représente le souhait d'une immense majorité de nos électeurs. Elle a été appelée par des personnalités aussi éminentes qu'E. Balladur, V. Giscard d'Estaing et d'autres. Nous espérons bénéficier de cette prime de sagesse à l'union, le 13 juin, et bien sûr après. Après vous aurez des élections qui sont des élections à scrutin majoritaire : l'élection aux municipales, l'élection législative… »

Q - Et les familles se réuniront ?

- « Nous reverrons revenir les brebis égarées à la bergerie de l'union. »