Texte intégral
Q - Vous vous trouvez en Corse. Les attentats ont repris dans l'île. Jugez-vous, comme L. Jospin, qu'il est normal de poser l'arrêt de la violence comme préalable à toute discussion sur l'avenir de la Corse ?
– « Je pense qu'il est tout à fait normal de condamner ces attentats et de dire aux Corses qu'ils ne pourront retrouver la voie du développement économique et même une solution politique qu'après avoir cessé les attentats. Mais dans le même temps je dis que la méthode Jospin a montré ses limites en Corse. On nous avait promis la fin du terrorisme et le retour de l'État de droit : le terrorisme est toujours là, quant à l'État de droit, il a été ridiculisé par l'affaire des paillotes dont les déclarations récentes du préfet Bonnet – et je suis étonné d'ailleurs que cela n'a pas été davantage relevé par la presse – semblent bien indiquer que les fils remontaient jusqu'à Matignon. »
Q - Donc il faut discuter avec les nationalistes avant l'arrêt de la violence ?
– « Je vous dis exactement le contraire. Je viens de vous dire qu'il me parait normal de dire clairement aux Corses qu'il ne peut y avoir de solution économique et politique au problème Corse qu'avec le préalable de l'arrêt de la violence, bien sûr. »
Q - Lundi dernier, L. Jospin nous a dit qu'il n'y avait pas d'économie administrée par l'État. Vous lui avez trouvé une teinte libérale ?
– « Bien sûr M. L. Jospin a évolué, bon ! D'ailleurs ça fait longtemps que les socialistes évoluent. Souvenez-vous, dans les années 70 c'était le temps de la rupture avec le capitalisme, du programme commun avec le Parti communiste, puis ensuite ça a été les nationalisations, puis ensuite ça a été l'économie mixte, alors aujourd'hui, progressivement ils essaient de se mettre à l'heure mais la montre est toujours en retard. Je crois qu'il n'y a rien d'extraordinaire à ce qu'a dit M. L. Jospin, le problème, c'est de regarder où en sont les socialistes ailleurs en Europe. T. Blair et G. Schröder me semblent être plus en avance que L. Jospin. Et le vrai problème de l'intervention de L. Jospin, c'est qu'on nous avait annoncé une formidable deuxième étape et nous avons un gouvernement en panne de projets et en passe de réponses aux grands problèmes de la société française. »
Q - Il nous a annoncé en deuxième étape une retouche des impôts directs, c'est-à-dire toucher les classes moyennes. Là, il commence à mordre sur l'électorat de la droite ?
– « Ce n'est pas le propos. Ailleurs, on en est à faire des réformes beaucoup moins ambitieuses ! Dans le domaine social, M. L. Jospin théorise l'impuissance de l'État. Ce n'est pas vrai qu'on est impuissant ! L'État providence doit être totalement reconstruit, parce qu'on enferme aujourd'hui des centaines de milliers de Français dans l'assistance… »
Q - C'est vous qui dites ça : « L'État providence » ?
– « Bien sûr, bien sûr. »
Q - Eh bien, dites-moi !
– « … dans l'assistance et la dépendance. Regardez ce qui se fait ailleurs ! On ne veut plus enfermer les gens dans l'assistance. Ce n'est pas seulement une crise financière de l'État providence, c'est une crise morale, parce que la pauvreté, elle devient héréditaire et ce système-là doit être profondément repensé, c'est ce que l'on fait partout autour de nous. L'éducation, ce sont des ghettos que l'on fabrique, qui correspondent à des ghettos urbains et on enferme des jeunes talents, on les enferme dans de mauvaises écoles. L'éducation aussi souvent doit être repensée en faveur de l'égalité des chances. Les retraites, la préparation de l'avenir, là encore nous sommes en panne de projets. Quant au plein-emploi que promet M. L. Jospin – sur ce point de vue, il a raison, la France retrouvera le plein-emploi, j'en suis convaincu et plus vite qu'on ne le croit –, on ne le retrouvera pas avec les solutions socialistes : ce n'est pas avec les 35 heures et le partage autoritaire. Ailleurs, autour de nous, il y a déjà le retour du plein-emploi, mais avec ce que l'on appelle les « solutions modernes », les « solutions libérales. »
Q - Les « solutions libérales », mais vous voyez quand même que vos alliés du RPR se détournent de vous. Le RPR revient maintenant avec ses différents candidats à la présidence….
– « Le RPR est à la recherche de son identité. Bien ! Le problème, c'est qu'il faudra dire : « Quels projets, quelles idées ? » Ils semblent les rechercher en arrière, moi je préfèrerai qu'on aille un petit peu en avant. Vous savez, les solutions modernes – moi j'appelle ça les solutions libérales –, elles sont d'avance acceptées par les Français. Les Français ont compris qu'il fallait baisser les dépenses publiques ; les Français ont compris qu'on ne pouvait pas continuer avec ce système universitaire et que la récompense du mérite, c'était vrai aussi dans les études ; qu'il fallait des établissements plus autonomes ; que les fonctionnaires, on ne pouvait pas continuer comme ça : qu'il ne fallait pas aussi seulement récompenser l'ancienneté mais le mérite. »
Q - Qu'allez-vous dire à vos parlementaires aujourd'hui ? Votre secrétaire politique F. Goulard, qui est député du Morbihan, dit : « Démocratie Libérale est en état de dépression nerveuse après les échecs des européennes. »
– « Non, il n'a jamais dit ça. On lui a prêté ce propos, ceci n'est pas exact. Ce qui est sûr en tout cas c'est que nous sommes dans une période de reconstruction. On ne va pas faire de cinéma, je ne vais pas vous faire des déclarations fracassantes : on travaille, on travaille à nos idées, nos projets pour aller plus loin, parce qu'on maintient fermement le cap. On a des convictions, parce qu'elles correspondent aujourd'hui à ce dont la France a besoin et puis nous allons travailler, méthodiquement, à reconstruire une opposition libérale, nationale, rassemblée, ouverte et populaire. »
Q - C'est mal parti : le RPR ne veut plus de libéralisme, C. Pasqua est en train de gagner du terrain dans l'opposition et l'UDF dit : « Il faut faire plus de social qu'A. Madelin n'en annonce. »
– « Mais on peut être libéral et national ! On peut être libéral et social ! Vraiment, moi j'essaie de mettre un trait d'union et je crois que le trait d'union aujourd'hui moderne, c'est effectivement les solutions modernes. Vous savez, si vous regardez ce que nous disons, nous, les libéraux depuis 10-20 ans ! À chaque fois qu'on faisait des propositions on nous disait : « Mais c'est trop tôt, les Français jamais… » Puis, finalement ça se fait. Donc, nous avons vraiment le sentiment d'être porteurs de modernité dans la vie politique française. La vie politique française a besoin d'un coup de jeune. »
Q - Vous ne dites pas que vous avez commis une erreur stratégique en quittant l'UDF pour vous allier avec le RPR ?
– « Non pas du tout. Nous avions besoin de définir ce qu'étaient les libéraux modernes. Souvenez-vous il y a un an, la crise de nerfs que vivait l'ensemble de l'opposition ! Il fallait que nous nous définissions tous par rapport au Front national et à l'irrésistible ascension du fascisme en France. Et on faisait des procès à tel ou tel ça n'était pas sérieux ! Et un an après, on n'en parle plus. Il faut quand même revenir aux réalités. Les problèmes de la vie politique française ça n'était pas le Front national. Heureusement celui-ci a disparu, on retrouve les vrais problèmes. Nous, on garde notre calme et notre sérieux. »
Q - Mais vous avez pu penser qu'après l'implosion du FN, c'est vous qui alliez récupérer ou rallier les électeurs. Eh bien non c'est C. Pasqua qui rafle la mise !
– « Mais parce que les électeurs du Front national c'était plus un refus qu'une proposition, une promesse d'avenir. Et dans les multiples facettes des électeurs du Front national, il y avait le fait que le Front national a toujours combattu très fortement les libéraux, qui étaient les premiers adversaires du Front national. Donc nous ne prétendons pas récupérer les gens en allant à la pêche, on prétend essayer de les entraîner dans un projet d'avenir, une vision de ce qu'est le monde moderne. J'écoutais les éditorialistes juste avant nous sur votre antenne. Ils disaient : « On est un peu en panne de vision de ce nouveau monde ; on le subit mais on ne le comprend pas et on ne le conduit pas. » Eh bien, nous on essaye de le comprendre et, je l'espère, de le conduire. »
Q - L. Dominati, qui est un bon ami à vous, dit ce matin dans Le Parisien qu'il espère que vous serez candidat à la mairie de Paris en 2001.
– « Ecoutez, je suis élu Breton et heureux de l'être. Croyez-moi, je ne vais rien dire et surtout ne rien faire… »
Q - Ah bon ! Tiberi c'est bien ?
– « … qui ne puisse encore compliquer la situation à Paris. Mais puisque vous me demandez de parler de Paris, la situation rejaillit sur l'ensemble de l'opposition. Ce n'est pas une affaire RPR. J'entends dire parfois : « Le RPR va désigner son prochain candidat », non ! D'abord parce qu'on fait porter à M. Tiberi un chapeau qui manifestement est beaucoup plus large que lui et donc… »
Q - Où allez-vous là ?
– « Je veux dire : c'est tout un système, il y a un besoin de renouveau, un besoin de changement et il est normal que la deuxième force politique à Paris que constituent les libéraux puisse prétendre participer ou incarner ce changement. »