Article de M. Alain Krivine, porte-parole de la LCR, dans "Rouge" du 20 novembre 1997, sur le décès de Georges Marchais, sa carrière politique et la situation politique du PCF, intitulé "Sans hypocrisie".

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Circonstance : Décès de M. Georges Marchais, ancien secrétaire général du PCF, le 16 novembre 1997

Média : Emission Fil Rouge - Rouge

Texte intégral

La mort de Georges Marchais mérite mieux qu’un concert hypocrite de louanges.

En règle générale, la mort d’une personnalité politique suscite émotion et tristesse chez ses amis, hypocrisie et mensonges auprès de ses ennemis. Pour comprendre la place du défunt, il faut décoder les formes de l’émotion et l’intensité de l’hypocrisie. Les commentaires sur la disparation de Georges Marchais n’ont pas failli à la tradition. La droite, quasi unanime, rend hommage à un homme qu’elle détestait plus par anticommunisme que par antistalinisme. Marchais l’intimidait par ses coups de gueule. Il n’avait ni la rondeur ni les bonnes manières du milieu. De temps en temps pourtant, la droite aimait bien se payer quelques frissons télévisuels au spectacle offert par celui « qu’on ne prendrait pas en stop ». (Alain Peyrefitte, 1972). À gauche, c’est aussi la quasi-unanimité dans l’hypocrisie à quelques exceptions près dont celle de Lionel Jospin, un peu plus digne en l’occurrence. Que n’avait-on pourtant entendu sur l’ancien « ouvrier de Messersmitt » et le dernier des Mohicans staliniens ? Qui ne s’était réjoui de voir en Robert Hue un successeur enfin « normal » ? « Voyons, qui hésiterait à prendre Robert Hue en auto-stop ? » (Jean-Pierre Chevènement, 27 avril 1997).

Au sin même du PC, outre une émotion légitime à l’égard d’un ancien secrétaire général, nombreux sont ceux qui tirent un bilan plus que mitigé de celui qui aura passé l’essentiel de sa vie militante à défendre le système stalinien. Le communiqué du bureau national est instructif, révélateur des règlements de compte à venir : « Ce n’est pas le temps, alors que l’heure est au silence du recueillement, d’évaluer l’apport de Georges à notre parti et à la France (…). Cette évaluation devra être faite et nous avons la conviction qu’elle lui rendra justice. » Tout cela est tellement évident que, loin d’organiser des obsèques à la mesure du « chagrin vrai » de Robert Hue, la famille de Georges Marchais a préféré se limiter à une cérémonie plus intime au cimetière de Champigny-sur-Marne.

Notre jugement, quant à nous, sera sans détour. Nous respectons l’émotion des militants communistes devant cette mort et n’ignorons pas le caractère militant et le dévouement de Georges Marchais à une cause qu’il croyait juste et qui, malheureusement, n’était qu’une caricature du communisme. Et c’est en ce sens que nous considérons le bilan de sa politique comme « globalement négatif ». Certes, le stalinisme n’est pas de la responsabilité d’un individu et toute la direction du PCF est coresponsable de ce qu’elle appelle pudiquement un « retard » dans la dénonciation de cette perversion. Mais personne ne peut oublier ces trois grands moments de Marchais : la dénonciation en mai 1968 de « l’anarchiste allemand » Cohn-Bendit, la justification en direct de Moscou de l’intervention soviétique en Afghanistan et, apothéose l’affirmation du « bilan globalement positif » de l’URSS et des pays de l’Est, et cela en mai 1979 !

Que par la suite, Georges Marchais ait tenté un début de déstalinisation, c’est bien la moindre des choses. Encore que l’on oublie souvent de mentionner que c’est en fait son prédécesseur, Waldeck Rochet, qui avait entamé, avec un certain courage à l’époque et juste avant de tomber malade, la critique de l’URSS et de l’intervention militaire en Tchécoslovaquie. En outre, les fameuses « ouvertures » du député de Champigny ont toujours été marquées par les séquelles du passé ? On se souvient, par exemple, que c’est d’une façon assez curieuse, à l’occasion d’une émission télévisée et pas d’un congrès, que Marchais a annoncé aux militants ébahis que le PC abandonnait la perspective de la « dictature du prolétariat ».

Homme de transition entre l’écroulement du stalinisme et les balbutiements d’une refondation communiste que se cherche encore, Georges Marchais laisse peu de choses à ses successeurs. En vingt ans, le PC a perdu la moitié de son électorat et de ses militants. C’est le prix à payer d’un stalinisme condamné trop tard et jamais dans ses fondements. Le PCF a du mal à redéfinir son identité. La disparition de Georges Marchais ne l’y aidera pas, tant il n’était déjà plus véritablement un obstacle.