Interview de M. Edouard Balladur, député RPR, à France 2 le 1er octobre 1999, sur son livre "L'Avenir de la différence", l'article d'Alain Juppé dans "Le Monde" sur l'immigration, l'actionnariat populaire et la réduction du temps de travail.

Prononcé le 1er octobre 1999

Intervenant(s) : 

Média : Emission Les Quatre Vérités - France 2 - Télévision

Texte intégral

Q - « L'avenir de la différence », qui est le titre de votre dernier livre, est-ce que ça n'est pas surtout un éloge, au fond, de la différence ?

- « Les deux. Nous sommes dans une période où le monde s'unifie de plus en plus, il se "mondialise," ce qui suscite beaucoup de craintes. Or, notre époque est caractérisée à la fois par un mouvement vers la mondialisation... »

Q - Pour lequel la France est armée.

- « Pour lequel la France est largement armée, bien qu'on ne le soit jamais complètement. Cela veut dire les mêmes procédures pour la défense des Droits de l'homme, l'intervention humanitaire, la mondialisation du commerce, etc. En même temps, les peuples, les nations, les individus, réclament le respect de leur personnalité et de leur identité, que ce soit dans le domaine de la langue, de la culture, de l'alimentation même, on l'a vu récemment, et bien d'autres. Contrairement à ce que l'on a beaucoup dit, notre avenir n'est pas dans le fait que tout le monde se ressemble dans le monde entier, fasse la même chose, dise la même chose, s'habille de la même manière, parle la même langue, et chante les mêmes chansons, mais que de plus en plus, hommes et femmes vont vouloir rester eux-mêmes et conserver une partie de leurs traditions. C'est ainsi que va s'inscrire l'action de la politique moderne, dans ce cadre-là. Au fond, ce que j'ai voulu faire, d'une certaine manière, c'est l'éloge de la liberté, parce que la différence, c'est la liberté. On n'est pas obligé d'être tous les mêmes de par le monde. Tous les peuples, toutes les nations et les cultures sont également respectables. »

Q - L'éloge, la liberté, est-ce que ça n'est pas également ce qu'a fait A. Juppé, qui, dans un article du Monde, publié hier à Paris et aujourd'hui dans le reste du pays, dit que la France doit accueillir de nouveaux immigrés ?

- « J'ai lu l'article en question. Il part d'une constatation évidente que je fais d'ailleurs dans mon livre : l'Europe est un continent où la population stagne et elle est entourée de continents où population augmente beaucoup. Comme on ne peut pas élever des barrières de béton autour de toute l'Europe, et comme d'ailleurs ça n'est pas souhaitable, il faut se préparer à ces mouvements de population. La meilleure façon de le faire est de réaliser l'intégration, le plus possible, en acceptant que sur notre sol, il y ait des différences de tempérament et de culture. Dès lors que les lois de la République sont respectées, que l'ordre publique est respecté, chacun a le droit de pratiquer sa religion comme il l'entend. »

Q - Est-ce que le mot juste aujourd'hui n'est pas celui de « régulation », mot qu'a repris L. Jospin récemment à Strasbourg, après avoir évoqué sur France 2 une deuxième étape qui n'a pas forcément été bien comprise ?

- « En, matière d'économie, a-t-il dit. Pardonnez-moi, mais il y a deux années que je l'ai dit. J'ai dit que la liberté, c'était très bien. J'étais partisan de la liberté. J'ai essayé de la mettre en oeuvre dans le domaine économique et sociale. Mais j'ai ajouté que la liberté supposait un ordre, une organisation, une règle du jeu, sans quoi c'était la loi de la jungle. M. Jospin reprend le thème, c'est parfait. J'ai observé aussi que les socialistes reprenaient le thème de l'actionnariat populaire. Rien ne peut me faire plus de plaisir. C'est ce que j'ai essayé de mettre en oeuvre. J'ai commencé il y a une bonne douzaine d'années, et grâce à cela il y a des millions d'actionnaires en France, mais aussi grâce à cela on arrivera à sauver les retraites – si on ne le fait pas, on n'y arrivera sans doute pas – grâce à l'épargne des salariés donc, qui devra être complément pour l'octroi des retraites. De surcroît, c'est une façon de démocratiser la vie sociale et la vie publique que le développement de l'actionnariat des salariés, l'actionnariat populaire. Les entreprises ne sont plus ce qu'elles étaient il y a 20 ou 30 ans. Désormais, on ne commande pas si j'ose dire, on ne dirige plus dans une entreprise comme on le faisait il y a 20 ou 30 ans. Chacun doit être impliqué, chacun doit se sentir un peu chez soi. L'actionnariat est un des moyens d'y parvenir ? »

Q - Avez-vous le sentiment qu'à travers tout cela, on a effectivement aujourd'hui, comme certains le disent, une gauche libérale ?

- « Pas très libérale, quand même. Je note que des qu'il se pose un problème, on nous parle de nouvelles réglementations. Par exemple, les 35 heures, qu'est-ce que c'est ? La diminution de la durée du travail est inscrite dans les faits. Elle se fera. J'y suis acquis. Elle doit se faire de façon progressive, contractuelle, adaptée aux situations des entreprises. Moyennant quoi les socialistes la mettent en oeuvre de façon autoritaire, obligatoire et automatique. Voilà une vraie différence entre la droite et la gauche. C'est le contraire de révolution moderne qui tend à privilégier le contrat et l'adhésion de tous. »

Q - Vous dites dans votre livre que la France est pétrie d'un fond de culture marxiste sur lequel se superpose une sorte de motion américaine politiquement correcte, et que tout cela crée au fond un bon  sentiment dominant. Justement, lorsque vous dites « bon sentiment dominant », « nouvel ordre moral », de qui parlez-vous ? De la majorité, de l'opposition, ou d'une partie de la droite ?

- « D'un peu tout le monde. La France, qui est la terre des libertés, devrait s'en souvenir davantage. Rien de Mauvais ne peut résulter de la confrontation des idées et du dialogue. »

Q - Pourtant, vous l'avez subie et parfois avec difficulté cette confrontation des idées ?

- « Parfois, oui tout à fait, avec difficulté mais j'y suis parfaitement ouvert. Je déteste le conformisme. On doit pouvoir parler de tout, librement, en respectant les autres, bien entendu. À la suite de quoi on fait une synthèse et l'on finit par choisir la meilleure des solutions. Mais je n'aime pas du tout le conformisme. La vérité imposée d'en haut à tous, c'est un peu ce que j'ai eu envie d'expliquer dans ce livre. »

Q - Revenons aux questions politiques majeures. Concernant la situation à Paris, avez-vous un sentiment à l'égard de l'un ou l'autre des candidats ?

- « Il y a suffisamment de confusion dans nos positions en ce moment. Soyons clair. Je ne vais pas en rajouter en faisant état de je ne sais quelle discussion concernant Paris. Attendons que les choses se remettent en place sur le plan national pour l'opposition. Il y a d'abord beaucoup de travail pour y parvenir et afin que l'opposition représente vraiment un recours pour les Français. Nous n'y sommes pas encore. Elle ne le représentera d'ailleurs que si elle sait s'organiser dans son ensemble et si elle sait présenter un projet d'alternative. Nous verrons donc plus tard, étape après étape. Pour l'instant, prenons acte du fait que l'opposition ne représente pas un recours aux yeux des Français, qu'ils ont le sentiment qu'elle n'a pratiquement plus rien à leur dire, et essayons de retrouver leur confiance. »

Q - Pour l'instant vous vous contentez de publier des livres. Vous n'avez pas d'autres ambitions ?

- « Je publie des livres, je publie des articles, je prends position sur un certain nombre de problèmes, j'ai crée une association qui fait des études. Je pense qu'ainsi je suis utile. L'an dernier, j'ai publié un projet pour l'ensemble.de l'opposition qui, pour l'instant, n'a pas été retenu. Mais je ne compte pas me décourager. »