Texte intégral
LE FIGARO. – La rentrée scolaire semble pour une fois bien se passer, pour le ministre de l'éducation. Comment expliquez-vous cette soudaine accalmie ?
Claude GOASGUEN. – Comme on l'avait prévu, Claude Allègre a jeté l'éponge. Allègre le doit d'ailleurs à lui-même lorsqu'il indique qu'il faudra désormais « veiller à l'application concrète des réformes ». Mais qu'est-ce qu'une réforme abstraite ? En vérité, Allègre a cédé et la gauche conservatrice et syndicale l'a emporté sur les velléités modernistes du ministre. Lionel Jospin avait connu la même mésaventure après 1988, et cela avait fini par Jack Lang, c'est-à-dire plus rien.
LE FIGARO. – Que regrettez-vous dans le projet initial de Claude Allègre ?
- D'abord et avant tout la déconcentration. Mais si ce grand projet est réduit à un mode de gestion du personnel, cela n'a pas d'autre intérêt qu'informatique. Une véritable déconcentration signifierait que l'on donne davantage de pouvoirs aux établissements et au terrain. Or il n'en est pas question dans le discours du ministre. Je remarque par ailleurs qu'il a renoncé à la lutte contre l'absentéisme des professeurs, qu'il a baissé les bras devant la violence qui a envahi les établissements scolaires. À ce train, Allègre va devenir le factotum de Monique Vuillat (secrétaire générale du Snes).
LE FIGARO. – Pourquoi voulez-vous à toute force révolutionner le système éducatif ?
- Le système bureaucratique de l'éducation nationale est bouleversé par deux phénomènes d'une ampleur inattendue. D'abord, la violence qui se répand, la violence de la cité dans l'école qui prouve que cette dernière n'est plus un sanctuaire. L'école n'est donc plus la seule affaire des enseignants, mais celle de tous les citoyens, qui doivent combattre ensemble. Et puis, deuxième bouleversement, les nouveaux systèmes de communication qui sont en train de faire exploser les techniques pédagogiques traditionnelles. Or, face à cela les socialistes refusent de sortir des schémas du XIXe siècle, et de leur sainte trinité : réglementation, bureaucratie et impôts. Les socialistes ne peuvent prétendre incarner l'avenir de la France du XXIe siècle avec des méthodes directement issues du XIXe siècle.
LE FIGARO. – Pour vous, les vrais conservateurs sont donc à gauche. Pourtant, les socialistes ne se privent pas de moquer le conservatisme de la droite sur les questions de société ?
- Les socialistes font illusion avec des réformes sur les moeurs. Mais, quand il s'agit de vraies questions de société, c'est-à-dire des rapports des grands institutions avec la société, leur conservatisme et patent.
LE FIGARO. – Un exemple ?
- La sécurité. La délinquance moderne ne correspond plus aux schémas bureaucratiques de la police d'après-guerre. Pour y répondre, le gardien de la paix devrait être dans la cité comme un poisson dans l'eau ; or il reste dans son commissariat ou dans son car de police. On parle de l’îlotage, on ne le met pas en place. Les règles de rotation policière font que le policier est muté dès qu'il connaît le terrain. L’îlotage, le vrai, signifierait une modification radicale des modes de recrutement, de notation, d'avancement. En dépit de ses moulinets, Jean-Pierre Chevènement cède aux lobbys syndicaux. Comme Claude Allègre.
LE FIGARO. – La gauche pourra au moins se targuer d'avoir réformé la justice avec les projets Guigou ?
- Les deux projets de loi sur la présomption d'innocence et l'action publique montrent au contraire qu'il n'y est prévu que des aménagements techniques.
Avec les socialistes, c'est toujours la même chose. Pour eux, les réformes institutionnelles ne sont pas des problèmes de société mais des questions techniques. À leurs yeux, il ne faut pas changer un système à bout de souffle mais seulement le faire mieux fonctionner.
En vérité, on doit passer aujourd'hui de la réglementation des conservateurs socialistes à la vraie réforme libérale, pour une société de liberté. La France a besoin d'air !