Lettre de M. Michel Rocard, membre du bureau national du PS et président de la commission du développement et de la coopération au Parlement européen, adressée au quotidien et parue dans "Le Monde" du 15 mai 1999, sur la confusion entre le rapport d'Amnesty International sur le Togo et le compte-rendu de sa propre mission de conciliation à la veille des élections togolaises.

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Intervenant(s) : 
  • Michel Rocard - membre du bureau national du PS et président de la commission du développement et de la coopération

Circonstance : Réponse à un article paru dans "Le Monde" du 6 mai 1999, intitulé "Le Togo d'Amnesty International n'a rien à voir avec celui de Michel Rocard"

Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

Texte intégral

Votre article établit une comparaison entre un tout récent rapport d'Amnesty International et un rapport de compte rendu de mission que je viens d'adresser, en date du 1er avril, au président du Parlement européen et au commissaire européen en charge du développement La comparaison de ces documents aurait dû vous conduire à percevoir que votre titre est erroné. La mission d'Amnesty International n'a rien à voir avec la mienne.

Car il s'agit hélas du même Togo. Je ne suis pas en situation et n'ai aucune information me permettant de démentir Amnesty International. Je m'en garderai bien au demeurant, ayant depuis des décennies le plus grand respect pour cette organisation au sein de laquelle j'ai compté des amis. Et j'ajoute, surtout, que j'ai cité l'existence de ce rapport dans le mien, dans des termes qui n'étaient en rien un démenti, ce qui a pu échapper à votre sagacité.

Ma tâche n'était pas celle d'un juge, d'un observateur, d'un membre de commission d'enquête et moins encore d'un historien ou d'un journaliste, mais celle d'un médiateur. A la fin d'octobre 1998, la commission du développement et de la coopération que je préside au Parlement européen s'est trouvée en situation d'organiser, après l'élection présidentielle contestée du 21 juin au Togo, une audition conjointe des trois candidats arrivés en tête, le général Eyadéma, proclamé élu et représenté par son ministre des affaires étrangères, Joseph Koffigoh, Gilchrist Olympio, représenté par un des vice-présidents de son parti, Patrick Lawson, et M. Agboyibo, présent lui-même.

Cette audition n'a fait apparaître aucun préalable à la reprise de négociations entre les forces en présence et a, de ce fait, conforté un processus d'ouverture de conversations commencées sur place. Ce processus a conduit à la désignation d'un collège de quatre facilitateurs parmi lesquels l'un, un allemand, représente l'Union européenne. Les travaux de cette médiation n'ont pas pu déboucher à temps pour parvenir à un accord permettant d'éviter le boycottage général décidé par toute l'opposition des élections législatives du 21 mars 1999.

C'est dans ces conditions que le président Eyadéma m'a demandé par téléphone en urgence, le lundi 15 mars, de venir au Togo dès le lendemain pour tenter un effort de dernière chance, et, faute d'avions de ligne disponibles dans le créneau horaire nécessaire, a proposé de me transporter par ses moyens. J'ai, par téléphone, fait état de cette demande et de cette offre aux deux principaux leaders de l'opposition, qui m'ont dit, l'un, n'y pas voir d'inconvénients et, l'autre, y être tout à fait favorable. J'ai donc accompli cette mission, rencontrant sur place le président comme les chefs de l'opposition résidant à Lomé, et établissant la liaison téléphonique avec M. Olympia à Londres. Cette mission a, hélas, échoué, c'était bien tard.

Il m'incombait d'en rendre compte. Le rapport que j'ai rédigé y pourvoit. Il n'a aucune prétention à écrire l'histoire récente du Togo, mais cherche à éclairer les perceptions de cette histoire par les différentes personnalités en cause pour décrire l'enjeu et le contexte des négociations, des concessions possibles et des procédures juridiques et constitutionnelles susceptibles d'en être le support. Il me fallait donc m'abstenir de toute présentation ou formulation des faits qui ne soit pas rigoureusement incontestable par chacune des deux parties. L'objectif que je poursuivais est donc radicalement étranger à celui d'Amnesty International, sans lui être pour autant antagonique, ni le démentir.

Le Togo est sous une forte menace de violence civile. Si on veut tenter de l'éviter. il faut bien parler avec des partenaires qui ne sont pas sans taches. L'impartialité entre dés adversaires n'a qu'un rapport lointain avec l'objectivité historique. Une lecture attentive de mon rapport aurait pu vous éviter deux erreurs. C'est la commission électorale indépendante qui a démissionné et non pas le général Eyadéma qui l'a dessaisie. On ne saurait, d'autre part, dire si simplement que j'appelle à la reprise de la coopération avec le Togo, puisque, évoquant ce problème, j'en soumets la décision à une condition politique majeure : « Il faut pour cela qu'il (le collège des médiateurs) aille sur place et obtienne à tout le moins une réouverture des conversations avec un calendrier, un ordre du jour et des procédures. » ( ... )

Toucher à l'Afrique est toujours délicat. On n'arrange rien en étant sommaire et en mélangeant les genres.