Interview de MM. Robert Hue, secrétaire national du PCF et Michel Rocard, sénateur, à France 2 le 14 juin 1999, sur les résultats des élections européennes du 13 juin 1999, le score du PCF, celui des Verts et du PS et l'Europe sociale.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

F. Laborde - Avec M. Rocard et R. Hue nous allons revenir sur les résultats du scrutin européen d'hier soir. Je me tourne d'abord vers vous, R. Hue : vous avez fait moins de 7 %, c'est très en-dessous de ce que vous espériez. C'est un échec personnel, c'est un échec de votre stratégie plurielle et non communiste parfois dans cette liste ?

R. Hue. – « Avant de donner mon sentiment, que je ne vais pas dissimuler sur cette question, ce matin, en réfléchissant aux résultats, je pense qu'il faut prendre beaucoup plus de recul sur ce qu'est la réalité de ce scrutin. D'abord parce qu'il est quand même un échec terrible de la démocratie, avec cette absence de participation qui vraiment nous pose problème. 53 % d'abstentions, c'est énorme ! Deuxièmement : il faut réfléchir à sa signification : c'est un échec pour l'Europe aussi parce que les Français n'ont pas senti la nécessité d'intervenir sur cette question ou alors c'est qu'ils ont sur l'Europe une opinion qui est très négative, notamment de ses effets, et que, dans ces conditions, ils n'ont pas voulu s'engager sur cette question. Et puis je crois qu'il faudra regarder de près ce qu'est le résultat, y compris lorsqu'il apparaît positif, de la gauche plurielle dans son ensemble. Je pense qu'il ne doit pas dissimuler une réalité sociale avec des urgences importantes. »

F. Laborde - Vous, vous dites, R. Hue, que c'est un échec pour l'Europe. Est-ce que c'est un sentiment que vous partagez, M. Rocard ? La liste socialiste a fait un très bon score, un score historique. Qui a gagné : les socialistes ou les Européens ? Ou en tout cas ceux qui avaient des convictions européennes ?

M. Rocard. – « Les deux. Je ressens un certain malaise à l'écoute de tous les commentaires que j'entends. Ces commentaires sont trop franco-centrés. C'était une élection européenne et toutes les listes qui progressent sont celles qui avaient sur l'Europe des convictions d'une honnêteté absolue. En pour : nous-mêmes, Cohn-Bendit et Bayrou. En contre : de Villiers et Pasqua. »

F. Laborde - Echec aussi, la Chasse ?

M. Rocard. – « Et la Chasse, en effet. Et les vraies difficultés sont celles des listes qui avaient une position un peu hésitante. Alors j'ai une pensée amicale pour nos partenaires et amis communistes, parce qu'ils sortaient d'une position très anti-européenne, et ils ont fait l'effort de comprendre que maintenant l'Europe est installée, qu'il ne s'agit plus d'être pour ou contre - on est dedans - mais de s'y adapter. Et ce message qui est un message de longue échéance, ne pouvait pas passer d'un coup. Le score communiste m'attriste un peu mais ne me surprend pas. Et je dirais la même chose en sens inverse du RPR qui, lui aussi avait à s'adapter à une Europe, qu'il a toujours plus ou moins contestée. Et ça n'est pas non plus vraiment passé. Mais c'est clair : quand vous faites, y compris si on compte la démarche de Sarkozy comme étant un pas vers l'Europe par rapport à l'héritage RPR, c'est 54 % des exprimés qui sont sur des listes favorables à l'Europe. Donc, l'Europe n'est pas perdante là-dedans. Un dernier mot sur la démocratie : je suis un peu moins inquiet que R. Hue parce que d'abord nous sommes à peine au-dessus de nos habituelles abstentions sur l'Europe. L'Europe, on peut dire qu'elle est née cette année : entre le fait que le Parlement a acculé à la démission entre le Kosovo et l'entrée en vigueur du Traité d'Amsterdam. On commence mais personne ne s'en est encore rendu compte. Ce sera plus fort la prochaine fois. On s'apercevra que le scrutin décisif devient maintenant le scrutin européen, y compris pour la France. »

F. Laborde - R. Hue, quelles leçons tirez-vous : qu'il fallait davantage d'Europe ? Qu'il faut continuer le chemin parcouru ? Ou au contraire qu'il faut changer de cap et revenir vers un communisme plus traditionnel ?

R. Hue. – « Au plan de l'Europe, je pense qu'il faut une réponse européenne différente de celle qui est apportée au niveau européen actuel... »

F. Laborde - Mais quelles leçons pour le PC ?

R. Hue : « ... ultra-libérale et qu'il faut réorienter. Ce résultat - je l'ai dit, hier, sans ambiguïté, je crois d'ailleurs que c'est bien de dire les choses avec netteté - ce résultat ne correspond nullement à la formidable campagne inédite que j'ai menée avec la liste "Bouge l'Europe", avec une démarche effectivement euro-constructive. Il va falloir en tirer tous les enseignements politiques de ce résultat. Et je vais moi-même en tirer toutes les conséquences. »

F. Laborde - Ça veut, dire quoi concrètement ?

R. Hue : « Je vais donner mon sentiment le moment venu, mais pas question… »

F. Laborde - Vous allez…

R. Hue. – « ... mais pas question d'un repli frileux. Je pense qu'il faut poursuivre dans un rapport plus fort et plus étroit avec le mouvement social. Et en ce qui me concerne, je dis bien en ce qui me concerne, je pense qu'il faut donner une dimension plus concrète et encore plus significative à la mutation du Parti communiste. »

F. Laborde - Ça veut dire que vous abandonnez définitivement le communisme ?

R. Hue. – « Non, non pas du tout, pas du tout ! Ça veut dire qu'il faut donner à cette mutation du Parti communiste, dans une démarche profondément moderne, plus de concrétisations. Il y a un gros travail à faire, il faut poursuivre, c'est mon sentiment. »

F. Laborde - Vous voulez allez plus loin dans la parité qui est...

R. Hue. – « Ceux qui pensent que, pour moi, ce résultat va me conduire au repli, au sectarisme, à l'étroitesse, se trompent complètement. Ma position va être l'ouverture, la poursuite de l'ouverture et la poursuite d'une mutation encore plus significative du Parti communiste. »

F. Laborde - D. Cohn-Bendit avec 10 %, peut-il espérer avoir des ministres supplémentaires au Gouvernement, R. Hue ?

R. Hue. – « C'est au Premier ministre qu'il appartient de juger. Mais il avait répondu d'avance : ce ne sont pas des élections législatives. Je ne vois pas en quoi ces élections modifieraient le rapport des forces dans le Gouvernement. Cela dit, ça ne m'appartient pas. Il est évident que… »

F. Laborde - Vous, vous avez trois ministres…

R. Hue. – « Oui, on a surtout la possibilité ou pas, avec notre présence, qu'il n'y ait plus de majorité en France. Nous ne souhaitons pas cela. Donc regardons les rapports de force tels qu'ils sont à la lumière et de ces élections et de celles qui les ont précédées, à savoir les législatives. Donc voilà. Quant à D. Cohn-Bendit, je crois qu'il fait un score en tout cas très important ; il est inférieur de 500 000 voix au score fait par Waechter en 1989 et inférieur en pourcentages. Et ça n'avait pas à l'époque bouleversé complètement la situation politique. »

F. Laborde - M. Rocard ?

M. Rocard. – « Oui, je partage un peu cette vision. Le score de D. Cohn-Bendit est un beau score mais c'est pour élection européenne. Personne ne peut savoir si pour une élection dont l'objectif était la politique intérieure française, c'eût été le même. Il faudra attendre de voir si ça se confirme. Le plus beau résultat de ces élections, c'est une considérable consolidation de L. Jospin. La cohabitation va durer paisiblement ; le Gouvernement travaille bien et il a été favorablement apprécié dans cette élection, c'est clair. »

F. Laborde - Et ce qui devrait vous réjouir, c'est que l'Ile-de-France a basculé à gauche, qui est aussi un des enseignements de ce scrutin.

M. Rocard. – « Et même la ville de Paris. »

F. Laborde - Voilà. A Paris la gauche a fait 42 % contre 40 % pour la droite.