Interview de M. François Dufour, porte-parole de la Confédération paysanne, dans "Le Nouvel Observateur" du 9 septembre 1999, sur la mondialisation des échanges au niveau agricole, les OGM et l'évolution des rapports citadin-agriculteur.

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Média : Le Nouvel Observateur

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Le N. O. - Pourquoi vos militants s'en prennent-ils à Mc Do pour défendre le roquefort ? N'est-ce pas de l'antiaméricanisme primaire ?

F. Dufour. - Avec McDo, on s'est attaqué à un symbole, celui de la banalisation d'une agriculture de plus en plus industrielle qui détruit l'agriculture paysanne, l'agriculture des terroirs. En dénonçant cette uniformisation de la bouffe on savait qu'on allait ouvrir un débat de société.

N. O. - Ce concept d'« agriculture paysanne » n'est-il pas archaïque ?

F. Dufour. - Pour nous, le paysan a un triple rôle dans la société : produire en qualité et quantité suffisante ; créer des emplois, pour maintenir des paysans nombreux sur tous les territoires ; respecter ces lieux de vie que sont le sol, le sous-sol et les nappes phréatiques. A ces trois missions, nous ajoutons ce que nous appelons « la dimension de la marguerite » : comme tous les pétales se tiennent entre eux, le développement doit respecter l'utilisation des espèces, des variétés, des races qui permettent à chaque région de conserver son identité. Oui à l'évolution mais dans la maîtrise du milieu et le respect de la biodiversité.

N. O. - Avez-vous le sentiment d'avoir été entendu par les Français ?

F. Dufour. - Au-delà de nos espérances. On n'a jamais pensé que le débat avec les citoyens prendrait une telle ampleur. J'ai passé le week-end à Deauville, où on avait installé une ferme sur les planches, pendant le festival du cinéma américain. On y a vu passer 12 000 à 15 000 personnes ! On a rencontré les cinéastes. On leur a dit : vous défendez l'exception culturelle, nous, nous nous battons pour que l'agriculture ne soit pas bradée au nom des échanges mondiaux. Pour que le commerce des produits reste un commerce organisé et que les échanges internationaux tiennent compte des agricultures du Sud. On leur a dit, portez ce message aux Etats-Unis : on peut échanger sans se faire la guerre comme le font vos transnationales.

On a été surpris par l'écho de notre action mais c'est aussi le fruit d'un long travail et la proximité de la réunion de l'OMC. Depuis trois ans, les citoyens ont compris les dangers de l'agriculture intensive, des dérives des fabricants d'aliments. Les consommateurs français et européens veulent des produits authentiques.

La politique agricole fait que le citoyen paie tous les jours un impôt pour soutenir l'agriculture. Il doit savoir comment l'argent public est utilisé et à quel type de développement. C'est pour cela qu'à Millau sur les 300 personnes qui ont mené l'action, la moitié n'était pas paysans.

N. O. - En rassemblant sous le mot d'ordre de « non à la mauvaise bouffe » ne prenez-vous pas le risque de soulever des problèmes que vous ne pourrez pas résoudre ?

F. Dufour. - Ceux qui ont fait le choix de venir avec nous dire « non au Mc Do » sont aussi des gens qui refusent la mondialisation aveugle des échanges. Celle où les politiques publiques se désengagent pour laisser place à des mécanismes, à un système de productions non maîtrisé : ça provoque des dégâts sur la qualité du produit mais aussi des dégâts sociaux.

N. O. - Vous en appelez au consommateur, mais qu'attendez-vous de lui ?

F. Dufour. - Qu'il ait un réflexe citoyen sur le rôle que le paysan joue dans la société. Je veux lui dire « puisque vous payez pour votre agriculture, vous avez voix aux chapitre ! Dites ce que vous souhaitez, nous, on est prêt à répondre à la demande. A nous battre pour une agriculture saine qui maintienne l'emploi et un revenu correct pour les paysans. A refuser une agriculture duale pour une société duale. A mettre en place des passerelles avec tous les hommes de cette petite planète. Discutons de tout ça ensemble ». Je voudrais qu'on comprenne que si nous défendons nos intérêts nous refusons tout corporatisme. Si la Confédération paysanne était corporatiste, je n'y serais pas.

N. O. - Avez-vous des contacts avec les organisations de consommateurs ?

F. Dufour. - Oui, on a créé il y a quelques années l'Alliance Paysans Consommateurs Ecologistes (au sens associatif, pas politique). C'est parce qu'au nom du principe de précaution nous avons détruit une parcelle de maïs transgénique que s'est tenue la Conférence des Citoyens sur cette question. Depuis nous sommes invités dans des centaines de réunions pour expliquer les problèmes posés par les Organismes Génétiquement Modifiés.

N. O. - Le salut des campagnes passerait donc par la ville ?

F. Dufour. - Certainement ! Si on va avec nos fermes sur la place publique c'est pour communiquer. Tous les derniers week-ends de septembre je suis sur la place de Saint-Lô avec une centaine d'agriculteurs : panneaux, barbecue, distribution d'information. Il y a dix ans, les gens s'approchaient pour caresser les lapins, mais ne voulaient pas parler. L'an dernier, 8 000 personnes sont venues discuter des vaches folles, des OGM, des hormones. Elles ont signé la pétition puis nous ont invités à des réunions.

N. O. - Après la libération de José Bové intervenue mardi, allez-vous continuer à démonter des McDo ?

F. Dufour. - Je ne pense pas. Mais s'il faut continuer à mener des actions, on le fera. Sans violence, c'est-à-dire sans agresser personne. Par exemple, on ira faucher les parcelles de maïs transgénique. On va expliquer aux paysans que la politique de cogestion FNSEA-gouvernement les a trompés trop longtemps. D'un côté, on leur donne des aides pour produire ; de l'autre, le marché mondial les élimine. La spirale dure depuis quarante ans et cache un mensonge permanent de la FNSEA. On va expliquer aux paysans que si l'Europe ne veut pas poser le problème de la maîtrise de la production de porcs, si elle refuse de limiter la taille des ateliers de volailles alors que nous sommes en pleine surproduction, ça veut dire qu'elle a fait le choix d'aller plus loin dans le démantèlement des politiques publiques. On va aussi expliquer aux paysans et à tous les citoyens que le marché mondial fait chuter les prix et élimine les plus faibles. Les gens commencent à le comprendre depuis trois ans : merci la vache folle !