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L’Humanité : L’annonce par Belgrade d’un débat de retrait partiel des troupes serbes du Kosovo crée une situation nouvelle. À votre avis, quelle devrait être la réaction de l’OTAN ?
Robert Hue : Il faut savoir ce que l’on veut. Si on veut réellement trouver une issue à la guerre, il faut se saisir de la moindre opportunité, quelle que soit par ailleurs l’interprétation qu’on fasse du geste de Miloševic. Pour ma part, je considère – et les Français sont de plus en plus nombreux à partager cette analyse – que la stratégie américaine est en échec. Elle n’est pas adaptée à la complexité de la situation dans les Balkans. Elle n’a pas été à même d’arrêter l’horreur des massacres et de l’épuration ethnique menée par Miloševic. Il faut aujourd’hui trouver une issue diplomatique. L’annonce du retrait entrouvre une porte. Profitons de cette occasion. C’est le moment. La France devrait proposer à ses partenaires de l’OTAN d’interrompre les bombardements pour permettre d’enclencher un processus de sortie de crise.
L’Humanité : Mais peut-on faire confiance à Miloševic ?
Robert Hue : Est-ce bien la question ? Bien entendu, il faut vérifier la réalité du retrait annoncé. J’ai eu l’occasion à plusieurs reprises de dire ma condamnation sans appel de l’ultranationalisme des dirigeants de Belgrade et de Miloševic. Mais que pourrait-on attendre de bombardements supplémentaires ? Voilà un mois et demi que l’OTAN bombarde. Quel est le bilan ? Quel risque y aurait-il pour les alliés et pour la paix qu’on interrompe les bombardements ? Moins de destructions et de victimes, est-ce négatif ? Cela montrerait en tout cas que les pays de l’OTAN accordent la priorité à la politique, qu’ils veulent donner une chance à la paix ! Où est le risque ? Mettons Miloševic au pied du mur.
L’Humanité : L’OTAN a exprimé ses regrets après les bombardements de l’ambassade de Chine à Belgrade. Que devrait faire la France, selon vous ?
Robert Hue : Personne ne nie, pas même le président Clinton, la gravité de cet acte. La France n’a pas à assumer de telles erreurs. Elle devrait s’en désolidariser très nettement. Même s’il ne s’agissait pas de l’ambassade de Chine, ce serait gravissime. On joue là avec le feu. Avec des risques très préoccupants d’internationalisation de la crise et des menaces sur le processus diplomatique, notamment à l’ONU. Dans le même temps, cette destruction, avec les dimensions qu’elle prend, doit faire réfléchir sur la gravité de l’engrenage dans lequel nous entraîne la stratégie de l’OTAN. Décidément, tout plaide pour la priorité à la recherche d’une issue politique !
L’Humanité : Mais la France peut-elle se désolidariser de ses alliés ?
Robert Hue : Évidemment, je souhaiterais que cela puisse se faire en concertation avec nos alliés européens. Et cela ne me paraît pas impossible. Il y a débat dans l’alliance. Regardez la position du président de la République italienne : il appelle lui aussi à l’arrêt des bombardements.
Qu’est-ce qui empêche la France de prendre ses responsabilités ? Au nom de quoi aujourd’hui ne saisirait-elle pas cette occasion ? Pourquoi laisserait-elle à d’autres l’initiative, alors qu’elle a joué un rôle décisif pour la conférence de Rambouillet ? On ne demande à personne de perdre la face. Que la France lance une initiative forte en disant : « On vérifie le retrait, on arrête les frappes, et, avec les Nations unies, en relation avec nos partenaires, et avec la médiation de la Russie, on met toutes nos forces pour trouver une issue politique. » Ce serait une bonne chose, conforme à ce que l’on peut attendre de la France.