Article et interviews de M. Alain Madelin, président de Démocratie libérale, dans "Le Figaro" du 4 novembre 1997, à France-Inter le 6, dans "La Provence" du 7, "Sud Ouest" du 13 et "La Dépêche du midi" du 15, notamment sur la grève des routiers, sa conception du libéralisme et la préparation des élections régionales de mars 1998.

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Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - France Inter - La Dépêche du Midi - La Provence - Le Figaro - Sud Ouest

Texte intégral

LE FIGARO - 4 novembre 1997

La dégénérescence du droit de grève

Les routiers ont le droit de grève. En barrant les routes et en bloquant l’approvisionnement en carburant, avec la volonté de paralyser le pays, ils posent aujourd’hui le problème du droit de grève et de ses limites. Le droit de grève, c’est le droit de cesser le travail dans une entreprise pour faire aboutir une revendication. Ce n’est pas celui de bloquer un pays et d’empêcher les autres de travailler. Aujourd’hui ce n’est plus une grève, c’est une insurrection.

Tolérer cette dégénérescence du droit de grève c’est accepter le règne de la force et de la violence. Laisser faire la violence, c’est l’encourager. Laisser faire la force, c’est promouvoir l’injustice d’une société où les politiquement forts l’emportent sur les politiquement faibles. Si l’on veut faire reculer la violence à l’école il ne faut pas l’accepter sur les routes.

La grève est un conflit entre les salariés et une (ou plusieurs) entreprise. Elle intervient lorsque les négociations ont échoué. Elle comporte pour les deux parties, et pour elles seules, des risques et un coût. C’est l’appréciation continue de ceux-ci qui est en mesure de provoquer la fin d’un conflit.

Les libéraux, qui, historiquement, ont œuvré pour la reconnaissance du droit de grève et des syndicats, sont en droit de dire qu’il est urgent d’adapter l’exercice de la grève au monde moderne.

– La grève, qui est une démarche grave et importante, doit être décidée avec toutes les garanties de représentativité et de démocratie (un scrutin secret et pas des décisions à main levée ou l’intimidation par les militants extérieurs).
– La liberté du travail doit être assurée.
– L’ordre public doit être respecté. On ne saurait accepter la violence et les entraves à la liberté de circulation.
– Les services publics essentiels doivent être en mesure de fonctionner.
– La plus haute autorité de l’État, c’est-à-dire le président de la République, doit être en mesure de différer une grève pour les cas qui menacent l’intérêt général.


France Inter - jeudi 6 novembre 1997

S. Paoli : Cependant que la négociation semble avancer entre les partenaires sociaux sur la question des routiers, la paralysie de la France et ses conséquences sur l’ensemble européen provoquent dans l’Union des réactions de colère. T. Blair et L. Jospin ont eu, sur ce thème, un entretien téléphonique qualifié de « robuste. » Le chancelier Kohl n’a pas manqué de rappeler au président Chirac et au Premier ministre qu’en matière de libre-circulation, c’est le droit communautaire qui prévaut sur le droit national. Cette question française – certains disent cette exception française, en élargissant au point de vue français sur la question de l’Europe – sera l’un des thèmes principaux du XXe sommet franco-britannique qui s’ouvre ce soir à Londres. Deux Premiers ministres socialistes, T. Blair et L. Jospin, confrontant deux projets pour l’Europe, l’un de flexibilité, l’anglais, l’autre – le français – plus interventionniste, l’État plus attentif à réguler. La question du libéralisme et de sa définition est inscrite entre ces deux hommes. Aux éditions Perrin paraît aujourd’hui un essai collectif sous la direction d’A. Madelin avec pour titre Aux sources du modèle libéral français. Vous dites qu’il y a un modèle libéral français qui a précédé le modèle anglo-saxon ?

A. Madelin : Oui, bien sûr. On a le sentiment souvent aujourd’hui, que les idées libérales sont des idées d’importation étrangère. Pas du tout, elles sont nées en France, elles ont été portées en France et les grands auteurs libéraux comme Turgot, comme B. Constant, comme Tocqueville, comme J.-B. Say, comme Bastiat, sont parfois beaucoup plus lus et davantage édités.

S. Paoli : Ce sont ceux-là qu’il faudrait d’abord citer ?

A. Madelin : Bien sûr. Et c’est pour montrer cela que j’ai réuni à la Sorbonne des historiens, des économistes, des philosophes français et étrangers. Nous avons voulu montrer qu’il existait vraiment un modèle libéral français, qu’on l’a un peu oublié, et je crois que ce sera une formidable découverte pour des tas de gens qui n’imaginent pas toute la richesse de la pensée libérale et qui pensent que la France s’identifie avec son étatisme. Les périodes étatistes sont de toutes petites périodes de l’histoire de France.

S. Paoli : On vous accole volontiers l’image d’un libéralisme pur et dur. Or, en lisant la préface de l’essai, on découvre un point de vue étonnant, où vous donnez une part très importante à l’aspect philosophique du libéralisme, à l’aspect social, à la place de l’homme dans l’économie.

A. Madelin : C’est peut-être une découverte pour ceux qui liront ce livre, mais le libéralisme, bien sûr, c’est une pensée philosophique, c’est une pensée juridique, c’est une pensée politique de l’équilibre des pouvoirs et, accessoirement, économique. L’économie n’est que la résultante de tout cela. L’homme est libre, libre de faire le bien comme le mal, cela crée sa responsabilité. Pour les uns, c’est une responsabilité devant Dieu, pour les autres, c’est une responsabilité devant sa raison. En tout cas, cette responsabilité de l’homme fait l’égale dignité de tous les êtres humains. Je crois que c’est à partir de cette confiance dans l’homme qu’on peut construire une société, et c’est ce qui oppose, traditionnellement, les libéraux à ceux qui préfèrent la confiance dans l’État à la confiance dans la liberté de l’homme et c’est la raison pour laquelle les libéraux sont à l’aise dans ce XXe siècle parce que, eux, ils ont combattu les deux totalitarismes du XXe, c’est-à-dire le totalitarisme nazi et le totalitarisme communiste."

S. Paoli : Mais si on l’applique à l’actualité d’aujourd’hui vous dites qu’au fond le libéralisme, c’est la primauté du droit, parce que le droit va faire valoir aussi le droit de chacun dans la société. Vous dites par exemple que les barrages sur les routes ne sont pas possibles ?

A. Madelin : Bien sûr parce que ça heurte la liberté d’autrui. Ma liberté s’arrête là où commence celle d’autrui. Je ne peux pas accepter que vous preniez en otage ma liberté en m’interdisant de m’approvisionner en essence. Dix personnes, dans un État de droit, n’ont pas le droit de bloquer une raffinerie. Elles ont droit de faire pression sur leur employeur. Les libéraux ont défendu tout au long du siècle dernier la liberté de coalition, le droit de grève, et la loi sur les syndicats en 1884 – ce que les gens oublient –c’est une grande conquête des libéraux, et l’idée des syndicats est contenue dans des auteurs libéraux français, comme J.-B. Say. Je défends ça mais il y a une limite à ne pas franchir. Ma liberté s’arrête là où commence celle d’autrui.

S. Paoli : Où commence-t-elle ? Où s’est-on trompé ? Vous parlez de la place de l’homme dans l’économie, mais les délocalisations, qui consistent à faire valoir l’intérêt de l’entreprise avant celui de ceux qui y travaillent, comment le qualifiez-vous ?

A. Madelin : Là on retomberait dans l’économie, c’est plus compliqué. Les délocalisations, c’est le libre-échange, et le libre-échange, c’est utile économiquement parce que cela permet d’enrichir un pays, et d’enrichir les plus faibles. Donc, qu’on augmente la richesse nationale, c’est comme ça qu’on fait le progrès social, et le libre-échange est facteur de richesses nationales. Derrière cela, ce qu’il est important de montrer, c’est que contrairement à ce que l’on croit souvent la pensée libérale, c’est la défense des plus faibles. Ce n’est pas le droit des plus forts. Le droit des plus forts, ça c’est le syndicalisme sauvage, c’est l’étatisme sauvage, c’est la société que l’on voit aujourd’hui, où les politiquement forts exploitent les politiquement faibles. C’est toujours la défense du droit du plus faible, et c’est aussi une pensée qui a permis, par la confiance dans l’homme et son efficacité économique, avec des hauts et des bas, bien sûr rien n’est parfait dans ce monde, de tirer les peuples de la pauvreté.

S. Paoli : Ça veut dire qu’il y a, aujourd’hui, un discours libéral possible qui consisterait à défendre, d’un certain point de vue, les camionneurs qui, a bien des égards, peuvent être exploités par les patrons ?

A. Madelin : Bien sûr, parce que de l’autre côté se sera une pensée d’équilibre, parce que d’une part, la pensée libérale souhaite toujours une meilleure récompense du travail. La valeur travail est au cœur de la pensée libérale, l’effort, la récompense, la juste récompense du travail et de l’effort, du mérite des hommes et, en même temps la vie est faite de conflits qu’il faut organiser, c’est pourquoi les libéraux sont favorables, ont été à l’origine des bourses du travail, sont à l’origine de la loi sur les syndicats, sont à l’origine des premières institutions de protection sociale, des caisses d’épargne, des sociétés de secours mutuel, de la loi sur les accident du travail, des premières assurances sociales, des retraites ouvrières et paysannes. Tout ceci sont des créations de la pensée libérale, qui a une très forte dimension sociale. On a peut-être tendance à l’oublier. On a une société où on défend les forts. Eh bien la pensée libérale, parce que c’est une pensée de confiance dans l’homme, est une pensée de défense des petits et des faibles.

S. Paoli : Si on vous suit mot à mot, ce soir, entre T. Blair et L. Jospin, est-ce que c’est une certaine définition du libéralisme, là encore, qui est en jeu ?

A. Madelin : Ce qui est intéressant c’est qu’il existe, aujourd’hui, une exception française. On le voit bien. Le grand courant moderne, c’est le courant libéral. Ce n’est pas un courant de droite contre la gauche il existe une gauche libérale, la preuve, T. Blair, en Grande-Bretagne. Est-ce que la France peut rester à l’écart de ce grand courant moderne d’évolution de la société ? Je ne le crois pas. On a essayé toutes les politiques possibles au cours de ces dernières décennies : les politiques étatistes de droite, les politiques étatistes de gauche. Parfois on a mélangé les genres. Il y a une seule chose que l’on n’a pas essayé, la seule idée qui innove, la seule idée jeune, c’est l’idée libérale. Eh bien je souhaite que le jour vienne de pouvoir mettre en œuvre ces idées enfin en France. Ce ne sont pas des idées importées, ce sont des idées françaises.

S. Paoli : La candidature de M. Trichet à la Banque centrale européenne contre la candidature néerlandaise, qu’en dites-vous ?

A. Madelin : Il est normal qu’un grand pays comme la France ait un candidat. Ce qui est étonnant c’est que les autres pays s’étonnent. Et ils s’étonnent pourquoi ? Parce que la France est un peu l’homme malade de l’Europe, parce qu’ils trouvent bizarre que la France, fière de son exception, prétende donner des leçons à l’Europe. Je souhaite que la France retrouve ses racines et que l’on mette fin à cette exception française qui nous coûte si cher."


La Provence - vendredi 7 novembre 1997

La Provence : Vous arrivez à Marseille alors que le conflit des routiers n’est toujours pas réglé. Quels commentaires fait le libéral que vous êtes sur cette situation ?

Alain Madelin : Le droit de grève est une des conquêtes libérales. Mais le droit de grève, ce n’est pas le droit d’empêcher le travail des autres, de bloquer un pays et de pénaliser toute une économie. Accepter la force et la violence, c’est accepter une politique injuste ou les politiquement fort l’emportent sur les politiquement faibles.

La Provence : On a reproché au gouvernement de se montrer trop interventionniste dans ce dossier.

Alain Madelin : D’un côté, il y a des routiers qui travaillent dur et bien plus que 35 heures par semaine. De l’autre il y a des entreprises surtaxées qui subissent une forte concurrence. Si l’on veut augmenter la feuille de paye des routiers et baisser la feuille d’impôts des entreprises, commençons par baisser les charges qui pèsent sur les entreprises et faire respecter les règles en vigueur. Lionel Jospin a fait un pas dans cette direction, mais un peu trop tard et un peu trop timidement.

La Provence : Faudrait-il utiliser la force pour faire respecter la libre circulation des biens et marchandises ?

Alain Madelin : Le rôle des pouvoirs publics est de faire respecter le droit. On ne peut accepter que quelques personnes paralysent une région et condamnent d’autres au chômage. Si vous bloquez la circulation avec votre voiture, les gendarmes seront là pour vous en empêcher. Dans un État de droit, il ne doit pas y avoir deux poids deux mesures.

La Provence : Il est reproché à l’opposition de manquer de cohérence dans ses critiques contre la politique de Lionel Jospin.

Alain Madelin : Le gouvernement a bénéficié d’un état de grâce et l’opposition a mis du temps à se relever de sa défaite. Mais aujourd’hui, cet état de grâce s’épuise et le décalage entre le verbe et les actes de l’équipe Jospin se fait sentir. Quant à l’opposition, elle doit trouver le moyen de réconcilier les Français avec ses idées.

La Provence : Soutiendrez-vous François Léotard dans son combat en Provence-Alpes-Côte d’Azur ?

Alain Madelin : En menant ce combat. François Léotard a fait un choix courageux et difficile. Mais on ne peut accepter que la calomnie soit utilisée, dans cette région, comme une arme électorale.

La Provence : Le président de la cour d’assises du Var vient, cependant, d’ordonner un complément d’information dans le dossier Yann Piat.

Alain Madelin : S’il y a des doutes à lever, que la police et la justice fassent leur travail ! Mais cela ne donne pas le droit à la calomnie, et je souhaite que les auteurs et l’éditeur du livre sur l’ « Affaire » soient fortement condamnés.

La Provence : Quelle attitude l’opposition doit-elle adopter vis-à-vis du FN ? Faut-il l’attaquer frontalement, comme le fait François Léotard ?

Alain Madelin : Le FN s’est, en partie, grossi des électeurs qui nous ont quitté. Mais ces derniers ne considèrent pas forcément que le mouvement lepéniste détient les solutions de l’avenir de nos enfants ; ils ont aussi voulu exprimer un rejet de la droite CDF-RPR, quand ce n’est pas de la politique toute entière. À nous, si nous voulons retrouver une véritable assise populaire, de nous rapprocher des Français. Pour ma part, le Front national ne me fait pas peur et je ne cherche pas à agiter, en permanence l’épouvantail FN. Je préfère donner à ces électeurs de vraies raisons de croire en nous.


SUD OUEST (Édition d’Agen) - jeudi 13 novembre 1997

SUD-OUEST : Vous avez décidée d’entreprendre une tournée de France en organisant des forums de la démocratie libérale dans les départements et aujourd’hui en Lot-et-Garonne. Qu’attendez-vous en premier lieu de ces débats ?

Alain Madelin : Il existe un formidable décalage entre le sommet et la base, entre les partis politiques repliés sur eux-mêmes, sur leurs querelles internes et la vie réelle de la société, les préoccupations des Français. La vie politique apparaît trop souvent refermée sur elle-même, coupée des réalités. Or, dans un monde qui bouge et qui change la politique aussi doit changer. Je veux faire de la Démocratie libérale une force politique moderne, pas un château fort gardé par les soldats. Une force ouverte sur la vie, la société, les femmes, les jeune, avec une véritable assise populaire. Une force ouverte à de nouvelles sensibilités, comme celle des écologies par exemple. Nous devons trouver les moyens d’une démocratie vivante et participative afin de réconcilier les français avec la politique. Notre mouvement doit être une école de citoyens responsables, très décentralisée à l’image de la France moderne que j’appelle de mes vœux.

Vous voyez bien que l’union n’est pas une condition suffisante. Le problème de l’opposition aujourd’hui c’est d’affirmer franchement l’opinion libérale, de l’exprimer avec force, clarté et conviction pour réussir, demain l’alternance et préparer un meilleur avenir à la France et à nos enfants. L’union de l’opposition, c’est bien. L’union d’une opposition devenue clairement libérale ce serait encore mieux.

SUD-OUEST : À propos d’union dans la perspective des élections régionales, la bonne stratégie est-elle, celle de l’union UDF-RPR ou celle de listes séparées ? En égard notamment aux scores importants dans le département du Front national ?

Alain Madelin : Il est clair que tout le monde fait le choix de l’union notamment compte tenu de la menace du Front national. Mais là encore l’union n’est pas satisfaisante, il faut aussi que les listes soient davantage renouvelées, ouvertes sur la société civile.

C’est dans cet esprit que nous avons organisé toute une série de forums de la Démocratie libérale dans chaque département de France. Ce sont des forums ouverts à tous ceux qui veulent faire un bout de chemin avec nous. À tous ceux qui en ont assez des vieux clivages partisans, des schémas préconçus et des idées toutes faites. À tous ceux qui pensent que les socialistes nous engagent dans la mauvaise direction à contre-courant du monde et du simple bon sens, à tous ceux qui pensent que l’avenir est plus que jamais aux solutions de liberté et de responsabilité.

SUD-OUEST : Les adhérents lot-et-garonnais de Démocratie libérales (comme ceux de FD) voudraient que, dans la perspective des régionales et des cantonales, l’UDF s’appuie sur la base « militant » et souhaite l’ouverture « aux jeunes générations ». Le système de la majorité départementale s’appuie plutôt sur la notoriété, sur l’implantation locale. Comment résoudre ce dilemme ?

Alain Madelin : Nous devons faire une place plus grande aux jeunes générations qui ont envie de s’engager. Mais il est clair aussi que l’intérêt d’une bonne gestion c’est de ne pas se priver de l’expérience.
C’est pourquoi il faut savoir allier l’expérience et le renouvellement. Même si je pense que les électeurs regarderont surtout le renouvellement, l’ouverture à la société civile, aux jeunes, aux femmes.

SUD-OUEST : En matière d’union, jusqu’où peut-on aller au sein de l’UDF et dans les composants de la droite ?

Alain Madelin : L’union est sans doute nécessaire, mais elle ne constitue pas une réponse en soi. Aux élections présidentielles, il y avait une division, avec deux candidats, Balladur et Chirac et l’actuelle opposition l’a emporté. Aux dernière législatives, on a vu l’échec d’une union très forte, avec un seul leader, le premier ministre sortant, un même programme, des candidats uniques.

SUD-OUEST : Jean-Claude Gayssot s’est personnellement inverti dans les règlements du conflit des routiers. En regard de ce qui s’est passé l’an dernier, quelle analyse faites-vous… de cette attitude et de ce qui en a dessoulé ?

Alain Madelin : Je suis un défenseur du droit de grève, qui est, faut-il le rappeler, une des conquêtes libérales. Mais le droit de grève, c’est le droit de cesser son travail dans son entreprise pour faire aboutir une revendication ; ce n’est pas le droit d’empêcher les autres de travailler et a fortiori de bloquer un pays et paralyser toute une économie, condamnant d’autres personnes au chômage. Dans un pays moderne, on ne saurait accepter que quelques-uns, quel que soit le bien-fondé de leurs revendications, puissent impunément prendre les Français en otage, user de la force et de la violence pour se faire entendre. Accepter cela, comme l’a fait le gouvernement, c’est accepter une politique injuste où les politiquement forts l’emportent sur les politiquement faibles. Les gouvernements auraient dû prendre dès le départ les mesures nécessaires pour garantir la liberté de circulation. Car le rôle des pouvoirs publics, c’est de faire respecter le droit. Et les routiers qui ont commis des actes graves, destinés à paralyser le pays comme bloquer des raffineries, auraient dû, pour le principe, être poursuivis, à charge pour les tribunaux d’en mesurer la sanction. Au lieu de cela, M. Gayssot a légitimé le coup de force. Et si je dis cela ce n’est pas parce que je me trouve dans l’opposition car j’avais déjà, l’an dernier, vivement critiqué la passivité du gouvernement lorsque MM. Juppé et Pons avaient déclaré qu’ils n’interviendraient pas. Finalement, ce qui restera dans l’esprit de beaucoup de Français de ce conflit des routiers, c’est que dans notre pays la force est payante.


LA DEPECHE DU MIDI - samedi 15 novembre 1997

La Dépêche du Midi : Comment le libéral que vous êtes juge-t-il l’interventionnisme dont a fait preuve le Premier ministre dans la gestion de la crise des routiers et le succès qui a couronné son action ?

Alain Madelin : Ce que les Français retiendront de ce conflit, c’est que, dans notre pays, la force est payante. Dans un pays moderne et civilisé, il est inacceptable que quelques-uns, quel que soit le bien-fondé de leurs revendications, puissent impunément prendre les Français en otage, paralyser toute une économie et user de la force et de la violence. En laissant faire, l’État a failli à l’une de ses missions essentielles, celle de faire respecter le droit dans notre pays. Cette défaillance de l’État est d’autant plus grave qu’elle légitime un système où trop souvent les politiquement forts exploitent les politiquement faibles, un système dans lequel il y a deux poids deux mesures. C’est donc plutôt l’absence d’interventionnisme que je condamne ici.

La Dépêche du Midi : La crise des routiers, encore elle, a mis en évidence les dérives perverses d’une économie de marché livrée à elle-même. Qu’en pensez-vous ?

Alain Madelin : Le conflit des routiers a mis en évidence une situation économique insoutenable. D’un côté, des routiers qui travaillent dur, dans des conditions difficiles, et beaucoup plus que trente-cinq heures. De l’autre, des entreprises qui se trouvent sur un marché fortement concurrentiel auquel elles ne peuvent faire face, prises en tenaille entre la baisse continue des prix et la hausse excessive des taxes et de la fiscalité. Elles se sont retrouvées coincées. C’est cette concurrence effrénée et parfois sauvage qui a conduit à la révolte des routiers. Je suis pour un marché organisé, et le rôle de l’État, c’est justement de faire respecter la loi et les contrats. Si l’on veut augmenter la feuille de paie des routiers, il faut baisser les charges sur leurs entreprises et faire respecter sur la route les règles en vigueur. Lionel Jospin a fait un pas dans cette direction mais, à mes yeux, un peu trop tard et un peu trop faible.

La Dépêche du Midi : L’opposition, dont vous faites partie, semble toujours chercher ses marques entre Bayrou, Séguin, Balladur. Où vous situez-vous ?

Alain Madelin : Je me situe clairement et ce depuis toujours du côté du modèle libéral, libéral français. J’avais souhaité au moment des législatives que l’actuelle opposition affiche un tournant franchement libéral plutôt que la continuité. Si nous voulions éviter l’alternance il fallait offrir aux Français une vraie alternative. Je n’ai pas été suivi à l’époque. Aujourd’hui, je constate qu’une grande partie de l’opposition, et notamment au sein du RPR, se rallie aux idées libérales et je m’en réjouis.