Article de M. Jean-Pierre Raffarin, président de la région Poitou-Charentes et vice-président de Démocratie libérale, dans "La Tribune" du 25 novembre 1997, sur les avancées du sommet d’Hanoï pour la défense de la francophonie, intitulé "Après Hanoï, un sursaut francophone est nécessaire".

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  • Jean-Pierre Raffarin - président de la région Poitou-Charentes et vice-président de Démocratie libérale

Média : La Tribune

Texte intégral

Il y a un peu plus d'une semaine, le sommet de la francophonie à Hanoï s’est donné les moyens de sa survie. Rempart contre l’idée du monde unique, contre la banalisation des identités, contre l’alignement des diplomates, la francophonie avait besoin d’un sursaut. Les représentants de 49 pays qui se sont retrouvés dans la capitale vietnamienne ont exploré une nouvelle dimension de l'idée francophone : celle de la coopération économique. Après des années de relations fondées prioritairement sur les échanges politiques, culturels et intellectuels, une nouvelle phase s'ouvre pour cette jeune communauté (elle n'en est qu'à son septième sommet), celle d'une solidarité économique renforcée, dans un monde de plus en plus ouvert.

Complémentarités. A la fin du mois d'octobre dernier, en effet, les 54 pays du Commonwealth, réunis à Edimbourg, affichaient des intentions similaires, en indiquant vouloir dorénavant favoriser « la promotion de la démocratie, la recherche de la prospérité au moyen du commerce et du développement » · L'événement est passé relativement inaperçu en France.

Pourtant, il ne peut pas nous laisser insensible, venant d’une communauté qui représente un vaste marché de plus d’un milliard d’habitants.

Il ne faut pas seulement voir dans cette concomitance des deux événements un simple hasard de calendrier. Cette émergence de réseaux de pays, fondée sur le partage d’une même langue et d’une histoire commune, est une illustration supplémentaire de ce besoin d'ancrage que provoque la mondialisation. En abolissant les frontières, en donnant la primauté au « temps réel », notamment dans le domaine économique, le phénomène de mondialisation suscite paradoxalement le besoin d'affirmer une identité.  

Un sursaut francophone est nécessaire pour ne pas se laisser distancer de manière irrémédiable par les régions de tradition et de culture anglophones. Non pour tenter de concurrencer pied à pied la domination de l'anglais mais pour développer des complémentarités et renforcer plus encore la zone d'influence du français.

N'en déplaise à quelques esprits chagrins, engager une bataille frontale du français contre l'anglais est une guerre pour nous perdue d’avance. Les progrès d’Internet le prouvent chaque jour : la suprématie de l’anglais est irrémédiable.

Dans ce contexte, la langue française a un avenir à travers le monde si elle apparaît comme le vrai rempart contre la banalisation. Certes, elle est seulement au neuvième rang des langues les plus utilisées dans le monde. Mais c’est aussi la seule langue, avec l'anglais, à être parlée sur tous les continents.

Que la langue utile est incontestable. Mais qu’elle soit suffisante, rien n’est moins sûr. Le Nigeria, ancienne colonie britannique, n’a-t-il pas récemment adopté le français comme deuxième langue pour favoriser ses échanges avec les pays de l’Afrique occidentale ?

Modèle démocratique. De notre apparente faiblesse, sachons faire de vrais atouts. Le sommet d’Hanoï nous en a offert l'occasion. Le « tout-anglais » n'est pas une fatalité. Comment croire qu'une communauté qui ressemble aujourd’hui environ 500 millions de personnes n'a pas sa voix à faire entendre et ses valeurs à promouvoir ?

Bien sûr, la francophonie ne doit pas se limiter à la défense de la langue française. Elle doit aussi valoriser la diversité culturelle. Il s'agit pour nous de conjuguer identité et ouverture.

Cet idéal n’est pas vain. Face à la montée des intégrismes et de l’intolérance, les liens qui seront tissés autour de l’idée francophone nous permettent de pousser un modèle démocratique. Ils confortent en même temps notre propre identité en l’enrichissant d’apports extérieurs. Que serait la langue française si on avait dressé autour d’elle une muraille la coupant de toutes les cultures qui l’ont enrichie dans le passé ?

Pour de toutes les raisons, le rendez-vous d’Hanoï a été fondamental.  Au-delà de la dimension économique abordée pour la première fois, ce sommet a été l’occasion de mettre en place une organisation e mettre en place une organisation plus structurée au service de la francophonie.

Le secrétaire général qui a été élu à Hanoï en sera le pivot. Il sera tout à la fois le coordonnateur et le porte-parole permanent des intérêts de la francophonie à travers le monde.

Elu à ce poste, Boutros Boutros-Ghali est sans doute le mieux placé pour défendre la communauté francophone : en tant qu’ancien secrétaire général des Nations unies, il lui donnera un visage et un message.

Le français n’est plus utilisé en Asie que par une minorité dans trois pays -  Cambodge, Laos et Vietnam, où la pratique du français est en net recul. Au début des années 90, un peu plus de 10 % des enfants apprenaient encore le français au Vietnam. Cette proportion a aujourd'hui diminué de moitié. Pourtant, avec 20.000 francs par an, il est possible de financer dans ce pays une classe bilingue, c’est-à-dire proposant 10 heures de cours de français par semaine.

Solidarité économique. Les régions françaises, grâce à la coopération décentralisée, peuvent participer à cette grande œuvre. Poitou-Charentes, Rhône-Alpes et Nord-Pas-de-Calais se sont ainsi engagés. La relance de la francophonie au Vietnam est aussi un élément essentiel pour nos entreprises. C’est une opportunité que les chefs d'entreprise doivent saisir sans attendre les entreprises françaises ne peuvent pas être absentes d'un marché asiatique dynamique, l'un des plus prometteurs au monde. Mais attention membre de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (Asean), vaste zone dominée par l'anglais, le Vietnam réalise par exemple 70 % de ses échanges avec ces pays.

La francophonie doit être un chantier majeur de l'action internationale de la France. Jacques Chirac a compris toute la grandeur qu'il y aurait à transformer progressivement l'espace francophone en un espace de solidarité économique. D'où le sursaut qu'il a souhaité impulser à Hanoï. Avec raison.