Texte intégral
TF1 : Dans un instant, pour la nouvelle année, « Public » reçoit Dominique Strauss-Kahn, le ministre de l’économie et des finances. Nous parlerons évidemment des grandes échéances économiques qui attendent la France en 1998 et puis aussi de l’actualité, les violences urbaines, le mouvement des chômeurs. Bref, tout ce qui peut concerner un membre éminent du Gouvernement.
À tout de suite.
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TF1 : Bonsoir à toutes, bonsoir à tous.
À l’aube de cette nouvelle année, laissez-moi, au nom de toute l’équipe de « Public », vous souhaiter une bonne année et les meilleurs vœux de cette équipe qui va essayer de vous conduire, au moins jusqu’au mois de juin, de dimanche en dimanche, sur les sentiers de la vie politique, avec des échéances bien intéressantes, les élections régionales.
Nous allons en parler dans un instant avec celui que je remercie d’être mon premier invité, Dominique Strauss-Kahn, premier invité de l’année 1998.
Et je vous remercie d’autant plus que vous soyez là, que je peux vous remercier aussi, puisque c’est un peu grâce à vous que je suis là sur TF1, le dimanche soir.
Dominique Strauss-Kahn : Ce n’est pas grâce à moi. Mais si Anne n’avait pas décidé d’arrêter son émission, je ne serais pas là et vous n’y seriez pas non plus.
TF1 : Je remercie Dominique Strauss-Kahn d’être là et je remercie Monsieur Sinclair de m’avoir permis d’être là aussi.
Dominique Strauss-Kahn : C’est très bien !
TF1 : On va parler de l’actualité politique avec ce qui se passe du côté des chômeurs et le premier mouvement national d’envergure des chômeurs, les violences urbaines. Tout cela sera l’objet de « L’Édito ».
Dans un premier temps, si vous le voulez bien, nous parlerons de vous, à partir de votre portrait. Mais je voudrais juste commencer l’émission en vous demandant : « Vous avez, j’imagine, écouté le président de la République présenter ses vœux aux Français. Il a réaffirmé de façon très marquée le fait qu’il parlerait quand bon lui semblerait, dès qu’il considérerait les intérêts de la France en cause ». C’était quand même une façon de jeter une pierre dans le jardin du Premier ministre et du Gouvernement ?
Dominique Strauss-Kahn : Non, je n’ai pas trouvé. J’ai trouvé que c’était des vœux assez républicains. Personne ne veut empêcher le président de la République de s’exprimer. C’est normal qu’il le fasse quand il trouve que c’est important.
J’ai trouvé que ces vœux, à la fois de son côté et ceux qu’il a adressés au Gouvernement quand on s’est réunis autour de lui vendredi, ceux que Lionel Jospin lui a présentés de notre part, tout cela relevait d’une bonne tradition.
TF1 : En même temps, on a eu le sentiment, dans les dernières semaines de 1997, d’un certain durcissement de la cohabitation. Vous n’avez rien senti, vous ?
Dominique Strauss-Kahn : Non, il y a des sujets sur lesquels il y a des désaccords. Il y a des sujets sur lesquels les choses se passent de façon très coordonné. Regardez à Luxembourg, lors du sommet de décembre – j’y étais avec le président de la République et le Premier ministre, Lionel Jospin -, la France a parlé d’une seule voix, de façon très homogène. Il est normal qu’il y ait des différences, tout le monde, et donc il est normal qu’elles s’expriment.
Et puis, il y a des choses, notamment vis-à-vis de l’étranger, en Europe, lorsque la France doit parler ensemble, d’une seule voix, elle le fait. Je trouve que cela fonctionne plutôt bien.
TF1 : Et vous ne craignez pas que les échéances électorales qui vont venir tendent davantage, sur le plan intérieur, la cohabitation ?
Dominique Strauss-Kahn : Ce n’est pas une élection présidentielle qu’on a devant nous…
TF1 : … pas tout de suite ! Normalement.
Dominique Strauss-Kahn : Lorsqu’elle viendra, on verra ! Vous pensez aux élections régionales ?
TF1 : Je pense aux élections régionales.
Dominique Strauss-Kahn : Non, je ne le crois pas. Le président de la République est au-dessus de tout cela. Il est le président de tous les Français. Donc il va regarder les élections régionales. Il dira peut-être qu’il préfère les uns aux autres. Cela ne surprendra personne à vrai dire…
TF1 : … on peut même deviner déjà.
Dominique Strauss-Kahn : On peut même deviner, oui.
Je ne crois pas vraiment qu’il y ait des raisons aujourd’hui de voir la cohabitation se tendre. Il y a des différences, c’est clair, personne les cache. Lorsque le président de la République trouve que les 35 heures, cela ne lui plaît pas, il dit : « cela ne me plaît pas ». Évidemment, on s’en doutait, on le savait. Ce n’était pas sa politique lorsque ses amis étaient au pouvoir. Mais je trouve que la mécanique de la cohabitation fonctionne bien.
TF1 : Plus fondamentalement et sur le fond, trouvez-vous que la cohabitation est une situation très saine pour la démocratie ?
Dominique Strauss-Kahn : C’est une situation qui découle de la Ve République et de nos institutions. Nous avons une situation un peu particulière par rapport aux autres pays. C’est vrai que, dans la plupart des pays, le pouvoir exécutif est entièrement détenu par un parti ou par un autre. Encore qu’aux États-Unis, ce n’est pas le cas. Aux États-Unis, l’exécutif est détenu par le président des États-Unis, mais il arrive que le Congrès lui soit totalement opposé. C’est une sorte de cohabitation.
Je trouve que cela fonctionne et j’ai le sentiment, au travers des sondages en tout cas, que les Français ne sont pas opposés à cette méthode. Honnêtement, je crois que c’est quand même mieux lorsqu’il y a cohérence et donc je ne désespère qu’un jour la gauche soit à la fois présente à l’Élysée et à Matignon. Mais pour le moment, on s’accommode de la situation.
TF1 : Le contraire nous eut étonnés.
Dominique Strauss-Kahn, on se trouve dans un instant. Petite page de pub, il faut reprendre les bonnes habitudes.
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TF1 : Retour sur le plateau de « Public » avec Dominique Strauss-Kahn, le ministre de l’économie et des finances.
Dominique Strauss-Kahn, vous avez droit évidemment à votre portrait. C’est aujourd’hui Colin Ledoux qui s’est chargé de le brosser. On regarde.
Portrait.
TF1 : Ne revenons pas sur les vacances durement compromises de cette année. Vous vous retrouvez dans ce portrait qui est assez acide, qui dit de vous finalement : « super-doué en économie, mais un peu plus faible en politique » ?
Dominique Strauss-Kahn : C’est devenu un lieu commun de dire cela. Ce n’est pas d’une grande originalité. Je ne crois pas que ce soit vrai. D’abord, je ne crois pas être super-doué en économie. J’essaie de faire mon métier correctement. Et je crois que je me suis investi en politique depuis tellement longtemps maintenant que j’y ai acquis comme d’autres un certain nombre de réflexes.
Je suis d’une famille de gauche. J’ai commencé à entre au PS, il y a vingt ans de cela et à travailler avec Lionel Jospin puisque, comme le dit le petit film, j’ai tout de suite été associé à son travail. Et il n’est pas particulièrement quelqu’un qui est mauvais en politique.
Lorsque, par exemple, j’ai choisi d’être élu à Sarcelles, puisque j’ai été, jusqu’à ce que j’entre au Gouvernement, le maire de Sarcelles, c’est aussi parce que je pensais que c’était là qu’il y avait de l’action politique à faire, de l’action dans les quartiers, de faire des choses concrètes. C’est aussi cela la politique.
La politique, c’est vouloir changer les choses. Une des petites séquences qui étaient reprises le disait. Je reste fidèle à ce que je disais à ce moment-là, je ne sais pas de quand cela date. La politique, c’est de vouloir que ça change. Et changer, c’est changer au niveau du pays, quand on a la chance d’avoir une responsabilité au niveau du pays, et c’est changer aussi au niveau plus concret, plus local, lorsque la vie politique fait qu’on reste un élu local, ce que j’ai été pendant des années. Et je crois que dans la ville dont j’étais maire et à laquelle je m’intéresse encore beaucoup, puisque je participe encore au conseil municipal, je crois qu’on a changé les choses. C’est cela la politique.
TF1 : Mais, en même temps, le poste du ministre de l’économie et des finances, quand on est dans un gouvernement de gauche, ce n’est pas celui où l’on peut faire montre du plus d’audace, du plus d’innovation. On est un peu l’interface quand même avec le marché, les milieux financiers, les patrons.
Dominique Strauss-Kahn : On est l’endroit où on est en conflit avec, parfois, les patrons, parfois les marchés financiers. Je crois qu’on peut avoir de l’audace. Regardez…
TF1 : … mais surtout avec son propre idéal, souvent.
Dominique Strauss-Kahn : Non. Cela est une vieille idée de gauche de dire : « la gauche, c’est seulement la répartition, c’est l’égalitarisme », pas du tout ! La gauche, c’est cela, c’est la solidarité, c’est la cohésion sociale. Mais la gauche, c’est aussi vouloir faire que le pays avance, vouloir que ça change, vouloir qu’on produise différemment, les nouvelles technologies. On y reviendra peut-être tout à l’heure. La gauche, c’est vouloir, dans la loi de finances, le budget que le Parlement a voté il n’y a pas longtemps, faire en sorte que – cela a été dit tout à l’heure – la fiscalité des revenus du travail soit moins lourde, celle des revenus du capital plus lourde. De rééquilibrer entre ceux qui s’enrichissent en dormant, comme on a dit dans le passé, et ceux qui travaillent.
Tout cela, l’audace, non… je ne dirais pas que c’est une audace folle, mais c’est un changement. Vous vous rappelez pendant la campagne le slogan, c’était « changer l’avenir ». Je crois qu’à ma place, qui n’est que ma place, mais à ma place je contribue à faire que la France essaie de changer l’avenir.
TF1 : Mais dans les rangs socialistes, on vous met quelquefois en garde contre ce qu’on appelle « le syndrome Bérégovoy », c’est-à-dire une façon d’être, finalement, un peu hypnotisé par les milieux d’affaires, par la reconnaissance des milieux boursiers, etc. Vous n’avez pas, vous le sentiment d’être le plus respectable des socialistes par rapport à des gens qui sont a priori opposés aux mesures que le Gouvernement, dans son ensemble, peur prendre ?
Dominique Strauss-Kahn : Quand on interroge les chefs d’entreprise sur la mesure qui les a plus frappés lorsque Pierre Bérégovoy était ministre des finances, c’est la baisse de l’impôt sur les sociétés. Quelle est la mesure que j’ai prise quand je suis arrivé au Gouvernement ? C’était la hausse de l’impôt sur les sociétés.
TF1 : C’est une réponse. Mais comment jugez-vous les réactions du patronat, par exemple, aux 35 heures ? Elles ont été quand même beaucoup plus violentes que ce que vous le pensiez.
Dominique Strauss-Kahn : Oui, vous avez raison.
Lorsque Lionel Jospin, lors de la conférence du 10 octobre, avec Martine Aubry, avec moi-même, avec Christian Sautter qui était là aussi, a présenté ce que le Gouvernement voulait faire, j’avais l’impression que le patronat comprendrait – non pas qu’il serait « pour », depuis toujours il dit qu’il est « contre », je crois qu’il a tort, mais c’est sa position –, qu’il y avait là une chance formidable de faire avancer les choses. Et je pense qu’il est encore temps qu’il comprenne.
Nous, nous comprenons que les entreprises doivent être rentables, qu’il ne faut pas attenter à leur compétitivité. Lionel Jospin, d’ailleurs, l’a beaucoup dit lors de cette conférence. C’est dans son texte : « il ne faut pas que ça touche à la compétitivité ». Et, lui, le patronat doit comprendre qu’on ne peut pas avoir des entreprises saines dans un pays dans lequel il y aurait de plus en plus de chômeurs. Il doit comprendre qu’il y a un effort à faire dans cette direction…
TF1 : … oui, mais visiblement il ne le comprend pas. Tout au moins, il ne le comprend avec vos mots.
Dominique Strauss-Kahn : Et c’est pour cela que vous avez raison de dire que j’ai été un peu surpris. Je pensais qu’il le comprendrait mieux. Nous avons encore un mois, puis la discussion parlementaire pour que cela avance. Je crois que c’est à lui de dire…
TF1 : … mais ce n’est pas déjà un échec politique de la part du Gouvernement ? Je pense aux 35 heures, je pense à l’immigration, à chaque fois on brandissait l’idéal d’un consensus républicain relativement large. Finalement, ce consensus a volé en éclats sur les 35 heures avec l’attitude du patronat et sur l’immigration avec l’attitude de l’opposition au Parlement.
Dominique Strauss-Kahn : Cela veut dire que, grande surprise, la droite et la gauche continuent d’exister. C’est cela que vous voulez dire ? Mais, oui, cela existe…
TF1 : … on semble s’en inquiéter quelquefois du côté de Matignon.
Dominique Strauss-Kahn : Mais non, pas du tout ! Je crois que c’est une bonne chose que la gauche et la droite existent dans un pays. Cela change dans le temps, la gauche d’aujourd’hui, ce n’est pas celle d’il y a vingt ans. La droite d’aujourd’hui n’est pas celle d’il y a cent ans qui était contre la République. Cela change ! Mais la gauche et la droite, ça existe, cela s’oppose, cela fait avancer le pays avec des positions différentes. Et les 35 heures qui étaient dans notre programme, que nous pensons utiles pour l’emploi, nous le mettons en œuvre.
Nous aurions pu espérer effectivement que le patronat suivrait, vous avez raison ! Il ne suit pas, pour le moment en tout cas une partie du patronat. Parce que, quand on va rencontrer les gens, moi, j’étais, il n’y a pas très longtemps, en Normandie, visiter les entreprises qui avaient mis en œuvre les expériences de réduction du temps de travail avant cette loi, on voit que les choses peuvent bouger. Il y a des dizaines, des centaines d’accords qui existent dans les entreprises. J’ai entendu quelqu’un dire que « c’était aventureux comme expérience »…
TF1 : … oui, mais c’est au nom de ces accords qui n’avaient pas besoin d’une loi-cadre que le patronat refuse l’idée d’une loi.
Dominique Strauss-Kahn : Sauf que les accords en question, je vous ai dit qu’il y en avait quelques centaines. Cela montre que cela existe, mais cela ne couvre pas encore l’ensemble du pays, loin de là ! On doit être à un millier à peu près. On a besoin de beaucoup plus. Et parce que, dans notre pays, contrairement aux autres, contrairement à beaucoup d’autres pays, les choses n’avançaient pas assez vite dans ce sens-là – on prend toujours l’exemple de la Hollande –, vous le connaissez comme moi –, en Hollande, la réduction du temps de travail a été fortement à l’origine de la baisse du chômage. Ce n’est pas le seul moyen, je ne veux pas du tout dire cela, mais c’est un moyen –, nous avons pensé que, en effet, mettre en place à l’horizon 2000 quelque chose qui comprenait à la fois des aides publiques – c’est le cas aujourd’hui – et puis une durée légale, ce n’est pas la durée effective, c’est la durée légale. Les entreprises ne travaillent pas obligatoirement la durée légale. Certaines travaillent moins, d’autres travaillent plus. Cela s’appelle « les heures supplémentaires », mais faire baisser la durée légale est un moyen qui pouvait pousser à la négociation.
Et ce qu’il faut, c’est cela. Personne ne pense que c’est à Matignon ou à l’Assemblée nationale qu’on va décider d’appuyer sur un bouton, une sorte de commande générale qui va faire que la durée du travail va baisser partout. Cela n’a pas de sens. En revanche, mettre en place des instruments, la durée légale dans deux ans – puisqu’on l’annonce maintenant, mais c’est pour dans deux ans, et encore pour les petites entreprises, ce sera deux ans plus tard, après les premiers deux ans, au bout de quatre ans –, mettre en place des incitations financières, essayer de pousser à la négociation, c’est l’objet de la manœuvre. Vous me direz que, pour le moment, cela n’a pas l’air de réussir parce que le patronat…
TF1 : J’allais vous le dire.
Dominique Strauss-Kahn : … ne veut pas négocier. Mais je crois qu’il est souhaitable qu’il y vienne.
TF1 : Quels arguments allez-vous avoir par rapport au CNPF ?
Dominique Strauss-Kahn : Le rôle du CNPF dans ce pays est de négocier, c’est de voir où sont les forces sociales, ce que veulent les syndicats, ce qu’eux veulent et de négocier. Nous ne préemptons pas le résultat des négociations. Je ne dis pas : « le résultat de la négociation, je sais que cela va être cela », mais je veux essayer de pousser les syndicats et le patronat à discuter. Dans notre pays, on n’a pas cette tradition, contrairement aux Allemands, aux pays du Nord, à beaucoup d’autres pays où cela discute souvent. Ils tombent d’accord, ils ne tombent pas d’accord. Cela va plus ou moins vite, mais en tout cas cela bouge. Dans notre pays, il y a très peu de négociations. Des années qu’il n’y a pas eu une grande négociation collective.
Eh bien, là, il y a un sujet qui, je crois, est un sujet tout à fait majeur pour la société. On va reparler du chômage tout à l’heure – je pense –, mais il faut que la négociation s’engage et, nous, nous sommes convaincus. Nous sommes convaincus qu’il y a, là, un instrument. Pas la panacée. Il faut beaucoup d’autres choses, la croissance – on y reviendra –, les emplois pour les jeunes, les emplois de proximité. Il y a beaucoup d’autres choses. Mais il y a, là, un instrument pour faire baisser le chômage. Pour une raison simple, tout le monde la comprend. Vous avez un cahier devant vous. Il y a vingt ans, il fallait beaucoup plus de travail pour produire ce cahier. Aujourd’hui, il faut moins de travail grâce au progrès technique. Et vous ne consommer pas plus de cahiers qu’il y a vingt ans ou que votre père, votre grand-père, il y a cinquante ans ou cent ans, consommaient. Donc, le progrès technique fait qu’on travaille moins, et c’est tant mieux ! Et c’est dans le sens aussi que la réduction du temps de travail est un progrès social.
Parce que le progrès technique fait qu’il y a besoin de moins de travail pour produire les objets. Depuis cent ans, on travaille moins. Tout le monde le sait, tout le monde sait qu’on travaille beaucoup moins qu’au XIXe siècle, et tant mieux ! Avec des revenus qui, dans la période, ont beaucoup augmenté, parce que la croissance économique, le progrès technologique permettent à la fois de travailler moins et d’avoir plus de revenus, plus de pouvoir d’achat.
Dans notre pays, cela s’est bloqué depuis une quinzaine d’années. Donc, il faut que cela redémarre. Et c’est ce processus qu’on veut faire redémarrer. On ne peut pas concevoir d’aller vers une société dans laquelle, tous les ans, il y a du progrès technique. Tous les ans, pour fabriquer la même table, il faut moins de travail et où, pour autant, on ne réduirait pas la durée du travail.
TF1 : Et en même temps, cette tension du CNPF sur la question des 35 heures, elle hypothèque aussi d’autres initiatives du Gouvernement. Je pense aux emplois-jeunes, par exemple. Ils ont démarré dans le secteur public et vous avez souvent dit que « c’était finalement une sorte d’exemple que vous vouliez donner pour que le privé suive ». Et là, on a le sentiment que le blocage va être ici, aussi, tout à fait fort.
Dominique Strauss-Kahn : Je n’en suis pas sûr ! Parce que, rappelez-vous, à la sortie de cette conférence du 10 octobre où il y a eu cette explosion du patronat, Monsieur Gandois en a démissionné. Il a dit : « La seule chose sur laquelle nous continuerons quand même, ce sont les emplois-jeunes ». Et donc, il faut maintenant que le patronat tienne sa promesse et, effectivement, avance sur les emplois-jeunes, du côté du privé, comme le Gouvernement le fait du côté public.
C’est quand même une belle réussite, ces emplois-jeunes, du côté public, vous le reconnaîtrez ! …
TF1 : … je reviens justement à ce que vous appeliez…
Dominique Strauss-Kahn : … vous ne voulez pas le reconnaître…
TF1 : … si, si, je reconnais… non, je ne le reconnais pas tant que cela d’ailleurs ! … Je reviens à ce que vous appeliez « un lieu commun » tout à l’heure, le fait que vous n’étiez peut-être pas un si bon politique que cela. Mais, finalement, alors que, si je suis bien renseigné, c’est plutôt vous qui en avez eu l’idée en premier…
Dominique Strauss-Kahn : C’est Martine Aubry qui les met en œuvre.
TF1 : … et que Martine Aubry était plutôt hostile au début. La CSG, vous en avez eu l’idée, on l’attribue à Michel Rocard. Finalement, vous n’avez pas su capitaliser vos idées.
Dominique Strauss-Kahn : Je ne brevète pas les idées. Vous avez raison, quand je travaillais au Parti socialiste pour sa commission économique, les premières idées sur la CSG qui s’appelait le prélèvement proportionnel, à l’époque, sont sorties du groupe que je pilotais. Et, en effet, l’idée des emplois-jeunes, c’est moi qui l’ai proposée. Je n’ai aucune fierté à cela. Moi, je suis pour un travail collectif.
Et quand je faisais beaucoup de sport, c’est moins le cas maintenant, je faisais du rugby, je jouais collectif. Et donc je produis des idées, en espérant qu’elles sont bonnes, et que d’autres aillent au pouvoir et les mettent en œuvre, Michel Rocard pour la CSG et Martine Aubry pour les emplois-jeunes. Cela me satisfait.
TF1 : Être de gauche et ministre des finances qui, a priori, est un des postes où on est le plus conservateur, c’est vrai aussi du ministre de l’intérieur, etc. N’y a-t-il pas quelquefois une contradiction qu’on vit intimement ?
Dominique Strauss-Kahn : Non, il y a le fait qu’on doit se préoccuper de parties de la société qui, souvent, ne sont pas celles qui sont les plus à gauche, vous avez raison. Cela peut créer des situations de conflit, cela peut créer des situations difficiles. C’est vrai ! On supporte.
Quand on a les idées claires sur ce qu’on veut faire, sur le fait qu’on veut faire plus de vie sociale, plus de croissance… par exemple, quand on avait les idées bien claires et on les a claires sur le fait qu’il fallait relancer la consommation, et elle redémarre, et que c’est comme cela qu’il fallait faire, qu’il ne fallait pas faire d’impôt sur les ménages, comme on a fait, Alain Juppé en 1995, et que s’il y avait des impôts à faire, il les fallait faire sur les entreprises parce que c’est là qu’était l’argent et qu’il ne fallait faire pas prendre le pouvoir d’achat des ménages. Quand on a les idées claires, on le fait.
Après, évidemment, quand on a augmenté l’impôt sur les sociétés en juillet, je ne peux pas dire que les entreprises soient venues m’acclamer sous mes fenêtres. Mais, là, ce sont des choix politiques et aussi des choix économiques. Je pense que c’est ce qu’il fallait faire. Les mois qui viennent de s’écouler semblent me donner raison puisqu’en effet la consommation redémarre, les envies d’investissement existent partout. C’est un peu pollué, vous avez raison, pour le moment par la crainte sur les 35 heures. Je pense que, dès que le texte sera voté, que les éclaircissements seront là, tout cela repartira normalement et on devrait avoir une très bonne année 1998. Pas pour tout le monde, on en reparlera tout à l’heure, il y a des chômeurs dans des situations très difficiles, mais globalement l’économie française doit avoir une très bonne année 1998 : bonne consommation, bon investissement et, dans la deuxième moitié de l’année, une baisse assez sensible du chômage.
TF1 : Donc, les clignotants sont au vert ?
Dominique Strauss-Kahn : Non, je ne dirais pas cela parce qu’il peut toujours y avoir des difficultés. Je pense qu’au point où nous en sommes aujourd’hui, nous sommes sur une bonne pente. Il y a toujours des difficultés devant nous, mais l’année 1998 devrait être une bonne année.
TF1 : Une des priorités – on y reviendra tout à l’heure après « L’Édito » puisque le mouvement des chômeurs est l’un des thèmes de l’actualité – de l’action gouvernementale, c’est la lutte contre le chômage. Et nous avons décidé à « Public », chose un peu nouvelle, une consultation internationale sur Internet. Je le dis tout de suite, ce n’est pas un sondage puisqu’il n’y a pas toutes les garanties de panel, de coefficient rectificatif, etc., mais on a, avec un serveur qui s’appelle Yahoo qui est bien connu des internautes, fait une consultation en Grande-Bretagne, aux États-Unis, en Allemagne, en France avec cette question : « Selon vous, est-ce que les hommes politiques ont une influence dans la lutte contre le chômage dans votre pays ? »
Le chiffre global : il y a eu plus de 7 000 personnes qui ont répondu à notre consultation, sorte de micro-trottoir électronique. Encore une fois, ce n’est pas un sondage. Le « oui » se dégage nettement, à 64 % par rapport au « non », 36 %. Mais quand on regarde le détail, pays par pays, on est assez effarés parce que c’est en France que les hommes politiques sont le moins crédités d’une influence contre le chômage : 50-50, et c’est assez paradoxal que le pays le plus libéral dans les termes, les États-Unis, voit 78 % de gens penser à l’efficacité de l’action politique.
Votre réaction à cette consultation, à ce micro-trottoir électronique ?
Dominique Strauss-Kahn : Deux remarques.
D’abord, ce n’est pas totalement une surprise que dans les pays où il y a moins de chômage, comme aux États-Unis, les gens pensent naturellement que le Gouvernement est plus efficace.
Et donc, dans une certaine mesure, le résultat français, c’est la deuxième remarque, est un peu la critique du passé. Je ne veux pas faire de politicaillerie, pas plus du passé récent que du passé plus ancien, mais du passé français, c’est-à-dire qu’en effet, nous n’avons pas trop réussi à résoudre le chômage. C’est le moins que l’on puisse dire ! Le taux de chômage français est un taux de chômage assez élevé, et donc c’est assez normal qu’on trouve ce taux-là.
Ce que je vous propose, c’est qu’on refasse la même chose dans un an…
TF1 : … parce que vous êtes sûr encore d’être au Gouvernement dans un an ?
Dominique Strauss-Kahn : Non, mais vous verrez bien le résultat. Moi, non, mais le Gouvernement sera là.
TF1 : Il y aura un gouvernement.
Dominique Strauss-Kahn : Non, non, je pense qu’il y aura ce Gouvernement. Je n’ai pas beaucoup de doutes là-dessus. Enfin, bref, peu importe ! En tout cas, dans un an, voyons si les résultats que j’espère, auxquels je crois vraiment, que la politique que mène le Gouvernement, auront un peu changé ou pas…
TF1 : … cela se heurte à un scepticisme général. On se dit : « Finalement, chaque gouvernement a proposé ses solutions contre le chômage », et on bute finalement contre…
Dominique Strauss-Kahn : … le paradoxe, c’est cela ! C’est qu’on dit cela et, dans le même temps, quand un gouvernement propose quelque chose qui est neuf, la réduction du temps de travail, il y a des gens pour dire : « Ah, mais non ! Il ne faut pas essayer ». Oui, il faut essayer parce qu’il faut résoudre le chômage.
TF1 : Vous êtes aussi fautif parce que, au départ, la réduction du temps de travail a été brandie par le Gouvernement comme l’une des armes dans la lutte contre le chômage. Puis on a eu l’impression que cet aspect-là des choses était de moins en moins revendiqué…
Dominique Strauss-Kahn : … pas du tout ! Pas du tout !
TF1 : Je vous assure que si.
Dominique Strauss-Kahn : Eh bien, écoutez-moi : je vous le revendique.
Comme je vous l’ai dit, ce n’est pas la seule arme contre le chômage – ce serait absurde de dire cela –, la croissance est tout à fait indispensable – on va y revenir peut-être tout à l’heure –, mais c’est un des éléments.
J’emploie parfois l’image du piano. Il faut jouer sur toutes les touches du piano. C’est absurde de taper tout le temps sur la même touche, on ne fait pas de musique avec cela. Il faut jouer sur toutes les touches. Il y a une touche qui s’appelle « la réduction du temps de travail ». Il faut le faire le mieux possible. C’est une meilleure efficacité dans l’entreprise lorsque le travail est réorganisé. Cela se voit dans les entreprises qui l’on fait. C’est la modération salariale pour quelques années en échange de la réduction du temps de travail. Ce sont aussi les aides de l’État. Et ce paquet-là donne de très bons résultats là où il s’est fait. Il faut arriver à le généraliser. Mais, moi, je crois tout à fait à l’effet sur l’emploi.
J’ai une question : votre sondage sur Yahoo, vous l’avez fait…
TF1 : … ce n’est pas un sondage, c’est une consultation.
Dominique Strauss-Kahn : Vous l’avez fait dans plusieurs pays, c’est ce qu’on voit…
TF1 : … oui, tout à fait.
Dominique Strauss-Kahn : Mais, par exemple, sur la France, vous l’avez fait sur le Yahoo anglais, consulté par les Français, ou sur le Yahoo français ?
TF1 : Sur le Yahoo français.
Dominique Strauss-Kahn : Ah ! oui. Parce qu’on pourrait aussi concevoir d’étudier ce que disent les Français qui vont consulter le Yahoo anglais. À mon avis, il y en a plus. Et donc peut-être auriez-vous plus de réponses.
TF1 : C’est un début. Donc, on verra la suite. Merci du conseil. D’ailleurs, on verra tout à l’heure que Bercy s’est doté aussi d’un site Internet. On y regardera de près puisqu’il sera question des impôts dans la dernière partie de l’émission.
Avant de clore cette première partie de l’émission, je voudrais juste vous poser une question concernant les régionales. La classe politique attend vos propos parce qu’il y a une certaine confusion. On sait que vous allez être tête de liste du Parti socialiste dans le Val-d’Oise, mais curieusement personne n’est capable de dire au Parti socialiste qui va briguer la présidence de la région Île-de-France. On a dit un moment que ce serait vous. Puis, après on a entendu le nom de Michel Rocard. Au moins, du côté de l’opposition, c’est clair, on sait qu’Édouard Balladur, sans doute ou sans aucun doute, sera le challenger.
Dominique Strauss-Kahn : Sans doute ou sans aucun doute ?
TF1 : Sans doute. Mais parlez déjà pour vous.
Dominique Strauss-Kahn : Il n’y a pas de confusion. Les socialistes d’Île-de-France m’ont demandé de conduire cette campagne, d’être leur chef de file, d’animer la campagne, je le ferai. J’aime cette région, j’y suis élu. Les sujets de la région m’intéressent. La région Île-de-France, c’est Paris, mais c’est aussi beaucoup la banlieue, et la banlieue, c’est quelque chose sur laquelle j’ai pas mal travaillé. Donc, j’ai l’intention de m’investir dans la région, de siéger à la région, d’y rénover les choses, très bien ! Donc, je vais conduire la campagne.
TF1 : Mais vous avez l’intention de ne pas quitter Bercy.
Dominique Strauss-Kahn : Je vais conduire cette campagne.
TF1 : Vous ne répondez pas.
Dominique Strauss-Kahn : Je vais y venir ! Le moment venu, nous verrons qui devra être le président de la région si on gagne. Il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. On n’a pas encore gagné la région Île-de-France. C’est une région qui a toujours voté à droite avant. Cela fait vingt ans qu’elle est présidée par la droite. L’idée qu’on puisse la gagner est raisonnable. Moi, j’y crois parce que les choses changent, que les Franciliens ont envie de changer, pour un tas de raisons. On ne va pas commencer la campagne maintenant, donc je ne vais pas rentrer dans le détail. Mais il y a un tas de raisons pour lesquelles il faut changer. Je pense qu’on peut gagner, mais on est loin d’avoir gagné. Ce n’est pas une élection présidentielle. Il ne s’agit pas de se disputer les postes…
TF1 : … C’est une présidentielle au niveau régional puisqu’il s’agit…
Dominique Strauss-Kahn : Non.
TF1 : C’est plus mobilisateur pour les électeurs de savoir que, s’ils votent pour le Parti socialiste, ce sera Dominique Strauss-Kahn ou Michel Rocard qui les représentera dans la région.
Dominique Strauss-Kahn : Ou un autre. C’est un travail d’équipe. Je présenterai dans quelques semaines une équipe, un programme, des gens que j’ai regroupés autour de moi pour mener son combat et on mènera ce combat.
TF1 : Et on ne saura les choses qu’une fois les élections passées ?
Dominique Strauss-Kahn : Non, non, peut-être qu’on le saura avant. Le moment venu, on le saura. Il n’y a pas de presse. Je ne vois pas pourquoi tout à coup il faut absolument savoir ce qu’il en sera.
TF1 : Parce que ce si c’était vous, vous seriez le premier ravi de nous l’annoncer avant tout le monde.
Dominique Strauss-Kahn : Non, non… Là aussi, ce n’est pas une décision qu’on prend seul.
Lionel Jospin est en train de pratiquer la pratique politique. On n’y est pas tous habitués encore. Mais il ne veut pas de cumul. Il a raison, on le suit tous. Cela a déjà commencé avec les maires. Il veut que les décisions soient prises collectivement et, au sein du Gouvernement, les décisions sont prises collectivement. Cette décision-là, de savoir non seulement si on gagne, qui sera président de la région Île-de-France ? Comme pour les autres régions d’ailleurs, il n’y a pas de différence entre la région Île-de-France et les autres, et si, s’agissant d’un membre du Gouvernement, il reste au Gouvernement ou s’il va présider la région Île-de-France, dans l’hypothèse où on se situe, ce sera une décision qui sera prise collectivement avec les élus et avec lui. Et, donc, pour le moment, il n’y pas de presse. Il faut mener la bataille. Je n’aime pas vendre la peau de l’ours avant le moment qui convient.
TF1 : Un commentaire sur l’hypothèse Rocard à la présidence ou à la candidature à cette présidence ?
Dominique Strauss-Kahn : Je ne peux rien vous dire d’autre que, pour le moment, il n’y a pas de candidature à la présidence. Il y a un chef de file qui conduit les socialistes…
TF1 : … Je ne sens pas un enthousiasme délirant dans votre réponse.
Dominique Strauss-Kahn : À quoi ? À conduire la campagne ?
TF1 : À l’hypothèse Rocard.
Dominique Strauss-Kahn : Pour le moment, que je sache, Michel Rocard n’est pas sur une des listes en tant que candidat. Donc, il y a beaucoup de candidats possibles qui se sont déclarés, il n’y a pas que Michel Rocard, il y en a d’autres. Moi, je ne veux pas rentrer dans ce petit jeu-là. Je déciderai avec mes colistiers – ce qu’il faudra faire, quand il le faudra –. Pour le moment, on va gagner. Ceci est la première chose. Puis, ensuite, on parlera du reste.
TF1 : On se retrouve après la page de pub pour feuilleter l’actualité de la semaine où l’on retrouvera ces questions du chômage, de l’insécurité, l’Algérie, etc., évidemment dans un instant.
À tout de suite.
Publicité.
TF1 : Retour sur le plateau de « Public » avec Dominique Strauss-Kahn, le ministre de l’économie et des finances. On va feuilleter l’actualité de la semaine et l’on va tout de suite commencer par ce qui est tombé cet après-midi, la démission du ministre israélien des affaires étrangères, David Lévy. Son remplacement, cela vient de tomber, par Benyamin Netanyahu qui s’adjuge, pour le moment, le portefeuille de David Lévy. Donc, une crise assez grave au niveau du Gouvernement israélien, qui pourrait assez rapidement remettre en cause, même, l’existence de ce Gouvernement.
Un commentaire sur cette démission de David Lévy ?
Dominique Strauss-Kahn : Je crois que la situation est assez tendue en Israël, et notamment le blocage du processus de paix provoque ces réactions au sein même de la majorité, du Gouvernement de Netanyahu. Encore que, si j’ai bien suivi, les motivations de Daniel Lévy ne sont pas uniquement liées au processus de paix, mais aussi au plan social, à la politique unique. Parce que l’économie israélienne qui allait très bien jusqu’à il y a quelques années, depuis que le Gouvernement est en place va, semble-t-il, beaucoup moins bien, notamment, d’ailleurs, à cause du blocage du processus de paix, parce que les investissements étrangers, en particulier américains ou d’autres, sont moins nombreux. Et, donc, cela montre que la situation est quand même très bloquée.
Je n’ai pas de conseils à donner à des Gouvernements de pays amis, mais, évidemment, tout le monde espère que le processus de paix redémarre. Je crois qu’il n’y a pas d’autres solutions dans cette partie du monde que la négociation qui reprenne. On n’en prend pas vraiment le chemin.
TF1 : On a le sentiment que la France est plus que jamais spectateur de ce processus de paix et que finalement, elle ne fait pas tellement entendre sa voix, ni par celle du ministre des affaires étrangères, ni par celle des autorités françaises ?
Dominique Strauss-Kahn : Non, je ne dirai pas cela. Hubert Védrine a fait des déclarations récentes prenant une position assez ferme en faveur du processus de paix.
TF1 : Donc, cela reste verbal, si vous me permettez. Il n’y a pas d’action très concrète, très sensible de la diplomatie française ?
Dominique Strauss-Kahn : Il est vrai que ce sont les Américains qui ont l’action la plus importante vis-à-vis d’Israël. Ce n’est un secret pour personne. Mais au sein de l’Union européenne, je pense que la France est certainement le pays qui est le plus présent, d’abord parce qu’il y a beaucoup de francophones d’Afrique du Nord, notamment, qui sont en Israël, donc une communauté très importante en Israël. Et les regards se tournent beaucoup vers la France.
Je crois que nous sommes présents, moins que les États-Unis, c’est clair.
TF1 : Le Nouvel An, le début du ramadan et les massacres en Algérie, le chômage, les violences urbaines. Tel est le menu de l’Édito concocté par Sandra Le Texier et Judith Léo. Nous le regardons ensemble.
Édito.
- Nouvel An
Réveillon dans l’Espace, danse traditionnelle autour du feu pour ces Esquimaux de l’Est de la Russie, marathon original sur la grande muraille de Chine… partout on a fêté l’avant-dernier réveillon avant celui de l’an 2000.
- Ramadan
Le sang en Algérie
Pour la première fois depuis plus de 30 ans, le Nouvel An coïncide avec le mois de jeûne du ramadan que fêtent les musulmans, notamment en France où ils constituent la deuxième communauté religieuse du pays.
- Chômeurs
La révolte
Durant toute la période des fêtes, le Gouvernement s’est trouvé confronté au premier mouvement nationalement coordonné par les chômeurs. Manifestations dans les grandes villes de France, occupation des bureaux d’aide sociale, réveillon improvisé dans les quatorze antennes ASSEDIC occupées.
Souvent organisé par la CGT, ouvertement soutenu par l’extrême-gauche, les Verts et le Parti communiste, favorablement perçu par l’opinion publique, ce mouvement secoue la cohésion de la majorité plurielle.
- Saint-Sylvestre
Flambée de violence
Flambée de violence dans les cités lors de la nuit de la Saint-Sylvestre. À Strasbourg, voitures incendiées, cabines téléphoniques et abribus détruits.
TF1 : Dominique Strauss-Kahn, ces nuits de la Saint-Sylvestre qui ont vu tant de violences, j’ai le sentiment, finalement, que vous étiez rattrapé un peu par la réalité. On a eu l’impression qu’avec le colloque de Villepinte un nouveau type de discours, à gauche, se tenait sur la sécurité et que, finalement, la sécurité n’était plus laissée ou désignée comme un thème de droite, pour aller vite, mais que vous preniez en charge – certains diront : « Il était temps » – et que, finalement, à peine cette conversion intellectuelle se fait, la pression de la rue devient extrêmement forte. Et quel type de réponse, vous pouvez, vous, apporter, qui ne vous fasse pas tomber dans le discours sécuritaire qu’autrefois vous dénonciez ?
Dominique Strauss-Kahn : Le fait que, notamment à Villepinte, le Gouvernement avait annoncé ses intentions, ne va pas changer la réalité du jour au lendemain. Et, malheureusement, cette réalité est là, c’est-à-dire qu’il y a des nuits chaudes et il y en a dans les différentes banlieues, parfois la banlieue parisienne, en l’occurrence à Strasbourg, avec les exactions que cela comporte.
La première chose qu’il faut dire, je crois, est que c’est tout à fait inadmissible. On ne peut pas tolérer que, notamment dans les quartiers qui sont ceux qui sont touchés, on ait des voitures qui brûlent, des enfants qui reviennent parce qu’ils ont été rackettés de leurs chaussures ou de leur veste, etc., etc. Et souvent, d’ailleurs, cela touche des catégories de la population qui ne sont pas obligatoirement les plus aisées. C’est-à-dire que, moi, à Sarcelles, pardonnez-moi de citer mon exemple, j’ai vécu cent fois des situations dans lesquelles des gens pas très aisés se faisaient racketter par des plus pauvres qu’eux encore. Et, donc, on ne peut pas tolérer cela.
Les solutions, chacun les connaît. Il faut tenir sur les deux pieds :
- il y a ce qu’il faut faire en matière de prévention. Il y a beaucoup à faire. On ne fait certainement pas assez, et c’est tout le problème de la politique de la ville…
TF1 : Oui, mais regardez Strasbourg : c’était, d’un certain point de vue, une ville modèle sur le travail de prévention dans les quartiers, et cela n’a rien empêché ?
Dominique Strauss-Kahn : Oui, mais cela ne suffit jamais. Ce n’est pas parce que l’on prend un médicament que l’on est sûr que l’on va guérir. En tout cas, il faut du temps et il peut y avoir des explosions malgré tout. Le travail de prévention, aussi efficace soit-il, ne garantit pas absolument qu’il ne passera rien.
- et puis il y a l’autre pied, où il ne faut pas reculer devant la répression. Je ne crois pas du tout que ce soit un thème de droite que de dire que l’on doit assurer la sécurité des citoyens. Bien sûr, il faut le faire dans des conditions qui respectent la loi.
Si vous voulez, ce n’est pas normal que l’on ait des situations dans lesquelles on fait semblant de croire que la sécurité, cela se maintient aussi facilement dans la banlieue parisienne ou à Deauville et que, par conséquent, le nombre de policiers par habitants soit pratiquement le même dans les deux situations. Ce n’est pas exactement vrai, mais cela ressemble.
Il faut prendre en compte la réalité, voir qu’il y a des endroits qui sont difficiles parce que les conditions de vie des habitants y sont difficiles et que, par conséquent, – parce que la police n’est pas simplement la répression, c’est aussi une forme de prévention. Quand vous avez des îlotiers qui existent, quand vous avez, quartier par quartier, des policiers qui connaissent, j’allais dire les jeunes, il n’y a pas que les jeunes en cause, souvent ce sont des bandes de jeunes, eh bien ils arrivent à faire en sorte que l’on évite des situations de conflits – on a besoin d’un équilibre entre cette prévention et cette répression. Et je ne pense pas du tout que ce soit une bonne attitude que de dire : toute forme de répression contre ces jeunes parce qu’ils sont malheureux, et c’est vrai qu’ils sont malheureux, parce qu’ils sont au chômage, ce qui n’est pas de leur faute, mais celle de la société, et c’est vrai qu’à cause de cela, il faille dire : « Dans ces conditions, que fait-on ? On laisse faire ? » Cela n’est pas possible.
TF1 : Les déclarations du procureur de la République mettant en cause ouvertement le travail de la police montrant, donc, un dysfonctionnement assez formidable entre ces deux institutions ?
Dominique Strauss-Kahn : C’est un dysfonctionnement local. Je crois que le procureur en question verra sa hiérarchie intervenir. Là, vous avez raison, il y a eu un dysfonctionnement. Mais, enfin, c’est un problème relativement mineur par rapport à l’existence même de ce qui s’est passé.
Ce qui s’est passé à Strasbourg est grave. Cela s’est passé dans d’autres villes à d’autres moments, peut-être, parfois, avec moins d’ampleur. Mais ce qu’il faut arriver à traiter, c’est évidemment le problème de fond. On ne va pas se cacher derrière les problèmes de répression, pas tomber de l’autre côté non plus, le problème de fond, c’est le chômage, ce sont les difficultés dans les banlieues, ce sont les inégalités sociales infiniment trop fortes entre les villes riches et les villes moins riches. Et je pense que le Gouvernement proposera bientôt de poursuivre ce qu’il avait commencé en 1992, mais que la majorité de droite a interrompu depuis, c’est-à-dire de progresser dans le sens de transferts plus importants des villes riches vers les villes moins riches. Tout cela, il faut le faire. Et puis évidemment, au bout de la clé de tout cela, il y a le problème de l’emploi.
Mais, malgré tout cela, on ne peut pas tolérer qu’il y ait des situations comme celles que l’on vient de voir.
TF1 : Sur ces questions d’insécurité, de violences urbaines, « Public » consacrera une émission exceptionnelle la semaine prochaine. Il y aura des maires, il y aura des acteurs, il y aura des éducateurs, des juges pour enfants, des policiers évidemment, qui viendront témoigner et faire surgir, un petit peu, les pistes pour essayer de soigner ce mal social. Ce sera la semaine prochaine dans « Public » à 19 heures évidemment.
Autre question avant d’en venir au chômage et aux actions des chômeurs, l’Algérie.
En préparant l’émission, je me disais : « Vous ne pensez pas, quelquefois, que vos gosses ou les nôtres pourront un jour nous dire : mais que faisiez-vous, alors qu’à une heure d’avion de chez vous des centaines et des centaines de gens se faisaient massacrer ? » Et je repensais évidemment au grand débat historique, la non-intervention en 36 du Front populaire en Espagne, etc. N’avez-vous pas le sentiment qu’il y a une démission totale de la communauté internationale, européenne particulièrement, et française encore plus particulièrement ?
Dominique Strauss-Kahn : Le sentiment que l’on a d’abord, et c’est sans doute ce qui est un peu à l’origine de votre remarque, c’est que c’est affreux, c’est insupportable. Les images, quand il y en a…
TF1 : On dit : « C’est affreux, c’est affreux », et on ne fait rien ?
Dominique Strauss-Kahn : Oui, mais c’est parce que c’est affreux que la question se pose.
Ce qui me frappe beaucoup, c’est qu’en réalité on a beaucoup de mal à comprendre précisément ce qui se passe.
Vous preniez l’exemple des brigades internationales en 36, sauf que, là, la situation était claire : on avait les républicains d’un côté, les brigades internationales, et puis l’on avait de l’autre côté ce qui est devenu plus tard le régime de Franco. Les choses étaient claires. Dans d’autres conflits aussi. Alors, on peut ensuite vouloir intervenir ou pas, c’est un autre débat.
Mais, ce qui est très caractéristique de l’Algérie, très troublant aussi, c’est, je crois, que l’on a du mal à comprendre. Dire : c’est le Gouvernement contre les islamistes, est certainement – je crois que tout le monde en convient aujourd’hui – une vision un peu simpliste des choses. C’est beaucoup plus compliqué que cela. La transparence n’existe absolument pas. L’information elle-même est une information très insuffisante.
TF1 : Il y a des moyens de pression sur le Gouvernement algérien pour, par exemple, autoriser une commission internationale d’enquête d’aller sur place. On a l’impression que les diplomaties ne mettent pas toutes leurs forces dans cette exigence-là ?
Dominique Strauss-Kahn : Elles les mettent un peu d’ailleurs. Vous avez vu qu’il y avait une délégation du Parlement européen qui allait s’y rendre, justement, pour enquêter. Donc, cela, je crois que c’est une bonne chose.
Moi, ce que je crois, c’est qu’il faut que l’on arrive à faire bouger une opinion publique internationale, une opinion publique européenne, et puisque vous disiez la France particulièrement, vous avez raison, l’opinion publique française.
Vous vous rappelez à l’automne, il y a eu cette manifestation – je trouvais que c’était une très bonne chose – sur nos frères d’Algérie, enfin « Tendons la main à l’Algérie, mais en disant : on veut comprendre, on veut la transparence. Je crois que c’est très important. »
C’est un peu ce qui s’est passé en Bosnie : au début, il y avait une grande incompréhension sur ce qui se passait, un manque d’information. Il y a eu une pression très forte des opinions publiques et cela a donné des marges de manœuvre au gouvernement. Et cela a continué comme on le sait. Et cela a abouti, finalement, à une situation qui s’est pacifiée, avec beaucoup de conflits, c’est vrai !
Et je crois qu’aujourd’hui les États ont peu de marge de manœuvre et qu’on a besoin que l’ensemble des opinions publiques se mobilisent là-dessus.
Mais, vous avez raison, la question de dire : c’est à une heure ou à deux heures d’avion, il s’y passe des choses absolument atroces… encore que, encore une fois, on ne sait pas très bien ce qui s’y passe, sauf qu’il y a des centaines de morts dans des conditions abominables, mais qui ? Contre qui ? Qui intervient ? À quel moment ? Personne ne le sait exactement. Et je pense que ce qu’il faut qu’on arrive à obtenir d’abord, c’est d’avoir l’information, notamment par les commissions, comme vous l’évoquiez.
D’ailleurs, je crois que la mission du Parlement européen est un pas très important.
TF1 : Le mouvement des chômeurs auquel le Gouvernement est confronté, cela ne va pas mieux. Martine Aubry a essayé de calmer le jeu, hier, en avançant un certain nombre de mesures, notamment 500 millions de francs d’aide à l’UNEDIC pour essayer de réparer les situations les plus urgentes et donner un peu de grain à moudre. En même temps la réaction – je les ai sous les yeux – de toutes les organisations de chômeurs est extrêmement négative sur les propos de votre collègue ministre, c’est la première fois qu’un gouvernement est, en quelque sorte, confronté à un mouvement nationalement coordonné des chômeurs.
D’une part, j’aimerais que vous nous donniez votre sentiment sur cette action et puis, deuxièmement, la réaction politique qui est la vôtre dans la mesure où le Parti communiste, ouvertement, les Verts, l’extrême-gauche, donc une partie de ladite majorité plurielle, accompagnent, voire même organisent ce mouvement de contestation de la politique gouvernementale. Est-ce que cela ne va pas considérablement affaiblir l’action du gouvernement ?
Dominique Strauss-Kahn : Je ne crois pas qu’il faille commencer comme cela…
TF1 : … Parce que c’est plus embarrassant, donc on esquive, en espérant qu’il sera 20 heures avant…
Dominique Strauss-Kahn : Non, non. Pas du tout. Pas du tout. Je pense qu’il faut commencer par voir que l’on a dans notre pays, des gens qui sont dans des situations extrêmement difficiles et qu’il faut leur apporter des solutions d’urgence, et qu’ensuite on parlera de la politique. Mais qu’avant de parler, c’est quand même vrai que l’on vient de passer les fêtes, que la consommation repart formidablement, que les magasins sont pleins, et qu’il y a des dizaines de milliers, voire des centaines de milliers de Français qui sont sur la touche.
TF1 : C’est vrai que cette prime de fin d’année qui était demandée par les chômeurs, c’est beaucoup d’argent. Mais, en même temps, on voit bien que, quand il s’agit de renflouer le Crédit lyonnais ou le GAN, Bercy met moins de précautions pour y aller ?
Dominique Strauss-Kahn : Non, je ne dirai pas cela…
TF1 : Je m’en doute.
Dominique Strauss-Kahn : Quand il s’agit de renflouer telle ou telle entreprise, c’est aussi pour rembourser des dettes que les entreprises ont pu faire à l’égard de gens qui attendent cet argent, et ce ne sont pas obligatoirement les mêmes. Mais ce sont d’autres gens. Donc, cela ne servirait à rien de vouloir déshabiller Pierre pour habiller Paul.
Ce qui est vrai, je le disais, c’est qu’on a aujourd’hui des Français qui, à cause du chômage et de la longueur du chômage, ce sont surtout les chômeurs de longue durée, ont des situations extrêmement difficiles.
Je pense que les 500 millions de francs que le Gouvernement a débloqué et que Martine Aubry vient d’annoncer, les mesures d’urgence qu’elle a évoquées par l’intermédiaire des préfets, la volonté de les réinsérer mieux au titre du RMI, l’utilisation des CES, bref, l’ensemble de ces dispositifs doit être mis en œuvre. Que les associations de chômeurs considèrent que ce n’est pas assez ? Qui ne le comprendrait ? Le problème, c’est qu’il faut tenir les deux bouts de la ficelle. Il faut à la fois prendre les mesures d’urgence et il faut à la fois finir par leur trouver un emploi. Parce qu’il n’y a pas de solution autre à long terme que celle qui consiste à trouver un emploi.
Je comprends cette situation-là. Je crois que le Gouvernement, d’ailleurs, la comprend depuis qu’il est en place.
Vous savez, il y a quand même pas mal de mesures qui ont été prises :
- L’augmentation de l’allocation spécifique de solidarité de 3 %. Vous me direz ce n’est pas beaucoup, mais ce n’était pas arrivé depuis 1994 !
- Ce qui a été fait sur l’allocation de rentrée scolaire, sur les cantines scolaires, etc., c’est bien en direction de ce public, de cette partie de la population qui est, aujourd’hui, très durement, plus durement que les autres, frappée par, parfois pas seulement la crise, par l’impossibilité de continuer à vivre.
TF1 : Je ne voudrais pas être démagogue. Mais quand on met en comparaison ces 3 000 F de prime demandée par les chômeurs et puis le bilan de la bourse de Paris qui a gagné près de 30 % avec un volume d’affaires qui a dépassé les 200 milliards de francs pour la première, on se dit que l’homme de gauche, que vous êtes, doit quand même se poser des questions ?
Dominique Strauss-Kahn : Absolument. On se dit qu’il faut changer cela, et c’est pour cela que le Gouvernement a pris des mesures dans la loi de finances, et dans la loi de finances pour la Sécurité sociale, qui font que cette année il y aura, grosso modo, une trentaine de milliards de francs de plus de prélevés d’impôt sur les revenus du capital, c’est ce que l’on disait en commençant, et qui servent évidemment à… cela va à des emplois-jeunes, aux CES, pour différentes mesures que l’on évoque.
Rééquilibrer cela, ce qui est revenu du capital pour servir, grâce à l’impôt que l’on peut prélever là-dessus, pas exagéré, pas n’importe quoi, mais un impôt équitable, pour financer des situations, certaines dramatiques, comme celles dont on vient de parler, d’autres qui touchent à l’école, d’autres qui touchent au logement, c’est normal et c’est effectivement la politique que l’on conduit. Cela ne résout pas en cinq minutes le fait qu’il y a des chômeurs de longue durée.
On a aujourd’hui des chômeurs de plus d’un an, qui sont rentrés en chômage il y a un an, parce que, effectivement, il y a un an, le chômage a considérablement augmenté, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui, mais, enfin, il y a un an, c’était le cas, et donc l’on a aujourd’hui des chômeurs de longue durée en situation difficile. Il faut intervenir. Ce que le Gouvernement vient de faire avec les 500 millions de francs que vous évoquez.
Mais, encore une fois, autant je suis absolument d’avis que l’on doive répondre à ces situations d’urgence, et puis que l’on doit y répondre sans hésiter, qu’il y a des questions de dignité. D’ailleurs, le mouvement de ces chômeurs est très digne, parce que ce sont des gens qui se battent.
Souvent on croit que, quand on est au chômage depuis longtemps, que l’on est dans une situation financière impossible, on abandonne, on ne fait plus rien. Ils se battent. Et, dans une certaine mesure, c’est infiniment respectable. Et, de l’autre côté, il faut traiter le problème de fond, c’est-à-dire trouver des emplois, créer des emplois. Sinon la société française finira par s’écrouler comme un château de cartes parce qu’il n’y aura plus personne pour financer ces fameuses mesures d’urgence. Il faut que l’on crée des emplois. Et le fond de la politique, que mène le Gouvernement depuis six mois, est de relancer l’emploi.
On en a parlé un peu sur les 35 heures. On va peut-être en parler un peu sur la croissance Donc, il y a les deux morceaux : …
TF1 : Parlons-en. Parlons-en maintenant.
Dominique Strauss-Kahn : … il y a la justice sociale, j’en ai parlé tout à l’heure, les impôts qui ont beaucoup augmenté sur le revenu du capital, pour rééquilibrer. Cela est une chose ; et, de l’autre côté, il y a l’emploi.
On a parlé des 35 heures. Je vous ai dit que je pensais que c’était un outil. Il est utile, à condition qu’il soit bien pris. Et pour cela, en effet, le mois qui vient est important dans la discussion avec les deux partenaires, syndicaux et patronaux. Montrer qu’il faut négocier et que, dans la négociation, chacun peut y gagner. Les syndicalistes appellent cela « les négociations gagnant/gagnant ». Mais c’est juste. Tout le monde y gagne. Et dans les entreprises qui l’ont fait, on le voit. Mais, évidemment, cela ne suffit pas. Et ce qui doit être au cœur de l’emploi retrouvé, c’est évidemment la croissance.
TF1 : Je n’aurai pas la cruauté de vous faire remarquer que vous n’avez pas répondu sur le versant politique de ma question, à savoir : est-ce que cela ne vous gêne pas, comme membre du Gouvernement, de voir une ou plusieurs composantes de ladite majorité plurielle soutenir un mouvement qui met en cause l’action du Gouvernement ? Et combien de temps cela va durer cette sorte de duplicité ou, d’un certain point de vue, on a des ministres communistes au Gouvernement et, de l’autre, des militants communistes qui animent un mouvement de chômeurs.
Dominique Strauss-Kahn : D’abord, vous avez cette cruauté, mais vous avez raison, parce que je n’y avais pas répondu.
J’ai entendu Robert Hue dire qu’il était satisfait du premier pas qui était fait par ces mesures qui étaient annoncées par Martine Aubry.
La majorité, comme on l’a dit, est plurielle, cela veut dire qu’elle débat.
TF1 : Cela, c’est une trouvaille, effectivement, dont on peut rendre grâce à Lionel Jospin, parce que cela permet de mettre toutes les contradictions de votre politique dans un chapeau, c’est pluriel, c’est le débat…
Dominique Strauss-Kahn : Eh, oui ! Elle débat. Elle débat autour de Lionel Jospin. Lorsqu’il réunit ses ministres, ils discutent. Ils ne sont pas obligatoirement d’accord. Lorsque Lionel Jospin a tranché, on suit la ligne qu’il a tranchée. Mais il y a des débats.
Et pourquoi voudrait-on que, alors que la société est si diverse – vous-mêmes et moi ne pensons pas la même chose –, que ceux qui nous entourent ici ne pensent la même chose non plus, tout à coup, dans un gouvernement, tout le monde soit d’accord, tout le monde file droit ? C’est comme cela qu’on fait des bêtises. Personne n’est infaillible. Il faut discuter, et sur ces questions-là comme sur d’autres.
Alors, évidemment, parfois la discussion, quand elle devient un peu tendue, c’est compliqué. Mais, je préfère une discussion compliquée à pas de discussion du tout et à des erreurs au bout.
TF1 : On va voir un sujet sur le site Net de Bercy qui nous permettra, dans la dernière partie de l’émission, de parler de ce qui nous intéresse tous, à savoir le contenu de notre feuille d’impôt, puis de revenir sur cette croissance de 3 % tant désirée, tant attendue.
On regarde déjà « Ça "surfe" aussi sur Bercy ».
Internet
- Bercy « surfe » aussi.
Quand on veut savoir si Dominique Strauss-Kahn est bon dans son nouveau travail, le plus simple c’est d’aller surfer sur le site du ministère des finances.
TF1 : Des jeux vidéo, j’en connais de plus marrant que ceux que Bercy propose.
Deux questions à partir de ce sujet :
- Le premier, sur ce fameux chiffre de croissance de 3 %. Et puis, en liaison avec les évènements qui se sont passés peu avant les fêtes, la crise financière asiatique, avec quand même des signes assez inquiétants, la détente brutale des rendements sur les marchés obligataires, par exemple. Ne craignez-vous pas que, de proche en proche, cet objectif de croissance de 3 % soit compromis par cette crise lointaine, mais qui, en même temps, peut avoir des effets très rapidement ravageurs ?
- Puis la deuxième, sur les impôts.
Mais déjà cette première question sur la croissance.
Dominique Strauss-Kahn : Non, je ne crois pas. Je crois que l’on aura nos 3 %. Ils seront un peu différents de ce que l’on avait prévu. On avait prévu quelque chose d’un peu plus fort du côté de la demande extérieure, des exportations, notamment de l’Asie et puis un peu moins fort sur la croissance en France. Et puis, il se passe en Asie ce que vous avez dit. La crise est grave. Elle est sérieuse. Elle montre d’ailleurs que les Français ont raison de se battre, depuis des années, pour qu’il y ait une meilleure organisation internationale de contrôle des flux financiers. Cela aura des conséquences sur nos exportations, elles croîtront un peu moins vite.
Mais, d’un autre côté, la situation en France est un peu meilleure que ce que l’on attendait, et la consommation à la fin de l’année l’a montré, et l’investissement aussi. Et, dans ces conditions, au total, avec une structure un peu différente, un peu plus à l’intérieur, un peu moins à l’extérieur, je pense que nous pouvons raisonnablement avoir ces 3 % à la fin de l’année.
Et cela veut dire des emplois. 200 000 emplois créés en plus des emplois qui viendront par les emplois-jeunes, etc.
Cela veut dire, probablement, sérieusement, sensiblement, beaucoup plus qu’on ne le voit maintenant, à partir de la deuxième moitié de l’année, la baisse du chômage. C’est pour cela que je m’autorisais à dire tout à l’heure : 1998 sera une bonne année.
Et comme, en plus, en 1998, nous aurons le passage à l’euro, l’euro va se faire. Il y a six mois, ce n’était pas évident. Vous m’auriez interrogé il y a six mois, il y avait beaucoup de Français, même parmi les responsables politiques, les chefs d’entreprise, qui disaient : « Cela ne va pas se faire. Cela va se casser la figure avant d’y arriver. Ce n’est pas possible. » Et puis maintenant, plus personne ne dit cela. Tout le monde sait que cela va exister. Le Gouvernement français n’y est pas pour rien. On a changé la construction européenne en six mois, comme elle n’avait pas changé pendant des années avant. Avec le sommet sur l’emploi, avec la coordination des politiques économiques, on construit l’Europe que nous souhaitons.
TF1 : Vous savez bien que les adversaires de l’euro vont prendre prétexte, finalement, du problème constitutionnel lié au traité d’Amsterdam pour revenir à la charge ?
Dominique Strauss-Kahn : Que les adversaires de l’euro veuillent revenir à la charge, c’est leur affaire. Je comprends.
TF1 : Vous savez qu’il y en a même dans votre majorité plurielle ?
Dominique Strauss-Kahn : Il y en a surtout à l’extérieur.
Mais ce qui est clair, c’est que cet euro qui va exister, est un euro qui est différent de celui que beaucoup critiquaient avant. Et notamment, puisque vous en parlez, nos partenaires communistes qui étaient très opposés à cette idée de la monnaie unique, doivent voir aujourd’hui que ce n’est plus la même qu’hier. Ce n’est plus une monnaie unique dominée par une banque centrale toute seule. Nous avons créé un conseil de l’euro. Nous avons créé des instances politiques. Nous avons réorienté l’Europe vers une Europe sociale et une Europe de l’emploi. Cela ne va pas changer le problème de l’emploi demain matin, c’est vrai ! Il va falloir du temps. Il faut toujours du temps pour ces affaires. Mais cela a bougé considérablement.
Et là aussi, l’avenir qu’on nous préparait dans l’Europe, telle qu’elle était prévue il y a six mois, n’a rien à voir avec l’avenir que nous allons avoir. Et, là, l’euro va servir l’emploi.
Et c’est pour cela que ce n’est pas seulement 1998 qui, je pense, sera une bonne année, mais aussi 1999, parce que, à partir de là, les effets de grands marchés, l’effet que l’Europe va vraiment exister au plan international, que la domination du dollar, petit-à-petit, deviendra moins forte que ce que l’on a connu jusqu’à maintenant, bref, que nous allons construire en Europe un vrai ensemble d’une dizaine, voire peut-être plus, onze pays, onze peuples qui ont des histoires très éminentes – tous ont dominé le monde chacun à leur tour, les Allemands, les Français, les Italiens, les Espagnols, les Portugais – et qui veulent ensemble construire quelque chose, c’est une aventure, d’abord pour notre génération, formidable. Mais au-delà de cela, en termes de croissance économique et d’emploi, cela donnera des résultats.
Et c’est pour cela que je comprends bien qu’il y en a qui sont contre idéologiquement, c’est le Front national, par exemple. Très bien. Il nationalise. C’est la ligne Maginot, n’en parlons plus. C’est exactement le contraire de ce que je pense. J’ai une tendance internationaliste. La gauche a toujours été internationaliste, a toujours tendu la main pardessus les frontières. Le Front national, c’est le contraire. Ceux-là, je n’en parle même pas.
Mais, au sein de la gauche, ceux qui jusqu’à maintenant ont, pour des raisons que je peux comprendre, été réticents à l’idée de cette construction européenne et, en particulier, de l’euro, doivent voir aujourd’hui que, en six mois, cela a beaucoup changé et qu’il y a beaucoup davantage, notamment pour les salariés, à attendre de la construction européenne.
TF1 : Incidente institutionnelle sur cette question de la réforme de la Constitution liée au traité d’Amsterdam, référendum ou voie parlementaire ? Vous avez une idée ?
Dominique Strauss-Kahn : Écoutez, s’il n’y a qu’une partie du traité d’Amsterdam qui est en cause, quelques articles, ce qui touche à la politique des visas, à la libre circulation… Vous savez, comment est la situation ? Nous avons la Constitution, c’est notre loi principale, et puis il y a les lois. Et, entre les deux, il y a les traités internationaux, c’est plus qu’une loi, mais c’est moins fort que la Constitution. Et, donc, s’il y a une contradiction, il va falloir changer la Constitution. On l’a déjà fait plusieurs fois. Je pense que cela ne pose pas un problème majeur. Je ne crois pas que cela mérite un référendum. Le président de la République et le Premier ministre verront ensemble comment il faut faire cet ajustement.
Je ne crois pas du tout que ce soit un sujet aussi lourd et majeur que certains veulent le dire.
TF1 : On va finir par ce qui va être l’actualité de notre quotidien, à savoir les impôts, les feuilles d’impôts. Il y a 19 milliards de prélèvements nouveaux. On est d’accord sur le chiffre ? C’est beaucoup. Même si une partie, vous l’avez dit, concerne les entreprises et peu les ménages. Et, en même temps, dans les polémiques que le Gouvernement a eu à subir avant les fêtes, on a eu le sentiment que les classes moyennes ou les classes moyennes supérieures avaient l’impression d’être la « vache à lait » de la nouvelle politique fiscale, contrairement aux engagements de la campagne électorale ?
Dominique Strauss-Kahn : Alors, d’abord, 19 milliards, ce n’est pas beaucoup.
TF1 : C’est vous qui le dites !
Dominique Strauss-Kahn : C’est 1 % du budget de l’État, un peu plus, un virgule quelque chose. Et surtout ce qu’il faut voir, c’est que – je ferai un peu de technique, je ne voudrais pas être technique surtout à cette heure-ci –…
TF1 : Il reste trois minutes.
Dominique Strauss-Kahn : … si l’on ne change pas la loi fiscale, si l’on ne change rien, année après année, cela rapporte moins, pour des raisons dans lesquelles je ne rentre pas. Et, donc, le fait que l’on ait mis en place 19 milliards de plus, en effet sur les entreprises, vous avez raison, et pas sur les ménages, cela aura pour conséquence que, finalement…
TF1 : 19 milliards sur les entreprises et 5 sur les ménages…
Dominique Strauss-Kahn : … Oui, mais il y en a qui sont rendus pour d’autres raisons, je ne rentre pas dans les détails.
En tout cas, le résultat est que la pression fiscale totale, ce qu’on appelle le taux de prélèvement obligatoire, au total, tout ce qui est prélevé sur l’économie sera moins fort en 1998 qu’en 1997. Et cela va continuer, parce que je me suis engagé à ce que, à termes, nous fassions baisser notre dette publique dans le pays, le rapport de la dette publique au pays. Parce que la dette publique, c’est d’abord faire payer par nos enfants ce que nous ne sommes pas capables de payer nous-mêmes, et cela n’est pas acceptable. Et, par ailleurs, à force de l’avoir augmentée, on n’a plus de marge manœuvre. Parce que la dette, il faut rembourser et puis il faut payer des intérêts. Et, au bout du compte, dans le budget de l’État, on ne pourra plus intervenir, on ne pourra plus rien faire, parce que tout partira à payer des intérêts. Je ne veux plus de cela.
Et, donc, en quelques années, il faut du temps pour cela aussi. C’est long à bouger, vous savez c’est comme un gros navire, avant que cela tourne, il faut du temps, mais, en quelques années, si nous continuons la politique que nous avons menée pour la fin 1997, on a quand même rétabli les comptes ! Parce que, rappelez-vous, pourquoi y a-t-il eu la dissolution, nous a dit-on, même très haut ? On nous a dit : parce que c’était impossible d’arriver à satisfaire à nos contraintes internationales. On n’arrivait pas à construire le budget 1998, tout cela était impossible. On l’a fait. On l’a fait.
TF1 : Vous voulez dire ce que Juppé a rêvé, Strauss-Kahn l’a fait ?
Dominique Strauss-Kahn : C’est vous qui l’avez dit.
En tout cas, on va le faire. On va continuer à le faire, et notre dette publique baissera. Et quand elle commencera à baisser, les impôts commenceront à baisser aussi. Parce qu’il n’y a pas de secret.
Faire baisser les impôts, ce n’est pas faire comme a fait le gouvernement précédent en disant : « Il n’y a qu’à supprimer de l’impôt sur le revenu, et en n’ayant pas les moyens de le financer, on ira dans le mur », ce que tout le monde a dit. Alain Juppé lui-même, quand il a transmis ses pouvoirs à Lionel Jospin, l’a dit : « On va dans le mur ». Pourquoi ? Parce qu’ils avaient décidé de baisser les impôts, ils n’avaient pas le premier fifrelin pour cela.
Nous, nous allons faire autrement : « On va commencer par créer les conditions, comme on a fait pour tout, progressivement, en discutant. Et, dans quelques années, pas obligatoirement au bout de beaucoup d’années, pas obligatoirement non plus déjà l’année 1999, les impôts baisseront ».
Nous aurons, dans ce pays, de la croissance, de l’emploi et des impôts qui baissent. Voilà la solution.
TF1 : Je ne sais pas si c’est vrai, mais c’est tellement agréable à entendre que ce sera le mot de la fin.
Dominique Strauss-Kahn, merci.
Dans un instant, autre plaisir, celui de retrouver Claire Chazal pour le « 20 heures ».
Nous nous retrouvons dimanche prochain : 19 heures, « Public » en direct sur les problèmes de sécurité et de violences urbaines.
Bonne soirée. À la semaine prochaine.