Interview de M. Jean-Michel Baylet, président du Parti radical socialiste, à RMC le 30 avril 1997, sur la préparation des élections législatives 1997, la stratégie électorale de la gauche, et les grandes lignes du programme socialiste.

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Circonstance : Annonce le 21 avril 1997 par le Président Chirac de la dissolution de l'Assemblée nationale

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Philippe Lapousterle : On a beau battre la mayonnaise avec ardeur, elle a du mal à prendre, a dit Philippe Séguin, hier soir, à Mantes-la-Jolie, et c’est vrai que l’on n’a pas l’impression que la campagne électorale intéresse vraiment les Français encore.

Jean-Michel Baylet : Elle est traditionnelle, il est vrai que ce qui les soucie – et, d’ailleurs, là-dessus je rejoins Philippe Séguin, au risque de surprendre –, ce sont les problèmes d’emploi et ils n’ont pas l’impression que dans ce qui leur est proposé, ils trouvent la solution à leurs difficultés, encore que, bien naturellement, je pense tout de même qu’en l’occurrence ils devraient faire confiance davantage à l’opposition qu’à la majorité puisque cette majorité a échoué. Mais je crois aussi qu’ils ne comprennent pas très bien parce qu’ils n’ont pas encore très bien saisi les raisons qui ont amené le président de la République à dissoudre l’Assemblée. Elles sont tellement politiciennes et d’intérêt personnel pour son clan qu’il faut se mettre à la place des Français.

Philippe Lapousterle : Vous n’êtes pas un peu inquiet qu’un gros tiers des Français disent ne faire maintenant confiance à personne pour résoudre leurs problèmes ?

Jean-Michel Baylet : Ceci découle en partie de cela, l’incompréhension de cette campagne précitée, et puis aussi parce que les Français, je le répète, considèrent qu’ils ne voient pas les solutions énoncées de manière claire et forte à leurs problèmes. La droite a échoué, la gauche a été quand même quelque peu surprise par la rapidité de cette entrée en campagne.

Philippe Lapousterle : Et a échoué aussi avant elle.

Jean-Michel Baylet : Elle a aussi échoué aussi sur l’emploi avant, je ne le conteste pas, et c’est une des raisons qui amènent ce scepticisme. Cependant, je vois quand même que, dans le camp de l’opposition, on accélère sérieusement et j’espère que nous arriverons à convaincre les Français. Il ne faut pas non plus tomber dans la facilité de dire : « Finalement, tous les mêmes, nous les renvoyons dos à dos !», c’est faire le jeu du Front national.

Philippe Lapousterle : Alors ce matin, dans le journal Le Progrès, Raymond Barre frappe fort puisqu’il prédit une période difficile pour le président de la République si jamais les élections législatives tournaient à son désavantage ; et il n’exclut pas, même, que le président puisse démissionner. Est-ce que c’est votre sentiment ?

Jean-Michel Baylet : Non, Raymond Barre avait prédit la même chose lors des deux cohabitations avec François Mitterrand comme président. Finalement, la France a été gouvernée dans cette période-là. Je ne vois pas ce qui empêcherait, aujourd’hui, Lionel Jospin d’être Premier ministre avec Jacques Chirac à l’Élysée, nos institutions sont ainsi faites. Certes, lorsqu’il y a osmose entre le tandem Président-Premier ministre, c’est mieux, parce que plus conforme au fonctionnement traditionnel de la Ve République, mais ce n’est pas une difficulté et je ne vois pas pourquoi Jacques Chirac s’en irait. Ceci étant dit, s’il veut partir, personnellement, je ne le retiens pas.

Philippe Lapousterle : Les dirigeants de la majorité, actuellement, disent chaque jour : on ne peut pas imaginer que la France ait une cohabitation politique alors que les échéances sont si importantes et si graves.

Jean-Michel Baylet : C’est naturellement un argument électoral. Les mêmes d’ailleurs, en 1986 et en 1993, employaient le même argument pour tenter d’expliquer aux Français qu’il fallait que François Mitterrand quitte la présidence de la République. Je ne crois pas que cela soit une gêne. Le président de la République a des responsabilités clairement établies. Quant au Premier ministre, il devra gouverner. Je dirais même, en l’occurrence, que concernant les échéances internationales, et en particulier la construction européenne, il vaut mieux que la gauche soit à la responsabilité des affaires que la droite.

Philippe Lapousterle : Alors le 8 mars dernier, lors de votre convention, le Parti communiste et le Parti socialiste étaient ensemble avec vous sur la tribune. Vous n’avez pas été un peu déçu, hier, de la déclaration d’intentions qui n’a pas réussi à faire qu’il y ait un candidat unique dans certaines circonscriptions où le FN est fort et puis pas un mot sur la présence éventuelle de ministres communistes au Gouvernement ?

Jean-Michel Baylet : Le comité de vigilance, qui a été créé à l’initiative du Parti radical-socialiste, a proposé que dans un certain nombre de circonscriptions, il y ait un candidat commun dès le premier tour, non seulement PS-PC mais aussi Parti radical-socialiste, Mouvement des citoyens et écologistes

Philippe Lapousterle : Ça n’a pas marché.

Jean-Michel Baylet : Ça n’a pas marché pour l’instant. J’espère que nous y arriverons dans un certain nombre de circonscriptions. Il s’agit d’une décision symbolique pour montrer que face au FN, nous faisons taire nos différences, nous avons encore quelques jours pour réussir un exercice qui n’est pas facile car il faut que des partis politiques qui ont l’habitude d’être présents partout s’effacent dans quelques circonscriptions. Quant aux ministres communistes, avant de former un gouvernement, il faut gagner les élections. Chaque chose en son temps. Je disais, il y a un tout petit instant, que sur les premiers jours de campagne, nous avons été un peu pris de vitesse, même si les choses se sont améliorées, même rétablies depuis, et je trouve que la gauche est à l’offensive désormais. Nous sommes en campagne : gagnons les élections ! Si tel est le cas, nous verrons comment le Gouvernement doit être formé.

Philippe Lapousterle : Les élections, vous allez le savoir, M. Baylet.

Jean-Michel Baylet : À l’inverse, si nous étions déjà en train de discuter la formation d’un Gouvernement, j’imagine que l’on n’aurait pas de termes trop durs pour dénoncer le partage que nous faisons des responsabilités alors que les électeurs ne se sont pas prononcés.

Philippe Lapousterle : Vous, à l’endroit où vous êtes, vous avez l’impression que la gauche peut l’emporter ?

Jean-Michel Baylet : Si votre question est de me demander si dans ma région – Midi-Pyrénées – la gauche peut l’emporter, je crois qu’il y aura une forte poussée à gauche. Si votre question s’adresse sur le plan plus général au président du Parti radical-socialiste, je pense que le challenge est ouvert, rien n’est joué. Vous savez, quand je vois des sondages qui donnent un jour cent cinquante sièges d’avance à la droite et, le lendemain, plus que trois, je ne suis pas sûr que tout cela soit très crédible. En tout cas, l’impression que l’on a, et celle-là n’est contestée par personne, c’est que la gauche est à l’offensive, que la gauche remonte et que l’écart se resserre.

Philippe Lapousterle : Hier, on a entendu la déclaration d’intentions de l’ensemble des gens de la gauche : 700 000 emplois pour les jeunes, hausse des salaires, relance du pouvoir d’achat, 35 heures sans baisse de salaire. Tout cela a fait que les gens n’y croient pas beaucoup, pour vous dire la vérité.

Jean-Michel Baylet : Il n’y a pas de raisons qu’ils n’y croient pas, il faut bien…

Philippe Lapousterle : Ça paraît tellement gros…

Jean-Michel Baylet : … Créer un certain nombre d’emplois publics. Alors sur le thème des 700 000, on peut discuter ; les radicaux ont, eux-mêmes, en leur temps, rappelé que la barre était peut-être un peu haute mais au moment où l’emploi demeure la priorité, au moment où tout le monde reconnaît que le service public connaît des difficultés, où il y a des manques, prétendre qu’en particulier en direction des jeunes, on va créer quelques centaines de milliers d’emplois publics, je ne vois pas où est le scandale, et c’est même une nécessité. Relancer la consommation est indispensable pour que l’économie de ce pays redémarre, et donner du pouvoir d’achat. Vouloir poser le problème de la durée du travail liée à notre politique sur l’emploi est aussi une nécessité. Donc le PC et le PS ont signé une plate-forme commune qui définit un certain nombre de grandes orientations qui me semblent, en ce qui me concerne, aller dans le bon sens, et je ne vois pas où est le manque de crédibilité.

Philippe Lapousterle : Et quand vous voyez le programme d’hier des deux partis de la majorité ?

Jean-Michel Baylet : Quand je vois le programme des deux partis de la majorité, je me demande pourquoi ils ont attendu aujourd’hui pour découvrir tout ce qu’ils pouvaient faire en à peine un peu plus d’un mois alors que depuis quatre ans – deux ans de Balladur et deux ans de Juppé –, ils n’ont pas démontré grand-chose. Donc je pense que l’on peut dire sans risque de se tromper que c’est un programme purement électoraliste.