Interview de M. Lionel Jospin, premier secrétaire du PS, dans "Paris-Match" du 30 avril 1997, sur les propositions du PS sur l'emploi des jeunes et l'Union économique et monétaire, en vue des élections législatives de 1997.

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Circonstance : Annonce le 21 avril 1997 par le Président Chirac de la dissolution de l'Assemblée nationale

Média : Paris Match

Texte intégral

Paris Match : On a un peu l’impression qu’entre vous et Jacques Chirac cette campagne pourrait ressembler à un troisième tour de l’élection présidentielle. Est-ce ainsi que vous voyez les choses ?

Lionel Jospin : Pas du tout. Les deux élections sont différentes. Jacques Chirac a été élu président de la République pour sept ans. Il poursuit son mandat. Les Français vont pouvoir juger des différences entre les promesses de la présidentielle et la réalité de la politique suivie, donc 1997 ne ressemblera pas à 1995. Les électeurs vont surtout juger quatre ans de gouvernement de droite et deux ans de gouvernement Juppé.

Paris Match : Si vous revenez au pouvoir, ne va-t-on pas revoir les mêmes têtes ?

Lionel Jospin : Notre majorité sera représentée par une équipe nouvelle. Des femmes et des hommes sont apparus à gauche. Dans près de la moitié des circonscriptions, nous présentons des candidats et des candidates. Et puis il y a des gens qui ont fait leurs preuves et que les Français aiment bien. Ce qui importe surtout pour moi, c’est de rénover la pratique de la démocratie. On voit aujourd’hui le gouvernement faire pression sur la justice, le R.P.R. remettre la main sur des positions dans les entreprises publiques, parfois même dans les ex-nationalisées. Il est temps de revenir à un État impartial.

Paris Match : Franchement, est-ce que la gauche est prête à gouverner ?

Lionel Jospin : Cette dissolution tactique n’avait pas de fondement et a été faite pour nous surprendre, comme le reste des Français, mais l’élection est ouverte. En choisissant une campagne très courte, le pouvoir essaie de faire réélire une majorité de droite pour cinq ans sans que les Français aient vraiment le temps de réfléchir. Il veut escamoter l’élection, en faire une formalité avant de durcir sa politique. Si nous sommes capables de poser les vrais enjeux, alors oui, le basculement est possible.

Paris Match : Vous misez sur un vote sanction ?

Lionel Jospin : Le gouvernement veut l’éviter. Il voudrait esquiver le jugement sur ses résultats pour, à nouveau, faire des promesses. Mais, compte tenu de la situation économique, du chômage, de la baisse des revenus, des déficits sociaux, des problèmes budgétaires, il aura du mal ! Mais ce vote sanction n’est possible que si nous sommes capables d’entraîner l’adhésion sur nos propositions.

Paris Match : Justement, les Français ont l’air de douter de votre projet de créer 700 000 emplois pour les jeunes.

Lionel Jospin : C’est normal. A gauche comme à droite, des promesses ont été faites sur l’emploi et nos concitoyens ont vu le chômage augmenter. Ils ne sont plus prêts à croire les politiques sur parole. Ce sera à nous d’être convaincants et, si nous sommes majoritaires, d’agir. C’est mon engagement. Aujourd’hui, un choix est à faire entre une politique économique qui entraîne une aggravation du chômage, une augmentation des impôts, des coupes sombres dans les services publics, avec encore plus de flexibilité du travail, et le pari que nous faisons sur la croissance. On ne pourra pas rester encore longtemps avec 3 millions de chômeurs.

Paris Match : Avez-vous vraiment une marge de manœuvre pour mener une autre politique économique ?

Lionel Jospin : Je fais le pari raisonnable que c’est en retrouvant de la croissance qu’on se donnera les moyens, à conditions de mener des politiques budgétaires serrées, de rééquilibrer progressivement des finances publiques, tout en créant l’emploi.

Paris Match : Concrètement, comment ?

Lionel Jospin : On n’aura pas de reprise de la croissance sans améliorer le pouvoir d’achat. L’économie française ne peut pas fonctionner uniquement sur ses exportations. Elle doit reposer aussi sur le moteur de son marché intérieur. Dans un pays où 85 % de la population active est salariée, il faut trouver un bon équilibre entre ce qui va aux profits pour financer l’investissement et ce qui va aux salariés pour alimenter la consommation. Je rappelle que la part des salaires dans le revenu national a baissé considérablement depuis deux ans.

Paris Match : On a l’impression que, sur l’Europe, vous avez fait machine arrière, que vous êtes devenu moins maastrichtien, plus souple que la majorité…

Lionel Jospin : Pas plus souple, plus ferme ! Je ne veux pas d’une Europe molle, antisociale, ouverte à tous vent. Je pense que ce gouvernement sortant n’a pas de politique européenne claire, ne pèse pas sur les décisions communautaires, mais au contraire accepte les conditions des autres.

Paris Match : Voulez-vous dire qu’une victoire de la gauche permettrait de renégocier les termes de la monnaie unique ?

Lionel Jospin : Si nous sommes aux responsabilités, nous aurons un an pour poser correctement les conditions du rendez-vous de l’euro. Par ailleurs, si le travailliste Tony Blair gagne les élections en Grande-Bretagne, son gouvernement signera la charte sociale. C’est un point important. S’il y a également une majorité de gauche en France, l’Europe prendra une orientation plus sociale. Nous aurons aussi le temps de réfléchir à l’entrée de nouveaux pays dans l’Union. Je ne partage pas le point de vue du président de la République, qui, lorsqu’il va de capitale en capitale dans les pays de l’Est, promet à tous : « Vous pourrez adhérer sans problème avant l’an 2000. » Or, des problèmes, il y en a. Des prix plus bas qui peuvent menacer, chez nous, certains secteurs industriels et des risques pour notre agriculture.

Paris Match : Une cohabitation de cinq ans avec l’actuel président vous paraît-il tenable ?

Lionel Jospin : Oui je le crois, mais nous verrons bien le moment venu. La décision appartient aux Français.