Texte intégral
France Inter : mercredi 23 avril 1997
J. Dorville : Premier sondage, ce matin, après l’annonce de la dissolution par le président de la République, le l’institut CSA pour France Inter, France Info et « Le Parisien », un sondage qui sonne un peu comme un avertissement tout de même puisque 81 % des personnes interrogées considèrent que la décision est une manœuvre politique.
É. Raoult : C’est un euphémisme. C’est une décision. Le président de la République a demandé l’avis du peuple. Alors, pour moi, le mot « manœuvre », ce n’est pas au sens politicien, c’est au sens un peu automobile : quand vous êtes coincé et que vous voulez redémarrez, vous manœuvrez entre deux voitures et c’est l’expression, à mon avis, que les lecteurs du « Parisien » ont compris. C’est vrai que c’est une décision politique qui est une décision politique née de la Constitution, qui permet au Président de faire appel aux gens quand quelque chose est coincé, quand quelque chose est bloqué. Alors il s’agit non pas d’une manœuvre mais d’une décision pour faire redémarrer les choses.
J. Dorville : Vous avez une conception du mot manœuvre peut-être un peu enjolivée par rapport à ce que pensent les personnes interrogées.
É. Raoult : Vous m’avez interrogé sur une expression, j’essayais de vous répondre. Il s’agit d’une décision politique qui appartient au président de la République et qui ne nous permet pas de brouiller les cartes, par de recompter ce qui avait été obtenu lors des élections présidentielles – je laisse cela à M. Jospin : l’histoire de ce troisième tour, l’histoire de cette façon d’approcher cette décision de dissolution. Les Français l’ont bien compris : quand tout grince, quand tout bloque, il faut donner un coup de rein, il faut redonner la parole aux gens parce qu’on ne peut pas, dans ce pays, vivre sur des conservatismes, sur des blocages, parce que nous sommes à l’aube de l’an 2000 et que, dans quelques années, c’est l’avenir de notre pays et de toute l’Europe qui se jouera.
J. Dorville : L’autre chiffre de ce sondage, qui n’est pas beaucoup plus rassurant pour vous, c’est que 58 % des personnes interrogées estiment que c’est un aveu d’échec pour votre gouvernement.
É. Raoult : Non, je ne pense pas que ce gouvernement essuie un échec, il a plutôt essuyé les plâtres du socialisme. C’est-à-dire que nous avons, pendant un an et demi, après le gouvernement d’Edouard Balladur, essayé d’écoper ce que deux septennats avaient mis sur le dos dans notre pays. Donc nous partons, c’est vrai, avec des sondages peut être difficiles : à la fin d’une campagne électorale, c’est l’urne qui parle, ce n’est pas le sondeur. Vous savez, je connais bien Chirac : il est bon quand c’est difficile. Je connais bien Juppé : il est excellent quand c’est délicat. Alors faites-nous confiance. Les gaullistes ne sont pas des marins d’eau douce, ils sont plutôt des capitaines de tempête.
J. Dorville : Vous nous refaites le coup de l’héritage socialiste, c’est légitime, on s’y attendait, c’est la loi d’une campagne électorale.
É. Raoult : Je ne vous refais pas le coup.
J. Dorville : Cela fait quatre ans que la droite gouverne.
É. Raoult : Je ne vous refais pas le coup. Jospin n’est pas né le 7 mai 1995. Lionel Jospin a été ministre de l’Éducation nationale quand toutes les manifestations étaient les plus fortes dans la rue. Lionel Jospin a été le premier secrétaire du Parti socialiste durant les années Mitterrand. M. Jospin, c’est le pur produit des années Mitterrand, ce n’est pas tout de même quelqu’un qui est né de la dernière cure de jouvence.
J. Dorville : Alors on a écouté le Président, lundi soir, attentivement, et on a écouté le Premier ministre, hier, et on en retire, finalement, une impression assez curieuse. Vous dites aux Français : « On ne change rien, surtout pas la politique économique et la politique européenne, mais il était absolument urgent d’aller voter pour un nouvel élan ». Pourquoi tout ce tintamarre pour, finalement, aussi peu de changement ?
É. Raoult : Quand les internes sont dans la rue, quand les employés de banque s’apprêtent à faire grève, lorsque la SNCF risque de bloquer le pays, il faut que les Français puissent donner leur avis. On ne manifeste pas contre le peuple. Quand les choses sont bloquées, il faut desserrer. Il faut redonner la parole aux gens. Je crois que ce scrutin législatif va être un scrutin populaire, il faut que nos compatriotes se rendent compte que c’est vrai qu’actuellement, ce pays vit dans une situation d’encalaminage. Est-ce que nous voulons en sortir ou est-ce que nous voulons bloquer et rester bloqués ? Cela ne sert à rien de fêter l’an 2000 si l’on ramène les socialistes des années 60 au pouvoir. Cela ne sert à rien de fêter l’an 2000, si notre pays est celui qui a le plus fort taux de votants d’extrême droite à travers l’Europe. Moi, je crois que c’est parce que l’on doit réussir l’an 2000 qu’il fallait un tout petit peu bousculer les choses ; quand on ne bouge pas, eh bien on reste figé ; la France n’est pas un pays qui veut rester figé.
J. Dorville : Là, vous bousculez les échéances, mais vous ne voulez rien bouger à la politique économique. Et ce que veulent les Français – tous les sondages le montrent – c’est un changement de politique économique.
É. Raoult : Les Français veulent que l’on tienne compte de leurs aspirations. En matière de politique économique, l’effort qui a été demandé est non pas la contrainte ou non pas la contrition qui sera demandée dans les années qui viennent, mais un effort d’adaptation, d’assouplissement. Eh bien nos compatriotes se rendent bien compte que cela peut être une occasion pour eux de le dire, de dire au président de la République : « Tenez compte de ce que nous avons voulu dire », mais aussi : « On comprend bien qu’actuellement, les mesures qui ont été prises pendant cette année et demie de gouvernement vont dans le bon sens. Nous demandons un nouvel élan, nous demandons un choix pour aller dans le bon sens ».
J. Dorville : D’une part, il n’y a pas d’inflexion libérale – et surtout pas ultralibérale – de la part d’Alain Juppé, d’autre part, on sent bien que la France ira vers l’euro, peut-être à marche forcée, ce qui fait qu’Alain Madelin boude, Philippe Séguin fait sa tête des mauvais jours ; pour le rassemblement de la majorité, ce n’est pas parfait encore ?
É. Raoult : Je ne crois pas qu’Alain Madelin boude, il était à Redon parce qu’il a une circonscription difficile. Et Philippe Séguin ne faisait pas sa tête des mauvais jours mais Philippe Séguin travaille dans ce département qui n’est pas simple et il a une circonscription qui mérite – tout président de l’Assemblée nationale qu’il est – d’être confirmée, d’être retravaillée. Parlons clairement : hier, le Premier ministre a rassemblé tous les leaders de la majorité. Je n’avais jamais vu autant de responsables de la majorité depuis l’entre-deux tours des élections présidentielles. Oui, c’est une élection importante ! Oui, les choses peuvent toujours revenir en arrière, c’est-à-dire que nous pouvons avoir de nouveau Lionel Jospin, Henri Emmanuelli, c’est-à-dire tous ceux qui ont conduit notre pays d’une façon là où il est, dans une situation tout de même tendue et dans une situation bloquée et donc il était important, hier, que le Premier ministre, en tant que chef de la majorité, puisse remobiliser ses troupes. Les parlementaires qui étaient présents dans la salle l’ont bien compris, ce sera non pas une élection législative mais 577 élections qui vont se jouer et qui détermineront une bonne partie de l’histoire de notre pays pour les années qui viennent.
J. Dorville : On entend dire que ces élections anticipées ont pris de court le FN. Vous êtes dans un département, disons, « sensible », la Seine-Saint-Denis : est-ce que vous partagez cette analyse ?
É. Raoult : Comme ministre de la Ville, comme ministre de l’Intégration, j’essaie que les choses aillent mieux et je sais que je fais partie des bêtes noires du FN. Alors je voudrais interroger le PS : est-ce que le PS pourra accepter, dans un certain nombre d’endroits, d’être aidé par le FN ? Et puis je voudrais dire aussi à nos compatriotes que voter pour le FN, c’est donner une demi-voix au PS parce que le FN n’aura pas de Premier ministre et le FN n’aura pas de député.
Europe 1 : vendredi 16 mai 1997
J.-P. Elkabbach : Pionnier, vous avez relancé la dernière mode : « Séguin Premier ministre, pourquoi pas ? » avez-vous dit. « Pourquoi pas ? » ce matin encore ?
É. Raoult : Non, j’ai été maladroit. On peut aimer Philippe Séguin tout en étant content et fier de travailler avec Juppé. Dans une campagne électorale, on est aussi militant, on répond à l’attente d’une salle, on essaie de la maîtrise. Mais c’est très mal tombé, je le regrette tout à la fois à l’égard d’Alain et je n’ai pas, pour autant, servi Philippe. Ce qui veut dire que, désormais, j’applique strictement ce que le chef de l’État nous a demandé : un ministre, c’est fait pour administrer, pour participer mais pas pour devenir militant de base.
J.-P. Elkabbach : Alors, le ministre du gouvernement Juppé s’est fait réprimander, tirer l’oreille, il doit s’excuser ? Comme cela se passe ?
É. Raoult : Ni l’un ni l’autre. Un ministre du gouvernement Juppé, à un moment, il peut être fatigué et il peut, au détour d’une campagne électorale, non pas dire ce qu’il a sur le cœur mais il doit, par contre, participer à l’ensemble de l’action de la majorité, c’est-à-dire au succès d’une équipe et pas d’une autre idée.
J.-P. Elkabbach : Est-ce un péché de jeunesse d’É. Raoult en campagne électorale ? Une bévue, une gaffe ?
É. Raoult : À 42 ans, on n’est plus tout à fait jeune. Mais il m’arrive d’être plutôt dans le style balourd que dans le style très fin.
J.-P. Elkabbach : Ne poussez pas si loin l’autocritique.
É. Raoult : Ce n’est pas une autocritique. Simplement, je le répète, dans une campagne électorale, on est un peu fatigué et l’on n’a pas à dire…
J.-P. Elkabbach : Ce qu’il ne faut pas dire ?
É. Raoult : Non, on doit travailler et l’on doit réussir en équipe, et on ne doit pas participer à ce que les autres peuvent dire pour gêner le chef du gouvernement.
J.-P. Elkabbach : Et vous avez récupéré ? Parce que demain, vous recevez M. Balladur dans votre circonscription. Vous allez dire : « Pourquoi pas Edouard ? » ?
É. Raoult : Non, je dirai simplement : merci, Monsieur le Premier ministre d’être venu aider un candidat qui, parfois, ne vous a pas ménagé, mais, aujourd’hui, l’important c’est l’union et l’important, c’est de gagner.
J.-P. Elkabbach : Et si la droite gagne, qui souhaitez-vous à Matignon ? C’est le président de la République qui choisira, mais vous, par tempérament, qui souhaitez-vous, vous les connaissez ?
É. Raoult : Ils sont tous bons et c’est Chirac qui choisira entre tous. Il faut d’abord gagner parce que si l’on ne gagne pas, je sais qui sera face à Chirac au Conseil des ministres.
J.-P. Elkabbach : Et ce serait bien qu’Alain, comme vous dites, reste à Matignon ?
É. Raoult : Que ce soit Alain, Philippe, Édouard ou les autres, ils ont tous les capacités d’être de bons Premiers ministres avec Chirac, mais faisons gagner Chirac.
J.-P. Elkabbach : Cela vous a rendu prudent ?
É. Raoult : Non, cela ne m’a pas rendu prudent, je n’ai pas l’habitude d’avoir la langue dans ma poche mais je ne veux pas non plus mettre de l’huile sur le feu. Ce qui est important, aujourd’hui, c’est de gagner, on verra après.
J.-P. Elkabbach : La dernière polémique de la campagne tourne autour du Front national qui préfère une Assemblée de gauche à une Assemblée chiraquienne – on a entendu assez Le Pen le dire. MM. Juppé et Léotard somment Lionel Jospin de proclamer qu’il refuse les voix du Front national. Mais ce serait drôle qu’il y ait une sorte de doute sur l’attitude de Lionel Jospin à l’égard du Front national ou de Le Pen, non ?
É. Raoult : Moi, je crains qu’aujourd’hui M. Jospin n’aime pas les idées de M. Le Pen sur les tribunes mais qu’il raffole des bulletins de vote de M. Le Pen dans les urnes. C’est-à-dire que, depuis quelques semaines, quelques mois, nous étions avec un Parti socialiste qui était d’une rare dureté à l’égard du Front national et on a l’impression aujourd’hui, depuis quelques jours ou même depuis quelques heures, qu’il apprécie un peu les déclarations de M. Le Pen.
J.-P. Elkabbach : Ce n’est pas un propos de campagne électorale ? Parce que Strasbourg, ce n’est pas vous qui l’avez organisé, c’est lui, c’est même Catherine Trautmann, c’est le PS aussi.
É. Raoult : Je crois qu’il y a aujourd’hui la coalition de ceux qui veulent que cela aille mal : il y a les socialistes, il y a aussi le Front national, et il y a la réunion de ceux qui veulent que cela s’arrange, que cela s’améliore.
J.-P. Elkabbach : Donc, vous les soupçonnez de vouloir les voix du Front national ?
É. Raoult : Écoutez, c’est clair, il n’y a qu’à écouter M. Le Pen. Mais aujourd’hui, si M. Le Pen dit cela, c’est qu’il a peut-être des raisons de penser que le Parti socialiste accepterait ses voix.
J.-P. Elkabbach : Mais il n’y a pas de discussions entre eux, quand même, dans votre esprit ?
É. Raoult : Non, je ne crois pas. Mais, en l’occurrence, on est revenu aux années Mitterrand où le PS et le FN étaient main dans la main pour bloquer le retour de la droite au pouvoir. J’ai l’impression que quand M. Mitterrand faisait passer M. Le Pen à la télévision, lorsqu’il réinstaurait la proportionnelle, lorsqu’il lançait l’idée du droit de vote des étrangers, il mettait de l’huile sur le feu.
J.-P. Elkabbach : M. Le Pen s’en est pris, hier, à vous-même, Éric Raoult. Apparemment, il veut vous faire battre en Seine-Saint-Denis. Il a dit : « Je n’admets pas de me faire donner des leçons par quelqu’un qui est entré en politique à ma droite. » Qu’est-ce qu’il veut dire ?
É. Raoult : Écoutez, quand j’étais étudiant, j’étais de droite, franchement à droite.
J.-P. Elkabbach : Franchement à droite, c’est-à-dire chez lui ?
É. Raoult : Non, je n’ai jamais été au Front national et je ne pense pas que les idées du Front national soient une solution pour les difficultés que nous rencontrons. Depuis que je suis militant, je me suis aperçu que, bien souvent, il fallait tendre la main aux autres, plutôt que de lever le bras. Et depuis que je suis militant, je me suis aperçu, dans les départements dont je m’occupe, c’est-à-dire ceux de la difficulté sociale, ceux des problèmes d’intégration, qu’il faut savoir arranger un problème plus avec un sourire qu’avec un poing dans la figure.
J.-P. Elkabbach : Le RPR et l’UDF s’engagent-ils aussi à faire ce que vous demandez à Lionel Jospin, à refuser au deuxième tour les voix des lepénistes du premier tour ? Est-ce que vous allez déclarer aussi dans vos tribunes : « On ne veut pas des voix du Front national » ?
É. Raoult : M. Jospin nous a demandé à de nombreuses reprises de refuser ces voix. J’ai l’impression qu’aujourd’hui, lui, il est prêt à les accepter, il est prêt à les accepter dans de très nombreuses circonscriptions où l’on sent monter du terrain, c’est vrai : « Il faut tout sauf la majorité ». Moi je crois qu’aujourd’hui, ce qu’il est important de souligner à M. Jospin, c’est qu’il prend tout de même, vis-à-vis de ses propres amis, une lourde responsabilité, c’est-à-dire qu’au second tour, est-ce qu’il faudra faire battre le candidat de la majorité par n’importe quel moyen ? Et c’est un peu ce que M. Jospin accepte ou tolère d’entendre de M. Le Pen. Aujourd’hui, les choses sont plus claires peut-être qu’ailleurs, et plus qu’à d’autres moments. Nous sommes avec une coalition de tous ceux qui veulent faire échouer le président de la République. Nous, nous voulons faire réussir la France. Les socialistes et le Front national ont un passé, nous le connaissons. Nous, nous préférons travailler ensemble pour l’avenir.
J.-P. Elkabbach : Cela veut dire qu’avec beaucoup de générosité, ce matin, vous dites : il vaudra mieux, au deuxième tour – on en reparlera le moment venu –, un socialiste qu’un Front national ?
É. Raoult : Je dis que, dans beaucoup de circonscriptions, le choix ne sera pas entre un socialiste et un Front national mais entre la majorité pour le président de la République et l’opposition au Président. Eh bien, il y a le cartel des « non », avec Jospin-Le Pen, et puis il y a le rassemblement des « oui », avec Juppé, avec Séguin, avec François Léotard, François Bayrou et l’ensemble des leaders de la majorité.
J.-P. Elkabbach : Dans votre circonscription de Seine-Saint-Denis, vous êtes ministre de l’intégration – je ne sais pas si c’est bien porté d’ailleurs, d’être ministre de l’Intégration ?
É. Raoult : Si, c’est bien porté quand on veut que l’intégration cela soit une réussite pour notre pays parce que nous avons toujours été le pays de l’intégration.
J.-P. Elkabbach : On vous reproche de trop intégrer, ou de ne pas intégrer assez vite et suffisamment ?
É. Raoult : C’est vrai que ce n’est pas facile, ce dossier de l’intégration. Si nous voulons le régler de manière intelligente, il faut tout à la fois faire du Debré et faire du Emmanuelli, il faut tout à la fois froncer les sourcils et tendre la main, il faut essayer de rappeler que notre pays est un vieux pays d’accueil et d’hospitalité mais que nous ne pouvons pas non plus, comme quelqu’un l’a dit, accueillir toute la misère du monde. C’est vrai qu’il faut avoir une position médiane entre l’hospitalité et le laxisme.
J.-P. Elkabbach : Qu’est-ce qui choque les gens, à propos de l’intégration ?
É. Raoult : Ce qui choque les gens, c’est que, bien souvent, tout est rassemblé, concentré aux mêmes endroits. Les problèmes de ville sont souvent accrus parce que la population étrangère y est plus importante.
J.-P. Elkabbach : Avec ses habitudes, ses cultures, ses coutumes ?
É. Raoult : Tout à fait. C’est-à-dire que l’intégration, pour qu’elle soit réussie, il faut qu’elle soit en costume cravate. Il faut qu’on puisse venir ici en situation régulière et pas simplement réclamer des droits. Il faut assumer des devoirs, faire en sorte que l’usage de la langue soit la priorité, que la régularité du séjour soit une nécessité, que l’attitude correcte soit celle de ces enfants à l’école. L’intégration, c’est trouver une place. Ce n’est pas prendre la place de quelqu’un. Et aujourd’hui, il est nécessaire, dans une France qui est un peu fragile, d’insister sur tout ce qui peut réunir nos compatriotes sur des valeurs et pas simplement sur des rejets.
J.-P. Elkabbach : Les valeurs de la République française ?
É. Raoult : Les valeurs de la République française qui font en sorte que lorsqu’on arrive ici, lorsque l’on a été accueilli, on respecte la terre d’accueil.
J.-P. Elkabbach : Cela veut dire que Mamadou doit porter le costume et sa femme autre chose que le boubou ?
É. Raoult : Mamadou, s’il est ici en situation régulière…
J.-P. Elkabbach : Je dis Mamadou parce que j’ai un ami qui s’appelle Mamadou.
É. Raoult : S’il est ici en situation régulière, il doit être en costume cravate, son épouse doit respecter les droits de ce pays, respecter une certaine attitude d’intégration et d’autre part, qu’il n’y ait pas toujours tous les Mamadou dans les mêmes endroits, à savoir dans les banlieues, dans les quartiers.
J.-P. Elkabbach : Vous avez l’expérience de tout ce secteur. Vous êtes actif. Votre programme RPR-UDF prévoit de réduire les ministères à quinze ou seize. Est-ce qu’il faut supprimer le vôtre ?
É. Raoult : Peut-être pas le supprimer. Nous aurons eu l’expérience avec Jean-Claude Gaudin, après Simone Veil, après Michel Delebarre, de différentes façons, de mettre en place un ministère de la Ville. Il faut continuer l’action en faveur de la ville, tout à la fois en matière d’activité, tout à la fois pour le social et l’urbanisme. Je crois que c’est à la conjonction de ces trois dossiers.
J.-P. Elkabbach : Merci, je vous ai trouvé très modeste aujourd’hui.
É. Raoult : J’essaie de l’être.
RMC : mardi 20 mai 1997
P. Lapousterle : Vous êtes le ministre le plus soutenu de la République. Vous avez réussi à faire venir chez vous M. Pasqua, M. Séguin, M. Balladur, une affiche que personne n’avait réunie depuis deux ans. L’impossible union, chez vous ?
É. Raoult : Quand on n’est pas susceptible d’être jugé comme un chiraquien peu sensible à l’appui des uns et des autres, lorsqu’on a été un fidèle ministre d’Alain Juppé et puis, d’autre part, lorsque l’on s’occupe d’un sujet de société comme la ville, quand Charles Pasqua, Philippe Séguin et Édouard Balladur m’ont proposé de venir, j’ai bien évidemment répondu oui. Vous savez, le sens du compagnonnage existe chez nous et je n’ai pas besoin de prouver que je suis pour Chirac et que je suis pour Juppé…
P. Lapousterle : Il n’y a qu’Alain Juppé qui n’est pas venu ?
É. Raoult : Je crois qu’Alain viendra entre les deux tours. C’est du moins ce que je vais lui demander ce matin au Stade de France.
P. Lapousterle : Vous faites partie de ceux qui se sont battus avec énergie il y a deux ans pour le programme et la personne du président de la République actuel. Est-ce que vous avez le sentiment, au gouvernement, depuis deux ans, que vous avez été fidèle aux engagements que vous avez pris à l’époque ?
É. Raoult : Dans le domaine qui est le mien, oui. Jamais, depuis plusieurs années, une action aussi volontaire et volontariste n’avait été menée pour la ville et pour les quartiers. L’action qui a été menée depuis 1995, sous la conduite d’Alain Juppé, contre la fracture sociale, contre la fracture territoriale montre que les engagements ont été tenus et qu’on ne peut pas régler en deux ans ce que deux septennats ont contribué à dégrader dans les villes et dans l’exclusion. Je crois que Chirac a tenu ses promesses et Alain Juppé a mené une politique qui allait dans le bon sens.
P. Lapousterle : Vous vous souvenez à l’époque que vous parliez de plan Marshall, c’était la priorité absolue, c’était l’endroit où le gouvernement allait concentrer ses efforts. Vous avez le sentiment d’être quitte avec ces promesses ?
É. Raoult : Ce n’est peut-être par Marshall, mais cela ne marche pas si mal. Et donc, je crois que depuis 1995, nous avons montré… et puis, reconnaissons-le également, il n’y a pas eu de drame, il n’y a pas eu d’explosion. Les choses ne sont pas réglées mais les choses se sont apaisées.
P. Lapousterle : Vous vous souvenez aussi qu’avec M. Chirac, vous aviez dit : trop d’impôt tue l’impôt. Or D. Strauss-Kahn, hier, disait avec justesse – personne ne peut le nier – que votre gouvernement est le gouvernement champion de France toutes catégories pour l’impôt. Jamais, en France, on n’a payé autant d’impôt que maintenant.
É. Raoult : Pour la fiscalité nous avons à essuyer les ardoises socialistes ; pour la fiscalité nous avons régler les factures des années Mitterrand. M. Strauss-Kahn n’est pas le mieux à même pour critiquer le gouvernement sur ce point. Durant les années socialistes, les prélèvements obligatoires ont augmenté considérablement. On n’arrête pas un paquebot sur quelques centaines de mètres. Il a été nécessaire en 1995 d’augmenter la fiscalité parce que sinon la France était en état de cessation de paiement.
P. Lapousterle : Vous savez mieux que personne qu’il n’y a pas un enthousiasme fou dans votre électorat pour vous reconduire aux affaires, éventuellement. Est-ce que vous craignez qu’au premier tour, dimanche prochain, s’exprime dans votre électorat une certaine grogne pour montrer un certain désenchantement ? Est-ce que vous craignez un mauvais premier tour ?
É. Raoult : Le premier tour sera sûrement un premier tour où les électrices et les électeurs donneront un sentiment, une réaction. Mais attention : un pays, cela ne se joue pas sur un sentiment ou sur une réaction. Si le premier tour est difficile, le second tour sera délicat. Les Français doivent bien comprendre que tout va se jouer au premier tour. Tout va se jouer au premier tour parce qu’il ne s’agit pas simplement de donner un sentiment mais d’élire une majorité. Il ne s’agit pas, pour cette élection législative, de fractionner les forces mais au contraire de nous réunir pour gagner le second tour. Et puis – on est entre nous – le sentiment des Français, nous l’avons bien compris durant cette campagne électorale.
P. Lapousterle : C’est quoi ?
É. Raoult : Eh bien, ils sont d’accord avec Chirac mais ils souhaitent être plus entendus, ils souhaitent que les charges baissent, ils souhaitent que la sécurité puisse être encore mieux établie dans notre pays. Ils souhaitent que la France soit, sur le chemin de l’an 2000, un pays qui conserve son identité, qui conserve son attachement à un certain nombre de valeurs et de principes.
P. Lapousterle : Est-ce que vous diriez, comme M. Giscard d’Estaing, que finalement les Français souhaitent être gouvernés autrement ?
É. Raoult : Non, je pense qu’ils souhaitent que l’on tienne compte, que l’on écoute, que l’on entende ce qu’ils souhaitent mais ils n’ont pas oublié Chirac, ils n’ont pas oublié l’esprit du 7 mai. Je crois que l’élection législative va le montrer. Ils veulent, je dirais, que le Président continue à forger les portes de l’an 2000, mais ils souhaitent également être plus entendus et mieux écoutés. Je crois qu'Alain Juppé l’a rappelé il y a quelques semaines. Une façon de gouverner où l’on écouterait peut-être un peu plus, je crois que ce sera la ligne des années qui viennent.
P. Lapousterle : Est-ce que vous pensez que les Français ont envie, comme le prévoient M. Jospin hier et M. Léotard, qui sont d’accord pour une fois, que M. Juppé reste Premier ministre à Matignon ?
É. Raoult : C’est le choix du président de la République.
P. Lapousterle : Mais est-ce que les Français n’ont pas le droit de savoir, avant l’élection, qui sera Premier ministre ? Après tout, ce n’est pas si mal de savoir qui va gouverner la France.
É. Raoult : Les Français ont un bulletin, celui de leur candidat député et c’est le président de la République qui a le bulletin du Premier ministre. Je crois que le président de la République écoutera ce que nos compatriotes auront dit au soir du premier et du deuxième tour. Mais je crois aussi qu’Alain Juppé n’a pas démérité et, peut-être par maladresse personnelle dans mon cas et parfois par maladresse partisane, on a peut-être été un peu trop critique ces dernières semaines avec Alain Juppé. Le bilan n’est pas si mauvais et, en l’occurrence, depuis quelques jours, on s’aperçoit qu’au total, l’action qui a été menée depuis 1995 était nécessaire. Si, aujourd’hui, la situation s’est améliorée, c’est sûrement parce que Juppé a essuyé les plâtres.
P. Lapousterle : Est-ce que vous pouvez imaginer qu’il y ait un nouvel élan avec un même président de la République, une même majorité, un même Premier ministre et des mêmes contraintes internationales ? Est-ce que tout cela est possible ? Les Français pensent qu’un nouvel élan, ce n’est pas conjugable avec tout cela.
É. Raoult : Les contraintes internationales ne seront pas simplifiées, le président de la République restera le même et je crois que les Français y sont particulièrement attachés. Le gouvernement changera, il faudra qu’il y ait une nouvelle équipe vraisemblablement, et puis d’un autre côté, je le répète, le choix du Premier ministre, c’est au président de la République de le faire, c’est la Constitution, et je crois que les Français se rendent bien compte de toute façon qu’il y a eu une première étape du Président Chirac. Il y a maintenant une seconde étape mais, rappelons-le, Charles de Gaulle, Valéry Giscard d’Estaing ou François Mitterrand, comme Georges Pompidou, avaient eu aussi, en leur temps, différentes étapes. Ce que nous voulons, nous, c’est prendre ce nouvel élan pour franchir l’an 2000 et je crois que cette élection législative doit permettre de rendre la parole aux gens, parce que ce sont aux gens, à l’ensemble des Français, de s’exprimer sur ce point.
P. Lapousterle : Est-ce qu’il vous paraît urgent, dans ce contexte, que le président de la République intervienne avant le premier tour, entre les deux tours ou pas du tout ?
É. Raoult : Le président de la République a la liberté d’accès…
P. Lapousterle : Certes, mais je vous demande votre sentiment sur la nécessité ou non, à vos yeux, qu’il aurait d’intervenir.
É. Raoult : Je crois que le Président s’est déjà exprimé pour donner ce qui lui paraît être le sens de cette élection. Le Président peut intervenir pour fixer le vrai choix : est-ce que le vrai choix, ce sera avant le premier tour ou au second tour ? Je ne le sais pas mais je crois que le président de la République pourra s’exprimer. D’autres que lui l’ont fait auparavant. Je crois qu’aujourd’hui, le chef de l’État, observant tout à la fois de Pékin ce que l’Europe peut être et aussi, de Paris, ce que l’Europe attend de notre pays, peut s’exprimer dans les heures ou dans les jours qui viennent.
P. Lapousterle : Un mot sur l’emploi, qui est quand même le problème numéro un des Français. La gauche promet 700 000 emplois si elle vient au pouvoir. Vous dites, dans la majorité : cela va coûter cher ou un peu d’argent. Mais après tout, même si cela coûtait un peu d’argent, est-ce qu’il ne vaut pas mieux payer un peu pour avoir 700 000 emplois, faire un peu de déficit – personne n’est jamais mort d’un déficit – plutôt que, comme vous, de ne promettre aucun emploi supplémentaire ?
É. Raoult : Nous ne voulons pas des faux emplois. Nous ne voulons pas des emplois qui soient payés par le contribuable et qui soient payés par l’entreprise. Le projet socialiste est totalement irréaliste.
P. Lapousterle : Les Français sont peut-être d’accord pour payer un peu d’argent pour que 700 000 personnes aient de l’emploi ? C’est possible.
É. Raoult : Le Front populaire avait promis du pain, de l’emploi et de la paix. On a vu sur quoi cela conduisait. Je crois qu’aujourd’hui les promesses des candidats socialistes ne passent pas. Le premier secrétaire du Parti socialiste passe son temps à se justifier et à tenter de crédibiliser ce que les Français aperçoivent comme totalement utopiste. Je crois qu’on ne peut pas promettre n’importe quoi dans une campagne électorale, et actuellement les socialistes font du n’importe quoi. Les 700 000 emplois qu’ils sont amenés à proposer, cela fait un peu gogo. Ce sont des socialo-gogos. C’est-à-dire que nous avons aujourd’hui des élus socialistes ou des candidats socialistes qui proposent, pour des jeunes qui sont en situation difficile, des faux emplois parce que ces emplois ne pourront pas être payés et je crois qu’il vaut mieux, au total, poursuivre l’action pour que l’entreprise puisse créer des emplois, pour que nous puissions, demain, par la croissance, obtenir une augmentation du nombre des créations d’emplois. L’emploi, cela ne se décrète pas dans une campagne électorale, cela se construit au quotidien.