Interview de M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation, à RTL le 13 mai 1997, sur les propositions de la majorité en vue des élections législatives de 1997, notamment sur le libéralisme, l'Europe et les relations RPR - UDF

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

J.-M. Lefebvre : À douze jours du premier tour, 31% des Français n’ont pas encore fait leur choix selon un sondage Sofres pour « Le Figaro ». Est-ce que c’est un signe que l’électorat est déçu par les programmes ?

P. Vasseur : Il y a un électorat qui s’interroge. C’est tout à fait normal. Il suffit de se rendre sur le terrain pour s’en apercevoir. C’est l’utilité d’une campagne. Enfin, je pense que la campagne, avec les douze jours qui restent, c’est largement suffisant pour faire le point. Si jamais on faisait durer la campagne un peu plus longtemps, les petits noms d’oiseaux que je viens d’entendre sur votre antenne auraient tendance à croître et à embellir. Il vaut mieux éviter cela. La France mérite mieux que ces polémiques.

J.-M. Lefebvre : Est-ce que l’électorat continue à s’interroger sur le bien-fondé de la dissolution, et sur le fait qu’ainsi le président de la République voudrait que sa majorité – si elle est reconduite – ait cinq ans de mains libres et de liberté ?

P. Vasseur : Ce n’est plus une question que l’on me pose. Une question que l’on m’a posée au lendemain de la décision du président de la République mais, aujourd’hui, plus personne ne me parle de l’utilité ou de la non-utilité de la dissolution. Les questions que se posent les Français, ce sont des questions sur les bilans, sur ce que nous avons fait, sur ce que nous envisageons de faire, sur la comparaison du bilan de la majorité actuelle par rapport à la majorité précédente, et évidemment sur les programmes. Je dois dire d’ailleurs que le programme que je défends, qui est celui de la majorité, en particulier dans le domaine qui est le mien à savoir l’agriculture et l’alimentation, je parviens à l’expliquer. Je n’ai pas beaucoup de mal à contrecarrer et à contredire le programme du Parti socialiste. J’ai vraiment le sentiment que de ce côté-là, il y a une grosse déception. Ceci explique d’ailleurs le retournement que l’on constate dans les sondages après les déclarations de M. Jospin.

J.-M. Lefebvre : Quelle serait la nouvelle étape souhaitée par A. Juppé ? Ni rupture ni continuité, alors c’est quoi ?

P. Vasseur : Cela s’appelle inflexion. Si vous voulez…

J.-M. Lefebvre : On fait la même chose en faisant semblant de changer ?

P. Vasseur : On fait la même chose ! Regardons tranquillement, si vous voulez, ce qui est proposé par les différents programmes. Je vois d’abord une différence intéressante, à savoir que les socialistes nous parlent de relancer la dépense publique. Or qui dit relancer la dépense publique dit augmenter les impôts. Or L. Jospin nous a d’ailleurs expliqué comment il entendait augmenter les impôts : en frappant le capital, c’est-à-dire l’investissement, autrement dit au fond en provoquant le chômage. Je pense que ce type de débat mérite effectivement d’être mené. On ne peut pas raconter n’importe quoi et raconter du jour au lendemain que l’on va faire le contraire ou que l’on va revenir à ce qu’on avait fait précédemment. Ce qui est clair, c’est que lorsque vous avez eu le feu à la maison, vous devez débarrasser les gravats avant de commencer à reconstruire. Je considère que la période 1993-1997 a été la période du redressement pour notre pays. Et aujourd’hui, nous devons passer à une inflexion, probablement, à une politique avec un certain nombre de corrections. Ce que le président de la République a appelé l’élan partagé. Ne racontons pas d’histoire, faire la politique exactement inverse ! Il n’y aura pas de coup de baguette magique qui sera donné ni par le Parti communiste, ni par le Parti socialiste, ni par aucun autre parti. Il y a la continuité de l’effort.

J.-M. Lefebvre : Mais l’inflexion, cela veut dire une étape plus libérale comme certains dans la majorité le souhaitent ?

P. Vasseur : Je voudrais qu’on m’explique ce que cela veut dire une étape plus libérale. Si c’est pour libérer l’initiative, libérer l’entreprise et alléger ses charges, oui, d’accord ! Si c’est pour réduire le rôle de l’État là où il doit être fort, là je ne suis pas d’accord ! Comme ministre de l’Agriculture, je sais pertinemment que nous avons besoin d’un État fort et que nous avons besoin d’une action publique importante. Je pense qu’à travers ce mot de libéralisme, on essaye d’agiter des chiffons rouges. Il y a simplement la volonté d’introduire davantage de libertés, là où on en a besoin et notamment dans l’économie productive. C’est vrai que si on ne libère pas les forces de production, je ne vois pas comment on continuera à créer des emplois. On ne créera pas des emplois en faisant ce que propose le Parti socialiste, c’est-à-dire en remettant des boulets aux pieds des patrons.

J.-M. Lefebvre : Les Français veulent être gouvernés autrement disait l’autre jour V. Giscard d’Estaing. Idée reprise par A. Juppé. Mais est-ce que ce n’est pas un propos de campagne, car chaque fois on entend « moins de bureaucratie, moins de technocratie », mais dès que la campagne est terminée, tout reprend comme avant ?

P. Vasseur : Je ne pense pas. Vous savez, il y a deux choses. La première est que les Français ont besoin d’être écoutés. Ils ont besoin de s’exprimer et ils ont besoin d’explications. Moi, je constate que dans les lois que nous avons pu voter – j’ai fait voter une loi d’orientation sur la pêche après beaucoup de concertation – cela se passe mieux quand on écoute et quand on explique. La deuxième chose, c’est que nous avons besoin dans ce pays de davantage de décentralisation. J’en ai discuté d’ailleurs avec A. Juppé, avec V. Giscard d’Estaing, avec d’autres. Aujourd’hui, après quelques réflexions, tout le monde reconnaît qu’il y a besoin de laisser sur place davantage de possibilités plutôt que de tout faire remonter à Paris, et à plus forte raison à Bruxelles.

J.-M. Lefebvre : Le choix de J. Chirac serait relativement ouvert pour le choix du Premier ministre, selon J. Toubon, si la majorité l’emporte. Vous êtes un ministre d’A. Juppé, souhaitez-vous, si la droite gagne, qu’il reste à Matignon ?

P. Vasseur : Le choix appartient au président de la République et à lui seul, et je trouve qu’il y a quelque chose d’indécent, aujourd’hui, d’y aller de son petit pronostic. On n’est pas en train de jouer au tiercé, on est en train de préparer une majorité pour la France. C’est le président de la République qui décidera. C’est lui qui a toutes les cartes en main ; c’est lui qui a les éléments qui lui permettent de décider. Arrêtons de tirer des plans sur la comète. Souvenons-nous que le général de Gaulle avait fait de M. Pompidou – qui à l’époque était inconnu de la classe politique – un Premier ministre. Alors, chaque chose en son temps. Commençons par gagner l’élection et puis laissons au président de la République le soin de décider qui doit être le prochain Premier ministre.

J.-M. Lefebvre : L’Europe est un thème qui n’est pas prioritaire dans la campagne, alors qu’on nous avait dit : on va dissoudre puisque avec Maastricht, l’année prochaine, on va avoir onze mois terribles.

P. Vasseur : Moi, ce n’est pas vraiment ce que je constate. J’ai des négociations difficiles à conduire sur le plan européen pour l’agriculture, et je constate que l’on n’est pas en position de force pour négocier quand on a l’épée de Damoclès d’une élection devant soi. Et c’est vrai que cette année de gagnée va nous permettre d’aborder des négociations difficiles en meilleure position.

J.-M. Lefebvre : Est-ce que l’UDF ne se sent pas maltraitée dans le rapport de forces de la majorité sortante, par rapport au RPR ?

P. Vasseur : Non. Je n’ai pas le sentiment que l’on soit maltraité. À nous de nous faire entendre ; à nous de tenir toute notre place. J’ai le sentiment que c’est ce qui se passe. Demain, je serai à Lille avec A. Juppé et S. Veil pour tenir un grand meeting. L’UDF aura toute sa place puisqu’il y aura S. Veil, un ministre du Gouvernement et le Premier ministre. Vous voyez donc que l’équilibre est bien respecté.