Extraits de l'interview de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, au forum RMC-Le Figaro le 17 avril 1997, sur la conférence euro-méditerranéenne, la situation au Proche-Orient, l'intervention européenne en Albanie, l'insurrection au Zaïre, l'accord entre l'OTAN et la Russie et les droits de l'homme en Chine.

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Le Figaro : Monsieur le ministre, vous l’avez rappelé tout à l’heure, vous étiez hier à la Conférence de Malte. Le partenariat euro-méditerranéen et le processus de paix au Proche-Orient, tout cela est bloqué. Nous allons vers l’échec ! Oublions la langue de bois, allons-y carrément.

Hervé de Charette : Allons-y carrément mais simplement, traitons les choses dans l’ordre. Je vais vous parler si vous le voulez bien du processus de Barcelone, c’est-à-dire, de nos projets euro-méditerranéens et ensuite du processus de paix.

Le Figaro : Très bien, j’ai mêlé les deux car hier, ce fut tout de même très mêlé.

Hervé de Charette : Il y a des liens en effet.

D’abord, le Processus dit de Barcelone, c’est-à-dire cette grande conférence qui réunit les ministres des Affaires étrangères de tous les pays riverains de la Méditerranée et de tous les pays européens, c’est un grand projet. C’est un projet qui vise à faire de la Méditerranée un grand espace de stabilité, de paix et de développement. L’Histoire de la Méditerranée est l’Histoire de nos conflits, depuis des millénaires, des religions qui s’affrontent, des civilisations qui se combattent, des peuples qui se menacent mutuellement. Nous voulons faire de tout cela un espace de paix et de développement. C’est une démarche à long terme et son lancement à Barcelone il y a deux ans a été un événement considérable. Ensuite, je sens bien une certaine impatience des uns et des autres qui se demandent ce qu’il en sort.

Le Figaro : Ce qui va en sortir, c’est le pacte de stabilité souhaité par la France, c’est cela ?

Hervé de Charette : C’est le premier élément. Nous souhaitons une charte de stabilité entre les pays riverains de la Méditerranée qui aura pour but de faire en sorte qu’à l’avenir, les conflits et les problèmes soient réglés de façon harmonieuse.

Il y a un second projet économique celui-là : faire en sorte que nous aidions les pays du Sud à décoller pour qu’ils connaissent, eux aussi, une période de développement. Pour cela, comme vous le savez, il y a des accords d’association, proposés par l’Union européenne à ses partenaires du Sud de la Méditerranée. Nous avons signé des accords avec le Maroc, avec la Tunisie, avec Israël. Nous en avons en négociation actuellement avec l’Algérie, l’Égypte et avec la Jordanie. J’espère que nous en aurons bientôt avec la Syrie. Bref, nous avançons.

Le Figaro : Pourtant, nous avons l’impression que tout cela est en panne.

Hervé de Charette : Non, cela n’est pas en panne. Nous avançons et je crois que cela va permettre à ces pays d’augmenter leur capacité à produire. Enfin, nous menons beaucoup d’argent sur la table puisqu’à Cannes, en 1995, sous l’impulsion du président Chirac, nous avons décidé d’y consacrer en cinq ans, la somme de 50 milliards de francs. C’est beaucoup d’argent européen, pour soutenir le développement de ces pays. Et c’est notre plus grand intérêt.

Nous Français, nous savons ce qu’est l’immigration, c’est-à-dire l’exode de populations qui n’ont pas de travail chez eux et qui viennent chez nous. Cela n’est bon ni pour les pays ‘origine ni pour nous. Donc, développer ces pays du Sud, c’est l’intérêt de tous, c’est aussi le nôtre.

Cela, c’est le grand projet, c’est l’affaire qui prendra dix ans et qui est extrêmement riche d’avenir. Pendant 50 ans, nous avons tourné nos yeux vers l’Est, il est bon de rééquilibrer notre diplomatie européenne vers le Sud.

Maintenant le processus de paix, c’est-à-dire, comment de régler l’interminable conflit entre Israël d’un côté et ses voisins de l’autre. C’est vrai que nous sommes en situation de crise.

Le Figaro : La rencontre entre Yasser Arafat et David Levy, hier à Malte, était vraiment une rencontre pour la façade, de pure forme. Il n’en est rien sorti.

Hervé de Charette : Pas tout à fait, j’étais là, il y avait, en dehors de la présidence européenne et de M. Arafat, à la demande des Palestiniens d’ailleurs, le ministre des Affaires étrangères d’Égypte et moi. Cela montre naturellement l’influence de la France en Méditerranée. Désormais, rien ne peut se faire sans nous. C’est un changement formidable accompli en deux ans. C’est un succès de la diplomatie française. Ceci étant, cet entretien est une hirondelle. Elle ne fait pas le printemps. Il y a eu les images pour la presse, mais il y eu aussi une discussion de près d’une heure à laquelle nous avons participé. C’était la première fois qu’ils se parlaient depuis la fameuse affaire de l’implantation dans la périphérie de Jérusalem, la fameuse affaire Har Homa. C’est mieux que rien mais cela ne suffit pas à régler le problème qui reste entier.

Le Figaro : Qui est responsable de cette crise ? Est-ce M. Netanyahou qui a conduit le processus de paix dans l’impasse ?

Hervé de Charette : Il est clair que les Israéliens ont pris deux responsabilités. La première est de décider cette implantation dans la périphérie de Jérusalem qui contribue à créer, de plus en plus, une situation de fait accompli dans laquelle l’avenir de Jérusalem, au lieu d’être négocié comme il doit l’être à la fin du processus de paix, est réglé dans les faits et par la force. Cela n’est pas acceptable et c’est contraire à ce qui a été signé à Madrid et à Oslo. Deuxièmement, il y a eu la question du redéploiement en Cisjordanie, c’est-à-dire quelle superficie de territoire les autorités israéliennes remettaient sous la responsabilité des autorités palestiniennes. Le fait est que la proposition faite est squelettique et que ces deux décisions ont contribué au contraire, à rompre la confiance après l’Accord d’Hébron, si péniblement obtenu, qui avait donné un fort espoir de reprise du processus de paix sur une voie normale. La situation dans laquelle nous sommes est une situation dans laquelle il n’y a plus de confiance.

Le Figaro : Une question que se pose l’homme de la rue qui n’est pas aussi au fait des choses que vous. Pour relancer ce processus, ne faudrait-il pas carrément le départ de M. Netanyahou d’ailleurs impliqué sur un plan de politique intérieure ?

Hervé de Charette : Il y a des problèmes en politique intérieure israélienne mais je ne me mêlerai pas de cela bien évidemment. Ce que la communauté internationale demande, c’est qu’il y ait une reprise sincère de part et d’autre du processus de paix. Si je vous ai dit les reproches que les Palestiniens font aux Israéliens, je pourrai aussi vous dire que les Israéliens reprochent aux Palestiniens un certain nombre de choses, en particulier de ne pas être assez actifs sur le front de la lutte contre le terrorisme. Cela ne me parait pas très équitable, mais c’est ainsi. Donc, il faut reconstituer la confiance pour faire redémarrer le processus de paix. La question est posée à l’ensemble des parties, c’est vrai qu’elle est posée en particulier à Israël.

Le Figaro : Demain, nos « mille marsouins » comme l’on dit qui sont partis de Toulon, arrivent à pied d’œuvre en Albanie pour la fameuse opération « Alba ». N’est-il pas trop tard ? Ce retard n’est-il pas une leçon pour l’Europe ?

Hervé de Charette : J’ai une analyse exactement opposée à la vôtre. Je trouve que c’est une démonstration pour la première fois de la capacité des Européens à prendre des initiatives. Voilà la première situation conflictuelle que l’on rencontre en Europe et où les Européens font la même analyse. Ce n’était pas le cas en Bosnie-Herzégovine. Au début de la crise bosniaque, il y avait plusieurs points de vue. C’est cela qui a paralysé l’Europe.

Le Figaro : Vous n’étiez pas d’accord avec les Allemands là-dessus, vous le savez bien.

Hervé de Charette : Par exemple sur la Bosnie-Herzégovine à l’époque, voilà, il n’y avait pas de point de vue commun européen. Sur l’Albanie, il y avait, je peux vous en apporter le témoignage, un point de vue commun sur ce qu’il fallait faire, c’est-à-dire, aider les Albanais à reprendre le contrôle de leur propre situation et régler leurs problèmes. Ensuite, c’est la première fois qu’il y a une force d’intervention proprement européenne, commandée pour la première fois par un Européen, et ne comprenant, pour la première fois, que des troupes européennes. Je trouve que c’est une démonstration très positive. Cous dites que c’est trop tard. Tout cela mis un mois. D’abord, nous avions quelques conditions à poser aux Albanais. Nous voulions qu’il y ait un gouvernement d’union nationale pour que tout le monde soit autour de la table. Nous voulions que les décisions soient prises dans les instances appropriées et il faut le temps aussi de s’organiser et de partir.
Je crois que c’est une assez belle démonstration. Et je vous fais observer que dans tout cela, une fois de plus, ce sont toujours les mêmes, la France est toujours là, parce qu’elle assume ses responsabilités et que quatre pays de la Méditerranée, l’Italie, l’Espagne, la France, la Grèce, apportent des contingents importants et démontrent ainsi l’intérêt qu’ils portent aux vrais problèmes des Méditerranéens.

Le Figaro : Je vais vous reparler des élections anticipées parce que je sais que vous êtes passionné par la question. Cette fois-ci, c’est en Albanie, on votera le 29 juin. Y-a-t-il de réelles perspectives démocratiques avec toutes ces bandes armées ? Comment va-t-on s’y retrouver ?

Hervé de Charette : Le problème en Albanie, c’est l’effondrement des structures d’État. Effondrement de l’armée, de la police, de la situation financière, de la structure locale : c’est cela la vérité. Nous avons donc convenu que nous étions prêts à apporter notre aide humanitaire, une aide économique importante, le soutien d’une présence militaire destinée à protéger l’aide humanitaire. Nous étions prêts à faire cela à condition que cela permette aux Albanais de prendre leur sort en main car ce n’est pas nous qui irons chercher les armes dans les villages. Ce n’est pas nous qui allons tout faire. C’est aux Albanais de prendre leur responsabilité et naturellement, puisqu’il y a problème politique, la base, comme toujours, c’est qu’il y ait des élections démocratiques et qu’elles se déroulent bien. Nous allons contribuer à la bonne organisation de ces élections.
C’est l’Organisation pour la sécurité et la coopération de l’Europe qui le fera, comme chaque fois, et j’espère que cette élection sera une étape importante dans la voie de la reprise de leurs responsabilités par les Albanais eux-mêmes.

Le Figaro : Venons-en à l’Afrique, au Zaïre plus particulièrement. Pensez-vous qu’il va y avoir réellement un sommet Kabila-Mobutu ?

Hervé de Charette : Je le pense et je l’espère. La situation au Zaïre, je le vois bien, fait l’objet de nombreux commentaires souvent assez désagréables pour la politique étrangère française. Je voudrais vous dire quelques mots sur la politique africaine, mais d’abord un mot sur le Zaïre.
Au Zaïre, nous avons assisté à l’effondrement du système d’État. Ce n’est pas la première fois que cela se produit.

Le Figaro : Vous voulez dire le système Mobutu ?

Hervé de Charette : C’est le système d’État. Vous pouvez apporte toutes les contestations que vous voudrez sur les hommes, mais enfin, c’était le système.
Nous avons assisté à une guerre civile. Nous sommes dans cette situation, avec des interventions étrangères. Nous avons souhaité que l’ONU se saisisse de cette affaire. Il y a eu une proposition du Secrétariat général, adoptée par le Conseil de sécurité, c’est-à-dire un plan de paix. Ce plan de paix prévoit la cessation des hostilités, le retrait de toutes les forces extérieures, la réaffirmation de l’intégrité territoriale et la souveraineté du Zaïre et des élections, le processus électoral normal, qui doit permettre aux Zaïrois de choisir leur dirigeant. Voilà le processus. Tout ne se passe pas comme cela, les efforts de l’envoyé spécial du Secrétaire général des Nations unies, appuyé par les États-Unis, par la France, par d’autres pays, donnent des résultats puisqu’il y a eu des discussions entres les représentants de Kabila et les représentants du pouvoir à Kinshasa. Pour l’instant, il n’y a pas d’arrêt des hostilités.

Le Figaro : Y-a-t-il un rapport de force sur le terrain ?

Hervé de Charette : Je voudrais dire très clairement que maintenant, il est temps que l’on aboutisse à une cessation des hostilités. Il n’y a pas de solution durables au Zaïre par la force. Celui qui le croirait se tromperait et, me semble-t-il, conduirait le Zaïre vers de nouvelles épreuves. C’est donc pourquoi nous insistons pour que le plan délibéré par le Conseil de sécurité des Nations unies soit mis en œuvre et nous appelons tous les pays du monde à faire pression sur tous ceux qui peuvent agir dans ce sens.

Le Figaro : Pensez-vous très sérieusement, je n’en doute pas d’ailleurs, que le maréchal président Mobutu et le chef des rebelles Kabila pourraient s’entendre, ou trouver une base minimale de conversations ?

Hervé de Charette : Je crois qu’il faut que toutes les forces zaïroises soient autour de la table pour parvenir à une résolution pacifique de la crise et pour que les élections puissent avoir lieu. Ce qui permettrait au peuple du Zaïre de choisir lui-même ses dirigeants pour l’avenir.

Le Figaro : Sur cette affaire de fin d’une époque, les Américains qui triomphent par rapport à nous en, Afrique…

Hervé de Charette : Je crois qu’il y a beaucoup de littérature dans tout cela. Dans la crise du Zaïre, je peux constater, parce que c’est un dossier que je suis presque tous les jours, que, avec les dirigeants américains, nous avons la même analyse de ce qu’il faut faire et que nos efforts sont convergents.

Le Figaro : Un grand saut géographique : la Russie, l’Otan. Boris Eltsine est aujourd’hui en conversation en Allemagne avec le chancelier Kohl. Il vient de confirmer qu’il y aurait bien une signature d’accord Otan/Russie à Paris le 27 mai. Quelle est la répartition des rôles dans toutes ces affaires très complexes en Français et Allemands, s’il y en a une ?

Hervé de Charette : Je crois que tous les grands dirigeants de l’Alliance, les 16 pays de l’Alliance travaillent ensemble concernant l’avenir de l’Alliance. Cet avenir repose sur trois sujets : d’abord, sa rénovation pour qu’au sein de l’Alliance s’exprime davantage la capacité propre des Européens. Ensuite, il y a les liens entre l’Alliance et la Russie. Il y a un projet de charte, d’arrangement, le mot n’est pas encore trouvé mais enfin, un texte et surtout une règle commune entre la Russie et l’Alliance, puisque nous sommes passés d’une situation de confrontation qui valait du temps de l’Union soviétique à une situation qui, je l’espère sera celle d’une situation de coopération entre nous. Enfin, il y a la question de l’élargissement de l’Alliance à quelques pays de l’Europe centrale et orientale, et si possible tous ceux qui le souhaitent.
Le point dont vous me parler, ce sont les rapports entre l’Otan et la Russie. Il y a eu beaucoup de discussions au niveau le plus élevé depuis plusieurs mois. Le président Chirac a rencontré le président Eltsine en janvier à Moscou. Le chancelier Khol a fait de même en février. Puis la rencontre entre M. Eltsine et le président Clinton à Helsinki et maintenant à nouveau le chancelier et le président Eltsine.

Le Figaro : Vous avez vu M. Primakov la semaine dernière à Paris.

Hervé de Charette : En effet, j’ai reçu longuement le ministre des Affaires étrangères russe à Paris. Tout ceci me semble clairement dans la voie d’un arrangement, d’une charte entre l’Alliance et la Russie dont M. Primakov a annoncé à Paris qu’elle pourrait être signée à Paris le 27 mai prochain. Cela ne veut pas dire que tout est réglé. Il reste encore un certain nombre de problèmes mais je crois qu’il y a la volonté politique de part et d’autre et que la décision politique d’y parvenir est désormais prise par tout le monde. Maintenant, le débat technique se poursuit. Sur quoi porte-t-il ?
En réalité, il porte sur la question des forces. Vous savez que l’Alliance a déclaré solennellement qu’elle n’avait pas l’intention de déployer vers l’Est ses armes nucléaires, qu’elle n’avait pas l’intention d’augmenter ses forces, qu’elle n’avait pas l’intention non plus de modifier son réseau d’infrastructures. Tout ceci nécessite des éclaircissements techniques, c’est l’objet des négociations.

Le Figaro : Je vais vous poser la question sous l’angle d’une coordination entre Paris et Bonn : j’aimerai savoir comment vous considérer le rôle désormais du chancelier Khol. N’est-il pas en train de nous doubler dans la côte ?

Hervé de Charette : Je ne crois pas. En ce qui concerne le dialogue avec Moscou, je crois qu’il y a, comme sur tous les autres sujets, une entente, un accord franco-allemand qui est permanent. Entre les Allemands et les Français, il ne faut pas faire preuve de susceptibilité. Le chancelier rencontre M. Eltsine. Aussitôt, nous aurions des boutons, et réciproquement…
Ce n’est pas comme ça que cela se passe. Le chancelier et le président français se téléphonent de façon très régulière, se rencontre de façon très fréquente. Bref, nous travaillons la main dans la main et je crois que nous travaillons sur la même ligne.

Le Figaro : Très bientôt, le voyage du président Chirac en Chine. Est-ce une enjeu économique ou également politique ? Parlera-t-on des Droits de l’Homme ou les oubliera-t-on un peu parce qu’il faut commencer avec ce grand pays où les libertés fondamentales ne sont pas toujours respectées ?

Hervé de Charette : Non, il ne faut pas oublier l’affaire de Droits de l’Homme et je suis prêt à vous en parler autant que vous le voudrez. D’abord, les lignes générales. Nous avons évidemment besoin de parler avec les Chinois. La Chine sort d’une longue nuit, sous l’autorité de Deng Xiaoping qui vient de mourir. La Chine a connu une évolution formidable, c’est désormais un pays qui connait un développement économique important, une croissance très forte, il est en pleine transformation. Ce pays sera probablement dans vingt ans la première puissance du monde. Donc parler avec elle, c’est le bon sens même. Rester à l’écart, pour je ne sais quelle habitude ancienne, serait non seulement absurde mais dangereux. Il est de l’intérêt des Européens, de l’intérêt de la France de parler avec la Chine. C’est ce que nous avons décidé de faire. Le Premier ministre chinois est venu à Paris. Maintenant le président de la République va aller en Chine. Je crois que ce sera un voyage d’une très grande importance car il va marquer cette politique nouvelle de la France vis-à-vis de la Chine qui est une politique de dialogue et d’ouverture.

Le Figaro : Les Droits de l’Homme ?

Hervé de Charette : Quel est le problème ? À la commission de Droits de l’Homme de l’ONU à Genève, depuis presque 8 ans, il y a tous les ans, une résolution sur les Droits de l’Homme qui condamne la Chine. Cette résolution n’est pas seulement repoussée. Elle n’est même pas votée parce que, chaque fois, les Chinois parviennent à faire voter ce qu’on appelle dans le jargon onusien une résolution de non-action qui veut dire qu’on en parle pas. Tout cela est ridicule et en plus, je pense profondément que, pour faire avancer la question des Droits de l’Homme avec un pays comme la Chine, mieux vaut parler que s’affronter. Mieux vaut faire pression dans le dialogue qu’imposer une contestation qui blesse sans résultat l’orgueil chinois. Il y a une sorte de fierté nationale chinoise comme il y a vous le savez une fierté nationale française. Nous pensons que ce n’est pas la bonne méthode. Pour autant, nous ne renonçons à rien. Nous avons nos convictions et je ne vais pas imaginer une politique étrangère qui serait une sorte de Realpolitik, qui s’associerait sur les Droits de l’Homme en contrepartie de marché. Nous allons travailler avec les Chinois sur tous les plans, y compris sur la question des Droits de l’Homme.

Le Figaro : Le président Chirac l’évoquera-t-il dans ses conversations ?

Hervé de Charette : J’en suis persuadé et je vous fais observer la position que la France a prise, alors que pendant sept ans, personne n’avait rien obtenu. Nous avons désormais obtenu que la Chine accepte, elle l’a fait à l’occasion du voyage du ministre de la Défense française en Chine, Charles Million, de ratifier l’une des deux conventions sur les Droits de l’Homme qu’elle n’avait pas ratifié. Nous prenons une attitude, nous ne mettons pas nos convictions dans notre poche, et nous obtenons des résultats.

Le Figaro : Conclusion, Monsieur de Charrette. À J moins 900 et quelques jours de l’an 2000, je ne vais pas vous demander de dessiner la carte diplomatique et la carte des rapports de force dans le monde, mais un ou deux rapports que vous percevez, je sais que vous aimez les fresques.

Hervé de Charette : Deux observations, d’ici l’an 2000, nous aurons fait la monnaie européenne. C’est une révolution et une décision d’ampleur mondiale. En même temps, nous aurons engagé le grand élargissement de l’Europe c’est-à-dire ce projet qui fera que se réuniront autour de la même table, tous les gouvernements et tous les peuples d’Europe. C’est une révolution, si vous regardez l’Histoire faite de nos guerres et de nos affrontements.
Deuxièmement, au contraire de ceux qui souhaite organiser un monde unipolaire autour d’eux, autour d’une seule puissance, nous poussons à l’émergence d’un monde multipolaire dans lequel tout le monde parle à tout le monde, sur un même pied d’égalité.