Interview de Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, à France 2 le 26 février 1998, sur les investissements étrangers en France et les élections régionales.

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Intervenant(s) : 
  • Dominique Voynet - ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement

Circonstance : Présentation, le 25 février 1998, du bilan 1997 des investissements étrangers (américains, allemands, japonais et italiens) en France

Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

France 2 : Vous présentiez, hier, le résultat des investissements étrangers en France. Premier constat : la France reste une terre d’élection pour les investisseurs étrangers en dépit de ce qu’on a pu dire sur la crainte des 35 heures ou les lourdeurs administratives françaises.

Dominique Voynet : Plus de 22 000 emplois crées pour 22 milliards d’investissements : c’est le meilleur résultat que nous ayons jamais obtenu cette année. Cela veut dire que la France est un pays très attractif pour les investisseurs étrangers, d’une part en raison de la taille de son marché, d’autre part en raison de sa position qui ouvre le marché de l’Union européenne. Ensuite, et cela me paraît le plus important, en raison de la productivité de sa main-d’œuvre. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que les salariés français sont à la fois très bien formés, très efficaces, très réactifs, et que cela séduit évidemment des gens qui pourraient être tentés d’aller travailler dans des pays où la main-d’œuvre est moins chère, mais moins compétente.

France 2 : Il y a un véritable savoir-faire français qui peut compenser, aux yeux des investisseurs, certaines lourdeurs ?

Dominique Voynet : Les lourdeurs, on les connaît bien. Elles concernent essentiellement la fiscalité et le prix du travail. Mais les investisseurs étrangers n’en ont pas peur, pas davantage d’ailleurs que les 35 heures, dès lors qu’il s’agit de secteurs à haut niveau de compétence et de recherche. D’ailleurs, c’est un point que les investisseurs recherchent. Ils aiment avoir une synergie entre les efforts de l’université, les efforts de la recherche et les efforts sur le terrain industriel.

France 2 : Ce chiffre vient conforter les indicateurs qu’on a sur l’embellissement : la croissance est de retour aujourd’hui en France. Que va-t-on en faire ?

Dominique Voynet : Il faudrait se poser la question de savoir quelle croissance : s’agit-il d’une croissance durable ou d’une embellie de court terme ? On ne réagira pas, évidemment, de la même façon. Si l’on est d’accord pour dire que les indicateurs passent au vert, je crois que l’on doit faire face à trois exigences : la première, c’est de contenir la dette de notre pays, parce que la dette est quelque chose qui pèse au moment de la rembourser.

France 2 : Cela signifie alléger le poids de la dette ?

Dominique Voynet : Non, mais en tout cas de ne pas laisser filer les déficits. La deuxième piste, c’est bien sûr de revaloriser de façon importante le niveau de vie, la qualité de vie et les revenus des personnes les plus démunies dans le pays, pas seulement sous forme de dispositif d’aide sociale, mais surtout sous forme de dispositifs de retour à l’emploi, d’aide au logement, d’aide à la santé. Bref, une politique active, et pas seulement une politique charitable. Troisième point : je crois qu’il faut que la relance des activités se fasse dans des secteurs riches en emplois, utiles à la collectivité. Il faut absolument qu’on se garde de relancer de grandes politiques, style éléphant blanc, qui témoignent d’une certaine conception de faire en France, mais qui ne sont pas créatrices d’emplois durables bien implantés sur le territoire.

France 2 : Hier, ici-même, Laurent Fabius se disait favorable à la baisse des impôts sur le revenu, façon de redistribuer un peu de la richesse. Qu’en pensez-vous ?

Dominique Voynet : Je pense que la meilleure façon de redistribuer la richesse, c’est de prélever des impôts qui permettent de financer des services publics de qualité et les emplois qui vont avec, qui permettent de répondre aux besoins des plus modestes qui n’ont pas les moyens d’avoir accès à un certain nombre de services. Pour moi, l’impôt, c’est avant tout un moyen de redistribution solidaire ; la diminution des impôts ne profiterait qu’à la moitié de la population qui en paye, pas aux plus précaires, aux plus modestes. Vraiment, pour moi, la baisse des impôts, c’est un slogan de campagne électorale : ce n’est pas une politique.

France 2 : Vous dites « non » à Monsieur Fabius ?

Dominique Voynet : On a le droit de ne pas être d’accord sur tout dans la majorité plurielle.

France 2 : On sait qu’en période de croissance, il y a souvent des impatiences qui se créent. Ne craignez-vous pas qu’il y ait de la revendication en termes de salaires au moins ?

Dominique Voynet : La revendication en termes d’emplois me paraît encore plus légitime que les revendications en termes de salaires. Nous avons la chance de vivre dans un des pays les plus riches du monde. Mais les richesses restent très inégalement partagées. Je crois vraiment que la priorité des priorités, c’est de garantir un accès à l’éducation, la santé et à la formation, aux plus jeunes qui bénéficient déjà du plan emploi-jeunes, mais aussi aux plus modestes en général. Il n’est pas admissible qu’une partie significative des plus de 45 ans reste au chômage. C’est encore plus grave pour les femmes, par exemple. C’est donc là qu’est notre priorité : faire en sorte que retrouvent leur place dans la société un tas de gens qui l’ont perdue, alors que des besoins du quotidien ne sont pas satisfaits – je pense, par exemple, à l’accompagnement des personnes en fin de vie qui sont de plus en plus nombreuses et qui n’ont pas toujours les moyens, malgré la prestation dépendance, d’avoir accès aux services de quelqu’un qui peut les aider à finir dignement leurs jours –.

France 2 : On a l’impression que la campagne pour les régionales a un peu de mal à démarrer.

Dominique Voynet : Elle ne passionne pas les foules, c’est le moins qu’on puisse dire. Pourtant, les conseils régionaux gèrent des sommes importantes : ils ont de plus en plus de poids dans les politiques publiques, par exemple, en ce qui concerne les lycées, les transports régionaux, l’aménagement du territoire, la protection de l’environnement, la dynamisation de l’économie régionale, l’université, la recherche. Il y a vraiment un enjeu. Aux candidats de convaincre et de mobiliser. On a intérêt aussi à parler des contenus des programmes, pas seulement des personnalités qui briguent telle ou telle présidence de région.

France 2 : C’est un peu le patouillage : dans la majorité, il y a eu l’épisode de l’Île-de-France, Monsieur Strauss-Kahn y allait, n’y allait pas…

Dominique Voynet : C’est dur pour les candidats !

France 2 : En Franche-Comté, on ne sait pas encore bien qui sera tête de liste.

Dominique Voynet : Il faut être cohérent avec soi-même : quand on prône le non-cumul des mandats, il faut absolument se l’appliquer à soi-même. C’est ce que j’ai fait : je ne suis pas candidate aux élections régionales. Je ne crois pas aux hommes ou aux femmes providentiels.

France 2 : Votre région, c’est un laboratoire de la gauche plurielle, puisqu’il y a vous, Monsieur Moscovici et Monsieur Chevènement.

Dominique Voynet : Oui : trois ministres pour quasiment la plus petite région de France, ce n’est pas mal ! Cela devrait au moins nous donner l’occasion d’aller loin sur le plan des contenus et des projets à porter pour les Francs-Comtois. Je ne trouve pas nécessaire, en tout cas, que nous nous en mêlions. Nos mouvements ont choisi des candidats pour mener des listes qui sont des gens tout à fait capables et compétents, qui sauront mener la région sans que les grands frères ou les grandes sœurs s’en mêlent. J’ai bien l’intention de les laisser faire leur travail correctement.