Extraits de l'interview de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, à Europe 1 le 27 avril 1997, sur la place de la France dans le monde, la situation des réfugiés rwandais au Zaire, l'élargissement de l'Europe et les droits de l'homme en Chine.

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Média : Emission Le Club de la presse - Europe 1

Texte intégral

Europe 1 : Quelle est la place qu’occupe actuellement la France dans le monde ?

Hervé de Charrette : Je voudrais que l’on parle de la France, de sa place dans le monde, et de sa capacité à réussir pour les Français. C’est cela l’enjeu. Le bouleversement du monde, vous le connaissez, c’est la mondialisation. Elle est là, c’est un fait, cela veut dire que des dizaines de millions d’être humains qui, jusqu’à présent, étaient hors marché, vivaient de ce qu’ils fabriquaient ou produisaient, entrent sur le marché. Ils achètent et vendent. Ce sont des dizaines de millions tous les ans en Asie, en Amérique latine et en Afrique. Il y a donc un formidable bouleversement de l’économie et l’on perçoit bien toute son importance. La France, quatrième exportateur du monde, deuxième exportateur par tête d’habitant, est donc l’un des pays les plus performants face à ces nouveaux enjeux, c’est une chance formidable. Je sens beaucoup d’inquiétude dans notre pays, je veux me battre sur ce thème, c’est le grand sujet de notre pays. Pendant ces deux années écoulées, la France a retrouvé une autorité, un prestige, un rayonnement dans le monde tout à fait remarquable. De nombreux chefs d’État étrangers sont reçus à Paris ou invitent le président de la République à venir leur rendre visite.

Il y a un rayonnement de la France qui est, je crois, l’un des grands succès de ces deux dernières années. C’est cela l’enjeu, une grande place pour la France dans le monde et la réussite économique et sociale pour les Français.

Europe 1 : Je pense que l’on pourrait quitter l’Europe un instant pour un continent beaucoup plus meurtri que l’Europe, qui est le continent africain. Depuis quelques jours, on est sans nouvelle de 80000 réfugiés hutus qui se trouvaient au Zaïre, dont la disparition a été qualifiée par Laurent Désiré Kabila de « petit problème ». Je voudrais savoir si, en tant que ministre des Affaires étrangères, vous avez des informations et si, à votre sens, nous sommes entrés dans une phase d’extermination.

Hervé de Charrette : Hélas, non, je n’ai pas d’information. Comme vous le savez, la France est au fond l’un des rares pays qui se soient vraiment mobilisés depuis des mois pour essayer de venir au secours de ces malheureux réfugiés du Rwanda, des Hutus en grande majorité qui se trouvaient au Zaïre sans compter d’ailleurs les villageois zaïrois chassés de leurs villages par la guerre civile cruelle qui se déroule là-bas.

Europe 1 : On ne peut pas dire que les Américains vous aient beaucoup aidés ?

Hervé de Charrette : Non, personne d’ailleurs, vous avez tout à fait raison, nous nous sommes sentis bien seuls et nous avions lancé l’idée d’une force de sécurisation pour aider les organisations humanitaires à venir sur place ; comme vous le savez, l’ONU après avoir approuvé cette idée a fini par y renoncer devant l’absence de volonté des autres pays.

Europe 1 : Pourquoi les Américains ont-ils bloqué cela ?

Hervé de Charrette : Les Américains et d’autres. C’est un fait que je trouve tout à fait tragique. Est-ce parce que ce sont des Africains ? Est-ce parce que la télévision ne filme pas l’horreur ? Le fait est que des centaines de milliers de personnes ont été laissées à l’abandon, à leur tragique destin dans la boue des chemins africains. Nous continuons à faire tout ce que nous pouvons pour leur venir en aide et je dois dire que les propos de Kabila qui ont été repris par les médias et que vous avez cités m’ont profondément choqué, parce que, qui que l’on soit et quel que puisse être l’attrait du pouvoir, il y a des frontières à l’indignité que l’on ne franchit pas.

Europe 1 : Sur l’Europe et l’emploi, j’ai sous les yeux quelques chiffres ; si l’indice salaire et charges est à 100 en France, il serait à 70 en Espagne et en Grande-Bretagne, et à 25 en Pologne. Alors, que comptez-vous faire dans une Europe surtout élargie, pour éviter délocalisations sauvages à l’intérieur même de l’espace européen ?

Hervé de Charrette : D’abord, la question que vous posez concerne en réalité les pays d’Europe centrale et orientale. Évidemment, l’entrée de ces pays d’Europe centrale et orientale doit être maîtrisée.

Non seulement elle doit être faite dans des conditions qui soient compatibles avec la situation de ces pays, c’est la raison pour laquelle d’ailleurs nous avons dit qu’il y aura un calendrier et qu’il y aura des étapes, et cela dépendra aussi de l’état de préparation de chacun de ces pays. Je note, au passage, que l’état de préparation n’est pas simplement économique, il est aussi politique, social, il concerne l’État de droit, beaucoup de conditions qui sont des conditions de bons sens.

Mais il faut aussi que soient examinées de près, cas par cas, les conséquences qu’aura l’entrée de tel pays d’Europe centrale et orientale dans l’Union européenne pour les pays de cette union. Je prends un exemple simple : est-ce que l’entrée de la Pologne pose à terme des problèmes à la politique agricole commune ? Je peux vous dire que nous traiterons chacun des cas de la façon la plus attentive, Enfin, en toute hypothèse, évidemment, le niveau de vie des pays d’Europe centrale et orientale ne peut pas rester à ce niveau s’ils veulent faire partie d’un ensemble européen qui a forcément, vous avez raison de le dire, un certain degré minimum d’homogénéité dans tous les domaines, y compris en ce qui concerne le pouvoir d’achat.

Europe 1 : Quand la France reconnaîtra enfin que le maréchal Mobutu a fait son temps ?

Hervé de Charrette : Cela ne se pose pas en ces termes. Il y a un plan qui a été adopté par le Conseil de sécurité de l’ONU, qui prévoit toute une série de choses. Sur le point que vous évoquez, il prévoit l’organisation d’élections après un cessez-le-feu, ces élections permettront aux électeurs sous le contrôle international de choisir les dirigeants du Zaïre. Voilà la bonne solution et je ne suis pas prêt, en ce qui concerne la France, à reconnaître la conquête du pouvoir par la force. Les élections sont le seul bon moyen, en Afrique, comme ailleurs.

Europe 1 : Dans quelques jours, le président de la République se rend en Chine, il va malheureusement sauter l’étape de Hong Kong qui était prévue au cours de laquelle on pensait qu’il aurait l’occasion de défendre les Droits de l’Homme. En parlera-t-il à Pékin ?

Hervé de Charrette : La France défend les Droits de l’Homme. La politique étrangère de la France assure son poids et son autorité dans le monde. Je voudrais redire qu’elle a gagné des points en deux ans de façon remarquable et notamment en Asie où elle était pratiquement absente. Nous ne faisons pas cela au nom de la réal politique, c’est-à-dire en sacrifiant les principes sur lesquels sont fondés notre communauté nationale, en particulier les Droits de l’Homme. Nous continuerons, donc, à les défendre.