Articles de M. Jean-Claude Tricoche, responsable du dossier de la formation professionnelle au secrétariat national de la FEN, dans "FEN hebdo" des 28 mars 1997 et 25 avril 1997, sur l'apprentissage dans le secteur public, la formation continue des adultes, et l'installation de la Commission nationale des comptes de la formation professionnelle.

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Intervenant(s) : 
  • Jean-Claude Tricoche - responsable du dossier de la formation professionnelle au secrétariat national de la FEN

Média : FEN Hebdo

Texte intégral

Date : 28 mars 1997
Source : FEN Hebdo – N° 613

Autorisé en 1992 à titre expérimental, l’apprentissage dans le secteur public fait l’objet aujourd’hui d’une proposition de loi pour sa pérennisation. Analyse d’une disposition que nous jugeons prématurée.

Le contrat d’apprentissage relevant du droit privé (code du travail), la loi du 17 juillet 1992 a autorisé à titre expérimental sa mise en œuvre dans le secteur public industriel et commercial.

En 1993 sous l’impulsion du ministre de la fonction publique (à l’époque A. Rossinot) est fixé l’objectif de 10 000 apprentis. Trois ans après, cet objectif est loin d’être atteint. Bien que les statistiques officielles soient discrètes sur ce sujet on peut évaluer à moins de 5 000 le nombre de contrats d’apprentissage inclus dans le secteur public.

AU premier rang des employeurs figurent les collectivités territoriales (régions, départements, communes) suivi par la poste et France Télécom, certains ministères et les établissements hospitaliers.

Si l’objectif quantitatif n’a pas été atteint, le qualitatif semble supérieur au secteur privé aux un taux de rupture de contrat d’apprentissage inférieur de 20 %.

La FEN ne s’était pas opposée au principe d’une expérimentation dont l’échéance était fixée par la loi au 31 décembre 1996.

De plus le législateur avait prévu un bilan à l’issue de cette période. Mais sans attendre le bilan le Gouvernement a prorogé l’expérience pour deux années supplémentaires par une disposition introduite dans la loi du 16 décembre 1996 relative à l’emploi dans la fonction publique

De l’expérimentation au développement

Lors de la Conférence nationale pour l’emploi des jeunes réunie à Matignon le 10 février 1997, le Gouvernement a annoncé qu’il soutiendrait la proposition de loi déposée par le député UDF Michel Jacquemin. Cette proposition qui a pour objectif de favoriser le développement de l’apprentissage dans le secteur public, modifie la loi du 17 juillet 1992, sur 3 points :
    - la pérennisation du droit de conclure des contrats d’apprentissage dans le secteur public ;
    - la possibilité de signer des contrats d’apprentissage successifs avec le même apprenti ;
    - l’octroi de la prime à l’embauche pour les employeurs publics et son financement.

Amendée dans un premier temps par la commission de affaires culturelles, familiales et sociales de l’Assemblée nationale, la proposition Jacquemin a été modifiée et adoptée en première lecture par les députés le 20 février 1997. Dans leur majorité ces derniers ont souhaité passer de l’expérimentation au développement de l’apprentissage dans le secteur public, sans même attendre que le bilan demandé par le législateur en 1992, leur soit communiqué. Vous avez dit cohérence !

Non à la précipitation

La FEN n’a pas repoussé en 1992 le principe de l’expérimentation de l’apprentissage dans le secteur public. Il nous semblait à l’époque que les fonctions publiques et plus largement les services publics apportaient un certain nombre de garanties en termes de tutorat et de droits des apprentis. Dans les faits les salaires versés aux apprentis se sont révélés supérieurs à ceux du secteur privé.

Aujourd’hui nous n’acceptons pas le passage de l’expérimentation à la pérennisation sans que soit tiré un véritable bilan sur la qualité des formations reçues par les apprentis. Bilan sur leur accès aux diplômes correspondant à la qualification acquise, sur la réalité et les conditions de leur insertion professionnelle à l’issu du contrat d’apprentissage. Or ce bilan est en cours d’élaboration. Nous refusons donc cette inutile précipitation induite par la politique du tout apprentissage promu par le Gouvernement et ses relais patronaux.

E fait que la proposition de loi ne règle pas le problème de la prise en charge du coût de la formation au CFA des apprentis, conforte notre refus. Certes les employeurs publics vont dorénavant bénéficier de la prime à l’embauche instituée par la loi du 6 mai 1996. Mais il ne s’agit que d’un rétablissement de dispositions antérieures interrompues par la récente modification du financement de l’apprentissage. Pour le reste, c’est-à-dire le coût de la formation, le ministère du travail et des affaires sociales s’en remet à la bonne volonté des élus régionaux. Le seul effort consenti par l’État est d’assurer pour 1997 le financement de la prime à l’embauche. Sans doute pour éviter la contestation des partenaires sociaux gestionnaires des fonds de l’alternance (AGEFAL) mis à contribution dans la première version de la proposition de loi.

Enfin, la possibilité ouverte aux employeurs publics de signer des contrats successifs avec le même apprenti est un dispositif à double facette. Du côté positif, elle permet pour les apprentis des poursuites d’études pour accéder à des qualifications supérieures. La loi de 1992 interdisait cette possibilité. Mais cette succession de contrats peut aussi engendrer un effet de substitution bien connu dans le secteur privé. Certes un amendement présenté par le groupe socialiste et adopté par les députés, limite à trois le nombre de contrats. Mais l’Assemblée a repoussé dans le même temps un amendement interdisant la substitution de contrat d’apprentissage à des emplois permanents. Raison de plus pour maintenir nos critiques et notre vigilance pour la suite du débat parlementaire.

Pas de pilote à l’éducation nationale

Reçue en audience sur le dossier de la formation professionnelle initiale et continue, la FEN a constaté une fois de plus la vacuité du ministère de l’éducation nationale sur ce dossier. À sa demande la FEN a été reçue le 25 février 1997, au ministère de l’éducation nationale par Madame Françoise Mallet, sous-directeur des formations professionnelles initiale et continue.

Face au silence coupable du ministère de l’éducation nationale sur le dossier de la formation professionnelle, pour ne pas dire la vacuité, les revendications ne manquaient pas pour cette audience.

Sur le dossier de la formation continue des adultes, nous avons une nouvelle fois interrogé la sous-direction de la DLC afin de connaître ses projets pour renforcer l’action des GRETA. Réponse évasive de l’administration qui a soumis ce problème à l’arbitrage du cabinet du ministre. Nous avons fait savoir avec force que ni la circulaire du 13 juillet 1996 rappelant aux recteurs les priorités de la formation continue des adultes, ni l’arrêté du 12 novembre 1996 créant un fonds académique de mutualisation, pris sans concertation préalable, ne sauraient constituer une indication forte de la volonté du ministère de renforcer la « mission normale » de l’éducation nationale. D’autant plus que la décision budgétaire 1997 de faire supporter aux GRETA la charge patronale des postes gagés est un mauvais coup porté au développement de leur activité dans un contexte difficile.

En ce qui concerne les personnels de la formation continue, nous n’avons reçu aucune réponse positive pour la transformation en NBI de l’indemnité des CFC. Pas d’engagement non plus pour les contractuels concernés par l’intégration dans la catégorie C au titre du décret du 24 mars 1993, annulé par le Conseil d’État le 4 janvier 1995.

Seule les difficultés rencontrées au niveau de la gestion financière et de la direction des GRETA semblent préoccuper la DLC. Selon son expression, il faudrait améliorer le « management » des GRETA.

Autre dossier évoqué au cours de l’audience, la formation professionnelle initiale, sans beaucoup plu de succès. Pas de réponse à nos inquiétudes exprimées à propos de la réforme de la taxe d’apprentissage mise en œuvre par le ministère du travail. Pas de précision nouvelle sur les deux projets de décrets portant création du Haut comité de la formation professionnelle, en remplacement du HCEE, et création du comité consultatif de l’enseignement professionnel, si ce n’est que la consultation se poursuit. En conclusion, une rencontre décevante qui illustre malheureusement l’absence du ministre Bayrou sur le dossier de la formation professionnelle. Ministre qui aura réussi en 4 années de mandat à avoir pour toute politique en faveur de l’enseignement technique le projet de créer un Hait comité de la formation professionnelle initiale (proposition 86 du nouveau contrat pour l’école). Projet qui n’a toujours pas vu le jour.

À la question : y a-t-il un pilote au ministère de l’éducation nationale ? la réponse est malheureusement non.


Date : 25 avril 1997
Source : FEN Hebdo – N° 617

Commission nationale des comptes de la formation professionnelle

Préoccupés par la complexité et l’opacité des circuits de financement de la formation professionnelle, le Parlement a créé en 1995 une commission pour en vérifier les comptes. Il aura fallu deux ans au Gouvernement pour l’installer.

L’initiative parlementaire, la Commission nationale des comptes de la formation professionnelle (1) a été enfin installée le 28 mars 1997 par le ministre Jacques Barrot, soit un an après la sortie du décret (2).

Rôle et composition de la commission

Inscrite par la loi dans le code du travail (3), la mission de la Commission nationale est « d’établir tous les ans un rapport sur l’utilisation des ressources de la formation professionnelle initiale et continue ».

La complexité du dispositif issu de la loi de juillet 1971 et l’opacité des circuits financiers ont été dénoncées par différents rapports (Cambon en juin 1993, Goasgen en mai 1994, IGAS en mars 1995).

La publication annuelle d’un rapport remis au Parlement, devrait favoriser la transparence sur la destination et l’utilisation des dépenses de la formation professionnelle (133 milliards de francs en 1995).

Chargés d’élaborer ce rapport, les quarante membres de la Commission nationale témoignent par leur origine d la diversité des acteurs de la formation professionnelle. Sont représentés les ministères concernés (travail, éducation nationale, budget, fonction publique), le Parlement (sénateurs et députés), les conseils régionaux, les employeurs et les confédérations de salariés, ainsi que les organismes publics ou privés intéressés à la formation professionnelle. Un conseiller à la cour des comptes assure le rapport des travaux.  L’UNSA est membre de la commission et pourra donc y faire entendre ses propositions.

133 milliards dépensés en 1995

Sous la présidence du ministre du travail et des affaires sociales, la Commission nationale réunie pour la première fois le 28 mars 1997 a entendu une série de rapports sur les divers matériaux qui vont servir de base à ces travaux. À ce titre le compte économique de la formation professionnelle permet de dresser un état annuel des dépenses. Derniers chiffres produits par la DARES (4) le bilan 1995 confirme que les deux principaux financeurs de la formation professionnelle reste l’État (43 %) et les entreprises (40 %). Les dépenses des régions se sont fortement accrues en 1995 en raison principalement de la décentralisation de la formation des jeunes. Elles deviennent le troisième financeur avec près de 8 % des dépenses totales.

L’ensemble de ces dépenses se répartit pour 47,5 % en frais pédagogiques, et pour 44,5 % en rémunérations des stagiaires et exonérations de charges sociales.

Le public concerné par cet effort financier est constitué par les actifs occupés (80 MdF), les demandeurs d’emplois (27 MdF) et les jeunes (en qualification ou insertion (23 MdF). Si les dépenses destinées aux salariés progressent (+ 3 %), celles en faveur des chômeurs chutent de près de 6 points alors que le financement des actions jeunes faiblit (- 0,8 %).

L’importance des sommes dépensées ne doit pas cacher les grandes inégalités d’accès à la formation professionnelle La formation a d’abord aux pus diplômés et aux salariés masculins des grandes entreprises industrielles. Toute réforme devrait en priorité viser à rendre réellement effectif pour tous le droit à la formation inscrit dans le code du travail.

Une réforme annoncée.

À l’occasion de l’installation de la Commission nationale, le ministre Jacques Barrot a confirmé les trois grands axes d’une réforme de la formation professionnelle, annoncée le 10 mars par le président de la République.

La future loi (fin de l’année 1997) s’appuiera sur les travaux de la commission de Virville (5) pour proposer :
    - la mise en place d’un système de validation des compétences et des savoir-faire avec des jurys spéciaux ;
    - la création d’un compte épargne temps de formation alimenté par l’employeur, l’État (?) le salarié, pour financer sa formation sur 1 ou 2 ans ;
    - la création d’un chèque formation pour les jeunes sortis de la formation initiale avec le bac.

Des négociations interprofessionnelles devraient précéder l’action du législateur. L’UNSA fera bien évidemment entendre son point de vue dans les différentes instances de concertation.


(1) Article 80 de la loi DDOS du 4 février 1995.
(2) Décret n° 96-190 du 12 mars 1996 relatif à la composition et au fonctionnement de la commission.
(3) Article L. 9310-3 du code du travail.
(4) Direction de l’animation, de la recherche, des études et des statistiques du ministère du travail.
(5) Rapport de Michel De Virville au ministre du travail « Donner un nouvel élan à la formation professionnelle » – octobre 1996.