Tribune de M. Ernest-Antoine Seillière, président du MEDEF, dans "La Tribune" du 21 octobre 1999, sur les enjeux de la mondialisation, le "conservatisme et l'interventionnisme" de l'Etat et le "colbertisme social" propre au gouvernement socialiste.

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Média : La Tribune

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La conception que les entrepreneurs ont du temps n'est pas celle des politiques, des consommateurs ou des experts. Ce ne sont pas des utopistes qui rêvent du monde tel qu'il devrait être. Ce sont des acteurs de la réalité économique que la compétition mondiale, l'évolution des technologies et les exigences des clients contraignent à se projeter dans l'avenir. Le XXIe siècle, les entrepreneurs l'ont de longue date anticipé.

L'entrepreneur a le devoir de rappeler la société française au réel et de lui montrer la voie de la réussite pour le prochain siècle. Il n'aura pas fallu attendre l'orée du 3e millénaire pour que la mondialisation soit, qu'on le veuille ou non, une donnée objective, une « loi naturelle ». Avec l'euro, avec Internet, avec l'essor des nouvelles technologies, le territoire européen sera complètement ouvert et banalisé dans dix ans. Dans cet environnement qui préfigure celui du XXIe siècle, face à la concurrence internationale qui ne pardonne pas le manque de compétitivité, nos entreprises sont obligées de s'adapter sans cesse.

Cette nouvelle donne économique ouvre un siècle d'opportunités. Il faut le dire aux jeunes : la globalisation, l'euro, le nouvel âge de l'information, ne préfigurent pas « l'horreur économique », comme tant de commentateurs veulent le faire croire chez nous, par peur des enjeux de demain. Nous pouvons au contraire en attendre plus d'expansion et plus d'emplois à condition qu'on ne nous prive pas des moyens d'agir et de réussir. Les entrepreneurs français ne rêvent pas l'avenir. Ils le font advenir. Confrontés aux réalités, ils intègrent les mutations technologiques, les nouveaux modes d'organisation du travail, les nouveaux process, suscitent l'innovation et anticipent les évolutions du marché. Le XXIe siècle sera ce qu'ils en feront. Et, si on les empêche de faire leur métier, la France du prochain siècle ne se démarquera du précédent que parce qu'elle sera devenue une économie seconde dans l'ensemble mondial européen. Modernisation ou déclin ? Les entrepreneurs français ont fait leur choix : maîtriser leur destin, saisir des opportunités de la mondialisation et gagner dans la compétition internationale. Mais ils ne réussiront que s'ils ont les moyens de se battre à armes égales avec leurs concurrents.

Pendant que le secteur productif a pour mission d'être toujours plus compétitif, la sphère publique est incapable de se remettre en cause. Pourtant, dans le nouvel espace économique mondial, les espaces nationaux sont en compétition directe. Or, loin de s'atteler à l'indispensable réforme de l'Etat, il semble qu'en France on s'évertue à chercher à compenser l'inévitable soumission à l'ouverture de l'économie moderne, par un interventionnisme unique au monde dans le champ social. Chez nous, le « social » reste inexplicablement bloqué à l'arrière-garde du mouvement général comme s'il devait absolument être anachronique pour mériter son nom. Et pourtant, c'est un fait : le conservatisme et l'interventionnisme intempestif de l'Etat ne sont plus en phase avec les exigences de l'économie moderne, ouverte et concurrentielle. L'archaïsme de la politique sociale à la française, poussé à son paroxysme par la loi Aubry – qui apparaît finalement comme la négation du dialogue sociale – se révèle en pleine lumière à l'aube du XXIe siècle. Nous sommes en train d'inventer le « colbertisme social », alors qu'à l'évidence, c'est au plus près du terrain que les partenaires sociaux progresseront dans la voie d'une organisation du travail concertée. Le dialogue social n'est fructueux que s'il porte sur une réalité concrètement perceptible aux acteurs de la négociation.

Nos voisins européens le savent. Nulle part ailleurs la démocratie sociale n'est menacée par un tel abus du pouvoir de l'Etat. En France, si nous voulons la réussite, les entrepreneurs, aujourd'hui pris pour adversaires et tenus pour sujets, doivent devenir des partenaires et des alliés du pouvoir. L'Etat moderne du XXIe siècle est celui qui reconnaît l'entreprise comme un élément essentiel de l'intérêt national et non plus comme un enjeu politique ou le laboratoire social des alternances idéologiques. L'entreprise du XXIe siècle est celle qui innove, qui investit, qui forme et qui partage ses risques et ses bénéfices. Elle est un acteur responsable, une force montante de la société civile. Son rôle est essentiel dans la formation et la promotion des hommes. Les entrepreneurs en ont conscience. Ils sont prêts à faire plus et à travailler à l'indispensable compréhension entre entreprises et les milieux éducatifs. Au paritarisme de façade, devenu un jeu de rôle sur lequel ils n'ont plus de prise, ils substitueraient volontiers une nouvelle forme de paritarisme centré sur la formation.

Le défi de l'entreprise du XXIe siècle, c'est aussi celui des hommes et des femmes qui la font vivre. Beaucoup demander ne sera acceptable que si les efforts de tous sont équitablement rémunérés. L'intéressement, la participation, l'élargissement des stock-options, les fonds de pension, doivent être généralisés pour que tous aient accès à la réussite de l'entreprise.

Pendant qu'on veut faire croire que la France du XXe siècle restait celle de Germinal, nos enfants aspirent à ce que la France du XXIe siècle soit celle de Bill Gates. On veut nous imposer une France du XXe siècle du dirigisme des bureaux, du travail rationné, de l'impérialisme de l'Etat, celle des décrets et des lois, du tout collectif, et de la primauté du politique sur l'économie.

La nouvelle génération souhaite des opportunités, de la responsabilité, de l'innovation, de l'esprit d'entreprise et de la liberté d'entreprendre. Les entrepreneurs doivent croire qu'au siècle prochain, leur rôle retrouvera le plein appui de la nation, que l'idée de réussite ne sera plus une idée suspecte, qu'ils pourront dire qu'ils sont fiers d'entreprendre pour assurer l'emploi avec leurs équipes. Le XXIe siècle doit être celui de la réussite réhabilitée et partagée entre les clients, les salariés et les actionnaires. En avant l'entreprise !