Déclarations de Mme Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT, MM. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT et Alain Deleu, président de la CFTC, sur l'enseignement professionnel intégré, le 30 septembre 1999.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Table ronde du colloque sur l'enseignement professionnel intégré au Conseil régional du Nord Pas de Calais le 30 septembre 1999

Texte intégral


Didier ADES
Au fur et à mesure que nos interlocuteurs viennent prendre place tout au long de cette table, permettrez-moi de dresser peut-être un cadre à partir d’un constat. D’abord un mot en ce qui me concerne : je suis journaliste et j’ai la charge avec ma consœur Dominique DAMBERT, depuis plus de 16 ans maintenant, d’une émission qui s’appelle RUE DES ENTREPRENEURS. Il ne s’agit pas d’une émission sur les entreprises mais beaucoup plus d’une émission qui cherche à traquer un peu partout l’esprit d’entreprise qui nous anime, d’une façon quelconque, les uns et les autres, tout aspect marchand n’étant que secondaire. Qu’est-ce qui nous pousse à agir, à faire, à être citoyen aujourd’hui ? Nous observons que l’évaluation des politiques publiques est partout, et pas uniquement chez nous en France, à l’ordre du jour, on nous dit que c’est à l’ordre du jour, essentiellement d’ailleurs, dans des pays industrialisés. Et quand je dis évaluation des politiques publiques, il s’agit des dépenses militaires, des dépenses de santé et à plus forte raison des dépenses d’éducation. L’enjeu plus ou moins affiché, c’est celui de la rationalisation. Ne nous trompons pas sur les mots. La rationalisation, ça ne veut pas nécessairement dire réduire les dépenses, mais ca veut dire s’assurer que les dépenses atteignent l’objectif fixé, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Et l’objectif c’est bien celui d’une société équilibrée, harmonieuse. Et quand on parle d’éducation, l’objectif est nécessairement lié à l’anticipation, ce qui n’est pas évident à l’heure actuelle dans un monde qui non seulement bouge vite, mais qui est de moins de moins lisible. D’où des missions ambitieuses, d’où aussi des contradictions qui exigent que chacun, plus que jamais, non seulement travaille, non seulement réfléchisse, mais aussi qu’il anticipe non pas seul mais avec les autres. Et qu’il y ait une véritable vision, je vais presque dire volontariste. Mais encore faut-il que l’on se mette d’accord sur l’objectif pour demain. C’est ça me semble-t-il l’enjeu, un enjeu sans exclusion, un enjeu sans mépris, d’où la nécessité de s’attacher en particulier à l’enseignement professionnel intégré. Et que voyait-on, que vivait-on jusqu’à il y peu de temps encore ? Une approche de l’école qui était duale pour des parents, pour des jeunes, qui envisageaient soit une culture générale, c’est-à-dire littéraire, c’est-à-dire scientifique, qui renvoyait à des connaissances dispensées, qui recherchaient cette éducation pour sa valeur intrinsèque et culturelle. Et puis de l’autre côté, trop souvent, heureusement ça change, mais pas suffisamment, et là nous avons à agir les uns et les autres ensembles – une éducation professionnelle plus fonctionnelle au cours de laquelle on apprend ce qui est utile pour l’emploi ou pour sa carrière. Il est intéressant d’observer la situation chez nous, Latins ou presque, qui est très différente de celle de nos voisins anglo-saxons pour lesquels les besoins exprimés sont différents des intérêts des acteurs et du système. Il faudra essayer de voir par exemple ce que ça coûte en termes de francs ou d’euros maintenant, mais aussi en terme d’investissement non matériel. A chacun d’entre nous de prendre telle ou telle option. Les acteurs, ils sont politiques, ils sont représentatifs, ils sont éducatifs, ils sont citoyens. On va peut-être commencer d’abord, parce que ce pays est une démocratie, par le politique, avec vous Michel DELEBARRE. J’ai un peu l’impression, quitte à faire un peu de provocation, que nous avons une organisation bien française qui n’est peut-être pas suffisamment déclinée sous l’angle de la décentralisation.

Michel DELEBARRE
Bonjour. Claude ALLEGRE a fait un bon choix. Je tiens à le dire. Bon choix de venir tenir ces journées de réflexion dans le Nord - Pas-de-Calais. Parce que s’il ya une terre et une région qui sont confrontées et depuis longtemps à l’enseignement professionnel, c’est bien notre région du Nord - Pas-de-Calais. Nous le sommes par tradition, nous le sommes pas structure économique, nous le sommes par notre histoire. Et puis comme il a l’habitude des grands nombres, c’est vrai que chez nous quand on parle d’un des domaines d’enseignement, ou on intéresse ou enquiquine beaucoup de monde : 120 établissements, lycées professionnels, publics et privés dans le Nord - Pas-de-Calais, près de 80 000 élèves. Fabuleux terrain où l’enjeu est de donner de la crédibilité à ses formations par trop souvent décriées dans le contexte de ma société. Chez nous dans le Nord-Pas-de-Calais, les bacs professionnels, c’est tout simplement la reconnaissance d’une égalité de dignité pour les gosses de l’enseignement professionnel. Si nous avons en quelques années, le recteur FORTIER le dirait mieux que moi, rattrapé le niveau moyen national en matière de résultat au baccalauréat, c’est parce que le bac professionnel a été inventé. Et ces gosses y ont cru, et les enseignants y ont cru, les familles y ont cru. J’ai coutume de dire à un jeune de l’enseignement professionnel : passe ton bac, quelques années plus tard personne ne viendra voir, si tu as passé un bac professionnel ou un autre bac,, tu seras en égalité de dignité pour ton insertion dans la société. Alors pour nous, l’enjeu est formidable, mais on ne peut le jouer qu’avec des partenaires, nous, conseils régionaux et plusieurs sont représentés dans la salle, dépositaires du plus fabuleux cadeau de l’Etat ait jamais fait aux collectivités territoriales, le transfert de la responsabilité des lycées au nom d la décentralisation, merveilleux cadeau. D’un seul coup, vous vous retrouvez propriétaire dans le Nord - Pas-de-Calais de deux millions de mètres carré. Un pied pour celui qui est responsable de l’union nationale des HLM. Deux millions de mètres carré. Et avec Bernard FRIMAT, vice-président du conseil régional depuis 1986, les animateurs successifs du conseil régional se sont attelés à la tâche, en commençant par quoi ? D’abord par les lycées professionnels qui étaient les plus déclassés des établissements. Les plus en situation difficile, les moins en équité, ceux chez qui pour faire face à la croissance démographique on avait utilisé les modèles les plus répandus à travers le territoire, établissements à structure métallique qu’il fallait, pour des raisons de sécurité mettre aux normes et transformer au plus vite. C’est là où le maximum de financement régional a été mobilisé, pour partie la dotation d’Etat décentralisée. Mais comme l’Etat sait le faire, il a décentralisée une dotation, il a été honnête d’ailleurs, il a décentralisée aux régions ce qu’il avait inscrit à son budget. Seulement dans le Nord - Pas-de-Calais, il y en avait cinq fois moins que le nécessaire. Alors, parce que ce sont les lycées, parce que c’est la formation des jeunes, jamais la population du Nord - Pas-de-Calais ne nous a fait grief d’augmenter la fiscalité régionale pour répondre à un besoin éducatif indispensable, rénover les structures d’éducation dans cette région. Et nous avons vécu en quelques années, ces dernières années, l’évolution aussi de la qualité de l’enseignement, des machines outils, la professionnalisation. Je vais caricaturer un peu, vous ne me voudrez pas. Vous représentez le MEDEF, vous êtes un type bien. D’abord, parce que vous êtes ici, sur cette table ronde, mais moi il m’arrive d’aller inaugurer avec le recteur bras dessous, bras dessous, parce que lui c’est la pédagogie, d’ailleurs elle change beaucoup la pédagogie, chaque année il nous invente des trucs qui fait qu’on doit réinvestir là où on a investi l’année antérieure. Et il est fréquent dans des bassins d’emploi-formation, que le lycée que nous inaugurons dans telle spécialité de formation ait un équipement de formation supérieur au niveau moyen d’équipement des PME du secteur. C’est fréquent maintenant, ça n’était pas le cas il y a quelques années, c’est de plus en plus fréquent, et nous avons un corps professorat qui fait face. Résultat : moi je ne peux avoir qu’un seul réflexe par rapport à cet enjeu. Quand est-ce qu’on va se décider à ouvrir nos lycées sur l’environnement ? Quand on investit à ce point dans des équipements de ce type, il faut non seulement qu’ils soient les lieux de formation continue de toute une partie du personnel des entreprises du secteur qui pourraient en avoir besoin, mais il faut aussi qu’il fonctionnent à plein régime pendant toute l’année. Les week-ends, les petites vacances, les grandes vacances, à quoi ça sert de fermer ces établissements. Nous avons là des sites-ressources fabuleux. A condition que nous ayons un bon partenariat avec les entreprises. Partenariat avec l’Education Nationale dans toutes ses formes, partenariat avec les entreprises. Là, j’ai tendance à dire : laissez-les vivre.

Didier ADES
On va revenir sur le partenariat dans quelques secondes, ou quelques minutes, Michel DELEBARRE, je voudrais que vous nous disiez si l’élu que vous êtes est en permanence sur le terrain, ou si vous avez le sentiment que vos investissements, en dehors de la pédagogie qui n’est pas de votre ressort, correspondent véritablement aux besoins des jeunes de cette région pour demain. Et pour aujourd’hui aussi, parce que quand on vit, et surtout quand on a 20 ans, on n’a pas tellement envie d’attendre dix ans, quinze ans. On veut savoir su oui ou non dans trois semaines » si j’ai un job et si j’ai de la visibilité ».

Michel DELEBARRE
On pense que la formation initiale n’a pas nécessairement pour objectif d’adapter un jeune à un emploi ou à un poste de travail prédéterminé, mais de l’amener à un niveau de qualification et à une aptitude à l’adaptation. Je dis qu’on a aujourd’hui les outils pour y parvenir.

Didier ADES
Et le résultat, quand je disais au tout début de mon intervention : évaluation des politiques publiques…

Michel DELEBARRE
Quand vous allez dans les lycées professionnels sur tel ou tel type de formation, vous avez fréquemment des enseignants qui vous disent : je n’ai aucun problème de placement à la sortie. Aucun.

Didier ADES
Je vous interromps, on fait un tour rapide pour savoir s’il y a consensus ou pas là-dessus et nous allons progresser. On va commencer d’abord par monsieur LACROIX, le représentant du MEDEF. Brièvement, est-ce que oui ou non vous avez tout ce qu’il vous faut, je peux dire en qualité et en diversité, avec les élèves sortis de l’enseignement professionnel.

Bruno LACROIX
Un mot en préambule pour excuser mon président, Ernest Antoine SEILLIERE qui avait promis au ministre ALLEGRE d’être là aujourd’hui et qui malheureusement, puisqu’il continue son activité professionnelle, n’a pas eu la possibilité de se libérer. J’ai donc le plaisir de la remplacer et d’être parmi vous. Vous savez l’importance que nous attachons à la formation professionnelle. Formation générale, formation technologique, pré-qualification et formation professionnelle est un ensemble qui doit être parfaitement bien composé pour préparer au mieux l’entrée des jeunes dans le monde de la vie active.

Didier ADES
Ce n’est pas l’analyse papier, c’est l’analyse de terrain que vous faites.

Bruno LACROIX
C’est l’analyse de terrain, dans la mesure où les jeunes se voient confier aujourd’hui, dans les entreprises, des responsabilités qui font qu’ils ont besoin d’un socle de formation générale et de culture générale suffisant, première chose. Que derrière…

Didier ADES
Vous avez des jeunes qui ont suffisamment de culture générale pour être d’honnêtes citoyens et d’honnêtes collaborateurs…

Monsieur LACROIX
Il ya de nombreux jeunes qui, effectivement, de par leur formation et leur culture générale, ont le niveau voulu. Il subsiste un problème, aujourd’hui, pour une partie de jeunes qui, comme le disait Roger FAUROUX, ne sont pas équipés du « kit de base »suffisant et ne maîtrisent pas suffisamment les fondamentaux : lecture, écriture entre autres pour pouvoir ensuite, effectivement, rentrer dans la formation professionnelle et bénéficier de tout le contenu de la formation professionnelle. J’ai cru entendre que la nouvelle formation professionnelle intégrée a pour objectif d’essayer de rattraper, j’allais dire, ce manque et ce retard, et de redonner aux jeunes cette formation de base qui leur a manqué ou qu’ils ont ratée dans une première étape, pour faire en sorte qu’ils l’assimilent effectivement dans le cadre de la formation professionnelle. Il est important, après, qu’ils aient le socle de formation technologique qui leur permettra, à partir de ce socle, de changer de métier plusieurs fois dans leur existence, que ce soit dans la même entreprise ou dans d’autres entreprises car je constate aujourd’hui déjà que de nombreux jeunes, qui ont exercé un métier pendant 4 ou 5 ans, ont envie d’élargir leur champ de compétences et de pouvoir exercer un autre métier. C’est à partir de ce seuil technologique solide qu’ils peuvent, effectivement, rebondir et passer d’un métier à un autre et évoluer, que ce soit dans la même entreprise ou dans une autre. Derrière cette formation générale, derrière cette formation technologique, il doit y avoir un partenariat étroit entre le système de formation et l'entreprise pour la formation et l’adaptation aux métiers dans les entreprises. Je sais que le système éducatif ne peut pas évoluer à la même vitesse que l’évolution des entreprises. Cette partie de formation au métier doit se faire en partenariat complet entre les entreprises et le système de formation.

Didier ADES
Et avec les jeunes, peut-être, eux-mêmes ?

Bruno LACROIX
Et avec les jeunes eux-mêmes, bien entendu.

Didier ADES
Quand je dis avec les jeunes eux-mêmes, peut-être avez vous le sentiment qu’on les implique suffisamment pour, j’allais presque dire les responsabiliser en tant qu’individu pour qu’ils se projettent sur demain, parce-ce…

Bruno LACROIX
En réponse à votre question c’est une autre dimension que j’aborderais : comment faire en sorte qu’on aide les jeunes ! Ceci était abordé tout à l’heure et j’entendais Madame MOISAN sur la préparation au projet personnel et professionnel. Etant toujours et citoyens et père de famille et chef d’entreprise et en même temps responsable au MEDEF, je ne fais pas de dichotomie entre ces différentes fonctions. En tant que père de famille, je me suis aperçu qu’il était relativement difficile d’accompagner les jeunes pour les aider à choisir un métier, la branche professionnelle et les formations qui conduisent à ce métier. On a un système de formation, qu’on le veuille ou non, qui fonctionne encore beaucoup en élimination successive et j’allais presque dire dans cette élimination pour une certaine partie en relégation. En dehors des jeunes qui ont la chance de suivre la voie royale qui les mène au grand concours des plus grandes écoles, les autres sont confrontés à un moment ou à un autre à un choix. Et comment effectuer ce choix ? Ils ne sont pas préparés à le faire. Les parents et les familles ne sont pas toujours, hélas, compétents : comment pouvoir connaître et parler des quelque 900 métiers qui peuvent exister, comment connaître et parler de toutes les branches professionnelles, de tous les secteurs d’activité qui existent et puis en tant que parents, en fait, j’ai le sentiment que nos jeunes, on les connaît à la fois trop et pas assez et qu’on n’est pas toujours les mieux placés pour les aider, surtout en période d’adolescence où il y a parfois confrontation entre parents et enfants dans une période délicate. Il me semble indispensable de pouvoir, effectivement, aider les jeunes à bâtir un projet qui est un projet, en fait, de succès et non pas un projet d’échec.

Didier ADES
Ça, c’est le verre à moitié vide et le verre à moitié plein, l’optimiste contre le pessimiste…

Bruno LACROIX
Le projet d’échec, c’est celui, effectivement, où les jeunes se font orienter par l’échec, voire aboutissent à une relégation puisque le mot a été utilisé dans le cadre de la formation professionnelle, c’est-à-dire en fin de troisième. Ils ont échoué dans la formation générale où ils en ont le sentiment. Il me semble que mettre une bonne partie de nos jeunes qui sont dans une situation psychologique d’adolescents fragiles, à vivre un échec, les marquera pour longtemps dans leur existence. Nous avons le devoir, tous, d’essayer de mettre nos jeunes plutôt dans une situation de réussite. Nous devons les aider à travailler, à bâtir ce projet personnel et professionnel pendant toute leur vie au collège et au lycée et de faire en sorte qu’ils puissent choisir, où ils veulent aller et ensuite choisir les formations qui les conduiront, vers ce type de métier ou vers ces types de métiers. Nous devons faire en sorte d’aider les jeunes à accrocher leur char à une étoile et de leur donner la motivation qui les aidera à suivre cette formation dans un parcours de réussite et ensuite à réussir leur vie professionnelle.

Didier ADES
Bon, alors j’ai compris, un peu de méthode Coué ou un peu de conscience de chacun d’entre nous pour dire que le mot échec est un mot banni de notre vocabulaire ?

Bruno LACROIX
Ce n’est pas que la méthode Coué, c’est de la méthode tout court. C’est de la bonne méthode et la bonne méthode, c’est faire en sorte que, pendant les classes de collège, on aide les jeunes à découvrir, les métiers, les activités professionnelles, les secteurs professionnels, qu’on les aide à réfléchir sur leur propre parcours et qu’à partir de là, on les aide à bâtir ce parcours de succès.

Didier ADES
Bon. Alors, ne m’en veuillez pas de dire que votre discours a été aussi celui d’un vice-président du MEDEF, c’est-à-dire avec une vision très globale, grandes et petites entreprises confondues et même peut-être grandes plus que petites. Restons du côté du patronat et on reviendra d’ailleurs sur ce que vous pourrez faire, vous dites ce que vous voulez. Restons à l’échelon du tissu de ce pays qui est celui des petites et moyennes entreprises… des moyennes voire des petites, ça dépend où on place la barre, mais enfin il y a plus de moins de 500 que de plus de 500 dans ce pays et plus de moins de 200 que de plus de 200. Alors, on en parle avec vous, Pierre GILSON. Comment, quand on a le nez sur le guidon, passez-moi l’expression, qu’on a une visibilité au mieux à six mois quand on est chef d’entreprise et salarié d’une entreprise de taille courante, comment peut-on, aujourd’hui, alors qu’il faut être polyvalent, avoir les perspectives que nous suggèrent d’avoir Bruno LACROIX et surtout quand on sort de l’école en général, et plus particulièrement de l’enseignement professionnel, où on pourrait peut-être se dire « je sais un peu plus que les autres » ?

Pierre GILSON
Eh bien tout d’abord, il faut savoir que le pourcentage des entreprises de moins de 200 salariés, en France, est de 99 % des établissements français et qu’il y a un énorme travail de sensibilisation, à faire. C’est ce à quoi notre organisation, la CGPME, s’emploie depuis bientôt 10 ans pour convaincre d’investir en actions de formation pour les chefs d’entreprise TPE ou PME parce que les TPE, aussi, vous l'avez dit, sont encore plus nombreuses, les moins de 10…, je crois que c’est 800 000 sur les 1,4 million. On a donc un effort considérable, un travail extrêmement difficile parce que nous nous trouvons avec une multitude d’entreprises de tailles différentes, de professions différentes et chaque établissement, suivant son patron, a des orientations différentes. Notre travail est donc immense, vous et nous, Education nationale et organisations patronales. Alors, nous constatons que les TPE et les PME sont appelées à évoluer très vite. Lorsque vous travaillez, petit industriel, pour un donneur d’ordre, suivant qu’il a une conception nouvelle dans sa fabrication, que ce soit un constructeur d’automobile ou mon collègue Bruno LACROIX qui, lui aussi, a des sous-traitants, on vous demande de bien vouloir actualiser votre production en fonction de ses impératifs et il y a une grande réactivité chez les TPE, il n’y a pas que les Italiens qui sont débrouillards mais les patrons de PME le sont, parce qu’ils n’ont pas le choix. Et ce que nous constatons, c’est qu’ils ont besoin maintenant, eux qui ont, comme vous le disiez, la tête dans le guidon, de collaborateurs avertis. On n’a pas préparé, si vous voulez, on est tous fautifs, des assistants ou des adjoints qui leur permettent d’avoir la polyvalence des compétences qu’on doit avoir dans une grande entreprise mais dont on a aussi besoin aujourd’hui dans une petite.

Didier ADES
Alors, vous avez l’air de dire que ça n’existe pas suffisamment à l’heure actuelle, c’est ça votre regret ? Votre première revendication…

Pierre GILSON
Notre regret, non, parce que, justement, on y reviendra tout à l’heure quand on parlera du partenariat, grâce à un partenariat qui a été établi avec les lycées techniques et les lycées professionnels et avec certains IUP dans les universités, c’est fait, il y a 15 000 jeunes gens en lycée professionnel et 1 500 en maîtrise. Eh bien déjà, il y a une première étape réalisée pour que les chefs d’entreprise soient encore plus performants. Alors, au niveau des collaborateurs qui vont être recrutés, maintenant, par ces nouveaux responsables, il faut savoir qu’ils sont de plus en plus exigeants. Nous avons besoin de gens non seulement qui ont une très bonne technique mais qui ont, en plus, un comportement vis-à-vis du client et des fournisseurs…

Didier ADES
Donc, c’est non seulement le savoir-faire mais c’est le savoir être…

Pierre GILSON
Voilà et si vous me permettez une petite histoire avec un chef d’entreprise qui est lui-même président de la Confédération du nettoyage, je lui disais : « Vous n’avez pas de problème, vous, pour trouver des laveurs de carreaux ? ». Il me dit : « Détrompez-vous. On a besoin de gens qui savent s’introduire dans les foyers, dans les entreprises et il faut qu’on leur apprenne à se comporter socialement ». Dans nos entreprises aussi, on a un travail d’équipe qui est un travail collégial. On est obligé de travailler, le chef d’entreprise avec ses salariés et y compris les basses qualifications pour réaliser le même objectif. Il y a aussi socialement une appréhension du jeune, en plus de sa compétence technique, à savoir comment il doit se comporter vis-à-vis de sa hiérarchie…

Didier ADES
Pierre GILSON, qui est-ce qui doit apprendre ça ? C’est l’école ou c’est vous ou ce son les parents, ou c’est la télévision, je ne sais pas ?

Pierre GILSON
On ne va pas faire la critique de la société telle qu’elle est mais il est certain que l’école doit apprendre à faire face à un problème, à faire face à un partenaire, à faire face à une situation donnée. C’est le rôle de l’enseignement général. Ensuite, il y a l’enseignement professionnel qui est évidemment indispensable parce qu’il est de plus en plus précis, de plus en plus serré, pointu…

Didier ADES
Attention à ne pas être trop serré, trop pointu parce que ça change tellement vite que demain, je suis obsolète…

Pierre GILSON
Non, pas du tout parce que si vous avez la formation théorique de base, vous avez aussi, sur le plan technique, la capacité de vous adapter. Mais ce qui est beaucoup plus difficile, c’est de s’adapter dans un milieu lorsqu’on n’a pas été préparé à cela. Et c’est là que le stage en entreprise a une importance capitale car un jeune qui en théorie est très bon et a des bonnes notes, lorsqu’il se trouve en entreprise, pris dans une hiérarchie donnée, et bien il ne sait pas se comporter et donc, il perd une bonne partie de « sa valeur ajoutée »…

Didier ADES
Alors, Pierre GILSON, qui doit participer à la définition de l’éducation ?

Pierre GILSON
Je crois que… c’est pour l’enseignement professionnel ?

Didier ARES
Oui, j’entends bien, oui…

Pierre GILSON
Pour l’enseignement professionnel, c’est indispensable et je pense que notre ministre essaie d’y arriver, c’est-à-dire de modifier complètement les CPC ou les CPN…

Didier ADES
Je vais vous demander qui…

Pierre GILSON
Les partenaires sociaux dans le cadre des CPC, c’est ce que je suis en train de dire, et évidemment, les CPN pour les IUP ou les IUT, c’est là que tout doit se préparer. Et donc, dans les référentiels qui seront bâtis, en utilisant toutes les technologies, et je regrette qu’on ne les utilise pas encore assez dans le système éducatif, comme on sait le faire dans les entreprises. Toutes les technologies de la communication, je pense au CD-ROM, je pense aux vidéos, à Internet… Je dis que là, véritablement, on peut bâtir les référentiels et les programmes qui correspondent en anticipant, ça aussi, c’est un autre problème, c’est qu’il ne faut plus se baser sur ce qui s'est passé il y a deux ans pour élaborer les programmes de demain, il faut essayer d’anticiper avec les professions dans les cas de contrats prospectifs, les évolutions en qualité et en quantité que nous aurons dans les deux ou trois ans qui viennent. Sachant qu’il faut deux ou trois ans déjà en lycée professionnel pour former quelqu’un.

Didier ADES
Sur qui doit faire et comment on doit faire, vous êtes d’accord, Monsieur LACROIX ? Si vous êtes d’accord, on propose. Oui ? Vous y reviendrez tout à l’heure. Monsieur DELEBARRE, le politique, lui, il se contente d’observer et de dire…

Michel DELEBARRE
Ah ça va ! C’est malin de dire ça ! Non mais si je recommence, les autres ne vont pas parler donc… On reviendra sur le partenariat. Les politiques ne se contentent pas de regarder ! J’ai essayé de dire le contraire. Ou alors, il fallait en inviter un autre !

Didier ARES
Bernard THIBAULT ?

Bernard THIBAULT
Oui, peut-être sur cette question de savoir qui doit participer à la définition des contenus, aux déroulements des formations, si je suis ici, c’est aussi parce que j’ai une petite idée, notamment sur cette question-là. Or, il me semble que dans la plupart des débats, on n’intègre pas suffisamment une autre dimension des acteurs qui ont des avis autorisés sur le contenu et le déroulement des formations, je veux parler des salariés qui sont dans les entreprises. Autrement dit, pour moi, au-delà de ce qui est parfois communément admis ou l’est de plus en plus, l’entreprise, ce n’est pas simplement l’entrepreneur, si vous voyez ce que je veux dire. Il y a aussi ceux qui sont à l’intérieur, qui connaissent l’exercice de leur métier, qui perçoivent les insuffisances des formations dont ils ont pu bénéficier, parce qu’ils les vivent, et surtout parce qu’ils perçoivent les nécessaires adaptations pour demain. Alors, toute la question est de savoir comment, dans un dispositif public d’enseignement professionnel, parce que nous y sommes beaucoup attachés, comment on fait en sorte que l’ensemble des acteurs puissent participer à la définition d’une mise à jour nécessaire. Je crois que chacun est conscient qu’il faut, et ce colloque en est l’objet, réfléchir aux adaptations nécessaires. Comment doit-on faire pour que l’ensemble des acteurs aient droit au chapitre ? Je crois qu’il ne s’agit pas non plus d’être naïf sur certaines situations. Je partage tout à fait le constat, par exemple, que pour certains métiers, leur image est trop négative, mais au-delà de l’image, celle des métiers du bâtiment, celle des métiers du commerce, n’oublions pas, même si cela n’est pas l’objet d’aujourd’hui, que les conditions d’exercice des professions dans ces secteurs d’activité ne sont pas, c’est le moins que l’on puisse dire, très attrayantes pour les jeunes d’aujourd’hui. Donc, il y a aussi cette partie là, qui nécessiterait en soi un colloque, et qu’il est important d’avoir présent à l’esprit si on ne veut pas que l’éducation règle tout en quelque sorte. Alors, dans la mesure où je pense quand même que bon nombre de chefs d’entreprise ont tendance à justifier leur manque de lecture sur le long terme, qui débouche assez facilement sur l’idée que l’éducation nationale n’a pas fait ce qu’il fallait pour répondre aux besoins des entreprises. Par contre, les propositions de formation qui sont faites portent plutôt sur le court terme. Là, on touche à des logiques de gestion d’entreprise qui ne concernent pas que la formation professionnelle, mais qui ont des répercussions sur la formation professionnelle. Autrement dit, je pense qu’il faudrait que les organisations syndicales de salariés soient davantage associées au contenu des formations, de même que les organisations patronales bien évidemment, dés lors qu’elles sont dans une position de dialogue un peu différente de celles qu’elles tiennent sur d’autres sujets, les représentants des enseignants, les enseignants eux-mêmes, les éducateurs et bien évidemment le ministère de l’éducation nationale, voire des experts, autrement dit un dispositif qui nous permette d’éviter le face à face éducation nationale – entreprises ou en face à face uniquement organisations syndicales de salariés – entrepreneurs pour reprendre un terme usité dans les entreprises. Voilà ce que je voulais évoquer à propos des différents acteurs qui, me semble-t-il, devraient jouer un rôle important dans la définition, dans le suivi de l’exécution et des modifications à porter sur le contenu et la forme de l’enseignement professionnel.

Didier ADES
Nicole NOTAT, vous allez dans le même sens à la CFDT ?

Nicole NOTAT
Sur la nécessité de mieux identifier les différents partenaires, sur la nécessité de les mettre en relation et en capacité à faire des choses utiles et constructives, oui, je crois. Peut-être en préalable, je ne voudrais pas jouer les anciennes combattantes mais il se trouve qu’en 82, quand j’ai été amenée à prendre des responsabilités confédérales à la CFDT, on m’avait chargée du secteur de l’éducation et de la formation professionnelle. Et monsieur le ministre, je ne sais pas si vous aviez, à l’époque, proposé un colloque sur le thème enseignement professionnel, la formation intégrée, je ne sais pas si vous seriez rentré dans la salle. Je me souviens à un colloque du même genre, mais bien évidemment pas sur le même thème, où déjà le gouvernement de l’époque essayait de faire avancer l’idée que peut-être il fallait se parler un peu mieux entre l’éducation nationale et les entreprises, avec le monde économique. C’était un colloque organisé par Marcel RIGOUT, qui était secrétaire d’état, à la formation professionnelle ; François MITTERAND est venu faire une allocution à l’occasion de ce colloque et pour commencer à sensibiliser les esprits, il a dit la phrase suivante, pour vous montrer le niveau où on en était, il a dit aux enseignants : « Vous savez, peut-être que l’école n’est pas le cocon que l’on décrit toujours et l’entreprises n’est peut-être pas l’enfer que l’on imagine parfois ». Et c’était déjà, rien que ça, à l’époque, quelque chose qui avait fait grincer des dents, à l’idée même que l’on puisse se demander si l’entreprise n’était pas, dans certaines conditions, je vais y revenir, un lieu possible où se former et si l’école ne gagnerait pas, pour être elle-même plus performante et plus efficace dans ses qualifications, à être davantage au contact de l’entreprise, de ses fonctionnements, de ses demandes de qualification et de forme d’organisation du travail. Alors, on a quand même avancé parce qu’on a créé ces fameux contrats d’alternance, d’ailleurs par une négociation interprofessionnelle et quand je vois qu’aujourd’hui, apprentissage compris, nous en sommes a peu près à 350 000 jeunes qui sont dans ce type de contrats, je me dis qu’il y a sans doute encore du chemin à faire et c’est devenu une réalité, c’est maintenant passé dans les mœurs, même si on ne le dit pas assez, on ne le valorise peut-être pas assez. Et puis il y a une deuxième étape avec Roland CARRAZ, qui n’est peut-être pas ici mais il doit s’en souvenir, qui a été à l’origine des bacs professionnelles. A ce moment-là, c’était un second débat qui était un peu la réponse de l’éducation nationale, fort pertinente et fort utile. Dans les contrats d’alternance, on avait créé des contrats de travail de type particulier : c’est un contrat de travail quand on est en  alternance, en apprentissage, en qualification. Il y a une partie de formation. On répondait de l’autre côté par le statut scolaire mais avec une forme d’alternance en entreprise. C’est comme ça qu’est arrivé un bon équilibre, me semble-t-il entre ces deux manières d’aller vers une qualification, tout simplement parce que je crois que ça a permis de dépasser les sacro-saints débats sur les lettres de noblesse entre l’enseignement général ou l’enseignement professionnel. Il y a tout simplement des gens, des jeunes, qui accèdent à l’abstraction, qui accèdent aux connaissances par le concret et d’autres qui accèdent davantage par l’abstrait. Ça, ce n’est pas une hiérarchie, ce sont deux voies qui permettent d’accéder aux mêmes objectifs et si l’on a franchi, cette nouvelle étape, là encore, il me semble qu’on ne la valorise pas suffisamment. Juste ce petit rappel pour dire qu’il me semble d’un énorme chemin a été parcouru et qu’une phase aujourd’hui consiste sûrement à se demander si… bon, on l’a fait, mais finalement, est-ce qu’on en est aussi fier que ça ? Est-ce qu’on ose le dire ? Est-ce qu’on ose affirmer que l’enseignement professionnel et ce qui se passe dans ces filières, oui, c’est intéressant, c’est utile, c’est un atout, c’est quelque chose qui est tout à fait décisif dans les parcours d’insertion sociale et professionnelle pour un certain nombre de jeunes ? Je ne suis pas sûre que quelques bonnes campagnes bien ciblées pour la valorisation et l’image de ces filières ne seraient pas encore utiles aujourd’hui. Donc, si on en arrive aujourd’hui à la formation intégrée, je pense que ça ne veut pas dire que l’école devient l’entreprises et que l’entreprise devient tout à fait l’école mais je pense qu’on arrive au nœud de la question : est-ce qu’il n’est pas temps maintenant d’identifier les partenaires concernés, mais de les identifier pour de vrai ? Ce qui suppose qu’ils se reconnaissent entre eux, qu’ils se respectent et ce qui suppose sans doute qu’on définisse les conditions dans lesquelles ils vont être à même, ensemble, de faire des choses utiles et productives, chacun à sa place, chacun avec son rôle, chacun avec sa personnalité, mais c’est peut-être un sujet sur lequel vous voulez intervenir…

Didier ADES
On va y revenir. On part avec vous, Alain DELEU. Je serais tenté de vous poser la question sous un angle peut-être un peu différent. Si on regarde les bilans, les chiffres à l’heure actuelle, c’est vrai que, on ne va pas faire du triomphalisme tant s’en faut, il y a encore beaucoup, beaucoup de choses à faire mais enfin, le chômage des jeunes, ça se résorberait peut-être un peu. Est-ce que vous pensez que ceci est lié à cela, une qualification, intelligence, ouverture, que sais-je, ou tout simplement que c’est l’effet de reprise, c’est mécanique et qu’il y a encore un énorme chemin à faire ?

Alain DELEU
Ce matin, on a encore entendu « j’ai mes enfants dans l’enseignement général, parce que je n’ai pas envie qu’ils aillent au lycée professionnel ». Bon, c’est un témoignage qui a le mérite de la franchise. Est-ce qu’il ne faudrait pas qu’on réfléchisse à la pédagogie ? Autrement dit, est-ce que la raison pour laquelle on sélectionne par l’échec, n’est pas le fait qu’aujourd’hui encore assez largement, qu’on le veuille ou non, on procède par une sélection qui n’est pas naturelle à notre nature d’être humain, notamment à celle de l’enfant et de l’adolescent. Si le LOSC, par exemple, recrutait ses joueurs de football sur le niveau de formation générale, ce serait sûrement une bonne équipe, sympathique. Serait-elle la meilleure en division 2 actuellement, je n’en suis pas sûr. N’a-t-on pas trop oublié le fait que l’homme se construit dans et par l’action et que mettre des enfants sur des bancs, dans des écoles, toute la journée pendant des années, ce n’est pas le meilleur moyen de leur permettre de se construire par l’action ? Alors, évidemment ils peuvent se construire quand même. Ceux qui savent s’adapter à l’exigence intellectuelle y parviennent mais je pense que la racine de cette sélection par l’échec est là, sur la manière pédagogique que nous avons de mener les choses. Cela étant dit, et je termine là-dessus, nous devons être positifs, il y a des choses formidables qui se passent dans l’enseignement professionnel. Ca bouge, ça bouge fort, ça bouge vite, mais si on ne gagne pas cette bataille sur la pédagogie de l’action et de la croissance par l’action, longtemps encore, on parlera d’échec scolaire et de la relation avec la formation professionnelle.

Didier ADES
Michel DELEBARRE, l’élu, le citoyen, le père, l’oncle, que sais-je, non mais pardon, qu’est-ce que vous entendez là ?

Michel DELEBARRE
Je voudrais réagir à ce que vient de dire Alain DELEU, sur un point. C’est vrai quant à l’image de l’enseignement professionnel, accueillant les jeunes en difficulté, et c’est vrai, que dans cette région on a des établissements, des lycées professionnels qui dans le fond ne sont que la transposition dans le milieu de l’éducation nationale, des difficultés qu’on a dans nos villes et dans un certain nombre de quartiers, c’est évident. On a des lycées professionnels qui sont la concentration de recrutement des secteurs difficiles. Si on constate simplement, que l’ensemble des partenaires ne se dit pas « on va faire de ce moment privilégié où le jeune est dans le lycée, un moyen de le sortir de la difficulté qui est la sienne » alors je pense qu’on rate une partie de nos responsabilités. Nous sommes en train de le tenter. Nous, je dis bien, c’est en tout cas le partenaire régional et le partenaire éducation nationale. On a conduit une expérience depuis deux ans au lycée professionnel Turgot à Roubaix, hein, je veux dire, Roubaix comme certains quartier de Dunkerque… L’idéal, l’idéal, l’antichambre du paradis. Les gosses sont là et avec l’équipe éducative, depuis deux ans, le pari est fait non pas d’essayer de faire un lycée de toutes les chances, c’est-à-dire de faire de la prévention par rapport au risque de relégation qui pouvait être avec un échec, au bout du parcours dans le lycée. Et ça marche, ça marche.

Didier ADES
Est-ce qu’on le sait suffisamment, est-ce que vous le faites savoir ?

Michel DELEBARRE
Mais, je viens de le dire… vous ne le saviez pas avant de vous asseoir à la table, maintenant vous le savez, vous en parlerez demain à la radio. Très bien, donc on le saura un peu plus. Bon. Ça marche, cela fait deux ans, ça marche. Toute l’équipe pédagogique est mobilisée. On a totalement rénové le lycée et tenu compte du fait que des jeunes de milieux en difficulté, arrivant dans un lycée qui est plus beau que les autres – qui est plus beau que les autres – ont une manière d’approcher le problème tout à fait différente. Par exemple, il y a un an, quand des jeunes étaient dans la rue pour scander l’enthousiasme qu’ils avaient pour Claude, à Turgot ça n’a pas bougé et quand quelqu’un des services techniques de la région est allé les voir pour dire : mais il y a des besoins dans les lycées, pourquoi est-ce que chez vous, ça… Et bien, ils disent : vous ne voyez pas dans quel cadre on est ! Nous on a ce dont on n’aurait jamais rêvé, alors pourquoi voulez-vous qu’on bouge ? Je dis simplement que tout compte lorsque vous effectuez cette démarche. A la fois l’environnement que vous donnez, le matériel que vous mettez à disposition, mais aussi les pratiques pédagogiques, la manière de faire et je dois reconnaître que l’équipe d’enseignants et l’ensemble du personnel a complètement revu sa manière de faire. Au bout de deux ans, on constate que ça marche. Résultat, et c’est peut-être un des intérêts de la décentralisation, au lieu de se dire : on va conduire cela pendant dix ans, à partir d’expériences et puis on fera une évaluation par l’inspection générale, puis on verra ce que ça donnera trois ministres plus tard, je suis désolé, au bout de deux ans, avec le recteur on a dit : on y va, à partir de cette rentrée, 19 établissements vont participer de la même démarche, tirant les leçons. Mais l’intérêt, dans le Nord - Pas-de-Calais, c’est que 19 établissements, c’est près de 20 000 gosses, c’est près de 20 000 jeunes, ce n’est plus une expérience à huit clos, ce n’est plus un laboratoire, c’est une démarche qui commence à être en vraie grandeur. La condition est que tous les partenaires y participent de la même manière. C’est vrai que j’aimerais que dans cette démarche, les partenaires du milieu professionnel, parce qu’il s’agit de jeunes de lycées professionnels, leur fassent en même temps sentir qu’ils sont, pour eux, des jeunes qui les intéressent. La pire des choses, c’est, quand un jeune fait un effort, qui ne se voit pas reconnu. Je crois beaucoup à des contrats d’objectifs avec des entreprises du territoire. Je crois beaucoup à des contrats d’objectifs avec des branches professionnelles, mais je ne crois plus du tout à des contrats d’objectifs à dix ans. Je ne crois même plus à des contrats d’objectifs à cinq ans. Je crois beaucoup à des contrats d’objectifs sur deux ans qu’on évalue ensemble, tout de suite, très vite. On sait qu'au moment où on lance, on se prépare à s'évaluer les uns les autres. C’est-à-dire qu’on travaille en vraie grandeur, on ne reporte pas cela à la génération suivante. On s’évalue tout de suite et on signe un premier contrat avec le jeune. Pour faire beaucoup d’insertion dans les collectivités territoriales que j’anime, vous savez sûrement que le geste le plus fort pour un jeune, comme étant son inscription dans la société, c’est le premier contrat qu’il signe. L’idéal, c’est le contrat d’embauche définitif, mais même le contrat dans une démarche d’insertion, le contrat dans une démarche d’intégration, c’est la reconnaissance du jeune, comme ayant une valeur de contribution à l’évolution de la société, à l’évolution de l’entreprise, à l’évolution de son environnement. Je crois qu’il faut  vraiment réévaluer ou évaluer ce type de démarche.

Didier ADES
Bernard THIBAULT

Bernard THIBAULT
Oui, une fois que j’aurais dit que la référence que fait Alain DELEU à la pédagogie de l’action, aurait pu s’apparenter à un appel à manifester le 4 octobre, mais manifestement ce n’est pas cela le sujet, je n’en parle pas… Cette publicité étant terminée, je partage tout à fait le besoin que l’éducation, le lycée professionnel doit s’ouvrir au travail, à l’entreprise. Dans la dimension entreprise sur laquelle je ne reviens pas – et je ne crois pas être le seul à la définir comme telle, c’est-à-dire avec l’ensemble des acteurs qui sont présents dans l’entreprise – ceci ne veut pas forcément dire et ne doit pas vouloir dire que le lycée professionnel est dans une situation de dépendance vis-à-vis de l’entreprise. C’est là qu’il y a sans doute quelque chose à affiner, notamment sur le contenu de l’alternance, puisqu’on a une dimension de l’alternance qui est présente dans les deux vecteurs de la formation, la voie scolaire et la voie de l’apprentissage qui se gèrent de manière différente, mais qui est présente. Donc pour moi, l’a priori de l’ouverture sur le monde de l’entreprise n’est pas contestable et je crois que personne ne le conteste. Par contre, il y a encore sans doute beaucoup à faire pour y mettre des critères. Quelle est la base de la relation qui s’instaure entre la nécessaire formation, sa définition et la manière dont l’entreprise va pouvoir y répondre avec l’ensemble des acteurs, donc des exigences de qualité ? Une certaine déontologie, même si le terme de déontologie accolé au mot entreprise… Certains sujets et certaines expériences, nous montrent qu’il y a besoin d’être très vigilant. Je pense qu’il y a une dimension déontologique à intégrer si on ne veut pas être à coté des objectifs qui sont recherchés, des garanties nécessaires aussi vis-à-vis des jeunes. De ce point de vue, je crois que quelques expériences par le passé, ont montré qu’il y avait besoin d’encadrer, non pas de réglementer de manière administrative, pesante, cela j’entends bien, mais d’encadrer les conditions dans lesquelles ces jeunes sont à la fois présents, dans un système d’éducation nationale et présents dans l’entreprise qui, pour eux est un lieu nouveau, qui nécessite – y compris pour eux, dans leur situation spécifique – un certain nombre de droits, je dirais même de facilités. N’oublions pas que dans les coûts de formation, en règle générale – nous sommes quelques jours après la rentrée scolaire – les filières de formation professionnelle sont quand même les filières qui, pour les familles, sont des filières au coût très élevé. Je pense que créer les conditions, y compris matérielles, pour favoriser leur présence avec tous les outils qui lui sont nécessaires, pour le besoin de l’éducation et la présence dans l’entreprise, cela fait partie des éléments sur lesquels il faut se pencher si l’on veut que cela débouche sur un certain de succès.

Didier ADES
Nicole NOTAT.

Nicole NOTAT
…La démarche qu’à présentée Michel DELEBARRE sur la manière de mettre les jeunes eux-mêmes dans des dynamiques de succès et de réinsertion et la démarche du contrat d’objectifs entre partenaires, c’est, finalement, la manière de mettre les partenaires en responsabilité et en situation d’engagement. Mais côté entreprise, il a beaucoup été discuté des conditions dans lesquelles l’école elle-même, le lycée devait s’ouvrir et créer les conditions de cette nouvelle donne. Du côté de l’entreprise, je crois qu’il y a un écueil dont il faut bien évidemment se garder. C’est d’imaginer que l’entreprise est formatrice par nature. Ce n’est pas parce qu’on fait entrer un jeune dans une entreprise que le jeune est assuré de bénéficier d’une formation dans l’entreprise, que la formation d’un jeune, que ce soit un stage ou un travail participant d’un processus de formation, cela se pense, cela s’organise et cela se construit. C’est là que le contrat d’objectif est intéressant parce que c’est au moment où les différents acteurs qui ont chacun une logique propre à faire entendre (les formateurs côté éducation nationale et ceux qui, dans l’entreprise ont à penser ce processus de formation et de qualification du jeune) qu’il intervient. C’est là qu’on fait des découvertes tout à fait sensationnelles. Une entreprise qui ne pratique pas bien, qui n’a pas encore bien intégré l’idée que la formation continue de ses salariés, elle aussi, elle se pense, se construit, s’anticipe, développe l’entretien des qualifications, la prévention et la gestion prévisionnelle des emplois. Plus une entreprise a pensé cela pour ses propres salariés, y compris dans une relation conflictuelle mais sur laquelle il peut y avoir des voies convergentes entre l’intérêt de l’entreprise et ceux des salariés, ceux qui ont bien pensé cela, qui ont fait des choses intéressantes dans ce domaine, accueillent d’une manière bien plus positive et bien plus constructive les jeunes qui viennent en formation en son sein. A l’inverse, une entreprise qui se lance dans la formation des jeunes, parce que ça a pu l’intéresser, parce qu’il y a un chef d’entreprise qui est sensibilisé à cela, qui rentre dans une vraie démarche positive de formation pour les jeunes qu’il va accueillir, du coup se trouve forcément sensibilisé à l’idée que cela ne serait pas mal s’il procédait aussi, du même coup, comme ça, avec ses propres salariés. Je trouve que sur une expérience de ce genre, on peut regretter un autre débat : comment la formation initiale et la formation continue sont finalement maintenant des temps qui s’interpénétreront de plus en plus et où il n’y aura pas un temps pour une première chance, un temps pour une seconde chance mais un temps de formation permanente et continue, vraie, réelle, au sens d’ailleurs où elle avait déjà été définie en 70 en France, mais qui devient une réalité parce que c’est un processus intégré et permanent tout au long de la vie.

Didier ADES
Madame NOTAT, encore faut-il que dans les têtes de chacun d’entre nous et plus particulièrement des responsables de l’entreprise, cette conviction soit là et que ça ne soit plus subi, ces besoins de formation et plus particulièrement vis-à-vis des jeunes, comme un passage obligé, la charge qu’il va falloir subir, mais bien comme partie intégrante de la stratégie d’entreprise, puisque c’est son devenir. Celui que je forme aujourd’hui, demain il va être ma valeur ajoutée. Il va contribuer à ma valeur ajoutée.

Nicole NOTAT
On est dans la formation investissement et pas dans la formation « charges sociales ». Le 1,2% qu’il faut dépenser absolument puisque c’est une obligation légale, tant qu’à faire, faisons-en quelque chose d’utile à l’entreprise mais aussi à ses salariés.

Didier ADES
Vous êtes sûr. Bruno LACROIX, que les entreprises françaises que vous représentez au MEDEF, ont bien cet état d’esprit ? Vous allez me dire oui, bien sûr… Si on parlait franchement ?

Bruno LACROIX
Je ne vais pas vous dire oui, bien sûr, sûrement pas justement, pour vous dire que j’ai essayé de conduire dans le sein du MEDEF une réflexion de base car voyant le contexte de la formation initiale, de la lois de 71, de sa complexité et tous ces dispositifs où plus personne ne comprend grand-chose, il m’a semblé nécessaire à un moment donné d’essayer de repartir des besoins fondamentaux des salariés. Alors que les besoins fondamentaux des entreprises et les besoins fondamentaux des salariés. Alors que les besoins fondamentaux des entreprises ont considérablement évolué, elles sont confrontées à une ouverture mondiale, une concurrence internationale qui s’accélère, une évolution des technologies. Ces entreprises ne peuvent faire face à ces enjeux qu’à partir du moment où elles s’en donnent les moyens et ces moyens sont différents de ceux d’autrefois. Il est sûr que l’organisation Taylorienne des entreprises qui a permis à un moment donné peut-être aux entreprises d’être efficaces pour une production de masse standardisée, ne répond plus du tout aux besoins des entreprises. Aujourd’hui dans un besoin de diversité, dans une nécessité de faire face à une complexité croissante de l’organisation, elles doivent mettre en place des organisations beaucoup plus souples et faire en sorte que les salariés soient capables d’être créatifs, d’être autonomes, des prendre des responsabilités. On est dans un contexte complètement différent. Les organisations des entreprises sont en train d’évoluer de gré ou de force d’ailleurs et si elles n’évoluent pas, les entreprises d’aujourd’hui disparaîtront dans cette compétition et dans l’évolution des technologies. Si on veut faire évoluer les entreprises dans le cadre de ces nouvelles organisations, elles doivent s’appuyer sur des compétences nouvelles. C’est un challenge complet, les entreprises ne réussiront que si elles s’appuient totalement sur mes compétences de leurs salariés et elles doivent s’y préparer. Ceci répond un peu à l’interrogation qu’avait Bernard THIBAULT tout à l’heure, je crois que les entreprises sont amenées petit à petit effectivement à prendre conscience qu’elles doivent complètement revoir leur plan de formation dans le cadre de la formation continue pour faire en sorte que cette compétence des salariés répondent à ces nouveaux besoins. Mais le challenge des salariés et le challenge des entreprises, c’est le même. Car si les entreprises sont confrontées à l’incertitude, si elles sont confrontées effectivement à des évolutions assez considérables, y compris dans le cadre de la maîtrise des technologies, c’est le même challenge pour les salariés et la garantie de ce qu’on appelle, je n’aime pas le terme mais enfin il est utilisé couramment, leur employabilité. Il y a un objectif commun aujourd’hui, entreprise pour leur efficacité, salariés pour leur employabilité, d’aller dans le même sens d’évolution des compétences. Cette évolution des compétences nous a amenés en fait (nous avons conduit d’ailleurs pas mal de réflexions déjà avec les partenaires sociaux dans ce domaine-là) à essayer d’identifier plusieurs strates. Une première qui est la strate de l’entreprise. Il faut que dans l’entreprise, avec les partenaires sociaux se mette en place une nouvelle vision de l’organisation, une nouvelle évolution des compétences, ce qui veut donc dire que dans un dialogue social à l’intérieur des entreprises se mette en place une plus grande visibilité avec la mise en place de référentiels nécessaires des compétences, dans un challenge qui est nouveau. Il ne s’agit plus d’adapter le salarié à un poste, mais il s’agit pour l’entreprise de permettre de l’évolution de son organisation par l’évolution des compétences des salariés… Et en même temps de la reconnaissance en fait de ces compétences dans l’entreprise. Toute cette organisation nouvelle, toute cette approche nouvelle, y compris la reconnaissance et la validation des compétences dans l’entreprise doit se faire par le dialogue des partenaires sociaux dans l’entreprise doit se faire par le dialogue des partenaires sociaux dans l’entreprise. Ceci étant, on a une nouvelle problématique qui apparaît : à partir du moment où le salarié passe d’une entreprise à une autre, une des demandes qui est faite aujourd’hui, c’est comment reconnaître ce qui appartient aux salariés en propre, c’est-à-dire la qualification ? Ce qui appartient aux salariés dans le langage que nous commençons à employer ensemble entre partenaires sociaux, ce sont les ressources, c’est-à-dire la qualification. Ce qui veut donc dire que tous ces éléments de ressources, connaissance, savoir-faire, comportement professionnel, qu’ils aient été acquis dans le cadre de la formation professionnelle initiale, qu’ils aient été acquis pas cette formation professionnelle continue, qu’ils aient été acquis par le biais de l’expérience, méritent et nécessitent de pouvoir être reconnus et validés pour faire en sorte qu’un salarié puisse faire reconnaître ces éléments de qualification lorsqu’il passe d’une expérience à l’autre. Je crois que nous avons à bâtir ensemble entre partenaires sociaux un nouveau système de reconnaissance et de validation de ces qualifications et c’est certainement un travail que nous aurons à initier au niveau interprofessionnel mais à développer ensuite au niveau des branches.

Didier ADES
Vous pensez… brièvement parce que nous avons encore beaucoup de points à aborder, vous pensez que ceci participera à la revalorisation de l’image de l’enseignement professionnel ?

Bruno LACROIX
Oui, dans la mesure où justement ce qui sera pris en compte, c’est bien cette dimension de la qualification professionnelle qui est issue de la formation professionnelle en tant que telle.

Didier ADES
Un ou deux points encore à aborder. Eh bien d’accord, c’est celui du nerf de la guerre. Est-ce que c’est une affaire de moyens, d’argent, d’euros ou est-ce que c’est une affaire de tête, de conviction, de réflexion, de maturation. Ce n’est pas tout à fait la même chose…

Nicole NOTAT
Pour moi, c’est clair, ce n’est pas une affaire de moyens, en tout cas, dans ce qui relève de ce que j’appréhende le plus aujourd’hui, la manière dont les entreprises procèdent ou ne procèdent pas à la formation. Il y a aujourd’hui des entreprises, je ne pense pas que vous me démentiez là-dessus, qui dépensent des sommes folles pour la formation continue de leurs salariés, des sommes folles pour certaines catégories de salariés, ça ne veut pas dire que tous les salariés qui devraient profiter de la formation continue en bénéficieront dans de bonnes conditions. Je crois donc que ce qui manque aujourd’hui, c’est davantage une vision stratégiques dans les entreprises sur la formation continue : au service de quoi la mettons-nous en terme d’évolution de l’organisation du travail ? C’est une réalité de l’entreprise qui est là, mais elle est aussi au service des besoins que ces évolutions technologiques, ces formes d’organisation créent chez les salariés et qui nécessitent de les mettre en situation d’adaptation, d’entretien de leurs connaissances d’accès à de nouvelles formations et de nouvelles qualifications. Il faut reconnaître aujourd’hui que ce n’est pas encore mis en œuvre. C’est un différend entre nous, enfin, en tout cas dans les moments où nous avons négocié sur ce thème, aujourd’hui le monde patronal résiste encore à l’idée de créer de la vraie négociation sur les plans de formation. Alors, si ce n’est pas sur les plans de formation, au moins, qu’on ait une négociation sur les grands objectifs, sur les grandes orientations, sur la possibilité de dire quelle catégorie de salariés est concernée dans l’avenir, si l’entreprise évolue de telle ou telle manière. Il est peut-être utile d’anticiper, de mettre les salariés en situation d’évoluer et d s’adapter : c’est sans doute aujourd’hui ce qui fait le plus défaut dans les entreprises, de mon point de vue.

Didier ADES
Un mot bref, madame Notat dans le cadre de cette revalorisation à laquelle tout le monde croît et qu’il faut faire passer dans les faits, est-ce qu’il faut parler du statut de l’élève ?

Nicole NOTAT
Ce n’est pas moi qui ai parlé de cela, je crois. Je l’ai entendu à la radio hier soir et ce matin, on n’entendait parler que de ça j’ai cru que le thème du colloque avait changé d’ailleurs. Mais, écoutez, le statut de l’élève, ça me rappelle le débat qu’on avait eu justement dans ce que je disais en introduction sur le moment où nous avions à définir quel était le statut en entreprise : un jeune qui est en contrat de travail de type particulier, un apprenti, les gens en contrat de qualification, etc. Nous avons eu des débats épiques à l’époque. Cela voulait dire quoi en terme de formation ? Pour que ce soit un temps de formation réel, en terme de niveau de rémunération, car ce n’est pas encore un travailleur complet mais c’est quelqu’un qui travaille quand même, donc, il a à être rémunéré… on s’est assez frotté avec le monde patronal à ce moment-là pour définir des conditions équilibrées qui respectaient bien évidemment l’intérêt du jeune et puis la réalité pour les entreprises en soulignant que ces gens étaient bien en formation. Je crois que c’est, cette question peut-être, Monsieur le ministre que vous voulez à nouveau poser ; c’est-à-dire, à partir du moment où l’éducation nationale entend valoriser le passage des jeunes qui sont sous statut scolaire en formation pour en faire une vraie période utile dans leur formation, alors quel est le statut de cette période, le statut de ce stage ? Il faut le définir et est-ce qu’à ce moment-là l’entreprise bénéficie quand même un peu d’un travail d’un jeune ? Est-ce que le jeune profite vraiment de l’entreprise comme moyen d’acquérir quelque chose, une connaissance, une information. Il me semble que c’est plutôt de cet ensemble là qu’il faudrait pouvoir discuter, c’est-à-dire quel est, finalement le statut du jeune stagiaire en entreprise et est-ce qu’éventuellement cela a des incidences en terme de rémunération ? Je crois pouvoir dire qu’en pratique des jeunes stagiaires en entreprise, bénéficient pas toujours bien sûr, dans quelques entreprises, d’une partie indemnité au moment du départ pour dire merci vous avez été là, c’est normal que je vous donne un petit quelque chose.

Didier ADES
Alain DELEU.

Alain DELEU
Sur cette question, j’ai envie de dire tout simplement que tout travail mérite salaire, et il est important de dire aux jeunes que c’est vrai…

Didier ADES
De leur montrer…

Alain LELEU
Donc de leur montrer, parce que le dire c’est bien, mais le faire, c’est mieux, je veux dire que dans une démarche d’intégration, non plus de la profession dans l’école, mais des jeunes dans la société, il me semble que symboliquement et pratiquement il est important que si le jeune rend un vrai service à l’entreprise, il reçoit une gratification, une rémunération correspondante ; ce n’est pas facile, mais je crois qu’il faut y réfléchir. Au sujet de la rémunération, ce serait un signe fort que les jeunes soient respectés dans leur travail. Il y a trop de jeunes qui sont exploités dans l’apprentissage, dans l’alternance, dans le premier emploi, vous le savez bien. Eh bien, il faut des signes dans ce sens. Puisque sans doute je n’aurai plus la parole après, j’ajoute qu’il me semble que le mot « intégré » est un mot difficile mais je crois qu’il est juste parce que, sans doute, la démarche que nous devons avoir ensemble, c’est une démarche d’intégration. Je remercie monsieur DELEBARRE d’avoir nommé les établissements publics et privés de la région parce que déjà il y a un projet régional dans lequel les partenaires «établissements publics et privés sont associés par contrat et c’est clair… Ensuite, concernant le lien entre alternance et lycée professionnel, ni l’un, ni l’autre n’a à être pénalisé. Alternance, lycée professionnel, formation initiale, formation continue, on a vraiment un travail de mise en harmonie entre notre manière de travailler entre partenaires sociaux, employeurs et salariés, parcours en continu et notamment avec la modularité et les acquis validés, ce sont les deux points qui me paraissent importants, modularité des procédures et validations des acquis, merci.

Didier ADES
Vous m’accordez monsieur DELEBARRE quelques minutes encore, je voudrais que ce soit vous qui ayez le mot de la fin, c’est ça la démocratie, c’est la prééminence du politique…

Bruno LACROIX
Sur la question que vous posiez à Nicole NOTAT concernant les moyens, en fait, pour  dire que toute mesure a son avantage et son inconvénient, et que l’avantage de la loi de 71 a probablement été de mettre en route effectivement les entreprises dans le domaine de la formation professionnelle continue, l’inconvénient a été de mettre en place un système de taxation. Ce système de taxation n’est pas forcément le système qui crée la motivation fondamentale pour bâtir un système de formation professionnelle du futur. Aujourd’hui, je ferai deux réflexions : une première pour revenir à cette approche de compétence car nous avons entrepris un travail de sensibilisation considérable auprès des entreprises françaises pour leur faire prendre conscience de la nécessité d’investir sur l’évolution des compétences de leurs salariés et qu’elles ne pouvaient effectivement bâtir un succès économique dans le futur qu’à partir de cette évolution des compétences. Je crois que la première chose, c’est de créer la motivation chez les salariés, ça n’est pas encore par quelques lois ou règlements complémentaires, c’est faire en sorte que les entreprises prennent conscience de cette nécessité. A partir de là, je rejoins Nicole NOTAT car les moyens aujourd’hui existent, ils sont suffisants, les entreprises qui ont pris conscience de cette nécessité dépassent très nettement le minimum obligatoire de taxation qui existe pour arriver à ce niveau de performance. Donc je crois que ça, c’est un des points importants. Deuxièmement, en ce qui concerne le statut que vous abordiez tout à l’heure. Il faudra être excessivement prudent et souple dans ce domaine-là, car la première chose, c’est que les entreprises ouvrent suffisamment leurs portes pour accueillir tous les jeunes qui doivent passer dans les entreprises en formation ou en stage. On sait aujourd’hui que nombre de jeunes, en particulier de milieu défavorisé, n’ont pas toujours la capacité de trouver le stage qui leur est nécessaire dans le cadre d’une formation professionnelle. Donc, continuons à faire en sorte que l’on sollicite les entreprises et qu’on les sensibilise pour qu’elles participent à cette formation des jeunes. Faisons attention à ne pas rajouter une couche supplémentaire de contraintes car je crois qu’aujourd’hui elles en ont déjà suffisamment sur les bras.

Bernard THIBAULT
Oui, ce ne serait pas complètement le contre-pied, mais ce ne serait pas sur les moyens des entreprises consacrées à la formation. Un mot quand même parce qu’on aurait tort de s’en remettre uniquement au chiffre brut consacré à la formation. Regardons aussi les contenus. J’ai quelques exemples de stages d'entreprises et donc répertoriés comme tels dans les comptes des entreprises au titre de la formation, qui s’apparentent davantage à du management, de la communication d’entreprise, mais qu’on ne peut pas considérer comme de la formation professionnelle. Je demande donc à ce que l’on soit un peu plus précis, plutôt que de simplement s’en remettre aux sommes dites consacrées par les entreprises à la formation professionnelle. Ce n’est pas uniquement vrai d’ailleurs pour les seules entreprises, il arrive aussi parfois à l’administration ou au service public de se comporter un peu de la même manière.

Didier ADES
On revient surtout à nos jeunes.

Bernard THIBAULT
Oui, mais cela a aussi une importance, y compris par rapport aux moyens concernant les jeunes. Si je ne pense pas qu’il faille opposer systématiquement qualitatif et quantitatif. Il doit y avoir un peu de tout à articuler, à la fois la réflexion sur le qualitatif mais aussi sur le quantitatif. On peut considérer que les moyens sont insuffisants. Il faut bien quand même essayer d’évaluer par rapport aux besoins. J’ai cru percevoir que dans le monde enseignant et aujourd’hui parmi les lycéens notamment dans l’enseignement professionnel, il y avait quand même le constat que c’était un des types d’enseignement qui était un peu à la traine. Ce qui n’enlève rien au fait qu’il y ait pu y avoir des opérations, des moyens supplémentaires accordés ; encore que, manifestement, il y a un environnement ces jours-ci qui montre qu’on est pas encore tout à fait au niveau des besoins nécessaires, notamment par rapport aux enseignants eux-mêmes. Si on souhaite que les enseignants, pour la qualité de l’enseignement, soient eux aussi davantage présents dans l’entreprise, qu’ils aient des connaissances acquises sur la manière dont les entreprises travaillent, cela nécessite des disponibilités, cela nécessite du temps. Cela se traduit quelque part par des effectifs, je dirais, c’est peut-être un gros mot mais des effectifs d’enseignants, c’est encore quelque chose de nécessaire. Je crois qu’on n’est pas au bout de la réflexion sur les moyens que la collectivité publique est prête à accorder à son enseignement général et à son enseignement professionnel, notamment parce que cela participerait non pas à redresser uniquement l’aspect image qui est important, mais aussi les moyens politiques que l’on consacre à ce type de formation. Si chacun est d’accord pour considérer que c’est un vecteur important de formation mais aussi d’insertion dans la société, alors, il faut en déduire les conséquences en terme de moyens budgétaires.

Didier ADES
Là aussi, c’est une analyse globale mais qui souffre ici ou là quelques regards différents sur les moyens des uns et des autres. D’où l’intervention maintenant sur ce point de Pierre GILSON de la CGPME. Ce n’est pas la multinationale, les moyens ne sont pas les mêmes . Et quand on dit la PME, c’est plutôt la TPE.

Pierre GILSON
Oui, ce sont elles qui recrutent surtout aussi des jeunes. Je crois qu’il ne faut pas se tromper : accueillir un jeune en stage dans l’entreprise, c’est un complément à sa formation. Il va peut-être travailler mais pas comme un ouvrier spécialisé, un ouvrier qui a une compétence reconnue, il va apprendre, il est encore à l’école en fin de compte dans l’entreprise. C’est pour cela que nous sommes partisans d’un co-tutorat entre le responsable de l’établissement de formation du lycée professionnel et le responsable qui doit accompagner le jeune. Il y a donc un travail collégial à réaliser. Monsieur DELEU a dit tout à l’heure « Tout travail mérite salaire », moi je dis que ça n’est pas un travail, c’est souvent une charge. Dans ma propre profession, nous avions chiffré qu’un apprenti coûtait pour un maître d’apprentissage, entre 30 000 et 40 000 francs par an suivant les activités, en fonction des erreurs qu’il commet. C’est normal, il faut qu’il en fasse, des erreurs, pout pouvoir se parfaire. Je crois que ce serait une erreur de vouloir imposer une rémunération systématiquement. Par contre, pour les PME, je le répète le meilleur niveau de négociation, c’est la branche et je vous ai dit tout à l’heure pourquoi il fallait anticiper. Pour l’entreprise de quatre ou cinq salariés, il est très difficile d’apprécier l’évolution de sa branche dans les années à venir. C’est donc à la branche de conseiller les chefs d’entreprise pour tel ou tel type de formation. Là où là il y a une productivité à attendre, il faut qu’il y ait effectivement une rétribution comme ça se fait souvent dans des conditions tout à fait normales, spontanées.

Didier ADES
Michel DELEBARRE, c’est le mot du politique que l’on attend maintenant, pas celui du ministre, tout à l’heure, vous avez entendu et y compris les revendications, il y a manifestement… je dirais plutôt consensus à l’heure actuelle. Il y a deux façons de regarder les choses, ou on regarde derrière soi et on se dit : « Quel beau chemin nous avons fait » et c’est bien. Ou on regarde devant soi et, à ce moment là, on se fixe des objectifs et il faut avoir de l’ambition. Et puis derrière il y a toute la série des problèmes qui se posent et c’est à vous de les résoudre, entre autres.

Michel DELEBARRE
Je ne sais pas si il y a un concours, je crois qu’on est dans une situation où on peut faire quelque chose.

Michel DELEBARRE
Compte tenu de ce qu’est l’état d’esprit des partenaires tel qu’il a été expliqué nous sommes dans une situation où nous pouvons faire quelque chose. Dans les partenaires, il y a bien sûr les partenaires du monde de l’entreprise, organisations syndicales et responsables de l’entreprise, qu’ils soient entrepreneurs ou salariés. Mais il y a l’Etat, bien sûr l’éducation nationale, et je crois qu’il y a les collectivités territoriales. On est dans une situation où je crois que Claude ALLEGRE a bien fait de dire : « Dans le fond, on trace la voie et on essaie d’y aller, on assai d’y aller ensemble*. Est-ce que ce sera consensuel à l’arrivée ? Je n’en sais rien. Je trouve qu’il y a matière à débat, matière à raison, je suis même favorable, j’essayerai de le faire promouvoir à ce qu’on ne soit pas forcément sur le même schéma partout. On peut peut-être tester des choses et regarder comment ces choses se passent à des niveaux différents, dans des contextes différents. Il y a peut-être matière à enrichir la confrontation pendant une période. On verra ce que l’on fera après. Je retiens une ou deux choses tout de même. Je crois que Nicole a eu raison de dire : «  Vous savez le partenariat avec le monde de l’entreprise n’existe pas si l’entreprise n’est pas convaincue que la formation continue de son personnel est une exigence ». On ne fera pas de formation à l’égard des jeunes qui sont dans l’éducation nationale et que l’on accueillera, si on ne fait pas soi-même de la formation pour son personnel, ce serait totalement contradictoire et, à mon avis ça éclatera très vite ou ça n’ira pas loin.

Didier ADES
Et puis, ça ne leur donnera pas envie.

Michel DELEBARRE
Bien sûr, et puis ça se sentira très vite. Deuxièmement je pense qu’il faut qu’on reconnaisse – et Bertrand SCHWARTZ y a toujours été très attaché – si vous voulez que ce soit crédible, toute étape doit être validée : que toute étape d’un jeune qui se forme dans l’éducation, qui va en entreprise, qui revient à l’éducation doit être validée. Si ce sont, comme tout le monde le dit, les parcours qui deviennent essentiels, un parcours ça se construit étape par étape, et chacune des étapes doit être validée. Et puis, c’est une relation bilatérale ; mois je la vis sur des territoires, je la vis dans des agglomérations, cette relation. Si c’est uniquement pour dire que les jeunes vont aller en entreprise et que les chefs d’entreprise ne se disent pas qu’ils ont autour d’eux des moyens de l’enseignement professionnel, des capacités de formation continue pour leur personnel, fabuleuses compte tenu de l’évolution de la formation professionnelle, je crois qu’on loupera quelque chose. Pour les jeunes, il est aussi important de savoir que les adultes viennent se former et se requalifier dans le lycée professionnel que d’aller dans l’entreprise. Je crois vraiment que cette reconnaissance bilatérale apporterait à mon avis quelque chose de tout à fait essentiel. Donc partenariat, validation des acquis, reconnaissance de chacune des étapes et, je le redis, des contrats d’objectifs qui ne soient pas « l’éternité est ouverte devant nous », qui soient au contraire des rendez-vous très exigeants où on va vraiment s’auto-évaluer. Si on peut faire évoluer les choses en tenant compte des différences que l’on peut avoir selon les territoires, selon les branches, je pense dès lors qu’on peut arriver à un résultat… Alors sur l’affaire du statut, il appartiendra au ministre de s‘exprimer, je suppose… Il l’a fait hier d’ailleurs. Je crois vraiment qu’il y a, comme je l’ai évoqué tout à l’heure, l’importance pour le jeune de la notion de contrat. Si il y a contrat, s’il y a période en entreprise, il y a reconnaissance de l’apport qu’il y fait à sa juste mesure. Il n’est pas là, substitué à un salarié qualifié. Il est là pour se qualifier mais il doit y avoir reconnaissance de la période qu’il effectue en entreprise. On le finance comment. Je suis d’accord pour qu’on dise regardons ce qu’est la masse de financement à l’heure actuelle et comment les choses sont utilisées. Mais si l’entreprise reconnaît que c’est utile, en règle générale, la discussion partenariale sur le financement est d’une autre nature que lorsqu’entre nous, on l’impose par la loi. Je crois qu’on peut trouver des moyens conventionnels pour avancer dans cette direction-là. Je forme des vœux en tous cas, parce que je crois que les choses ont profondément évolué en quelques années, pour qu’on réussisse peut-être dans cette démarche d’enseignement professionnel intégré à se donner une nouvelle ambition. Je crois qu’elle correspond à une grande partie de l’attente des jeunes et c’est là dessus qu’on sera jugé.