Interview de M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture, à France-Inter le 25 avril 1997, sur la justification de la dissolution de l'Assemblée nationale, le bilan de la politique gouvernementale, et la stratégie de la gauche pour les élections législatives anticipées.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Annonce le 21 avril 1997 par le Président de la République de la dissolution de l'Assemblée nationale

Média : France Inter

Texte intégral

J. Dorville : Vous commenterez dans quelques instants les premiers ou derniers développements de la campagne, mais d’abord un petit détour par Châteauvallon. Le tribunal de grande instance de Toulon a rejeté la demande de dissolution du théâtre qui avait été faite par le maire Front national de Toulon, J.-M. Le Chevallier. On se souvient de la mobilisation des intellectuels et des politiques pour soutenir G. Paquet, l’ancien directeur, vous-même étiez monté en première ligne. C’est une victoire symbolique contre le Front national ?

P. Douste-Blazy : Oui, bien sûr, c’est une victoire. D’abord, j’ai appris avec satisfaction la décision du tribunal, cette décision que j’attendais avec confiance ne me surprend pas. Il est de bon sens qu’on ne peut pas dissoudre une association simplement parce qu’un des membres de la ville de Toulon n’est pas d’accord avec tous les autres. Si la ville de Toulon n’approuve pas ce qui se fait à Châteauvallon, elle peut se retirer de l’association et je ne la retiendrai pas.

J. Dorville : C’est aussi un camouflet pour J.-C. Marchand, préfet du Var, qui avait aussi pris la tête du combat contre M. Paquet ?

P. Douste-Blazy : C’est un camouflet pour la ville de Toulon ; quant à l’État, au ministère de la culture, au gouvernement, il a rapporté des conclusions. Le préfet s’est associé aux conclusions du gouvernement et nous avons gagné. Maintenant, il y a encore d’autres étapes : Châteauvallon, c’est un feuilleton que nous gagnerons parce que la démocratie doit gagner et la culture est probablement au cœur même du sujet qui est traité aujourd’hui dans les villes du Front national. Ils veulent s’attaquer à la culture pour s’attaquer à la démocratie. Nous sommes là pour protéger cela.

J. Dorville : Justement, dans le sud-est de la France, on est en plein fief lepéniste. Revenons à la campagne des élections législatives : est-ce qu’on n’a pas trop vite dit que cette campagne, qui sera courte, allait couper les pattes du Front national ?

P. Douste-Blazy : On voit très bien aujourd’hui, et on l’a vu hier avec le début de la campagne dans les villes en France, qu’il y a manifestement, et c’est heureux, un débat droite-gauche dans ce pays, que nous avons un Parti socialiste qui s’associe à un Parti communiste. Nous avons un Parti socialiste qui, associé au Parti communiste encore une fois, propose le fameux cycle infernal : plus de fonctionnaires, plus de dépenses publiques, plus de déficits, plus d’impôts, moins de consommation et donc, plus de chômage et à la fin plus de rigueur. On voit très bien qu’en face de ce projet – qui est un projet de gauche que certains peuvent respecter, mais qui est vraiment de gauche avec plus d’impôts et de dépenses publiques – il y à côté un projet de droite qui libère l’initiative, qui veut créer des emplois par l’intermédiaire de l’entreprise et qui met le libéralisme au service du social. Avec, en plus, quelque chose de tout à fait nouveau cette année : des choix européens très clairs que le Président de la République et le Premier ministre font et des choix européens très ambigus de M. Jospin, dans une émission qui s’appelle 7/7, et qui, ce soir-là, n’étaient pas du tout clairs.

J. Dorville : Ça, c’est votre scénario mais dans les urnes, le vote protestataire ne va pas s’évanouir du jour au lendemain ?

P. Douste-Blazy : Le vote protestataire s’enrichit du non-débat et du consensus. Moi, je suis sur le terrain, je rencontre souvent des gens dans cette deuxième circonscription des Hautes-Pyrénées, encore hier. Qu’est-ce qu’ils me disent ? Un : expliquez-moi pourquoi on dissout l’Assemblée nationale et deuxièmement : quelle est exactement la différence de programme entre vous et M. Jospin. Et aujourd’hui justement, le choix du Président de la République…

J. Dorville : Ça prouve que les messages ne sont pas très bien passés ?

P. Douste-Blazy : Peut-être qu’il faut plus de pédagogie, beaucoup plus de communication. Mais l’avantage de ce choix du Président de la République de dissoudre l’Assemblée nationale, c’est un choix de clarté. C’est ce qui est important, c’est de montrer à quel point nous sommes clairs sur le programme que nous présentons aux Français. Ensuite, la durée : nous serons le seul pays du monde développé à avoir une durée côté Président de la République, côté majorité parlementaire. Et enfin, dans les négociations internationales, en particulier européennes, qui commencent au mois de juillet, je vous assure que tous nos voisins regardent quelle est la durée qui reste à ceux qui parlent Si la France n’a plus qu’un an, et en plus une année électorale, elle a beaucoup moins de force dans la table des négociations. Si, par contre, elle a cinq ans, non seulement elle a la force mais elle deviendra le leader de l’Europe.

J. Dorville : La campagne a commencé depuis trois, quatre jours, notamment hier soir avec deux grands meetings sur le terrain. Pour l’instant, on a plutôt entendu des invectives et des slogans qu’un débat de société.

P. Douste-Blazy : Je viens de vous redire qu’il est absolument fondamental de revenir sur les idées. C’est vrai qu’en 1993, la gauche avait quand même un déficit de bilan terrible, n’oublions pas que 1992-1993, c’est la seule année, depuis la fin de la deuxième Guerre mondiale, à avoir connu la récession : moins 1 % de croissance. Aujourd’hui, on nous parle de + 3 % pour 1998. Il ne faut pas l’oublier. C’est vrai qu’en 1993, la gauche n’osait pas parler de son programme. Et donc, on a oublié cette différence entre deux programmes, l’un socialiste et communiste, ne l’oublions pas car R. Hue vient de dire que son parti et ses membres pourraient prendre n’importe quelle place dans les ministères…

J. Dorville : Là vous agitez l’épouvantail d’une alliance socialo-communiste, c’est un peu vieux jeu, non ?

P. Douste-Blazy : Pourquoi parlez-vous d’épouvantail ? L. Jospin nous explique qu’il s’associe à R. Hue, ce n’est donc pas un épouvantail. C’est lui-même l’épouvantail, ce n’est pas moi. Et puis de l’autre, on a un gouvernement de centre droite qui a déjà un premier bilan – peut-être que nous n’avons pas suffisamment communiqué, c’est vrai, et qu’il faut maintenant expliquer avec beaucoup de pédagogie. Et quand on dit qu’il y aura moins d’impôt, quand on dit qu’il va y avoir une réforme en général qui va continuer : nous avons fait la preuve déjà, en quatre ans, que nous avions commencé cette réforme. L’assurance-maladie, c’est-à-dire la médecine pour tous et non pas une médecine pour les pauvres et une médecine pour les riches, un service militaire qui a été annulé pour les jeunes avec une professionnalisation, l’enseignement supérieur, voilà des réformes importantes. Je pourrais continuer comme cela.

J. Dorville : Ce bilan n’est pas perçu comme vous le dites par les Français, qui demandent massivement un changement de politique. Est-ce que votre principal handicap dans cette campagne, ce n’est pas A. Juppé lui-même ?

P. Douste-Blazy : Ce qui est important aujourd’hui, c’est qu’il y a une majorité, une majorité qui a travaillé depuis 1993. Cette majorité a un bilan et un bon bilan. Ces cinq semaines de campagne, ce sera pour nous une façon très forte d’abord de défendre un bilan et surtout d’expliquer pourquoi il faut un nouvel élan dans ce pays. Ce nouvel élan, il le faut pour un libéralisme au service du social, pour un choix européen et surtout pour plus de décentralisation, donner beaucoup plus de pouvoirs aux élus locaux. Voilà le credo de l’UDF et du RPR qui sont totalement unis et, en face, on a un projet de gauche que certains peuvent respecter mais qui est un projet qui augmente les dépenses publiques, qui augmente le nombre de fonctionnaires, qui augmente les impôts et qui donc finit obligatoirement par plus de rigueur.

J. Dorville : Pourquoi nous dit-on maintenant de voter pour la majorité, de voter pour A. Juppé, alors qu’il ne sera sans doute plus Premier ministre dans un mois et demi ?

P. Douste-Blazy : Parce que le choix du Premier ministre, dans la Ve République, c’est le Président de la République qui le fait, ce ne sont ni les sondages, ni les commentateurs, ni les ministres.

J. Dorville : C’est aussi peut-être parce que Juppé, c’est le meilleur argument électoral pour la gauche ?

P. Douste-Blazy : A. Juppé est un homme avec lequel je travaille maintenant depuis deux ans et demi, c’est un homme très courageux, c’est un homme qui a un bilan et je suis persuadé que des hommes qui ont des bilans comme ça, il y en a quand même très peu aujourd’hui sur la scène politique nationale.

J. Dorville : Au cas où la campagne prendrait une tournure un peu inattendue pour vous, il y a une stratégie en réserve, un chef en réserve ? On parle beaucoup de P. Séguin ?

P. Douste-Blazy : Aujourd’hui, on me dit : est-ce que les élections sont gagnées ? Mais, par définition, les élections ne sont pas gagnées. Les élections se gagnent sur le terrain et je suis persuadé qu’avec le bilan que nous allons expliquer et deuxièmement, avec ce choix de société qui est vraiment antinomique du projet de gauche qui augmente les impôts et qui finit par plus de rigueur, les Français auront une mémoire qui ne sera pas courte. J’en suis persuadé.