Interviews de M. Michel Deschamps, secrétaire général de la FSU, dans "Le Progrès" du 26 novembre, "Le Figaro" du 3 et à RTL le 5 décembre 1997, sur la réforme du système scolaire et les relations entre la FSU et le ministère de l'Education nationale.

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Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Emission L'Invité de RTL - La Tribune Le Progrès - Le Figaro - Le Progrès - RTL

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Le Progrès - mercredi 26 novembre 1997

Le Progrès : Où en sont vos relations avec le ministre de l'éducation ?

Michel Deschamps : Rien ne s'arrange. Claude Allègre nous réfute le droit de faire des propositions : la transformation du système éducatif, l'intérêt général, c'est lui, lui seul sait. Mais cela va plus loin que le conflit Allègre-FSU : il y a un rejet de la profession enseignante. Le ministre de tutelle, par ses petites phrases, met en cause la conscience professionnelle et le travail des enseignants. C'est trop facile d'accuser la profession de conservatisme.

Le Progrès : Êtes-vous d'accord sur le fait que le système éducatif doit évoluer ?

Michel Deschamps : Bien sûr. Aux différents congrès départementaux auxquels j'assiste, les collègues disent que l'école doit bouger, changer, et ils veulent en être les acteurs. La crainte que j'ai, c'est que lorsque l'on est attaqué, on se crispe, on se referme et on ne va plus de l'avant pour transformer le système éducatif. L'expérience, nos enquêtes et nos sondages nous montrent que nous peinons dans des tâches qui sont les nôtres comme l'orientation et l'insertion des jeunes. C'est là-dessus que nous devons travailler.

Le Progrès : Il n'y a pas que cela : la montée de l'illettrisme, les programmes trop chargés, une machine trop lourde pour s'adapter...

Michel Deschamps : En tout cas l'école n'est pas un champ de ruines ou en complet délabrement, comme l'affirme Claude Allègre ! Faire table rase et dénigrer les enseignants, c'est se couper des acteurs qui doivent opérer les transformations. Le mauvais climat que crée le ministre est un gâchis. On ne peut pas changer l'école sans les enseignants, c'est eux qui la changeront.

Le Progrès : Quelles sont vos priorités ?

Michel Deschamps : Il faut concentrer l'effort sur l'échec scolaire lourd, en portant l'accent sur la lecture dans le primaire, la violence au collège et l'orientation au lycée. Mais il ne faut pas isoler les lycées. Il faut individualiser l'enseignement et donner des moyens là où il y a le plus de besoins : on ne peut pas répondre aux problèmes uniquement avec des emplois-jeunes.

 

Le Figaro - 3 décembre 1997

Le Figaro Économie : Votre congrès, qui va s'ouvrir à Toulouse, lundi, est-il celui du déclin ? Après avoir connu un véritable succès, au point de devenir la première organisation de fonctionnaires, votre syndicat connaît actuellement des dissensions internes, notamment avec le SNETAA (enseignement technique agricole).

Michel Deschamps : Il est vrai que, jusqu’à cette « péripétie », la FSU abordait son congrès sur un petit nuage. En quatre ans, notre syndicat a ravi toutes les premières places, à l'éducation nationale comme dans la fonction publique d'État. Le problème avec le SNETAA nous ramène sur terre, d'autant plus que nous ne l'avons pas vu venir. Il porte notamment sur le respect du pluralisme. Je fais tout pour dénouer la crise. Je pense qu'on peut y parvenir d'autant que les adhérents du SNETAA veulent rester à la FSU.

Le Figaro Économie : Comment allez-vous cependant gérer l'absence du SNETAA à votre congrès ?

Michel Deschamps : Comment sortir de la crise ? En reprenant le dialogue, en revoyant le fonctionnement de la fédération, notamment avec une direction plus collégiale, en traitant ensemble les problèmes posés, sans les imputer toujours aux minorités.

Le Figaro Économie : Plus globalement, ce congrès s’inscrit dans un contexte nouveau sur le plan social. Le gouvernement semble vouloir faire une ouverture à l’égard des fonctionnaires sur le plan salarial. Continuerez-vous à vous situer dans le camp des « maximalistes » ?

Michel Deschamps : La FSU n’est pas un syndicat maximaliste. Nous ne sommes ni pour une contestation stérile ni pour une démarche d'accompagnement sans lendemain. Nous réfutons cette logique des deux camps. Il faut une autre pratique, alternative, qui permette au syndicalisme français de peser plus fortement dans le débat. L'échec de décembre 1995 le prouve : si le mouvement syndical ne trouve pas les moyens de faire reculer ses divisions, il va disparaître du paysage.

Le Figaro Économie : Concrètement, que voulez-vous sur le plan salarial ?

Michel Deschamps : Il faut évidemment un accord salarial, mais la négociation, pour nous, doit porter aussi sur l'emploi public et sur la réduction du temps de travail. Je ne dis pas que tout doit être applicable immédiatement. Mais le gouvernement doit clairement rompre avec le dogme du gel des emplois publics. Il doit clairement dire que les 35 heures s'appliquent à la fonction publique. Sinon, ne pourra-t-on légitimement l'accuser d'adopter un double langage : ce qui est bien pour le privé ne le serait pas pour les fonctionnaires ?

Cependant, sur l'ensemble de ces questions, nous disposons de la législature. Commençons vite mais donnons-nous le temps nécessaire pour transformer la fonction publique : c'est vrai des salaires, des distorsions sur la grille de la fonction publique, de l'absence de promotion interne et de vraies carrières… Dans l'immédiat, pour les salaires, nous proposons pour 1996, 1997, 1998, une première mesure que nous chiffrons à 5 %. Mais cela ne pourra pas suffire, notamment parce que nous avons pris un grand retard en termes de pouvoir d'achat et de carrière, et que les accords Durafour n'ont pas vraiment tout réglé. Le chantier de la réforme de la grille reste à faire.

Le Figaro Économie : Dans une telle période budgétaire, cette position est vraiment irréaliste et radicale.

Michel Deschamps : Je crois que, pendant des années, les fonctionnaires ont été montrés du doigt, culpabilisés, transformés en boucs émissaires. Il y a aujourd'hui quelque chose de cassé entre eux et cette « pensée unique ». Cela donne aux négociations salariales un climat psychologique très particulier. Notre message est simple : il faut redonner une légitimité nouvelle au service de l'État. Nos partenaires européens n'ont pas, vis-à-vis de l'État, la même culture que nous. La France a ses acquis, sa spécificité, son passé. Nous devons assumer cette histoire. Il faut refuser l'idéologie de l'État honteux. Il faut reconnaître que les Français sont attachés à leurs services publics et à leur efficacité.
Les instances de Bruxelles doivent admettre cette spécificité française. Mais j'ajoute qu'il ne s'agit pas de défendre les services publics « en l'état ». Ils sont confrontés à des problèmes nouveaux et doivent profondément se transformer. Il s'agit bien de réformer l'État, de faire une place plus grande aux usagers.

Le Figaro Économie : Sur le plan de l’éducation, vos rapports avec Claude Allègre sont particulièrement difficiles, comment voyez-vous l'avenir ?

Michel Deschamps : Le ministre de l'éducation a une conception du syndicalisme archaïque. Il n'y a aucune concertation, que ce soit avant ou après une décision. La crispation, le refus du dialogue, ne sont pas de notre côté.

Le Figaro Économie : Le ministre vous accuse d'avoir, au travers du SNES (syndicat majoritaire du second degré), cogéré l'éducation avec son prédécesseur François Bayrou ?

Michel Deschamps : Nous avons été amenés à nous affronter plusieurs fois à François Bayrou : sur la révision de la loi Falloux, sur le contrat d'initiative professionnelle (CIP), sur la programmation du budget de l'éducation... Rien qui ressemble à de la cogestion.

Le Figaro Économie : Vous plaidez pour une recomposition syndicale ?

Michel Deschamps : Je crois que la FSU est, avec d'autres, porteur d'un espoir de renouveau du syndicalisme français. Nous ne sommes pas « récupérables » mais, au contraire, nous entendons dialoguer avec toutes les composantes de ce syndicalisme. Avec la CGT, avec FO comme avec la CFDT, avec la volonté de faire émerger une mutation de l'ensemble du syndicalisme français. Dans la fonction publique, comme à l'éducation nationale, nous travaillons d'ailleurs avec toutes les forces représentatives.

 

RTL - vendredi 5 décembre 1997

O. Mazerolle : Vous allez commencer votre congrès à Toulouse, lundi prochain, avec au-dessus de vos têtes une menace de grève des professeurs dans le secondaire qui plane. Vous êtes en guerre frontale avec le ministre ?

M. Deschamps : En tout cas, les relations ne sont pas bonnes. Actuellement, enseigner, c'est devenu difficile et les enseignants apprécient peu d'avoir l'impression que le ministre n'est pas avec eux, n'est pas à leurs côtés, ne les aide pas à faire un métier dur.

O. Mazerolle : Vous ne croyez pas qu'il a raison quand il dit que l'éducation nationale est en état de délabrement pour ce qui concerne son organisation ?

M. Deschamps : Le délabrement, non, mais qu'il faille changer beaucoup de choses dans l'éducation nationale, c'est incontestable. Pas de délabrement, non. Pas de champs de ruines. C'est d'ailleurs parce qu'on a une école qui fonctionne plutôt bien dans l'ensemble qu'on peut l'améliorer sensiblement et notamment l'améliorer là où elle a le plus de difficultés.

O. Mazerolle : Mais vous contestez, par exemple, la mutation des professeurs au niveau régional. Vous croyez vraiment que l'on peut examiner les besoins de chaque classe à partir de Paris ?

M. Deschamps : On l'a fait pendant des décennies. C'est vrai pour les enseignants du second degré, ce n'est pas vrai pour les instituteurs qui sont déjà décentralisés.

O. Mazerolle : Justement, pourquoi on ne peut y passer pour le second degré !

M. Deschamps : On peut comparer les deux systèmes, chacun a ses avantages et puis ses inconvénients. Il y a une chose qui change dans le second degré, c'est que nous avons des disciplines. Nous sommes recrutés par discipline et cela rend plus difficile un mouvement qui ne tienne pas compte de là où sont les universités, là où sont les lieux de recrutement.

O. Mazerolle : Quand le ministre dit qu'il manque trop souvent des professeurs en classe parce qu'ils sont en formation ou parce que le système de mutation n'a pas permis d'examiner très précisément les besoins d'une classe, il semble bien que l'opinion publique lui donne raison. Un sondage Ipsos, publié par L'Express hier, montre que 74 % des Français sont pour la mutation régionale, 76 % des Français trouvent que les professeurs devraient être formés en dehors des heures de classe.

M. Deschamps : En dehors des heures de classe, on prépare la classe, les cours, on corrige les copies. Et puis, dans la formation continue, qui a toujours été prise pour partie sur le temps de non classe évidemment, dans ce temps de formation continue, qu'est-ce qu'il y a d'intéressant ? C'est la formation collective. C'est le fait que les profs se retrouvent, puissent débattre ensemble des difficultés du métier, puissent ensemble avoir les mêmes cours. Donc, il y a aussi une nécessité. Cela ne peut pas être en fonction des latitudes et des temps disponibles de chacun. Le temps de la formation continue dans un métier qui est très individuel, c'est le temps où on se retrouve, où on se regroupe. Quant à la question du mouvement, vous avez vu que la question n'était pas tout à fait celle-là. On demandait aux Français s'ils étaient pour la déconcentration de la carrière, mais elle est déjà déconcentrée pour l'essentiel. La notation, l'avancement, tout cela s’est déconcentré ! Il reste le mouvement et pour des raisons que je vous ai dites, qui sont des raisons techniques, difficiles mais solides, que l'on a étudiées, on est pour maintenir le mouvement au plan national.

O. Mazerolle : Dans Le Figaro, hier, le ministre disait qu'il y a des enseignants à la base qui sont formidables, qui n'ont qu'une envie, c'est innover, innover encore, qui recherchent, qui travaillent, qui prennent en compte les intérêts de leurs élèves mais il y a le syndicat ! Alors il ne cite pas votre nom mais on sait bien que c'est de vous qu'il parle.

M. Deschamps : Je ne sais pas de qui il parle tant qu'il ne le dit pas. Moi, je ne me reconnais pas...

O. Mazerolle : Le SNES. Il cite le SNES qui fait partie de votre fédération.

M. Deschamps : Tout à fait. C'est toujours mauvais quand un patron prétend vouloir faire le bonheur des salariés par-dessus la tête de leurs syndicats. Dans le passé, on s'est aperçu que cela n'a jamais mené à beaucoup de bien pour les salariés concernés. Le syndicalisme dans l'enseignement, il faut que le ministre s'y fasse. C'est un syndicalisme représentatif, un syndicalisme qui est très proche des personnels et très apprécié d'eux. Je ne crois pas cela nous mènera très loin. Moi, ce que je souhaite honnêtement, c'est qu'avec ce gouvernement, on trouve un terrain de dialogue. Je souhaite que l'on trouve, ensemble, la façon de faire évoluer l'école.

O. Mazerolle : Et sur quoi voudriez-vous discuter avec lui ?

M. Deschamps : De tout ce qui actuellement rend l'école un peu en panne.

O. Mazerolle : Par exemple ?

M. Deschamps : Notamment le fait que la réussite de tous, les prolongations de scolarité sont en train de se ralentir et pour un certain nombre de gosses, de s'arrêter. Il y a un vrai chantier prioritaire de lutte contre l'échec scolaire. Ce dossier-là, cela fait six mois que je demande...

O. Mazerolle : L'échec ne date pas de cette année et les syndicats sont interlocuteurs du ministre depuis des années et des années et puis, chaque année, on dit « ah, l'échec scolaire s'accentue, l'échec scolaire continue, cela va de plus en plus mal ! » Est-ce que vraiment, ce sont les bons interlocuteurs ?

M. Deschamps : Tout n'est pas de la faute de l'école, bien entendu, mais dans l'école, il y a des choses qui doivent bouger. Le ministre ne dialoguera pas avec 1,2 million d'enseignants et personnels de l'éducation. Je crois que le passage par les syndicats est utile. Mais pour moi, c'est une question secondaire. La question est : est-ce que l'on va véritablement trouver, avec la masse des enseignants et des personnels, le moyen de faire avancer l'école ? Il ne me semble pas qu'on le fera dans la confrontation, dans la guéguerre entre le ministre et les enseignants dont il a la charge. Ça, c'est une impasse.

O. Mazerolle : Si je vous demande quelle est la racine de l'échec scolaire, quel est le premier point que vous mettriez en avant ?

M. Deschamps : Je crois que notre école doit être moins collective. Elle doit être plus attentive à ce qu'est chaque élève comme individu, comme sujet. Je crois que l'on avait une école un peu de masse et maintenant, il faut que l'on retrouve le moyen que cette école pour tous, elle sache bien parler à chaque élève.

O. Mazerolle : Et cela passe par quelles mesures ?

M. Deschamps : Cela passe sûrement par une mutation culturelle ; cela passe par des moyens différents ; cela passe par des pratiques pédagogiques qui évoluent mais cela passe par ce regard aussi, que chaque enseignant doit pouvoir donner à chaque élève.

O. Mazerolle : Vous avez la sensation que les profs sont un peu comme un ilot au milieu de la société ?

M. Deschamps : En tout cas, le dialogue entre l'école et la société est essentiel.

O. Mazerolle : Justement, est-ce que, par ailleurs, les enseignants n'ont pas un rendu l'école un peu étrangère aux parents, au reste pays ?

O. Mazerolle : Ne vous laissez pas intoxiquer O. Mazerolle ! Les Français aiment beaucoup plus les enseignants que le ministre le croit. Ils savent que, jour après jour, au quotidien, les enseignants dans leur classe, avec une tapée d'élèves – 30, 35 souvent –, font le maximum pour les en sortir. On est un pays où, je crois, on peut compter sur le dévouement, l'engagement professionnel des enseignants. Ils peuvent être meilleurs. Ils peuvent être mieux formés. Ils peuvent aussi être aidés par leur ministre. C'est ce que je souhaite.