Interviews de M. Jean-Pierre Chevènement, président du Mouvement des citoyens, à Europe 1 le 25 avril 1997, à TF1 le 27, à RMC le 28, à RTL et dans "Sud-Ouest" le 29 avril 1997, sur la préparation des élections législatives, les relations du MDC avec le PCF et le PS, ses positions sur la monnaie unique et les critères de convergence pour le passage à l'Euro.

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Texte intégral

Date : Vendredi 25 avril 1997
Source : Europe 1 / Édition du matin

J.-P. Elkabbach : Chacun s’est précipité en campagne dans sa circonscription et vous aussi, J.-P. Chevènement. L’état d’esprit et les conversations locales reflètent-ils le sondage Ipsos-Le Point que nous venons d’analyser sur notre antenne ?

J.-P. Chevènement : Eh bien, je suis frappé par la force du rejet qui se manifeste vis-à-vis d’A. Juppé. Je crois que ça ne suffit pas. La victoire de la gauche, si victoire de la gauche il y a, ne doit pas être une victoire par défaut. Il lui faut montrer qu’une autre politique est possible, qu’on peut vraiment changer de politique.

J.-P. Elkabbach : Qui serait l’acteur ou le promoteur de cette autre politique, que la majorité elle-même peut infléchir, sans avoir besoin de vous ?

J.-P. Chevènement : Eh bien, voyez-vous, il faut resituer les choses stratégiquement. Je pense que, avant cette campagne, bien avant, la grande erreur de J. Chirac est de ne pas s’être appuyé sur la légitimité que lui donnait son élection à la présidence de la République en 1995, pour renégocier Maastricht et pour mener une autre politique, donnant la priorité à la croissance et à l’emploi. C’est l’erreur. Il aurait dû écouter P. Séguin. Il a commis une faute énorme : il a écouté M. Juppé et M. Trichet, il s’est aligné sur le Chancelier Kohl. On se rappelle comment J. Chirac, de retour de Bonn, a renversé l’ordre de ses priorités le 26 octobre 1995. Finies « la fracture sociale, la feuille de paye qui n’est pas ennemie de l’emploi ». La priorité était à la réduction des déficits. C’est cette erreur qu’il paye. Il l’a d’ailleurs dit : il veut ressourcer sa majorité, c’est-à-dire faire avaliser par le peuple français le reniement de ses promesses.

J.-P. Elkabbach : Il ne s’agit pas de lui pendant la campagne électorale législative, mais plutôt de la majorité, d’où sortira un Premier ministre et un nouveau gouvernement ?

J.-P. Chevènement : Mais permettez-moi de vous dire que s’il y a une majorité de gauche, ça va entrainer un sérieux rééquilibrage des institutions.

J.-P. Elkabbach : C’est-à-dire ?

J.-P. Chevènement : Vous le savez, le président de la République ne peut plus dissoudre pendant un an. C’est-à-dire que le pouvoir va se concentrer à Matignon. Et le futur Premier ministre aura la possibilité de mener une autre politique et de renégocier Maastricht. Car les Français comprennent bien maintenant, qu’on ne peut plus changer la politique en France si on ne modifie pas l’orientation de la politique européenne.

J.-P. Elkabbach : On y reviendra Il est plus facile pour vous d’attaquer directement le président de la République que le ferait celui qui, si la gauche gagnait, irait à Matignon et cohabiterait ?

J.-P. Chevènement : Il est clair que J. Chirac est l’homme qui a dissout l’Assemblée nationale. On ne peut quand même pas l’oublier. Donc, il n’est pas au-dessus de la mêlée. Cela dit, il n’a pas intérêt, pour lui-même, à s’engager tellement plus avant parce que son autorité en sortirait gravement diminuée. Et les Français, en même temps, aspirent à des institutions plus républicaines, moins monarchiques. Et ils ont l’occasion, démocratiquement, de changer les choses. C’est une occasion qui ne repassera pas. Le pouvoir demande carte blanche pendant cinq ans. On voit ce que ça signifie.

J.-P. Elkabbach : Comment jugez-vous, la tournure prise déjà par ce démarrage en trombe de la campagne et par le duel Jospin-Juppé ?

J.-P. Chevènement : Écoutez, il y a la volonté d’occulter les vrais problèmes. C’est d’ailleurs pour cela que le pouvoir a accéléré le processus. Il s’agit de dissimuler ce qui est l’enjeu essentiel, à savoir l’abandon du franc, de la monnaie nationale et donc de la liberté nationale.

J.-P. Elkabbach : Maastricht, c’est une obsession chez vous !

J.-P. Chevènement : Ce n’est pas une obsession, vous savez bien que c’est la réalité qu’on s’efforce de cacher par tous les moyens.

J.-P. Elkabbach : Mais alors au passage, ce n’est pas bon d’être un petit parti…

J.-P. Chevènement : Oui effectivement, je vois que, bien que nous soyons représentés au Parlement par cinq parlementaires, le CSA ne nous donne pas la possibilité de nous exprimer. Je tiens à protester, on ne peut pas renouveler la vie politique en France ! Et cette espèce de sclérose organisée du débat, fait évidemment le jeu du Front national.

J.-P. Elkabbach : Vous venez de vous accorder avec R. Hue, vous aurez des candidats communs avec le PC, des élus grâce à lui. Est-ce que, comme dit A. Juppé, vous ne vous trompez pas de siècle ?

J.-P. Chevènement : Ah non, je pense que le schéma est tout à fait différent. Le Mouvement des citoyens veut fournir un moteur à la gauche. Nous avons un accord portant sur un peu plus de 40 circonscriptions avec le PC. Nous avons aussi un accord avec le PS, notamment pour ce qui concerne les sortants. Mais ailleurs, un arrangement particulier, notamment dans deux circonscriptions, la Côte-d’Or et le Territoire de Belfort. Disons qu’il s’agit, pour nous, dans la foulée de la campagne sur le référendum concernant le passage à la monnaie unique, de montrer qu’on peut changer de politique, d’’opérer une pression sur le PS, qui bouge d’ailleurs. Le slogan du PS est bon, à savoir « Changer d’avenir ». L. Jospin a dit des choses assez fortes. Il a d’ailleurs précisé ses conditions vis-à-vis de la monnaie unique. Et je crois qu’il faut continuer parce que, en réalité, s’il n’y a pas de monnaie unique, si on ajourne l’euro, comme ce serait le bon sens, faudra relancer la construction européenne sur des bases nouvelles. Et puis surtout, donner une vigoureuse impulsion à la politique nationale.

J.-P. Elkabbach : En vous écoutant, on peut penser que, pour vous, la gauche peut gagner. Si la gauche l’emporte, est-ce que, dans le gouvernement, il faut qu’il y ait des ministres communistes ? Ou est-ce qu’il faut qu’ils n’entrent pas mais qu’ils soutiennent sans participer ?

J.-P. Chevènement : Ça, c’est un choix qui leur appartient. Disons que ça dépendra beaucoup du résultat, du rapport de forces, de la dynamique de la campagne, de ce qui se sera passé.

J.-P. Elkabbach : Mais qu’il y en ait dans le gouvernement, ça ne vous choque pas, ça vous semblerait naturel aujourd’hui ?

J.-P. Chevènement : Personne ne peut croire aujourd’hui que le PC prend ses ordres à Moscou.

J.-P. Elkabbach : Ça cafouille sur l’Europe, on y revient. Si la gauche l’emporte, l’Europe de Maastricht est fichue ?

J.-P. Chevènement : L’Europe telle qu’elle a été conçue, c’est-à-dire autour de la monnaie, priorité à l’argent, l’emploi considéré comme la cinquième roue du carrosse, ça effectivement, il faut tourner la page.

J.-P. Elkabbach : Mais enfin c’est extraordinaire, car c’est F. Mitterrand qui avait inventé même les 3 % de Maastricht ! Il n’y a pas plus fort que les socialistes dans certains cas, pour liquider l’héritage de Mitterrand !

J.-P. Chevènement : F. Mitterrand, avec tout l’attachement qu’on peut avoir eu pour lui, était un homme et pouvait se tromper. Et je pense que le choix des critères de convergence, le statut de banque centrale indépendante, qui donne tout le pouvoir monétaire à dix banquiers, cooptés, qui seront les clones de M. Tietmeyer – car M. Trichet qu’est-ce c’est d’autre qu’un clone de M. Tietmeyer ! C’est comme la brebis Dolly : prenez une cellule de Tietmeyer, vous faites chauffer, vous soufflez, vous avez Trichet !

J.-P. Elkabbach : Mais alors, comment faites-vous pour construire l’Europe ? Comment L. Jospin peut-il agir entre vous, R. Hue et J. Delors, l’un des pères fondateurs de l’Europe, qui le soutient ? C’est un peu contradictoire ça ? Comment on fait ?

J.-P. Chevènement : Non, c’est simple : J. Delors avait proposé une initiative européenne de croissance. Jamais, on n’a pu la financer, on n’a pas lancé d’emprunt communautaire. On peut changer la politique de change, la politique des taux d’intérêt et, naturellement, renégocier avec l’Allemagne le contenu des critères de Maastricht.

J.-P. Elkabbach : Renégocier

J.-P. Chevènement : Mais bien entendu, ça s’impose ! Il y a déjà eu des crises dans l’histoire de la construction européenne qui ont permis de repartir sur des bases nouvelles.

J.-P. Elkabbach : Vous publiez chez Arléa-Seuil : « Le bêtisier de Maastricht », vous le présentez. Il y a toutes sortes de propos sur Maastricht et la paix. C’est « plus de démocratie, Maastricht en chantant ». C’est vrai que c’est le recueil de toutes les perles et les sottises péremptoires, les promesses inconsidérées liées à Maastricht. Et vous restez, vous venez de le montrer encore, hostile à cette Europe de Maastricht. Et vous dites, en guise de conclusion : « Seuls les imbéciles ne changent jamais d’avis ». Vous nous surprenez ?

J.-P. Chevènement : Eh bien, écoutez, il faut se reporter aux propos que j’ai tenus pendant cette campagne. Moi je n’en retire aucun. Et il arrive que l’histoire montre qui avait raison et qui s’était fourvoyé.

J.-P. Elkabbach : Et c’est beaucoup de socialistes qui étaient cités dans le bêtisier de Maastricht…

J.-P. Chevènement : Forcément, dans la position où ils étaient. Mais « Seuls les imbéciles ne changent jamais d’avis », était en quelque sorte un acte de clémence à leur égard.

J.-P. Elkabbach : Et pas une autocritique ?

J.-P. Chevènement : Pour ce qui me concerne, voyez-vous, je pense avoir mis dans le mille et avoir dit clairement aux Français ce qui les attendait. C’est cela qu’on doit attendre des hommes politiques.

 

Date : Dimanche 27 avril 1997
Source : TF1

C. Chazal : Le Mouvement des citoyens a passé un accord avec le Parti socialiste...

J.-P. Chevènement : Et avec le Parti communiste, dans une cinquantaine de circonscriptions.

C. Chazal : Donc il y a à peu près 170 candidats...

J.-P. Chevènement : Il y en aura 200.

C. Chazal : Et avec un objectif de combien ?

J.-P. Chevènement : Eh bien nous augmenterons sensiblement notre représentation parlementaire. Nous avons quatre députés pour le moment, mais nous en aurons beaucoup plus, et notre but est d’être un moteur au cœur de la gauche pour la mettre à la hauteur des défis qui sont devant elle.

C. Chazal : On a entendu A. Juppé tout à l’heure. On a vu son programme : gel des dépenses publiques, réduction du nombre de fonctionnaires, baisse des impôts, votre réaction ?

J.-P. Chevènement : Ce n’est pas le vrai programme de Monsieur Juppé. Le vrai programme de Monsieur Juppé, son programme caché, c’est d’imposer le libéralisme en France et en Europe pour trente ans à travers le passage à l’euro...

C. Chazal : C’est ce qui se fait déjà dans des pays européens voisins.

J.-P. Chevènement : L’ultralibéralisme, on n’en voit que les prémices. Vous savez très bien que si la droite était reconduite, il n’y aurait plus d’élections nationales en France avant 2002, et ensuite ce serait trop tard, le piège se serait refermé : nous serions dans l’euro. Et par conséquent, le Parlement n’aurait plus de pouvoir, au risque d’être frappé par les très lourdes amendes : plus de 40 milliards pour la France prévu par le pacte de stabilité qui a été conclu par ce Gouvernement. Donc nous sommes en présence d’un véritable guet-apens. Donc on pousse les Français en espérant qu’il ne se rendront pas compte – à la faveur d’une campagne électorale très courte, avec beaucoup de ponts – de ce qui les attend. Ce qui les attend, c’est tous les pouvoirs transférés à des banquiers, à des technocrates, voire à des juges irresponsables, n’ayant aucun compte à rendre devant le suffrage universel.

C. Chazal : Mais si le parti socialiste arrive au pouvoir, est-ce que vous êtes sûr qu’il ne tombera pas lui aussi dans ce guet-apens ?

J.-P. Chevènement : Je suis convaincu que le Parti socialiste, sous l’impulsion de L. Jospin, et je dirais, sous l’impulsion du Mouvement des citoyens, est en train d’évoluer dans une direction positive. Il a mis les conditions du passage à l’euro, c’est-à-dire à l’abandon de la monnaie unique…

C. Chazal : Il n’a pas encore parlé d’abandon de l’euro.

J.-P. Chevènement : Non, mais il a mis des conditions. Par exemple, l’inclusion de l’Italie, que rejette la Commission européenne pour faire plaisir à l’Allemagne et au Chancelier Kohl. Il a également demandé un gouvernement économique, ce qui est contradictoire avec le texte du Traité de Maastricht. Et les observateurs savent très bien que ces conditions, elles étaient dans les textes d’orientation du congrès du Mouvement des citoyens. Donc il faut continuer dans cette voie-là, et je dirai que ‘la campagne que nous avons menée avec le Parti communiste depuis le début de l’année pour demander un référendum sur cette question centrale – parce que c’est la liberté de la France, c’est son avenir en tant que République, en tant que communauté de citoyen qui va se jouer –, eh bien cette campagne, d’ailleurs relayée et reprise par de nombreuses voix y compris dans l’actuelle majorité, tout cela met en effet le président de la République et son Gouvernement, le Gouvernement de Monsieur Juppé, sous pression. C’est la raison pour laquelle ils ont dissous. Ils ont dissous pour cause d’euro. Ils veulent, après avoir beaucoup parlé de la fracture sociale, faire payer la facture sociale, plutôt après les élections qu’avant. Donc ils ont avancé les élections.

C. Chazal : Si la gauche gagne, vous souhaitez qu’il y ait des ministres communistes ?

J.-P. Chevènement : Pourquoi pas ! Pour reprendre un mauvais jeu de mots : qui donc en France hésiterait à prendre Monsieur R. Hue en auto-stop ?

C. Chazal : Et on hésiterait à prendre Monsieur Chevènement comme ministre ?

J.-P. Chevènement : Écoutez, moi, je regarde, j’analyse ce que sont les rapports de forces, et surtout ce que l’on peut faire pour le bien de la France pour s’attaquer au problème du chômage en en prenant les moyens. J’observe que Monsieur Juppé dit des contrevérités. C’est bien la politique de Maastricht, c’est-à-dire la surévaluation de la monnaie, accrochée au mark, la monnaie la plus surévaluée du monde ; c’est bien Maastricht avec ses critères et la politique restrictive que cela implique sur le plan monétaire et budgétaire. C’est le libre échangisme qui conduit à cette situation désastreuse où il y a dix millions de chômeurs. Et au moment où je vous parle je peux vous dire que Monsieur L. Brittan est en train de conclure avec les Américains un accord qui, au nom de la France et de l’Europe, accepte les lois dites extra-territoriales par lesquelles les Américains prétendent punir les entreprises qui commerceront avec des pays avec lesquelles les États-Unis ont jeté un embargo unilatéral comme, par exemple, Cuba. Et cela, c’est absolument inadmissible. Eh bien voilà le système vers lequel nous allons. Nous sommes complètement abandonnés. Est-ce que les Français vont se reprendre. Il y a une période où le général de Gaulle avait dit les Français sont des ... hein ! Eh bien le 25 mai et le 1er juin, les Français ont l’occasion de démontrer le contraire, et ce sera un rééquilibrage positif de nos institutions.

 

Date : Lundi 28 avril 1997
Source : RMC / Édition du matin

 

P. Lapousterle : Vous avez été pris de court par la dissolution ?

J.-P. Chevènement : Je pense que tous ceux qui essayaient de convaincre les Français qu’il y avait un autre chemin ont, naturellement, à faire face à la décision du président de la République qui veut nous faire avaler à toute force son projet d’euro. Vous savez que nos impulsions mais aussi une dynamique de campagne, avec notamment le Parti communiste mais d’autres voix s’étaient élevées dans le même sens – M. Schumann, C. Pasqua et quelques autres – pour demander qu’il y ait un référendum sur l’abandon de la monnaie nationale, que le peuple français puisse se prononcer sur une décision d’une telle importance. Naturellement, Le Président Chirac a brusqué les choses, a anticipé les élections qui ont un caractère référendaire parce qu’après, ne l’oubliez jamais, il n’y aura plus de vote en France, plus de vote national.

P. Lapousterle : Pendant cinq ans.

J.-P. Chevènement : Pendant cinq ans, avant 2002 et après 2002 il sera trop tard. Le franc n’aura plus cours, nous serons dans un autre système, nous aurons perdu notre identité, notre Parlement n’aura plus de pouvoir, nous serons un « Land ». C’est-à-dire que c’est un véritable guet-apens, c’est un piège – on peut le dire – qui se referme.

P. Lapousterle : Bien joué de la part du Président ?

J.-P. Chevènement : Bien joué si, effectivement, M. Juppé obtient la reconduction de sa majorité. Mais nous pensons que les Français sont assez mûrs, nous croyons que les Français sont assez intelligents – c’est pour cela que nous nous appelons Le Mouvement des citoyens – pour comprendre le piège dans lequel on veut les entraîner.

P. Lapousterle : Cela ne vous décourage pas de voir que tous les sondages sans exception donnent la majorité à la majorité ?

J.-P. Chevènement : Nous sommes au début d’une campagne. Le propre des sondages est de refléter l’opinion avant tout débat. Effectivement, ce que veut le pouvoir, c’est empêcher le débat sur le fond, sur l’euro. Il a choisi de faire campagne pendant le mois de mai où il y a beaucoup de ponts, tout se fait à la télévision, en fonction de règles de partage du temps profondément inégalitaires, on essaye de dissimuler l’essentiel à travers des débats biaisés : faut-il débattre à deux ? à quatre ? Partons des problèmes : l’euro, l’immigration pourquoi pas, le service public, partons de ce qui intéresse vraiment les Français, le chômage pour commencer.

P. Lapousterle : Vous avez été convaincu lorsqu’A. Juppé a dit, hier, qu’il n’était pas candidat à sa succession et donc qu’il était imaginable...

J.-P. Chevènement : Blabla que tout cela. Depuis quand un Premier ministre serait-il candidat ? Non, le Premier ministre fera ce que le président de la République lui a déjà demandé de faire. Ce sont des artifices de langage, ce sont les faux débats dans lesquels on essaye de nous enfermer.

P. Lapousterle : Et les quarante jours qu’il promet, les quarante jours qui vont changer la France ?

J.-P. Chevènement : Blabla, là encore. Que pourrait-il faire en quarante jours qu’il n’a pas pu faire en 600 jours ? On voit bien ce qu’a signifié le gouvernement de M. Juppé : d’emblée, c’est 120 milliards d’impôts supplémentaires, c’est la croissance en panne, c’est le déficit de la Sécurité sociale avec le plan Juppé qui n’empêche pas que, cette année, c’est encore 50 milliards de déficit pour le Sécurité sociale.

P. Lapousterle : Pourquoi pensez-vous, avec tout ce que vous dites, que les Français connaissent, il y encore 38 % d’indécis en France pour le prochain scrutin des législatives, d’après le sondage bien sûr, et que, finalement, la gauche n’inspire pas encore confiance ?

J.-P. Chevènement : Parce qu’il y a un tel matraquage, un tel décervelage.

P. Lapousterle : Oh !

J.-P. Chevènement : Mais qui ose dire, à part une ou deux voix très isolées, que c’est la récession qui creuse le déficit et pas l’inverse ? Qui ose dire que la force d’une monnaie dépend de la force de l’économie et pas l’inverse ?

P. Lapousterle : Pasqua.

J.-P. Chevènement : Eh bien, par exemple. Parce qu’il est totalement isolé dans la majorité et son discours aurait quelque pertinence s’il n’appelait pas à voter pour les candidats de M. Juppé. Je crois qu’aujourd’hui, c’est avec la gauche qu’on peut empêcher le pire, changer les choses, remettre les priorités à leur place, faire que l’emploi soit la priorité qui s’impose à toute notre politique. Quand je dis la gauche, ce n’est pas seulement les socialistes et les communistes, comme dit M. Juppé, il y a aussi une gauche républicaine, c’est le Mouvement des citoyens qui a présenté ses 200 candidats dans la plupart des départements.

P. Lapousterle : 171.

J.-P. Chevènement : 171, hier, mais nous en présenterons encore quelques-uns dans les prochains jours parce qu’il y avait, comme toujours, des décisions à finaliser.

P. Lapousterle : Est-ce que, comme allié de la gauche et comme le Parti communiste, vous demandez aussi des ministres au gouvernement si, par hypothèse, la gauche l’emportait ?

J.-P. Chevènement : Si la gauche l’emporte, nous verrons, à ce moment-là, ce qu’il y a lieu de faire. Nous ne sommes pas des candidats au pouvoir pour le pouvoir. Si cela avait été le cas, cela se serait vu. Nous sommes candidats à l’exercice de responsabilités pour changer la vie du peuple français.

P. Lapousterle : Est-ce que vous pensez, les yeux dans les yeux, que la gauche est en mesure de l’emporter aux législatives et de gouverner ensuite ?

J.-P. Chevènement : Oui.

P. Lapousterle : Divisée comme elle l’est ?

J.-P. Chevènement : La gauche n’est pas divisée. En tout cas, elle est moins divisée que la droite : entre M. Pasqua et M. Juppé, entre M. Léotard et M. Mazeaud. Je crois que la gauche s’est mise en marche et qu’il y a une dynamique à laquelle vous devriez être sensible. Largement sous impulsion du Mouvement des citoyens, le Parti socialiste a commencé à poser ses conditions à la monnaie unique : l’Italie par exemple, que la Commission européenne ne veut pas voir dans la monnaie unique, ce qui est un pur scandale, une imbécillité en même temps du point de vue des intérêts de la France.

P. Lapousterle : Si elle ne remplit pas les critères ?

J.-P. Chevènement : Mais aucun pays, même l’Allemagne, même la France. Là encore, nous sommes en pleine intoxication. La Commission européenne y participe. J’entends dire que le Chancelier Kohl pourrait venir en France se mêler de la campagne électorale. Je conseille, vivement, au Chancelier Kohl, dans l’intérêt de l’amitié franco-allemande, de ne pas participer à cette campagne électorale, de ne pas dévoyer l’amitié franco-allemande pour des considérations de nature politicienne. Tous les arguments que donne par exemple le président Chirac – l’euro, c’est la paix – tout cela c’est de la blague. C’est une honte. On prend des Français pour des imbéciles.

P. Lapousterle : L’Europe, cela a été la paix depuis 50 ans.

J.-P. Chevènement : Permettez-moi de vous dire que l’euro...

P. Lapousterle : Le Président a dit : L’Europe, c’est la paix.

J.-P. Chevènement : Moi, je suis partisan, comme beaucoup d’autres, de la solidarité des nations européennes, cela va de soi. Tous les Français sont pour resserrer les relations entre les peuples européens. Mais l’euro, la monnaie unique ! Dites-moi : le dollar, est-ce que cela a empêché la guerre de sécession, aux États-Unis ? Et la Yougoslavie, elle n’avait pas une monnaie unique ? Et l’URSS n’avait pas le rouble ? Qu’est-ce que cela empêche ? Alors, que l’on cesse de prendre les Français pour des simples d’esprit.

P. Lapousterle : Est-ce que, puisque vous vous êtes défini comme un petit moteur le week-end dernier...

J.-P. Chevènement : Un petit moteur dans l’espace, ce qui veut dire un moteur très puissant.

P. Lapousterle : Est-ce qu’un petit moteur peut faire bouger les cathédrales, les mammouths ?

J.-P. Chevènement : Dans l’espace, oui, parce que c’est le vide. Et la vie politique ressemble beaucoup à l’espace intersidéral. C’est le vide.

P. Lapousterle : Pourquoi continuez-vous à faire de la politique alors ?

J.-P. Chevènement : Parce que je crois à la force des idées et que, même avec des forces encore modestes bien que se développant rapidement, le Mouvement des citoyens a la capacité d’impulser des dynamiques nouvelles. Il n’apporte pas seulement un supplément, un capital moral qui est lié à son histoire, aux prises de position de ses militants et de ses responsables, il apporte aussi un logiciel. Vous savez bien par exemple que, pour un gouvernement économique de l’Europe, il faudrait changer le texte du traité de Maastricht qui donne à la Banque centrale européenne indépendante le moyen de s’opposer à toute espèce de directive venant de quelque instance procédant du suffrage universel que ce soit. Dans cette hypothèse-là, nous allons présenter une politique alternative, montrer qu’il y a un chemin, que l’on peut faire reculer le chômage avec une politique monétaire et économique appropriée. Ce sera l’objet d’une rencontre nationale pour une autre politique organisée par le Mouvement des citoyens le 5 mai prochain, lundi prochain. Je vous donne un rendez-vous par avance.

 

Date : Mardi 29 avril 1997
Source : RTL / Édition du soir

J.-M. Lefèbvre : Vous regrettiez, il y a quelques jours, que la campagne ne soit pas nourrie d’un débat de fond. Avez-vous changé d’avis ?

J.-P. Chevènement : Écoutez, je crois que le vrai débat est en réalité le débat sur l’euro. Ce que nous propose Messieurs Juppé et Léotard, c’est un rideau de fumée. Qu’est-ce qu’A. Juppé peut faire en quarante jours qu’il n’a pas déjà fait en 700 jours ? Je crois que le vrai programme d’A. Juppé, c’est d’imposer, à tripiers l’euro, l’ultralibéralisme pour trente ans à la France et à l’Europe. Il faut que les Français comprennent ce que sera le calendrier. Jusqu’en 2002, il n’y aura plus d’élections nationales – ni présidentielle, ni législatives – et 2002 il sera trop tard. Le piège se sera refermé.

J.-M. Lefèbvre : Comment qualifieriez-vous la position de L. Jospin sur la monnaie unique ? Le premier secrétaire du PS a évolué, non ?

J.-P. Chevènement : Il a évolué incontestablement.

J.-M. Lefèbvre : Mais, il y reste favorable, lui.

J.-P. Chevènement : Il reste favorable sur le principe, mais il a mis des conditions comme la non-exclusion de l’Italie, ou bien un gouvernement économique face à la Banque centrale indépendante de Francfort – ce qui n’est tout à fait conforme au texte du Traité – ou bien encore une parité réaliste avec le dollar. Disons que pour aller au bout de cette logique, si l’Allemagne de Monsieur Kohl refuse ces conditions, alors il faut être capable de bâtir une politique alternative, relancer l’Europe sur d’autres bases, développer un projet qui mette l’emploi au premier rang des priorités. C’est ce que le Mouvement des citoyens propose. Nous avons d’ailleurs rencontré aussi bien le PC que le PS, et organisé pour lundi prochain, des rencontres nationales pour une autre politique, pour montrer qu’il y a un autre chemin.

J.-M. Lefèbvre : Quand J. Delors dit que L. Jospin est dans le droit fil de la politique européenne mise en œuvre par F. Mitterrand, qu’en pensez-vous ?

J.-P. Chevènement : Écoutez, je crois que ce n’est pas tout à fait exact, parce que le gouvernement économique n’était pas dans la tête du Traité de Maastricht. Par conséquent, L. Jospin a pris ses distances. Il n’a jamais été un farouche partisan de Maastricht. Donc, il faut bien voir qu’il y a une dynamique qui est engagée, une dynamique que nous voulons voir se développer. Le Mouvement des citoyens se veut être un moteur de la gauche et nous avons d’autres propositions à faire de façon à mettre la gauche à la hauteur des responsabilités qui seront les siennes. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’en 2002 la France aura perdu sa monnaie nationale. Le franc aura disparu ! Cela veut dire que nous serons dans une zone mark élargie. Nous serons l’équivalent d’un « land ! »

J.-M. Lefèbvre : Vous êtes quand d même plus proche du non et du refus de la monnaie unique des communistes, que des socialistes dont vous craignez la mollesse.

J.-P. Chevènement : Nous avons des accords de réciprocité avec le Parti communiste de façon à peser à l’intérieur de la gauche. Parce que ce que sera le programme du gouvernement ! au-delà des orientations qui vont être rendues publiques, il sera naturellement élaboré au mois de juin – s’il y a une majorité de gauche. Il sera élaboré sur la base aussi du résultat qui sera sorti des urnes. Il faut donc voter pour la gauche républicaine qu’incarne au premier chef le Mouvement des citoyens ou aussi pour le Parti communiste. Effectivement, d’une certaine manière il convient de s’arracher au carcan des critères de convergence de Maastricht si on veut mettre en œuvre une autre politique. On ne peut pas changer de politique en France si on ne change pas l’orientation de la politique européenne.

J.-M. Lefèbvre : La déclaration commune qui vient d’être adoptée par L. Jospin et R. Hue, est-ce pour vous le plus petit dénominateur commun entre les deux formations ?

J.-P. Chevènement : Je pense que ce sont des orientations positives. Ce n’est pas un programme. Comme je vous l’ai dit, la gauche bouge – et vite d’ailleurs – à toute allure. Elle doit bouger encore. Il faut, pour cela, un logiciel pour la réussite. Nous avons quelques semaines pour aborder positivement la suite. Il faut que les Françaises et les Français – et je m’adresse d’ailleurs au-delà de la gauche à tous les républicains – ceux qui à un moment donné ont été séduits par le discours de P. Seguin, il faut bien se rendre compte que le seul moyen de mettre un grain de sable dans la mécanique infernale qui va happer la liberté de la France, c’est de voter pour les candidats républicains comme ceux du Mouvement des citoyens ; c’est de faire réussir la gauche. Avec J. Chirac et A. Juppé, on est maintenant dans l’ultra-européisme ! Ce qui est programmé c’est une société toujours plus inégalitaire et avec toujours plus de chômage, à l’américaine, sans Sécurité sociale.

J.-M. Lefèbvre : Avec vous, on sera dans l’ultra-solitude alors ?

J.-P. Chevènement : Pas du tout. Nous allons inventer une réponse républicaine, mobiliser les atouts de la France, investir sur l’intelligence, l’information, maintenir la cohésion sociale, avoir une politique qui nous permette de relever ? en coopération avec les autres nations d’Europe ? les défis du temps présent. Notre politique, cela ne peut pas être celle de la terre brûlée sociale, de l’alignement au nom de la mondialisation, sur la condition des travailleurs coréens – qui d’ailleurs ne veulent plus de traitement qu’on leur fait subir. C’est le vieux combat républicain qui se poursuit. Et je dirais que pour les Français, il faut qu’ils soient conscients que ce qui est devant eux est un choix absolument décisif. C’est une occasion qui ne repassera pas ! S’ils ratent l’échéance des 25 mai et 1er juin, ils n’auront plus la possibilité d’exprimer démocratiquement un désir de changement. Après ce sera trop tard.

J.-M. Lefèbvre : Est-ce qu’il faut remplacer ou faire évoluer l’ENA ?

J.-P. Chevènement : J’ai toujours été partisan de faire un centre des hautes études administratives après dix ans de fonction publique. Cela aurait été une bonne manière de concilier différentes exigences de service public, de démocratisation, de formation, d’ouverture sur la recherche. Je pense que l’ENA est une école qui est pour les bêtes à concours ! C’est un système dont on voit le produit. Il ne suffit pas d’interdire le clonage, peut-être qu’il faudrait réformer l’ENA sérieusement.

 

Date : Mardi 29 avril 1997
Source : Sud-Ouest

Sud-Ouest : Fixé avant l’annonce de la dissolution, le thème de ce banquet portait sur l’Europe de demain. À vos yeux, il est plus que jamais d’actualité ?

J.-P. Chevènement : Oui, car cette dissolution pour cause d’euro, c’est la réponse que le président de la République a apportée dans la précipitation à notre demande d’un référendum sur le passage à la monnaie unique, mais dont on sait qu’elle débouchera sur une zone mark élargie. L’Italie et la Grèce s’attendent à être exclues, mais que serait l’Europe sans l’héritage de la civilisation gréco-latine ?

En tous cas, on raconte des mensonges à nos agriculteurs et nos industriels en leur disant que la monnaie unique les mettra à l’abri de la concurrence, alors que de nouvelles dévaluations interviendront chez nos voisins qui n’auront pas été « acceptés ».

Au nom de cet euro, M. Chirac veut installer la France dans un système ultralibéral dont on ne pourra sortir avant une génération. Les élections à venir sont donc un choix majeur, un choix de société. Si nous entrons dans la mécanique de M. Chirac, le France ne connaîtra plus d’élection nationale avant 2002. Il sera alors trop tard, le piège sera refermé. La monnaie nationale aura disparu et le Parlement ne pourra plus rien décider. La France sera devenue un land.

Sud-Ouest : Au sujet de l’Europe, le fossé s’est-il résorbé entre le Mouvement des citoyens et le Parti socialiste ?

J.-P. Chevènement : Il est certain qu’il existe un risque de mollesse au sein du PS, puisque certains de ses dirigeants ont encore de la peine à remettre leur montre à l’heure.

Je ne vise pas Lionel Jospin : il a su prendre ses distances sur les conditions que l’Allemagne veut imposer.

On ne peut lui retirer d’avoir eu une certaine constance dans sa réserve sur Maastricht. Il a alors posé des conditions. Ces conditions, je le signale, étaient dans notre programme de Saint-Nazaire, et ont été reprises par le PS…

Sud-Ouest : Le Mouvement des citoyens a semblé privilégier un accord avec le Parti communiste. Qu’en sera-t-il avec le PS ?

J.-P. Chevènement : Avec le Parti communiste, il existe une convergence forte sur la monnaie unique. Sur le fond, nous continuons à mener des négociations avec le PC. Mais quelle que soit l’issue des élections, l’idée de référendum doit être soutenue.

Pour le reste, je rappelle que des accords ont été conclus avec le PS pour ne pas présenter des candidats contre les sortants. Maintenant, à nous d’être vigilants pour que toute la gauche soit à la hauteur de l’événement. La gauche de peut se permettre de décevoir.