Interviews de M. Charles Millon, ministre de la défense et membre du bureau politique de l'UDF, et de M. Jean-Pierre Chevènement, président du Mouvement des citoyens, dans "Le Parisien" du 23 avril 1997, sur la dissolution de l'Assemblée nationale, les enjeux des élections législatives, et sur les relations au sein de la gauche notamment entre le MDC et le PS.

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Circonstance : Annonce de la dissolution de l'Assemblée nationale le 21 avril 1997

Média : Le Parisien

Texte intégral

Le Parisien : Pour certains, Jacques Chirac n’a pas eu d’argument décisif pour justifier la dissolution…

Charles Millon (UDF), ministre de la Défense : Je comprends que le caractère novateur de cette dissolution, comparée aux précédentes, ait pu surprendre un certain nombre de Français. Je suis pourtant convaincu que, en démocratie, la décision de revenir devant le peuple se justifie par elle-même, surtout quand il s’agit de faire franchir au pays un nouveau cap national et européen.

Le Parisien : Le président ne vient-il pas de tenter un quitte ou double puisque, en cas de succès de la gauche, il serait privé pendant un an de l’arme de la dissolution ?

Charles Millon : C’est un comportement gaullien qui consiste à retremper la majorité présidentielle dans le bain du suffrage universel, et à proposer un nouveau contrat de confiance. Cette dissolution est un acte politique, au sens noble du terme.

Le Parisien : Certains électeurs ne vont-ils pas profiter de ce vote pour sanctionner le gouvernement ?

Charles Millon : En démocratie, demander son avis au peuple comporte toujours un danger. Mais c’est justement cette prise de risque qui souligne la sincérité et le courage de la démarche de Jacques Chirac. Notre pays a besoin d’un nouvel élan. Le temps est compté. Il faut aller plus loin dans les réformes pour libérer les énergies, construire, investir, créer. Les Français confirmeront qu’ils veulent accélérer la réduction des déficits publics, la réorganisation de la Sécurité sociale, la revitalisation de marché du travail. Ils diront qu’ils refusent l’immobilisme et l’archaïsme de la gauche. Les enjeux nationaux et européens nous imposent d’être diligents…

Le Parisien : Vous qui êtes un fervent européen, que répondez-vous aux électeurs, notamment à droite, qui trouvent que la France fait trop de sacrifices sur l’autel de l’Europe ?

Charles Millon : Remettre en ordre la « maison France » est avant tout, une priorité nationale. Se libérer de nos handicaps, de nos conservatismes, s’affranchir de nos déficits sont des exigences qui s’imposent à nous, euro ou pas, Europe ou pas. Face à la concurrence internationale, la France a besoin du multiplicateur de croissance qu’est l’euro, et de ce multiplicateur de volonté qu’est l’Europe politique.

Le Parisien : Ne craignez-vous pas que la perspective d’un infléchissement libéral fasse peur à ceux pour qui le libéralisme = licenciements ?

Charles Millon : Arrêtons d’agiter le chiffon rouge de l’ultralibéralisme et du capitalisme débridé : il n’existe que dans les cerveaux atones de MM. Jospin et Hue ! Le projet de la majorité n’a rien à voir avec cette mixture inventée par l’opposition pour faire peur aux électeurs et pour tenter de leur faire oublier l’inconsistance, ou plutôt l’inexistence, de son programme de gouvernement ! Il n’est pas question de mettre en œuvre je ne sais quelle dérégulation sauvage de l’économie débouchant sur la précarité de l’emploi. Ce qui est en jeu, aujourd’hui, c’est la capacité de la France à avoir demain les moyens de maîtriser son avenir dans une Europe plus solidaire et plus forte.

Le Parisien : Que répondez-vous à la gauche qui, déjà, demande aux électeurs : « voulez-vous cinq ans de plus de Juppé ? »

Charles Millon : Que reproche-t-on à Alain Juppé ? Son courage et sa détermination ?

 

Chevènement : « La gauche peut gagner »

Le Parisien : La gauche peut-elle gagner les élections législatives ?

Jean-Pierre Chevènement : La gauche peut gagner parce que la force du rejet est grande. Il est clair que le gouvernement cherche à forcer le passage et à imposer la fusion du franc et du mark, au prix d’une austérité renforcée, afin de rester dans « les clous de Maastricht ». Les rentrées fiscales ne sont pas au rendez-vous. Le déficit 1997 va s’accroissant, le trou de la Sécurité sociale va atteindre 50 milliards. Le pouvoir a donc choisi la fuite en avant : il préfère risquer sa chance maintenant plutôt que de perdre en mars 1998. Il demande carte blanche.

Le Parisien : Jugez-vous, comme Robert Hue, que l’évolution de Lionel Jospin sur l’Europe est positive ?

Jean-Pierre Chevènement : J’ai trouvé qu’il y avait chez lui un ton un peu plus résolu que celui auquel nous sommes habitués, campagne électorale oblige sans doute.

Le Parisien : Ça veut dire que vous n’y croyez pas tellement sur le fond ?

Jean-Pierre Chevènement : Lionel Jospin est un homme que je connais depuis longtemps, dans lequel, personnellement, j’ai confiance. Mais je sais ce que les adhérences historiques du PS. Il n’y a pas aujourd’hui de politique alternatives clairement dessinée.

Le Parisien : Quel jugement portez-vous sur l’entrée en campagne de Lionel Jospin ?

Jean-Pierre Chevènement : Il aspire à se positionner comme rassembleur potentiel. Ce me paraît normal. Mais il faut qu’il tienne compte de la pluralité de la gauche. Le Mouvement de citoyens (MDC) et le PC représentent des sensibilités bien réelles dans le pays. On ne peut créer une dynamique que si l’on dessine nettement les contours d’une autre politique que celle qui a créé cinq millions de chômeurs.

Le Parisien : N’est-il pas trop tard ?

Jean-Pierre Chevènement : Non la gauche peut et doit donner des signes forts de sa capacité à relever le défi d’une autre politique. Je ne crois pas que chaque ministre puisse avoir sa conception du gouvernement. C’est avant, à travers un contrat de législature ou de gouvernement, qu’on peut définir des axes essentiels. Un gouvernement, une fois qu’il est constitué, doit être cohérent.

Le Parisien : Vos avez conclu un accord électoral avec le PC mais pas avec le PS. La situation est-elle encore ouverte ?

Jean-Pierre Chevènement : Bien entendu. Le MDC est ouvert à toute discussion avec le PS. Nous souhaitons la victoire de la gauche, à condition qu’elle ouvre un changement véritable. Le MDC fera des propositions pour mettre la gauche à la hauteur de ses responsabilités. Il représente un capital moral. Quand on veut faire du pain, il faut de la farine, de l’eau, de la chaleur mais aussi du levain, et du sel.

Le Parisien : Pensez-vous, en dernier lieu, que le choix de la dissolution peut créer des fractures au sein de la majorité ?

Jean-Pierre Chevènement : Il est évident que Jacques Chirac a arbitré, encore une fois en faveur d’Alain Juppé, à mon sens d’ailleurs à son détriment. A la place des séguinistes, moi, je ne serais pas heureux. La « pensée unique » l’a emporté de manière définitive au sein de l’actuelle majorité. Es espoirs qu’avait pu nourrir un moment Philippe Seguin, quand il inspirait, pendant la présidentielle, le discours de Jacques Chirac, se sont évanouis.

Le Parisien : Que peut faire Philippe Seguin ?

Jean-Pierre Chevènement : En tire les conclusions. Même sus la Ve République, la parole est libre.