Texte intégral
Lutte ouvrière, 13 août 1999
La pilule Jospin-Aubry
Un médicament qui a fait preuve de son efficacité
Décidément, le gouvernement est le digne successeur de celui de Juppé, puisque toutes les mesures que prévoit Martine Aubry, sous prétexte de lutter contre le déficit de la Sécurité sociale, vont dans le même sens que celles que voulait mettre en place le gouvernement précédent.
Il y a déjà un certain temps qu’en province on supprime des services d’urgences ou des maternités, ou qu’on ferme des hôpitaux entiers, en affirmant hypocritement que c’est pour faire profiter les malades de soins de meilleure qualité, dans des établissements mieux équipés et dotés d’un personnel plus compétent. Mais à quoi sert un meilleur équipement, ou un personnel théoriquement plus compétent quand, par suite des temps de transport, des mauvaises conditions de circulation, le patient arrive trop tard à l’hôpital ? En réalité, la seule solution acceptable, la seule qui serait véritablement un progrès, ce serait l’existence d’hôpitaux de proximité bien équipés, où il y aurait un personnel compétent. Mais Martine Aubry a beau affirmé qu’il s’agit de mettre à la disposition de la population un système plus performant, elle se moque bien de l’intérêt de la population. Les seuls dont elle se soucie vraiment, ce sont les détenteurs de capitaux (et pas seulement des médecins, mais aussi de grandes sociétés) qui ont investi dans l’hospitalisation privée, et notamment dans les cliniques chirurgicales. La nouvelle organisation de la carte sanitaire leur fait en effet la partie belle, selon la vieille règle qu’ont observée tous les gouvernements : donnons le rentable au privé et laissons le déficitaire au public.
L’annonce des modifications concernant le remboursement d’un certain nombre de spécialités pharmaceutiques va de la même manière aboutir à faire supporter de manière bien tangible aux seuls assurés sociaux des mesures qui ne changeront sans doute pas grand-chose au « trou » de la Sécurité sociale. Il s’agit, nous dit-on, des médicaments qui n’auraient pas « prouvé leur efficacité ». Mais s’ils sont rigoureusement inactifs, pourquoi le ministère de la santé leur a-t-il accordé une « autorisation de mise sur le marché » qu’il n’envisage même pas de leur retirer ? Et, s’ils ont une activité si faible, si limitée soit-elle, pourquoi les assurés sociaux ne pourraient-ils pas y recourir ?
Car ce ne sont pas les industriels de l’industrie pharmaceutique qui souffriront de ces mesures : ceux-là, depuis des années que l’on essaie de nous faire croire que nous consommons trop de médicaments, ont développé tout un secteur de produits non remboursés, d’autant plus rentable qu’il s’agit généralement de molécules amorties depuis longtemps, et ils peuvent en outre vendre ces produits aussi chers qu’ils le souhaitent, dans la mesure justement où ils ne sont plus remboursés. Ceux qui pâtiront de telles mesures, ce seront une fois de plus les malades, habitués à un produit qui les soulageaient, et qu’ils devront payer entièrement de leur poche, et encore plus cher.
La meilleure preuve que les intérêts des industriels préoccupent bien plus Martine Aubry que ceux des assurés sociaux, c’est qu’il y a une catégorie de produits qui n’ont jamais fait la preuve scientifique de leur efficacité, et qui n’a pas été cité parmi les familles de médicaments dont on devrait modifier le remboursement : il s’agit des produits homéopathiques, fabriqués par de gros industriels français à qui le gouvernement ne souhaite visiblement pas faire de peine !
En réalité, le déficit de la Sécurité sociale n’est pas dû en premier lieu à l’augmentation des dépenses de santé (et il est normal que, le progrès aidant, on se soigne plus et mieux aujourd’hui qu’il y a cinquante ans). Ce déficit est d’abord dû à l’amenuisement des rentrées de la Sécurité sociale, parce qu’il y a dans le pays des millions de chômeurs et d’emplois payés en-dessous du SMIC, et parce que les salaires de ceux qui ont un « vrai » emploi sont bloqués de fait depuis des années. Mais ce n’est manifestement pas sur le gouvernement Jospin qu’il faut compter pour s’attaquer aux véritables causes du mal.
Lutte ouvrière, 20 août 1999
Guerre des banques, Daewoo, etc.
Il faut mettre un terme à la folle course aux profits capitalistes
La guerre continue : mieux, le suspense est maintenu une semaine encore. En effet, la commission qui doit rendre son verdict sur l’issue de la bataille entre la BNP et la Société générale a décidé d’en différer l’annonce d’une semaine. On pourrait s’amuser de cette querelle de chiffonniers que se livrent des PDG, par ailleurs bien mis dans leurs costumes trois pièces, propres sur eux. Car cette guerre-là, contrairement à d’autres, semble ne pas laisser de victimes sur le terrain. Mais ça n’est qu’une apparence. Car des victimes, il y en a et il y en aura. A commencer par celles et ceux qui vont perdre leur emploi dans les mois et les années qui viennent, et tous ceux, les plus jeunes, qui n’en trouveront pas, du fait de tous les emplois que ces fusions inamicales ou amicales vont supprimer.
On nous dit pourtant que ces opérations se feront pour le bien de tous, ou sinon de tous, du moins pour le bien des Français et de la France. On laisse même entendre que ce serait pour ces raisons que Jospin et Strauss-Kahn pèseraient pour que se réalise un grand pôle bancaire français capable, nous dit-on, de rivaliser avec les grandes banques mondiales. Mais, outre le fait que près de la moitié des capitaux de la BNP, de Paribas et de la Société générale, qu’elles fassent ménage à deux ou à trois, est constituée de capitaux « étrangers », en quoi cette nouvelle grande banque « française » améliorerait le sort de la population laborieuse ? En rien. Tout simplement parce que ces monstres de la finance ne sont pas au service de la population, mais au service des riches, des capitalistes. Ils l’étaient déjà lorsqu’ils étaient en concurrence, et ils le seront encore plus lorsqu’ils se regrouperont. Tout au plus, les opérations financières, les opérations spéculatives, les tractations souterraines et aventureuses — mais c’est la nature même de la spéculation que de l’être —, telles celles qui ont abouti au gouffre du Crédit lyonnais, se feront à une plus grande échelle, avec les mêmes effets et les mêmes conséquences, plus tragiques encore pour la collectivité.
L’actualité récente nous fournit l’illustration du parasitisme de ce monde où les intérêts de la finance et de l’industrie s’entremêlent, avec la généreuse bénédiction des Etats. On vient d’annoncer que Daewoo, l’un des conglomérats industrialo-financiers coréens, menacé par la faillite, allait revendre une partie des usines qu’il possède dans le monde. Cela concerne entre autres celles qu’il a installées en Lorraine et qui emploient 1 700 salariés. Il y a quelques temps encore, on vantait la réussite de ces conglomérats coréens géants qui, à l’image d’autres « réussites » du même ordre dans le Sud-Est asiatique, symbolisaient, selon les propagandistes de l’économie de marché, l’avenir radieux et le bonheur de tous. On a vu depuis ce qu’il en était. Les mêmes nous disent aujourd’hui que ces prétendus faiseurs de miracles n’étaient que de sordides chasseurs de primes. Comme si ceux qui écrivent cela aujourd’hui ne le savaient pas ! Eh oui, les usines que Daewoo possède de par le monde, y compris en Lorraine, lui ont été offertes par les gouvernements avec l’argent des contribuables. Rappelons-nous, il y a trois ans, Juppé, le Premier ministre de l’époque, s’apprêtait à céder le branche multimédia du groupe Thomson à Daewoo, en prétendant qu’elle ne valait pas plus que le franc symbolique proposé. Pour construire les usines de Lorraine que Daewoo s’apprête à revendre aujourd’hui, quitte à mettre à la rue les 1 700 salariés qui y sont exploités, le trust a bénéficié de détaxes ou de subventions, à hauteur au bas mot de 213 millions de francs, sans compter sans doute des prêts bancaires et autres cadeaux qu’on ne connaît pas. Car tout cela se fait dans le plus grand secret, à l’abri des regards de la population, mais avec son argent.
Non, cette guerre, que se livrent les financiers de haut vol, les capitalistes, n’est pas une guerre d’opérette, qui ne ferait pas de victimes. Elle se fait sur le dos de la population, et nullement pour améliorer son sort. Elle contribue à faire de l’économie une vraie poudrière qui, à chaque instant, risque d’exploser en crises qui laisseront des millions d’hommes et de femmes sur le carreau, comme c’est déjà le cas dans les pays du Sud-Est asiatique, ou en Amérique latine.
Les protagonistes de ces opérations financières, de ces fusions, prétendent agir pour une plus grande rationalisation de l’économie. Mais c’est tout le contraire. À l’évidence, ils poussent l’aberration de ce système au paroxysme, pour leur seul profit.
Il n’en est que plus urgent que la population impose le contrôle populaire sur les irresponsables qui gèrent cette économie, et mette enfin pour de bon cette économie au service de la collectivité.